Cass. crim., 22 janvier 2014, n° 13-80.021
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Rapporteur général de l'Autorité de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Rapporteur :
M. Soulard
Avocat général :
M. Boccon-Gibod
Avocats :
SCP Baraduc, Duhamel, SCP Piwnica, Molinié
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence, contre lordonnance du premier président de la Cour dappel de Paris, en date du 31 août 2012, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 16 juin 2011, n° 11-80.345), a prononcé sur la régularité des opérations de visite et saisie effectuées par l'administration de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ;- Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 et R. 450-2 du Code de commerce, 56 du Code de procédure pénale, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a ordonné la restitution entre les mains [de] X, par destruction des fichiers listés par X dans sa pièce 11, dès que l'ordonnance serait devenue définitive, et a dit que l'Autorité de la concurrence ne pourrait en aucun cas et pour quelque raison que ce soit utiliser les documents dont la restitution par destruction a été ordonnée ;
"aux motifs que les saisies des messageries de MM. A, B, C, D, E, F et de Mme G, salariés [de] X, apparaissaient sous les libellés tels que "outlook.ost", "divers.pst", "backup.pst", "C2009.pst", "C2008.pst" ou "archive" ou "BalFDossierspersonnels.pst" ; que ces noms ont été choisis par les salariés [de] X et non par l'Autorité de la concurrence ; que les intitulés de tels fichiers ne peuvent amener à conclure à l'absence de lien entre ces fichiers et le champ d'autorisation donnée puisque ces noms copiés par les rapporteurs correspondent à ceux se trouvant sur les ordinateurs des personnes concernées par l'opération de visite et de saisie dans lesdits locaux ; que, par ailleurs, la fonction habituelle de telles messageries étant par nature professionnelle, le seul choix de regroupements ou qualifications de messages effectués par l'utilisateur ne saurait suffire à démontrer qu'il s'agit d'évidence d'éléments à caractère personnel ; qu'aucune irrégularité quant à ces saisies ne peut donc être relevée de ce chef ; que les éléments permettant de garantir au bénéfice de l'entreprise visitée l'origine des données saisies et l'absence de modification au cours de la procédure ont été indiqués par l'Autorité de la concurrence ; que ces éléments sont constitués par le nom du fichier, la taille du fichier, l'empreinte numérique du fichier et le chemin complet permettant de vérifier que ces pièces proviennent bien de la saisie effectuée ; que copie intégrale de ce qui a été saisi a été remis par ailleurs au représentant [de] X pour permettre à ce dernier d'effectuer une vérification des fichiers qui ont été appréhendés et [à] X d'exercer un recours, cette remise de copie ayant été actée au procès-verbal de visite et de saisie ; que cette copie, qui fait partie intégrante de la procédure, puisque son existence est attestée par le procès-verbal de visite et de saisie, a été réalisée en présence et sous le contrôle de l'officier de police judiciaire ; que l'inventaire des éléments saisis tel que prévu légalement n'a pas à comporter la liste exhaustive des messages électroniques saisis, pouvant viser des groupes de messages ; que par ailleurs ces messages contenaient pour partie des éléments d'information entrant dans le champ de l'autorisation et qu'il s'agissait de messageries uniquement professionnelles dont la vocation n'est de contenir que des messages professionnels ; que le fait que ces messageries aient contenu des messages personnels est sans incidence sur la régularité desdites saisies ; que la saisie intégrale des messageries pertinentes, dans le cadre d'une enquête dûment autorisée dans l'intérêt économique, même si elle est susceptible d'inclure des documents personnels des salariés, ne s'avère pas disproportionnée compte tenu de l'impérieuse nécessité de garantir l'effectivité des droits de chacune des parties ; que certaines informations personnelles sont susceptibles par ailleurs de constituer des éléments, renseignements ou données utiles à l'enquête ; que, par voie de conséquence les prescriptions des articles L. 450-4, R. 450-2 du Code de commerce et 56 du Code de procédure pénale ont été respectées de ce chef et ce sans qu'il soit besoin d'étudier les éléments de fait produits qui n'auraient leur importance que si l'inventaire avait été peu clair, non remis à l'entreprise saisie ou non identifiable ; que X soutient par ailleurs que la saisie des fichiers informatiques aurait été massive et indifférenciée ; qu'aux termes de l'article 450-4 du Code du commerce, l'Autorité de la concurrence peut saisir tous supports d'informations ; qu'il est constant en l'espèce que l'Autorité de la concurrence a procédé à la saisie, par voie de copie, d'une sélection de fichiers informatiques en rapport avec le champ d'autorisation donnée ; que la saisie n'a donc pas été massive et indifférenciée ; que, par ailleurs, le fait que certains mails seraient hors champ de l'autorisation ne remet pas pour autant en cause la validité de la saisie des messageries elle-même à partir du moment où il a été vérifié préalablement que ces messageries, formant un tout indissociable, contenaient des éléments en rapport avec l'enquête, ce qui n'est pas sérieusement contesté ; qu'enfin, les dispositions de l'article L. 450-4 du Code du commerce ne contreviennent pas à celles