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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 9 janvier 2014, n° 12-03871

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Braun and Company Limited (Sté)

Défendeur :

Perrain, Haba

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Belaval

Conseillers :

Mmes Beauvois, Vaissette

Avocats :

Mes Gresy, Baranger

T. com. Versailles, du 30 mars 2012

30 mars 2012

FAITS ET PROCEDURE

Le 26 août 2010, MM. Perrain et Haba, se prévalant d'un contrat d'agent commercial, ont assigné la société Braun and Company Limited (la société Braun) en paiement de commissions résultant de la conclusion d'un marché de vente de congélateurs et réfrigérateurs au ministère de la Défense algérien.

Par jugement du 30 mars 2012, le Tribunal de commerce de Versailles a :

- condamné la société Braun à payer à M. Perrain la somme de 19 720,20 euros et à M. Haba la somme de 49 300,51 euros,

- débouté MM. Perrain et Haba du surplus de leurs demandes,

- condamné la société Braun à payer à M. Perrain la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et la même somme au même titre à M. Haba,

- condamné la société Braun aux dépens.

La société Braun a interjeté appel du jugement le 1er juin 2012. Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 27 juin 2013, elle demande à la cour de :

- infirmer le jugement sauf en ce qu'il a débouté MM. Perrain et Haba de leurs demandes d'indemnité compensatrice pour rupture de contrat,

- débouter MM. Perrain et Haba de toutes leurs demandes,

- dire qu'ils n'apportent pas la preuve de leurs allégations et prétentions,

- juger qu'il n'existe pas de contrat d'agent commercial entre la société Braun et MM. Perrain et Haba,

- constater que ces derniers n'ont pas permis la réalisation du contrat entre la société Braun et le ministère de la Défense algérien,

- condamner MM. Perrain et Haba à lui payer la somme de 10 000 euros au titre du préjudice financier qu'ils ont causé,

- condamner MM. Perrain et Haba à lui payer la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Elle fait essentiellement valoir :

- qu'aucun contrat d'agent commercial n'a été signé, le courriel du 12 février 2002 ne comprend pas en anglais le mot correspondant à " agent commercial " mais celui de " sales representative " devant se traduire par " négociant ",

- qu'il était seulement prévu de conclure un contrat pour la représentation de la société Braun en France et dans les pays francophones et que l'existence de la procuration et du pouvoir pour négocier le contrat " HMRUO project " exclut la qualification d'agent commercial,

- que l'existence d'une commission n'implique pas celle d'un contrat d'agent commercial mais seulement la rémunération d'un travail fourni,

- qu'il s'est agi de faire appel à des intermédiaires pour une opération spécifique,

- que le montant de la commission éventuelle n'était pas celui réclamé par MM. Perrain et Haba puisqu'il a évolué à la baisse au vu du courriel de M. Perrain du 23 octobre 2008,

- que MM. Perrain et Haba n'apportent pas la preuve de diligences de leur part pour négocier ou conclure le marché avec le ministère de la Défense algérien,

- qu'il n'est nullement démontré que le marché a été conclu grâce à leur intervention ou qu'ils aient participé à l'installation du matériel alors qu'ils devaient l'assurer ainsi que la maintenance,

- que c'est le Gouvernement algérien qui a pris l'initiative de racheter le matériel par un marché de gré à gré du 14 janvier 2008 directement conclu avec la société Braun à la suite de la faillite de la société Brown and Root-Condor avec laquelle le premier marché avait été passé,

- qu'en l'absence d'Algérie de M. Haba et devant l'inaction de M. Perrain, elle a dû faire appel à des sous-traitants, à savoir la société Safca qui a obtenu la levée des réserves,

- qu'aucun contrat d'agent commercial n'ayant été conclu, il n'a pu être rompu et que les règles de l'article L. 134-12 du Code de commerce ne peuvent donc s'appliquer.

