CA Aix-en-Provence, 1re ch. B, 9 janvier 2014, n° 12-23217
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Editions Atlas (SASU)
Défendeur :
Von Essen
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Grosjean
Conseillers :
Mme Demont-Pierot, M. Fournier
Avocats :
Mes Simoni, Landon, Benalloul
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS
Par acte sous seing privé en date du 7 octobre 2003, Mme Anne Von Essen et la SAS Editions Atlas (Atlas) concluaient un contrat d'agent commercial à durée indéterminée.
L'article 3 de ce contrat stipulait :
"Le mandant se réserve la possibilité de modifier la liste des produits confiés à titre exclusif à l'agent pour des raisons de politique commerciale, notamment en cas d'insuffisance de résultats de l'agent, sous réserve d'un délai de préavis d'un mois et sans qu'une telle modification fasse obstacle à la poursuite du présent contrat.
Si le mandant met en vente de nouveaux produits non compris dans l'énumération figurant en annexe, il se réserve le droit d'en confier ou non la vente à l'agent qui reste libre d'accepter ou de refuser sans que ce refus puisse faire obstacle à la poursuite du présent contrat".
Par lettre en date du 25 juin 2008, Atlas notifiait à Mme Von Essen sa décision de ne plus lui confier la commercialisation de nouveaux produits "à réception du présent courrier".
Par courrier en date du 22 juillet 2008, Mme Von Essen indiquait qu'elle considérait cette décision comme une rupture de contrat, imputable à la société Atlas, et qu'elle entendait obtenir le versement d'une indemnité compensatrice qu'elle fixait à 63 140 euros représentant deux années de commissions sur la moyenne des trois dernières années, outre une somme de 22 217 euros correspondant à un montant de "décommissionnements" imputables selon elle à la défaillance d'Atlas, et une somme de 8 524 euros au titre d'une indemnité compensatrice de préavis.
Le 28 juillet 2008, Mme Von Essen se faisait radier du registre des agents commerciaux pour cessation définitive d'activité.
Le 19 novembre 2008, elle assignait Atlas devant le Tribunal de grande instance de Marseille.
Par jugement en date du 7 juin 2010, le Tribunal de grande instance de Marseille a :
- rejeté la demande de révocation de l'ordonnance de clôture formée par la Atlas le 26 avril 2010,
- déclaré irrecevables les conclusions signifiées et la pièce produite par la Atlas le 26 avril 2010,
- déclaré irrecevables les conclusions signifiées par Mme Von Essen le 29 janvier 2010,
- débouté Atlas de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamné Atlas à verser à Mme Von Essen la somme de 63 140 euros avec intérêts capitalisés calculés au taux légal à compter du 22 juillet 2008, au titre de l'indemnité compensatrice,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la Atlas à verser à Mme Von Essen la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- rejeté toute autre demande,
- condamné Atlas aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile,
Par déclaration de M. Bruno Landon, avocat, en date du 6 juillet 2010, Atlas a relevé appel de ce jugement.
Par [arrêt] du 21 juin 2011, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 1re chambre A, a :
- réformé le jugement entrepris,
- débouté les parties de leurs demandes,
- condamné Mme Von Essen aux dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Par arrêt du 6 novembre 2012, la Cour de cassation a cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il a débouté Mme Von Essen de sa demande d'indemnité de cessation du contrat l'arrêt rendu le 21 juin 2011 entre les parties par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, remis en conséquence sur ce point la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt.
La Cour de cassation a dit que la cour d'appel n'avait pas recherché comme elle y était invitée, si le retrait sans condition et immédiat de l'ensemble des produits à venir sans fournir de produits de remplacement, était susceptible de permettre à l'agent la poursuite normale de ses objectifs contractuels, et n'avait pas recherché si la décision à effet immédiat de la société de ne plus confier aucun produit nouveau à Mme Von Essen jointe à l'interdiction d'accès de celle-ci au site intranet n'étaient pas de nature, en rendant impossible la poursuite normale de l'exécution du mandat par l'agent, à constituer des circonstances rendant la rupture du contrat imputable à la mandante.
Par déclaration de Me Corine Simoni, avocat, en date du 10 décembre 2012, Atlas, a effectué une déclaration de saisine de la cour d'appel après renvoi de cassation.