des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elles assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle et des nécessités de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et que les droits à un procès équitable et à un recours effectif sont garantis tant par l'intervention du juge des libertés et de la détention qui vérifie le bien-fondé de la requête de l'administration que par le contrôle exercé par la cour d'appel ; que X soutient en dernier lieu que partie des mails saisis concernaient les relations client-avocat, documents par définition insaisissables du fait de la protection du secret des correspondances avocat-client ; que le secret de la correspondance entre avocat et client est protégé effectivement par l'article 56 du Code de procédure pénale et par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 qui dispose "en toutes matières que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères, à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention officielle, les notes d'entretien et plus généralement toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel" ; qu'il est constant que les mails visés par X dans sa pièce 11 dans sa totalité comme les cotes 1 à 3 du scellé 22 ainsi que les douze documents cités en pages 5 et 6 des conclusions [de] X sont des mails client-avocat qui ne peuvent être saisis ; qu'il convient donc d'ordonner leur restitution sous forme de destruction mais ce sans prononcer l'annulation du procès-verbal établi à cette occasion, la saisie seule des documents couverts par le secret professionnel devant être annulée ; qu'en effet la restitution qui ménage l'ensemble des intérêts en présence constitue la sanction la plus adaptée ; qu'il n'y a donc pas lieu de donner suite à la demande de nullité de l'ensemble des opérations de visite et de saisie qui présente un caractère disproportionné et reviendrait à annuler une partie des saisies intervenues dans des conditions parfaitement régulières ; que, restitués [à] X lesdits mails ne peuvent en aucun cas servir de base à une accusation et à une sanction et que donc leur éventuelle connaissance par l'Autorité de la concurrence ne peut emporter aucune décision de sa part, l'Autorité de la concurrence ne pouvant absolument pas les utiliser ; que, par voie de conséquence il échet : - d'ordonner la restitution entre les mains [de] X par destruction des mails visés par X dans sa pièce 11 ainsi que les douze documents cités en pages 5 et 6 des conclusions [de] X, - d'ordonner la restitution des cotes 1 à 3 du scellé 22, - de débouter X de ses autres demandes, aucune violation du secret professionnel ne pouvant être mis en cause en la présente instance et l'Autorité de la concurrence ne pouvant utiliser à quelque fin que ce soit les pièces saisies et devant être détruites, - de débouter l'Autorité de la concurrence de ses autres demandes, - de laisser à la charge de chacune des parties les dépens qu'elles ont engagés, chacune succombant pour partie, exception faite des frais de l'expertise qui seront mis à la charge [de] X ;
"alors que le premier président de la cour d'appel a jugé que la saisie des boîtes de messageries de MM. A, B, C, Abraham, E, F et de Mme G, salariés [de] X, contenues dans la pièce 11 [de] X, était régulière en ce que ces fichiers comportaient des documents pour partie utiles à l'enquête, mais que les correspondances client-avocat contenues dans ces messageries ne pouvaient être saisies ; que, dès lors, le premier président ne pouvait ordonner la restitution par destruction, sans distinction, des fichiers visés par X dans sa pièce 11, c'est-à-dire notamment les fichiers de boîtes de messageries dont la saisie a été jugée régulière car contenant des documents utiles ou pour partie utiles, entrant dans le champ de l'autorisation, non contestés par X, comme l'a relevé le premier président" ;
Attendu qu'il résulte de la décision attaquée que, par ordonnance, en date du 3 juin 2009, le juge des libertés et de la détention a autorisé l'Autorité de la concurrence à procéder à des opérations de visite et saisie dans les locaux [de] X afin de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; qu'après avoir constaté, à l'aide d'un logiciel permettant d'identifier à partir de mots-clés les éléments susceptibles de se rattacher aux pratiques suspectées, la présence, dans divers ordinateurs, de documents entrant dans le champ de l'autorisation, les agents de l'Autorité de la concurrence ont saisi des fichiers informatiques et sept messageries électroniques d'employés [de] X ; que ce dernier, s'estimant victime, notamment, d'une violation de la confidentialité des correspondances entre avocat et client, a saisi le premier président d'un recours sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce ;
Attendu que, pour ordonner la restitution, entre les mains [de] X et par destruction, des fichiers que celui-ci avait énumérés dans sa pièce 11 et dire que l'Autorité de la concurrence ne pourra en aucun cas utiliser ces fichiers, l'ordonnance prononce par les motifs reproduits au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, exemptes de contradiction, le premier président a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen, qui ne fait que remettre en cause les constatations souveraines de ce magistrat, selon lesquelles les fichiers dont la restitution a été ordonnée étaient exclusivement composés de correspondances entre avocat et client, doit être écarté ;
Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme ;
Rejette le pourvoi.