MM. Perrain et Haba ont conclu en dernier lieu le 6 septembre 2013 pour voir :

- rejeter l'appel de la société Braun,

- déclarer recevable et bien fondé leur appel incident,

- déclarer la loi française applicable au litige et les juridictions de Versailles compétentes,

- dire qu'un contrat d'agent commercial liait MM. Perrain et Haba à la société Braun,

- juger qu'aucune faute ne peut être imputée à MM. Perrain et Haba dans l'exécution de leur mission d'agent commercial,

- condamner la société Braun à payer à M. Haba la commission due de 51 895, 28 euros et à M. Perrain celle de 20 758,11 euros,

- constater la rupture abusive du contrat d'agent commercial par la société Braun,

- la condamner à payer au titre de l'indemnité compensatrice la somme de 10 379,64 euros à M. Perrain et celle de 25 947,64 euros à M. Haba,

- la condamner à leur payer à chacun la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Ils soutiennent en substance :

- que le courrier du 12 février 2002 établit l'existence d'un contrat d'agent commercial,

- que c'est dans le cadre de leur mission d'agent commercial qu'ils ont obtenu la signature du contrat de fourniture de matériel à l'hôpital militaire de Constantine avec la société Brown and Root-Condor et qu'à la suite de la faillite de cette société, ils ont négocié et obtenu la reprise du contrat initial par le ministère de la Défense algérien,

- que l'accord sur le principe et le montant de leurs commissions résulte du courriel du 12 octobre 2007,

- que les marchandises ont été livrées et installées le 5 août 2008, que leur paiement est intervenu,

- qu'ils ont entrepris de nombreuses démarches pour obtenir le contrat puis ont accompagné sa mise en œuvre par l'intervention de M. Haba jusqu'en 2009 puis, après son départ pour le Canada, par l'intermédiaire d'une société sous-traitante dont il est l'actionnaire majoritaire.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux dernières conclusions signifiées conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.

DISCUSSION ET MOTIFS DE LA DECISION :

Il convient tout d'abord de relever qu'aux termes de leurs dernières écritures, MM. Perrain et Haba ne se prévalent plus de la caducité de l'appel de la société Braun puisqu'ils prennent acte de l'application en la cause des dispositions de l'article 911-2 du Code de procédure civile relatives à l'augmentation des délais de procédure impartis à l'appelante, société dont le siège se trouve au Royaume uni.

Les parties sont également en accord pour voir appliquer le droit français au présent litige et ne discutent pas davantage la compétence du Tribunal de commerce de Versailles et celle de la cour.

- Sur l'existence d'un contrat d'agent commercial

Aux termes de l'article L. 134-1 du Code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux.

L'application du statut d'agent commercial, d'ordre public, ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leurs conventions, mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée.

En l'espèce, les parties n'ont pas formalisé de contrat écrit pour régir leurs relations.

Toutefois, M. Perrain se prévaut d'un courrier que lui a adressé la société Braun le 12 février 2002 par lequel elle indiquait lui accorder un poste de " French based dealer for French speaking countries around the world " traduit par M. Perrain comme " un poste d'agent commercial basé en France pour les pays francophones dans le monde " et par la société Braun comme " nous serions heureux de vous nommer comme notre négociant basé en France pour les pays francophones dans le monde ".

Comme cela a déjà été énoncé, il n'y a pas lieu de s'arrêter à la qualification choisie par les parties ou à la divergence de traduction, mais il importe de considérer la réalité des relations qui ont suivi et de l'activité exercée par MM. Perrain et Haba pour le compte de la société Braun.

La proposition formulée par la société Braun le 12 février 2002 n'a pas été acceptée par écrit et de manière formelle par M. Perrain et elle n'a pas été suivie d'un accord écrit fixant le mode de rémunération de ce dernier.

En revanche, le 10 décembre 2003, la société Braun a établi une " attestation de pouvoir " mandatant M. Perrain pour négocier et signer en son nom tout contrat relatif à la consultation HMRO Project-JCS 1002/package N° REM020/Lot divers.

Ce pouvoir était relatif au contrat de fourniture de matériel de réfrigération à conclure avec la société Brown and Root-Condor qui n'a pu aboutir compte tenu de la défaillance de cette dernière.

