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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 15 janvier 2014, n° 12-00645

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sady's Trading (SARL)

Défendeur :

Ceada

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salmeron

Conseillers :

Mme Pellarin, M. Delmotte

Avocats :

Mes Malet, Abenza, Vacarie

TGI Toulouse, du 3 janv. 2012

3 janvier 2012

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 2 janvier 2001, la SARL Sady's Trading qui exploite une activité de vente de textiles de décoration et d'équipement de la maison à prix discount a conclu avec M. Antoine Ceada un contrat d'agent commercial prenant effet le 1er mars 2001 portant sur 21 départements.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 octobre 2008, elle lui a notifié la rupture de son contrat à effet immédiat pour fautes graves consistant dans :

- le désintérêt de la zone géographique confiée,

- l'absence de prospection de nouveaux clients et l'absence de visite de clients potentiels,

- endormissement sur le client Babou, et absence de suivi de ce client entraînant la perte de ce client,

- non-exécution des missions confiées par le mandant entraînant un lourd préjudice pour l'entreprise qui a perdu cette année et les années précédentes un important chiffre d'affaires,

le tout constituant un manquement à la totalité des obligations des articles 5 et 6 du contrat.

Par acte du 9 février 2009, M. Ceada a fait assigner la SARL Sady's Trading devant le Tribunal de grande instance de Toulouse en paiement d'une indemnité compensatrice du préjudice subi du fait de la rupture, d'une indemnité de préavis, de dommages-intérêts et d'un solde de commissions.

Par jugement du 3 janvier 2012, le tribunal a condamné la SARL Sady's Trading à payer à M. Ceada les sommes de 81 598 euro à titre d'indemnité de rupture, 1 996,50 euro à titre d'indemnité de préavis, 2 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, et a rejeté la demande de la société.

La SARL Sady's Trading a interjeté appel de cette décision.

L'appelante et l'intimée ont respectivement déposé leurs dernières écritures par RPVA les 8 novembre et 22 octobre 2013. L'appelante a sollicité la révocation de l'ordonnance de clôture prononcée le 22 octobre 2013, et l'intimé a donné son accord.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Il est fait expressément référence, pour l'exposé des moyens, aux conclusions précitées.

La SARL Sady's Trading demande à la cour de dire que le contrat a été rompu aux torts de M. Ceada pour fautes graves, de le débouter en conséquence des indemnités de rupture et de préavis, de dire qu'il a violé son obligation de non-concurrence, de le condamner à la somme de 567 000 euro au titre du manque à gagner et à celle de 50 000 euro pour les fruits perdus sur cette somme, de le condamner à restituer une somme de 9 689,23 euro indûment perçue à titre de commissions ; très subsidiairement, elle demande de dire que l'indemnité ne saurait excéder la référence aux deux dernières années de commissions, que les fautes simples justifient l'octroi à la SARL Sady's Trading d'une somme de 100 000 euro de dommages-intérêts, de condamner M. Ceada à une indemnité de 6 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

M. Ceada demande que par réformation partielle du jugement, la SARL Sady's Trading soit condamnée à lui payer la somme de 130 000 euro à titre d'indemnité compensatrice de rupture et une somme de 16 250 euro à titre d'indemnité compensatrice de préavis, une somme de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts et une somme de 8 346,33 euro à titre de commissions, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, et enfin une indemnité de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- Sur la révocation de l'ordonnance de clôture

Au vu de l'accord des parties sur ce point, l'ordonnance de clôture est révoquée et la nouvelle clôture fixée au jour de l'audience de plaidoiries, avant débats.

- Sur la rupture du contrat d'agent commercial

M. Ceada dont le contrat a été rompu à l'initiative de son mandant a droit au paiement de l'indemnité prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce destinée à réparer le préjudice subi, sauf si la cessation du contrat est, selon l'article L. 134-13, "provoquée par la faute grave de l'agent commercial". Il est également créancier en application de l'article L. 134-11 d'un préavis de trois mois, sauf faute grave de sa part ou survenance d'un cas de force majeure.

