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Décisions

Cass. crim., 22 janvier 2014, n° 13-81.013

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Rapporteur :

Mme Ract-Madoux

Avocat général :

M. Sassoust

Avocats :

Me Ricard, SCP Waquet, Farge, Hazan

Metz, 1er prés., du 25 janv. 2013

25 janvier 2013

La COUR : - Statuant sur les pourvois formés par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la société X, contre l'ordonnance du premier président près la Cour d'appel de Metz, en date du 25 janvier 2013, qui a infirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à effectuer des opérations de visite et saisie de documents, en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles et ordonné la restitution des pièces et documents saisis ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

I- Sur le pourvoi de la société X : - Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;

II - Sur le pourvoi de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes : - Vu les mémoires produits, en demande et en défense ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 du Code de commerce, 1349 et 1353 du Code civil, défaut de motifs, manque de base légale ;

en ce que l'ordonnance attaquée a infirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 4 janvier 2011 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Metz ;

"aux motifs que l'article 1349 du Code civil définit les présomptions comme étant des conséquences que la loi ou le magistrat tire d'un fait connu à un fait inconnu ; que l'article 1353 du Code civil, déjà évoqué plus haut, énonce que les présomptions qui ne sont pas établies par la loi sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes, et dans le cas selon la loi admet des preuves testimoniales, à moins que l'acte ne soit attaqué en cause de fraude ou de dol ; qu'il est jugé que l'article 1353, qui abandonne l'appréciation de la valeur probante des présomptions à la prudence des juges, ne s'oppose pas à ce qu'ils forment leur conviction sur un fait unique ; que, cependant, ne constituent pas des présomptions au sens du texte susvisé des suppositions, des hypothèses ou des soupçons ne permettant pas au juge d'établir la réalité d'un fait inconnu à partir de faits connus ; que, lorsqu'il n'existe aucun élément susceptible de conforter les déclarations d'une partie, celles-ci sont, à elles seules, insuffisantes pour établir la matérialité des faits allégués et ces circonstances dans lesquelles ils sont survenus ; qu'au cas présent, il était demandé au juge des libertés et de la détention de vérifier qu'il pouvait effectivement tirer des documents qui lui ont été soumis à l'appui de la requête l'existence de présomptions graves précises et concordantes de pratiques anticoncurrentielles telles que visées aux points 1 et 2 de l'article L. 420-1 du Code de commerce, texte selon lequel : sont prohibées, même par l'intermédiaire direct ou indirect d'une société du groupe implanté hors de France, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à : 1 - limiter l'accès au marché ou le libre accès de la concurrence par d'autres entreprises, 2 - faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse, qu'en cause d'appel, il est dès lors nécessaire de procéder à nouveau à l'analyse des pièces annexées à la requête du 13 décembre 2010 et à partir desquelles le juge des libertés et de la détention a délivré le 4 janvier 2011 l'autorisation contestée par la société X ; que le premier élément fourni au juge des libertés et de la détention par la requérante est le procès-verbal de déclaration dressé le 1er octobre 2009 comportant l'audition de M. Duclouet, président directeur général de la SA Sceria, PV accompagné de différents documents dont la lettre, datée du 1er octobre 2009, rédigée par le déclarant en vue de son audition, relativement au litige l'opposant à la société X, distributeur exclusif en France de couteaux industriels de marque Victorinox ; que le plaignant a expliqué que ce fournisseur a remis en cause la remise de 21 % qu'il lui consentait depuis plusieurs années, a refusé de livrer ses commandes, ce qui l'a contraint à introduire une procédure de référé, à la suite de laquelle la société X s'est exécutée, mais dans le même temps lui a notifié le 5 février 2009 la rupture de leurs relations commerciales et ce à compter du 10 juillet 2009, cette décision ayant pour conséquence que son