Ensuite, l'ensemble des courriels versés au dossier démontrent que MM. Perrain et Haba ont entrepris de nombreuses démarches et négociations pour faire conclure la vente du matériel initialement objet du contrat conclu avec la société Brown and Root-Condor avec le ministère de la Défense algérien qui était le client final puisqu'il s'agissait d'équiper un hôpital militaire. Les très nombreux courriers électroniques échangés entre MM. Haba, Perrain et la société Braun entre août 2007 et juillet 2008 démontrent que la conclusion du contrat avec le ministère de la Défense a été rendue possible par les contacts privilégiés dont bénéficiait M. Hada qui a mené les négociations en Algérie, que M. Perrain a servi de relais et qu'il a en particulier assisté la société Braun dans la mise en place de la garantie bancaire exigée par le cocontractant, ainsi que dans la facturation.

D'ailleurs, le 14 janvier 2008, la société Braun a établi une procuration à M. Haba afin de " retirer le contrat signé relatif au marché du projet HMRUC/5°RM/Lot divers " dont il est constant qu'il s'agit du contrat effectivement conclu avec la ministère de la Défense algérien le 14 janvier 2008 et pour lequel sont versés au dossier la facture établie par la société Braun le 21 mai 2008 d'un montant de 286 840, 47 euros et le procès-verbal d'installation et de mise en service du 25 août 2008.

Ainsi, il est amplement établi que le marché du 14 janvier 2008 a été conclu par la société Braun grâce à l'entremise et à l'assistance de MM. Haba et Perrain.

En revanche, en dehors de la négociation non aboutie du contrat avec la société Brown and Root-Condor et de la conclusion du marché du 14 janvier 2008 précité relatif aux mêmes matériels, aucune autre opération conclue pour le compte de la société Braun n'est établie, ni même alléguée par MM. Haba et Perrain qui ne prétendent d'ailleurs pas avoir tenté de négocier d'autres marchés pour ce mandant.

En conséquence, la réalité de l'activité déployée par MM. Haba et Perrain pour le compte de la société Braun se limite à la vente d'un ensemble de matériels frigorifiques destiné à l'hôpital de Constantine et revêt un caractère ponctuel même si l'aboutissement de cette vente a nécessité un travail de plusieurs mois. Il en résulte que la proposition faite au seul M. Perrain en 2002 d'un mandat de négociation général pour les pays francophones est demeurée sans suite effective, la conclusion d'un contrat en Algérie en 2008 ne pouvant répondre à la condition de disposer d'un pouvoir de négociation de manière permanente édictée par l'article L. 134-1 du Code de commerce.

La qualification de contrat d'agent commercial ne peut donc être retenue et les motifs du jugement ne peuvent être adoptés sur ce point.

- Sur la rémunération de l'intervention de MM. Haba et Perrain

Les développements qui précèdent ont néanmoins démontré que la conclusion du contrat du 14 janvier 2008 a été rendue possible par l'intervention de MM. Haba et Perrain qui sont dès lors fondés à demander la rémunération de leur travail.

A cet égard, le courrier électronique adressé le 12 octobre 2007 par la société Braun à M. Haba fait la preuve du principe et du montant de la commission qui avait été convenue entre les parties et que la société Braun a au demeurant répercutée dans le montant facturé au ministère de la Défense algérien qui a été effectivement acquitté. Il résulte de ce courriel que la société Braun s'est engagée à payer un montant total de commissions de 51 895,28 euros pour M. Haba et de 20 758,11 euros pour M. Perrain, tout en précisant, compte tenu de la retenue de garantie de 5 % stipulée au marché conclu, que la commission serait versée en deux parties, le solde étant réglé à la levée des réserves du marché.

Contrairement aux prétentions de la société Braun, MM. Haba et Perrain n'ont jamais renoncé au paiement de ces commissions et ils n'ont commis aucune faute de nature à leur faire perdre le droit d'être rémunérés conformément à l'accord des parties.