La faute grave privative d'indemnités, qui est seule invoquée en l'espèce, est celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel.

Une baisse de résultats ne peut être qualifiée de faute grave que si elle procède d'une attitude délibérée ou d'une incompétence flagrante de l'agent commercial dont il appartient au mandant de rapporter la preuve.

En l'espèce, la SARL Sady's Trading fonde essentiellement sa décision sur l'effondrement depuis 2004 du chiffre d'affaires de M. Ceada, aggravé à compter de juin 2007, qu'elle impute à divers comportements fautifs de l'intéressé. Elle vise également des faits de déloyauté et concurrence déloyale consistant notamment à avoir travaillé dès l'origine pour une société concurrente, mais non présentée comme telle, puis débuté une activité concurrente avant même la fin du contrat.

Outre que cet élément n'est pas invoqué dans la lettre de résiliation, ce qui prive la SARL Sady's Trading du droit de s'en prévaloir, la preuve d'un travail auprès de la société Adventex avant la rupture n'en est pas rapportée, les déclarations de Mme Amaro (client Auchan) relatées par un détective privé étant formellement contestées par attestation régulière de l'intéressée, et l'e-mail d'un autre agent commercial de la SARL Sady's Trading étant dépourvu de valeur probante, au regard du lien unissant les parties. Quant à l'activité déclarée dès l'origine pour la société Natural Company, la SARL Sady's Trading n'établit nullement qu'elle s'inscrivait dans le même créneau commercial.

Il convient donc d'examiner le motif principal, à savoir la non-exécution de la mission au travers du désintérêt pour la zone confiée, la non-prospection, l'absence de visite de clients potentiels.

L'évolution du chiffre d'affaires annuel de M. Ceada est la suivante : (voir tableau)

Au regard de ce tableau, il n'est pas possible de parler d'effondrement depuis 2004, la baisse de 2004 n'ayant affecté que le client Babou et ne s'étant pas maintenue l'année suivante. De plus il n'est pas utile d'examiner les causes de cette baisse de 2004, le temps écoulé depuis ce fait n'autorisant pas la SARL Sady's Trading à s'en prévaloir pour fonder une faute grave, laquelle doit justifier une réaction immédiate du mandant puisqu'elle ne permet pas la poursuite du contrat.

En revanche, il est constant que le chiffre d'affaires a fortement chuté à compter de 2007. Cette chute résulte en 2007 uniquement de la réduction de la relation commerciale avec Babou, le poste "autres clients" ayant au contraire augmenté ; en 2008, ce sont tous les postes qui chutent, sans pour autant que soit prouvée la perte du client Babou (cf. Chiffre d'affaires de 2008).

Il convient donc de vérifier si la preuve est faite de ce que cette chute résulte des carences délibérées de M. Ceada invoquées par la SARL Sady's Trading.

Force est de constater que les éléments versés aux débats de part et d'autre ne permettent pas d'imputer la responsabilité de cette baisse à M. Ceada. En effet, l'échange de courriels qui s'est étalé de février à décembre 2007 révèle que face aux exigences de réduction de prix de ce gros client qui, pour partie s'approvisionnait directement en Asie, tant la SARL Sady's Trading (e-mail du 28 décembre 2007) que M. Ceada (e-mail du 6 décembre 2007) ont consenti respectivement et finalement une réduction de leur marge et de leur taux de commission, ce taux passant de 10 à 5 % pour M. Ceada. La SARL Sady's Trading ne peut valablement soutenir que ce taux de 5 % était finalement celui prévu par le contrat au motif que les ventes nécessitaient l'intervention de l'épouse du mandant. En effet, d'une part on ignore si la présence de celle-ci aux rendez-vous de M. Ceada avec son client avait été ou non imposée à l'agent commercial, d'autre part, cette situation ne correspond pas précisément au cas décrit au point 7.5.2 du contrat d'agent commercial, lequel prévoit le versement de la demi-commission pour les ventes prises notamment par le mandant, livrées sur le secteur de l'agent et nécessitant son action directe dans les points de vente. Enfin, les e-mails échangés en décembre 2007 témoignent de ce que la SARL Sady's Trading souhaitait que l'épouse du gérant intervienne seule auprès de ce client, et face au refus de M. Ceada, a déclaré que celui-ci gérerait seul ces ventes (cas lui ouvrant droit aux termes du contrat à 10 %).