activité de négoce de couteaux était appelée à disparaître, le plaignant soutenant que l'attitude de la société X lui paraissait avoir pour origine l'un de ses deux principaux concurrents la société Y et qu'il y aurait donc eu entre ces deux entreprises une entente commerciale dans le but de l'éliminer du marché des couteaux pour le secteur industriel ; qu'étaient joints à cette plainte des échanges de courriers entre la société Sceria et la société X, ainsi que la lettre adressée par cette plaignante au fabricant en Suisse des couteaux Victorinox, lequel lui a opposé l'existence des conventions conclues avec son réseau d'importateurs, conventions ne lui permettant pas de la fournir directement depuis la Suisse ; qu'il faut objecter que cette plainte, qui fait état d'une entente illicite entre les sociétés X et Y, émane d'une entreprise, d'une part, en conflit direct avec son fournisseur la société X et alors qu'à la date de cette plainte, une procédure de référé était déjà en cours entre elles depuis le 10 juillet 2009, et, d'autre part, en concurrence directe avec la société Y sur le marché relativement restreint des couteaux industriels ; que dans cette plainte, la société Sceria n'a allégué aucun fait qui puisse être repris par la requérante et qui lui permettrait d'étayer ses soupçons d'entente commerciale entre les sociétés X et Y, alors pourtant que la procédure judiciaire ainsi engagée entre les sociétés Sceria et X a donné lieu à un jugement du Tribunal de commerce du Mans, en date du 13 septembre 2010, (jugement que la requérante qualifie de non définitif, sans pour autant justifier qu'il aurait fait l'objet d'une voie de recours) ayant rejeté l'ensemble des demandes présentées par la société Sceria, non pas seulement en considérant que la résiliation avait été valablement opérée avec un préavis suffisant de cinq mois laissant toute latitude à la société Sceria pour s'organiser commercialement et se retourner vers d'autres fournisseurs, mais surtout précisément dans le cadre de cette remise en cause de la réduction de 21 % jusque-là octroyée à la société Sceria, et que la société X entendait voir ramener à 14 % à la demande de ses autres clients, au motif que la position de la société X n'avait pas été exprimée dans le but d'imposer des prix de revente du matériel de coutellerie, et alors que la société Sceria conservait toute liberté de répercuter ou non ces nouvelles conditions à ses propres clients et que la suppression de l'avantage particulier consenti par la société X à la société Sceria ne présentait aucun caractère illicite, puisque ne visant pas la fixation de prix de revente des produits Victorinox, ce pourquoi le tribunal a validé la nouvelle proposition commerciale de la société X ; qu'il n'a pas été démontré que cette décision ait été frappée d'appel et ait été réformée ; que, par voie de conséquence, les conclusions prises pour le compte de la société X au cours de la procédure ayant abouti à ce jugement, conclusions communiquées par la société Sceria à la Direccte ne peuvent davantage avoir valeur d'indice ou de présomption ; que la requérante ne peut non plus tirer argument du courrier de la société Sceria, en date du 29 janvier 2010, lui faisant part des difficultés connues également du fait de la société Y par le responsable de la société Mado France, importateur de couteaux de marque Giesser, qui aurait fait l'objet de pressions de la part du responsable de la société Y, cette indication présentant le même inconvénient d'émaner d'une société en concurrence directe avec la société Y, et alors que force est de constater que l'administration n'a pas exploité ce renseignement et ne peut fournir aucun élément sur les investigations qu'il aurait été judicieux qu'elle entreprenne auprès de la société Mado France (notamment l'audition de ce responsable M. Brandsttetter dont l'identité avait déjà été précisée par le dirigeant de la société Sceria dans son audition du 1er octobre 2009) et dont elle aurait pu soumettre les résultats au juge des libertés et de la détention en vue de donner force aux déclarations unilatérales de M. Duclouet ; que pourraient paraître plus pertinentes au regard des exigences posées par les textes susvisés quant à l'existence de présomptions graves, précises et concordantes les déclarations faites le 17 février 2010 à l'inspecteur expert de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes par Mme Naud, assistante d'achat au sein de la société Charal, dont la société Sceria avait obtenu le marché en succédant d'ailleurs à la société Y et par préférence à celle-ci en raison de ses efforts sur les tarifs de vente et sur le très bon suivi assuré par cette société, à la différence des problèmes de livraisons connus précédemment par la société Charal avec la société Y ; qu'au cours de son audition, cette personne a expliqué que, étant tout à fait satisfaite des prestations de la société Sceria en matière de fourniture de couteaux, la société Charal lui a acheté en 2009 la totalité de ses couteaux (surtout Victorinox représentant 40 % de la totalité des achats de couteaux effectués par la société Charal) et que fin 2009, elle a été prévenue par le PDG de Sceria qu'il avait des difficultés d'approvisionnement sur les couteaux, de sorte que, compte tenu de ces problèmes de livraison chez Sceria, la société Charal a été contrainte de se fournir en couteaux Victorinox chez les autres distributeurs, ce témoin ajoutant surtout être en mesure de confirmer que fin 2009 une personne du service commercial de Y a pris contact avec elle pour lui expliquer en substance pourquoi Sceria n'avait plus la possibilité de la livrer, Y indiquant être en mesure d'effectuer les couteaux des livraisons des couteaux Victorinox ; qu'il faut observer que ce témoin ne fournit aucune indication quant à l'identité de la personne envoyée par Y pour la démarcher, que l'administration n'a pas cherché à pallier cette absence de précision quant à l'identité et même à la réalité de cette démarche et n'a donc opéré aucune vérification ou audition au sein de la société Y sur ce point précis ; que ce témoignage ne peut, par conséquent, être analysé comme constituant la présomption d'une entente illicite entre les sociétés Y et X qui se serait matérialisée par la communication par la société constituant la présomption d'une entente illicite entre les sociétés Y et X à la société Y de renseignements d'ordre confidentiel, communication qui, selon la requérante, dépasserait la mesure des informations commerciales qu'il est licite qu'un importateur exclusif fournisse à ses distributeurs, alors d'une part, qu'aucune donnée de fait n'est apportée pour établir la réalité d'une telle communication et que, d'autre part, il n'est pas illicite que les membres du réseau de distribution d'une même société importatrice connaissent les conditions générales de vente, les modalités et les taux de remise accordés par l'importateur exclusif aux distributeurs membres de son réseau et disposent sur leurs autres concurrents d'informations relatives aux conditions et remises qui leur sont faites respectivement ; que, dès lors, il convient de dire et juger que les documents joints à la requête présentée au juge des libertés et de la détention n'autorisaient pas ce magistrat à déduire : - que les doléances de la société Sceria, les courriers produits par celle-ci et les écritures de la société X au cours de la procédure de référé évoquée plus haut peuvent faire penser à la mise en place d'un système de police des prix de vente ; - que la démarche, d'ailleurs non véritablement prouvée faute d'investigations complémentaires, de la société Y auprès de Mme Naud impliquerait que la société Y aurait été préalablement informée par la société X de son refus de poursuivre ses relations avec la société Sceria et que cette information excéderait la teneur normale des informations échangées entre un importateur et ses distributeurs, - que la société Y serait d'ailleurs intervenue également auprès de la société Mado France importateur de couteaux allemands de marque Giesser, - que les conditions préférentielles consenties jusque-là par la société X à la société Y ne devaient être légitimement connues que de ces parties, sauf pour les autres distributeurs à en avoir connaissance par le biais d'une information délivrée indûment par la société X, et au final, à en déduire des présomptions d'entente illicite permettant la recherche de preuves dans les locaux de cette société, que l'ordonnance dont appel doit être infirmée, avec cette conséquence que le procès-verbal des opérations de visite et de saisie dressé le 11 janvier 2011, reposant sur l'autorisation donnée par cette ordonnance, doit être jugé comme dépourvu de toute valeur et doit être annulé, les pièces et documents saisis devant être restitués à la société X ;