En effet, MM. Perrain et Haba versent au dossier de nombreux échanges de mails à partir de janvier 2008 démontrant leur implication dans le suivi et la facilitation de l'expédition, l'installation et la mise en place des matériels livrés, soit directement, soit par l'intervention de M. Karim Menia, associé de M. Haba, alors d'ailleurs que la société Braun ne rapporte pas la preuve que leur mission s'étendait au-delà de la conclusion du contrat.

MM. Perrain et Haba s'impatientant en raison du défaut de paiement de leurs commissions, plusieurs échanges de courriers électroniques ont eu lieu entre les parties dont il ressort qu'en alléguant des difficultés et des coûts induits par le contrat du 14 janvier 2008 dont l'imputabilité à MM. Habba et Perrain n'est pas même avancée, la société Braun a entendu les faire participer aux 'coûts supplémentaires' (courriel adressé à M. Perrain le 24 septembre 2008), proposition déclinée par M. Perrain (son courriel du 23 octobre 2008) puisqu'il a expressément indiqué que la commission réduite à 28 067 euros proposée par la société Braun dont il demandait le paiement était réservée à l'espoir de chiffres meilleurs et plus généreux.

Pour autant, le travail des intermédiaires a été reconnu à plusieurs reprises par la société Braun, et notamment dans un courriel du 6 octobre 2008, déclarant avoir apprécié ce que MM. Perrain et Habba avaient accompli pour déplorer ensuite 'la chute significative des retours' afin de justifier le non-paiement des commissions. Et comme l'ont relevé les premiers juges, la société Braun ne justifie en tout état de cause pas des surcoûts qu'elle a pu avancer.

Ensuite, la société Braun a réitéré son engagement de payer la commission par courriel du 11 novembre 2009 mais en le conditionnant à la levée des réserves.

Dans ces conditions, la décision des premiers juges de condamner la société Braun au paiement des commissions convenues doit être confirmée dans son principe mais réformée dans son quantum puisqu'il est justifié devant la cour, par la production de la " mainlevée de caution du 14 décembre 2010 ", de la réception définitive suivant procès-verbal du 15 juin 2010 et du paiement par le ministère de la Défense algérien à la société Braun de la retenue de 5 % soit la somme de 14 342,02 euros.

Il en résulte que la commission est due dans son intégralité pour le montant convenu résultant du courrier électronique du 12 octobre 2007, soit la somme de 51 895,28 euros pour M. Haba et celle de 20 758,11 euros pour M. Perrain.

- Sur la demande d'indemnité compensatrice

La demande d'indemnité pour rupture du contrat est fondée par MM. Perrain et Haba sur les dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce.

La qualification de contrat d'agent commercial ayant été écartée par la cour d'appel, cette demande se trouve privée de tout fondement et doit être rejetée.

Le jugement doit être confirmé sur ce point par substitution de motifs.

- Sur la demande de dommages-intérêts de la société la société Braun and Company Limited

L'absence de toute faute de MM. Perrain et Haba impose de rejeter la demande de dommages-intérêts de la société Braun, le " préjudice financier " allégué n'étant au surplus pas démontré.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Dit que le contrat conclu entre la société Braun and Company Limited, d'une part, et MM. Haba et Perrain, d'autre part, n'est pas un contrat d'agent commercial, Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Braun and Company Limited au paiement de commissions au profit de MM. Haba et Perrain mais le réforme sur le quantum des condamnations, Statuant à nouveau de ce chef, Condamne la société Braun and Company Limited à payer la somme de 51 895,28 euros à M. Haba et celle de 20 758,11 euros à M. Perrain, Confirme le jugement en ses autres dispositions, Y ajoutant, Condamne la société Braun and Company Limited à payer la somme complémentaire globale de 4 000 euros au titre des frais d'appel non compris dans les dépens à MM. Haba et Perrain, Rejette les demandes de la société la société Braun and Company Limited, Condamne la société Braun and Company Limited aux dépens et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre, le droit de recouvrement conforme aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.