Ainsi, en aucun cas il n'est établi que la chute du chiffre d'affaires en 2007 et 2008 du client Babou est imputable à un "endormissement" de M. Ceada, et dans la mesure où l'on ignore quelles ont été les conditions ensuite consenties à ce client par la SARL Sady's Trading, qui n'avait plus à verser de commission, le fait que le chiffre d'affaires soit remonté en 2009 n'est nullement significatif d'un délaissement fautif de la part de M. Ceada.

En revanche, il apparaît qu'à compter du début 2007 (échange du 23 février 2007), la SARL Sady's Trading a modifié ses conditions de remise à l'égard du client Babou, exigeant de M. Ceada qu'il supporte personnellement la charge de toute remise supplémentaire qu'il lui consentirait. Cette pression s'est maintenue sur toute l'année, le souhait de la SARL Sady's Trading de traiter directement avec le client apporté par M. Ceada étant manifeste. La modification des conditions antérieurement consenties par la SARL Sady's Trading, annoncée à M. Ceada, n'a pu qu'influer défavorablement le courant d'affaires avec le client.

S'agissant des autres clients, il est relevé que le chiffre d'affaires était à un niveau tout à fait stable sinon en progrès jusqu'en 2007 inclus, la chute du chiffre d'affaires étant effective à compter de janvier 2008 : le chiffre d'affaires des 9 premiers mois de 2007 atteint 135 502 euro, contre 54 519 euro sur les 9 mois de 2008.

Les difficultés qu'invoque M. Ceada pour imputer cette baisse à son mandant, qu'il récapitule dans son courrier du 23 juillet 2008, (réclamation vaine des catalogues, démarchage direct de certains clients sur son secteur, dégradation de la qualité des livraisons) ne sont pas toujours étayées et sont en tout cas insuffisantes à justifier la baisse constatée sur ce poste "autres clients". Au vu des fiches d'activité de 2008, M. Ceada a manifesté à l'évidence une démotivation certaine, le nombre de factures étant très réduit et concernant un nombre de clients également réduit par rapport à l'année précédente, ce qui ne peut s'expliquer que par une absence de visites à certains clients habituels. De plus, après la lettre d'alerte que la SARL Sady's Trading lui adressait le 2 juillet 2008 sur constat de la baisse constante de l'activité hors client Babou, ce phénomène s'est amplifié, la SARL Sady's Trading faisant observer, au vu de la semi-commission appliquée sur les fiches d'activité, que la majorité des commandes sur son secteur n'était pas prise par l'intéressé. L'appelante produit à cet égard le courriel d'un client qui souhaite prendre directement commande (1er septembre 2008), n'ayant pas reçu la visite d'Antoine Ceada. Enfin, M. Ceada s'est dispensé de se rendre aux salons, alors que ceux-ci génèrent toujours un chiffre d'affaires.

Il ne peut s'agir d'insuffisance professionnelle, M. Ceada ayant fait la preuve dans les années précédentes de sa compétence. Dans ces conditions, M. Ceada a de fait délaissé sur les derniers mois son activité sur la zone géographique qui lui était confiée, dans des proportions telles que cela rendait impossible le maintien du mandat d'intérêt commun.

M. Ceada ne peut s'exonérer de sa responsabilité au motif que des commissions lui resteraient dues ; en effet, il indique qu'il s'est découvert créancier en cours d'instance. Il s'en déduit qu'en toute hypothèse cette situation (au demeurant contestée par le mandant) n'est nullement en lien, direct ou indirect, avec la rupture.