"1) alors que l'article L. 450-4 du Code de commerce permet au juge des libertés et de la détention d'autoriser les visites et saisies domiciliaires dès lors que la demande est fondée ; qu'il n'est pas nécessaire que soient caractérisées des présomptions précises, graves et concordantes au sens des articles 1349 et 1353 du Code civil permettant au juge de tenir pour établies l'existence et la réalité des pratiques anticoncurrentielles elles-mêmes, mais seulement des présomptions d'agissements anticoncurrentiels ; qu'en prononçant comme il l'a fait, et en exigeant que les présomptions soumises à son appréciation lui permettent d'établir, la réalité d'un fait inconnu à partir de faits connus et la matérialité des faits allégués, le juge d'appel a imposé à l'administration de rapporter par présomptions la preuve des pratiques anticoncurrentielles et a ainsi violé les textes susvisés ;

"2) alors que, pour apprécier si la demande d'autorisation de visites et saisies est fondée, le juge doit examiner, suivant la méthode du faisceau d'indices, si les éléments d'information produits par l'administration, pris en leur ensemble et non pas individuellement, sont de nature à faire présumer l'existence de pratiques anticoncurrentielles dont la preuve est recherchée ; qu'en l'espèce, il résulte des motifs cités au moyen que le juge d'appel a examiné isolément les pièces produites par l'administration, (dénonciation que lui a adressée le 1er octobre 2009 la société Sceria, conclusions prises pour le compte la société X, courrier de la société Sceria en date du 29 janvier 2010, déclarations faites le 17 février 2010 à l'inspecteur expert de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes par Mme Naud), et a écarté un à un chaque indice comme insuffisant à lui seul à rapporter l'existence de présomptions graves précises et concordantes de pratiques anticoncurrentielles, au lieu d'analyser ce faisceau d'indices en son ensemble ; qu'en statuant ainsi, il a violé les textes susvisés" ;

Vu l'article L. 450-4, alinéa 1er, du Code de commerce ; - Attendu qu'il résulte de ce texte qu'après avoir vérifié que la demande qui lui est soumise est fondée, le juge des libertés et de la détention peut autoriser des opérations de visite et saisie dans toute entreprise ;

Attendu que le juge des libertés et de la détention a autorisé la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à faire procéder à des opérations de visite et saisie dans les locaux de la société X, en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la commercialisation des couteaux à usage professionnel ;

Attendu que, pour infirmer cette décision, l'ordonnance attaquée énonce que les présomptions précises, graves et concordantes doivent, en répondant aux exigences des articles 1349 et 1353 du Code civil, permettre d'établir la réalité d'un fait inconnu à partir de faits connus ; qu'après avoir analysé les indices recueillis, notamment la plainte d'un professionnel dénonçant le refus de son distributeur de poursuivre les relations commerciales en raison d'une entente avec l'un de ses principaux concurrents et le courrier d'une société dénonçant également des difficultés d'approvisionnement, le premier président énonce que les documents joints à la requête n'autorisaient pas le juge des libertés et de la détention à en déduire des présomptions d'entente illicite permettant la recherche de preuves dans les locaux de cette société ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, le premier président a ajouté à la loi des conditions qu'elle ne comporte pas ; d'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Et sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l'article L. 450-4 du Code de commerce :

"en ce que l'ordonnance attaquée, après avoir infirmé l'ordonnance déférée en ce qu'elle a autorisé des opérations de visite et de saisie dans les locaux de la société X et annulé les opérations de visite et de saisie entreprises le 11 janvier 2011, a ordonné que les documents saisis en original et en copie, visés aux scellés numéros 1 à 2 soient restitués à la société X ;

"aux motifs que l'ordonnance dont appel doit être infirmée, avec cette conséquence que le procès-verbal des opérations de visite et de saisie dressé le 11 janvier 2011, reposant sur l'autorisation donnée par cette ordonnance, doit être jugé comme dépourvu de toute valeur et doit être annulé, les pièces et documents saisis devant être restitués à la société X ;

"alors que l'ordonnance du premier président de la cour d'appel est susceptible d'un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le Code de procédure pénale, que les pièces saisies sont conservées jusqu'à ce qu'une décision soit devenue définitive ; qu'en ordonnant la restitution immédiate à la société X des documents saisis dans ses locaux après avoir annulé l'ordonnance déférée, quand sa décision susceptible de pourvoi en cassation n'était pas encore définitive, le premier président de la cour d'appel a violé l'article L. 450-4 du Code de commerce" ;

Vu l'article L. 450-4, alinéa 6, du Code de commerce ; - Attendu qu'il résulte de ce texte que, l'ordonnance du premier président statuant sur l'appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention qui a autorisé des opérations de visite et saisie étant susceptible d'un pourvoi en cassation, les pièces saisies sont conservées jusqu'à ce que la décision soit devenue définitive ;

Attendu qu'après avoir infirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, l'ordonnance attaquée énonce que les pièces et documents saisis dans les locaux de la société X doivent être restitués à cette société ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, le premier président a méconnu le texte susvisé ; d'où il suit que la cassation est à nouveau encourue ;

Par ces motifs : I- Sur le pourvoi de la société X : Le Rejette ; II- Sur le pourvoi de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes : Casse et Annule, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du premier président de la cour d'appel de Metz, en date du 25 janvier 2013, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, Renvoie la cause et les parties devant la juridiction du premier président de la Cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.