Par ses dernières conclusions récapitulatives après cassation partielle, déposées et notifiées le 28 octobre 2013, Atlas demande à la cour d'appel de :
- vu l'article L. 134-1 du Code de commerce,
- vu l'article 12 du Code de procédure civile,
- juger que la convention du 7 octobre 2003 et les conditions réelles de son exécution ne permettent pas à Mme Von Essen de se prévaloir du statut légal des agents commerciaux,
- vu l'article 9 du Code de procédure civile,
- constater que Mme Von Essen est défaillante à faire la preuve de sa qualité d'agent commercial,
- vu l'article 1134 du Code civil,
- vu les articles 2003 et 2007 du Code civil,
- vu l'article 3-1 du 7 octobre 2003,
- juger abusive la renonciation par Mme Von Essen à son mandat,
- juger que les motifs de renonciation par Mme Von Essen sont irrecevables pour l'un et abusifs et non fondés pour les autres,
- débouter Mme Von Essen de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- fixer l'indemnité de résiliation à la somme de 37 116,73 euros,
- condamner Mme Von Essen au paiement d'une somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner Mme Von Essen aux entiers dépens, dont ceux d'appel distraits au profit de Me Corine Simoni, avocat.
Par ses dernières conclusions responsives après cassation partielle, déposées et notifiées le 17 octobre 2013, Mme Von Essen demande à la cour d'appel de :
- vu les dispositions des articles 134-1 et suivants du Code de commerce,
- vu l'article 1134 du Code civil,
rejeter comme irrecevable et subsidiairement mal fondée la prétention d'Atlas tendant à lui dénier le bénéfice du statut des agents commerciaux,
dire que la rupture du contrat d'agent commercial du 7 octobre 2003 est imputable à Atlas,
condamner la société Editions Atlas au paiement de 8 524 euros au titre de l'indemnité de préavis, et au paiement de 63 140 euros au titre de l'indemnité de cessation de contrat,
juger que les intérêts courront à compter du 22 juillet 2008, date de la mise en demeure,
prononcer la capitalisation des intérêts dus pour une année entière conformément à l'article 1154 du Code civil,
condamner Atlas au paiement d'une somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
condamner la société Editions Atlas aux entiers dépens de la procédure tant en première instance et que pour la première procédure d'appel et la présente procédure d'appel.
L'instruction de l'affaire a été déclarée close le 7 novembre 2013.
MOTIFS
1) Atlas dénie aujourd'hui pour la première fois à Madame Von Essen le statut d'agent commercial, alors qu'elle ne l'avait pas discuté, ni en première instance, ni dans le cadre du premier appel, ni devant la Cour de cassation.
Cette dernière est en droit de s'opposer à cette prétention d'une part sur le fondement du principe dit de l'estoppel, le revirement d'Atlas, à ce stade de la procédure, n'étant pas compatible avec le principe de loyauté des débats, et d'autre part sur le fondement de l'autorité de chose jugée, la Cour de cassation ayant cassé partiellement pour défaut de base légale l'arrêt d'appel du 21 juin 2011 au visa, outre de celui de l'article 1134 du Code civil, des articles L. 134-4 et L. 134-13 du Code de commerce régissant les contrats d'agents commerciaux, ce dont il résulte nécessairement que la cour a retenu la qualification de contrat d'agent commercial.
2) Atlas résiste à la demande en paiement de l'indemnité de cessation de contrat en faisant valoir qu'aux termes précités de l'article 3 du contrat de mandat Madame Von Essen pouvait s'opposer à sa décision de ne plus lui confier de nouveaux produits, sans préjudice de la poursuite de son mandat, et que si elle n'avait pas renoncé à le poursuivre, la comparaison des catalogues entre la période ayant précédé la lettre du 25 juin 2008 et celle l'ayant immédiatement suivie, démontre qu'elle en aurait poursuivi l'exécution dans des conditions normales.
Mais :
ainsi que le conclut exactement Madame Von Essen, les termes de l'article 3 du contrat de mandat qui l'autorisent à refuser la proposition du mandant sans préjudice de la poursuite du contrat ne peuvent s'entendre que de celle consistant à proposer de nouveaux produits, à l'exclusion de celle consistant à ne pas ou ne plus en proposer, étant observé que ledit article ne conférant au mandant qu'une simple faculté, sans obligation, de proposer de nouveaux produits il ne peut s'ensuivre, sans contradiction, une faculté donnée au mandataire de refuser le choix du mandant de s'abstenir d'en proposer ;
la comparaison des catalogues entre les périodes ayant précédé et suivi la lettre du 25 juin 2008 est sans effet utile dès lors qu'il convient de se placer à la date de la rupture, à savoir la lettre de Madame Von Essen du 22 juillet 2008, pour déterminer à qui revient la responsabilité de cette dernière, ou, si, comme l'énonce l'article L. 134-13 du Code de commerce, lorsque la cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent, celle-ci n'a pas été justifiée par des circonstances imputables au mandant.