Par réformation du jugement, l'intimé est débouté de sa demande en paiement des indemnités de fin de contrat et de préavis.

- Sur la demande en dommages-intérêts de la SARL Sady's Trading

La SARL Sady's Trading estime qu'elle était "en droit d'attendre" au regard de la potentialité de la zone et des résultats déjà obtenus par M. Ceada un chiffre d'affaires moyen annuel de 612 124 euro, et évalue en conséquence son manque à gagner pour les années 2004 à 2008 en tenant compte d'une marge de 40 %.

Cette demande sera rejetée dès lors que M. Ceada n'était pas engagé contractuellement à l'atteinte d'un tel montant, que de plus il ne peut être tenu pour responsable du préjudice de son mandat qu'en cas de faute, laquelle n'est caractérisée qu'en 2008 et pour le poste "clients hors Babou", qu'enfin la SARL Sady's Trading qui ne produit aucune base sérieuse au soutien de son évaluation n'établit pas que son préjudice pour l'année 2008 en lien avec la faute retenue excéderait le montant des indemnités de fin de contrat dont elle a été dispensée de paiement du fait de la faute grave commise.

Cette demande a été à bon droit rejetée.

- Sur les demandes relatives au paiement de commissions

Le litige se présente dans les mêmes termes qu'en première instance, M. Ceada sollicitant un solde pour les années 2007 et 2008, la SARL Sady's Trading s'estimant au contraire créancière de M. Ceada au titre d'un trop versé.

Alors que le tribunal a mis en évidence l'incapacité dans laquelle il se trouvait de vérifier les chiffres mentionnés tant sur le tableau de M. Ceada et son droit corrélatif à commissions sur les ventes mentionnées, que sur les attestations comptables, en l'absence de pièces justificatives, les parties ne fournissent pas d'autres éléments. De plus, le tableau présenté par M. Ceada apparaît manifestement entaché d'erreurs, dès lors qu'il sollicite un taux de 10 % de commissions sur des opérations qu'il dit avoir découvertes en cours d'instance, alors que ces ventes n'ayant pas été passées par son intermédiaire, il ne pourrait prétendre qu'à une demi-commission.

Pour ces motifs, le jugement qui déboute les parties de leurs prétentions est confirmé sur ce point.

- Sur la demande en dommages-intérêts de M. Ceada

Cette demande repose d'une part sur le prétendu non-respect par le mandant de son obligation de payer les commissions, d'autre part sur l'attitude agressive et vexatoire de la SARL Sady's Trading au cours de l'instance, caractérisée par une assignation en concurrence déloyale en appelant l'actuel mandant de M. Ceada, la société Adventex.

Aucun de ces griefs n'est établi :

- le premier manquement n'a pas été retenu ;

- le droit d'agir en justice ne dégénère en abus que si l'action est engagée avec malice ou mauvaise foi, ou avec une légèreté blâmable, traduisant une volonté manifeste de son auteur de se servir du droit allégué dans un but autre que celui auquel il tend. Rien ne permet à ce stade du litige en concurrence déloyale, qui a fait l'objet d'une instance distincte, de constater un tel abus.

- Sur les demandes annexes

En application de l'article 700 du Code de procédure civile, il est alloué à la SARL Sady's Trading l'indemnité fixée au dispositif de cette décision.

Par ces motifs : LA COUR, Révoque l'ordonnance de clôture et fixe la nouvelle clôture au 20 novembre 2013 ; Réforme le jugement déféré en ses dispositions relatives à l'indemnité de fin de contrat et à l'indemnité de préavis, à l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens, et statuant à nouveau, Déboute M. Antoine Ceada de ses demandes en paiement des indemnités de fin de contrat et de préavis ; Déboute M. Antoine Ceada de sa demande en paiement d'une indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Confirme le jugement en ses autres dispositions ; Y ajoutant, Condamne M. Antoine Ceada à payer à la SARL Sady's Trading une indemnité de 2 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne M. Antoine Ceada au paiement des dépens dont distraction par application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.