Or, à la date de la cessation du contrat de mandat, Madame Von Essen était en droit de considérer que, d'une part, la privation immédiate et sans délai de préavis de tout nouveau produit, en rupture avec la pratique qui avait eu cours depuis le début du mandat, et ce sans explication, alors qu'il ressort des termes d'un courrier d'Atlas du 5 août 2008 que Madame Von Essen n'était pas parvenue à atteindre dans le courant du premier semestre 2008 son objectif mensuel de chiffre d'affaires, et ce "même avec l'apport de nouveaux produits", ce qui illustre l'importance particulière que revêtait à cette époque pour elle de se voir confier de nouveaux produits pour la bonne fin de l'exécution du contrat de mandat, et d'autre part, le fait, démontré par le constat d'huissier qu'elle a fait établir le 7 juillet 2008 (qui, contrairement à ce que soutient Atlas, a correctement renseigné les icônes d'accès, notamment selon les codes postaux des secteurs et également le nom de certains produits), sachant qu'en présence de cet élément de preuve, il incombe à Atlas, et non à Madame Von Essen, de démontrer qu'il ne se serait agi ce jour-là que d'un dysfonctionnement ponctuel du système de communication Internet, qu'elle ne pouvait même plus avoir accès au site extranet dédié aux agents commerciaux, la plaçant ainsi dans l'impossibilité de suivre son portefeuille (et en particulier de prendre connaissance des coupons publicitaires), traduisaient sans équivoque la volonté d'Atlas de parvenir à la cessation de leur relation en lui faisant supporter l'initiative de la rupture.
Ce comportement d'Atlas est exclusif de loyauté et caractérise les circonstances imputables au mandant requises par les dispositions précitées de l'article L. 134-13 du Code de commerce pour, en application des mêmes dispositions, ouvrir droit à Madame Von Essen, en dépit du fait qu'elle a été à l'initiative de la cession du contrat, à une indemnité de cessation de contrat.
Cette indemnité est justement évaluée par Madame Von Essen à un montant équivalent à deux années de commissions sur la moyenne des trois dernières années, soit à la somme de 63 140 euros, au paiement de laquelle est condamnée Atlas, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 22 juillet 2008, capitalisables selon les conditions de l'article 1154 du Code civil.
3) Madame Von Essen demande la condamnation d'Atlas à lui payer une indemnité de préavis, et à supporter les dépens de première instance et ceux de la première procédure d'appel, alors qu'elle a été déboutée de sa demande en indemnité de préavis par le jugement du 7 juin 2010, que l'arrêt du 21 juin 2011 a débouté les parties de leurs demandes sans distinction, et l'a condamnée aux dépens de première instance et d'appel, et que dans son arrêt du 6 novembre 2012 la Cour de cassation n'a cassé et annulé l'arrêt du 21 juin 2011 qu'en ce que celui-ci l'a déboutée de sa demande d'une indemnité de cessation de contrat.
La cour estime en conséquence nécessaire de rouvrir les débats et de révoquer la clôture sur le moyen qu'elle soulève d'office de l'irrecevabilité des demandes de Madame Von Essen en paiement d'une indemnité de préavis et de voir Atlas supporter les dépens de première instance et de la première procédure d'appel, au motif de l'autorité de chose jugée attachée aux décisions sus rappelées.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe, Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 6 novembre 2012, Confirme, en y ajoutant en ce qui concerne les modalités de la capitalisation des intérêts, le jugement du 7 juin 2010 en ce qu'il a condamné la société Editions Atlas à verser à Madame Von Essen la somme de 63 140 euros avec intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2008, capitalisés suivant les modalités de l'article 1154 du Code civil. Révoque la clôture et ordonne la réouverture des débats à l'audience du 28 mai 2014 à 14 h 30 aux fins énoncées dans les motifs. Dit qu'une nouvelle clôture interviendra en principe le 16 avril 2014. Réserve les dépens et les frais irrépétibles relatifs à la présente instance.