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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 21 janvier 2014, n° 12-03215

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bleu de France Engineering (SARL)

Défendeur :

Le Gal

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poumarède

Conseillers :

Mmes André, Denoual

Avocats :

Mes Demidoff, Tafanelli, Boittin

TGI Saint-Nazaire, du 15 mars 2012

15 mars 2012

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :

Le 20 novembre 2006, la société Bleu de France Engineering et Mme Le Gal ont signé un contrat de franchise pour commerce de pressing-blanchisserie, d'une durée de cinq années à compter du jour de sa signature, pour la création et l'exploitation d'un pressing situé à Le Croisic (44).

Se plaignant du mauvais fonctionnement de la franchise et de manquements du franchiseur à ses obligations, Mme Le Gal cessait de payer les redevances à compter du mois de juillet 2008.

Par acte du 16 février 2009, la société Bleu de France Engineering l'a fait assigner en résiliation du contrat, en paiement des sommes dues et de dommages et intérêts, devant le Tribunal d'instance de Saint-Nazaire.

Par jugement du 14 octobre 2009, le Tribunal d'instance s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Saint-Nazaire.

Vu l'appel interjeté le 7 mai 2012 par la société Bleu de France Engineering du jugement rendu le 15 mars précédent par le Tribunal de grande instance de Saint-Nazaire lequel a :

prononcé la nullité du contrat de franchise,

ordonné en conséquence le remboursement par la société Bleu de France Engineering à Mme Le Gal de toutes les sommes versées au titre du contrat, soit le droit d'entrée de 13 000 euro HT et les mensualités payées de 300 euro HT,

donné acte à Mme Le Gal de ce qu'elle cessera de faire usage des éléments distinctifs de la marque,

condamné la société Bleu de France Engineering, sous astreinte de 100 euro par jour de retard après expiration d'un délai de deux mois après la signification du présent jugement et pendant un délai de trois mois ensuite duquel il sera au besoin statué à nouveau, à reprendre à ses frais l'enseigne, le matériel publicitaire et les documents remis, et à supporter le coût de la remise en état éventuellement nécessaire des locaux après cet enlèvement,

rejeté la demande de dommages et intérêts de Mme Le Gal pour son préjudice d'exploitation,

rejeté l'ensemble des demandes de la société Bleu de France Engineering,

condamné la société Bleu de France Engineering à payer à Mme Le Gal la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

ordonné l'exécution provisoire pour le tout,

mis les dépens à la charge de la société Bleu de France Engineering, ces dépens devant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu l'ordonnance du 18 septembre 2013 rendue par le conseiller de la mise en état lequel a :

- déclaré irrecevables les conclusions déposées par Mme Le Gal devant la cour le 14 août 2013 et ses conclusions ultérieures y compris celles déposées devant le conseiller de la mise en état aux fins de radiation de l'appel,

- prononcé la clôture de la procédure,

- renvoyé l'affaire à l'audience du 25 septembre 2013 à 15 h 00,

- condamné Mme Le Gal aux dépens de l'incident ;

Vu les conclusions déposées le 26 août 2013 par la société Bleu de France Engineering auxquelles la cour se réfère expressément pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions;

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la nullité du contrat de franchise :

Considérant que Mme Le Gal fonde sa demande en nullité sur le non-respect par la société Bleu de France Engineering des dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce lesquelles renvoient aux dispositions de l'article R. 330 du même code ;

Considérant qu'à la demande de Mme Le Gal, la société Bleu de France Engineering lui a remis un dossier de candidature ; qu'outre un classeur intitulé "Manuel du franchisé", un document récapitulant le planning des opérations préalables à la signature du contrat a été adressé à Mme Le Gal ; qu'il est constant que le 11 octobre 2006, étaient accomplies les quatre premières étapes du planning desdites opérations, à savoir, le dossier de candidature, l'entretien préalable, l'étude de faisabilité et l'envoi du projet de contrat de franchise pour examen ;

Considérant qu'en première instance, Mme Le Gal a notamment reproché à la société Bleu de France Engineering d'avoir omis de lui présenter un état général et local du marché des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché ;

Considérant que Mme Le Gal fait valoir que la création d'une franchise aurait été inadaptée au motif que la création de son fonds avait lieu au Croisic, ville caractérisée par une forte saisonnalité et une forte activité de blanchisserie (draps et couettes) au détriment du nettoyage à sec (vêtements) ;

Considérant au contraire qu'il résulte amplement des nombreuses pièces produites aux débats que la société Bleu de France Engineering a réalisé de nombreuses démarches pour s'assurer de la viabilité de l'opération projetée par Mme Le Gal et qu'elle n'a pas manqué à ses obligations précontractuelles de renseignements ; que les modalités d'installation, notamment son emplacement ont été décidées d'un commun accord entre le franchiseur et le franchisé, conformément aux dispositions du contrat préalable ;

Considérant qu'en tout état de cause, l'obligation mise à la charge du franchiseur ne dispense pas le franchisé de rechercher lui-même les renseignements de nature à l'éclairer sur la pertinence et la rentabilité économique de son projet ; qu'à cet égard, il est constant et non contesté que nonobstant le fait d'être commerçante depuis six ans, au Croisic, lors de la conclusion du contrat de franchise, Mme Le Gal n'a jamais sollicité de renseignements de nature à lui donner les informations nécessaires pour déterminer la viabilité de son projet, d'une part, que ce n'est que plusieurs années après la formation du contrat, en cours de procédure, qu'elle a entendu en invoquer la nullité en arguant de ces manquements, d'autre part;

Considérant que Mme Le Gal ne peut sérieusement soutenir que son commerce était inadapté à son marché en raison d'une carence du franchiseur alors qu'il n'est pas contesté qu'elle exploite toujours le pressing dans le même local ; qu'il n'est pas démontré que la saisonnalité de la ville, station balnéaire réputée, ait pu avoir une quelconque incidence sur le résultat de son exploitation ; qu'il est constant et non contesté que ce commerce constitue le seul pressing implanté au sein de l'hypermarché Intermarché du Croisic ce qui constitue nécessairement un emplacement particulièrement favorable ;

Considérant que de ce qui précède, il ressort que la société Bleu de France Engineering n'a pas manqué à son obligation préalable d'information telle que prévue par les dispositions de l'article L. 330-3 et de l'article R. 330 du Code de commerce ;

Considérant par ailleurs qu'il s'en déduit que Mme Le Gal ne peut soutenir que son consentement ait été vicié en raison d'une erreur substantielle résultant du manquement de la société Bleu de France Engineering à ses engagements puisque ces derniers ont été respectés;

Considérant ainsi surabondamment qu'il lui appartenait de démontrer que le défaut d'information alléguée de manière erronée aurait été déterminant de son consentement ; que force est de constater que Mme Le Gal rapporte d'autant moins cette preuve que, inscrite au registre du commerce et des sociétés depuis le 1er novembre 2000, elle était ainsi commerçante depuis six années lors de la souscription du contrat de franchise et que, de cette façon, elle ne pouvait que connaître les caractéristiques de la ville d'implantation de son commerce (ses zones commerciales, sa population, sa saisonnalité) ;

Considérant qu'il est établi que non seulement le commerce de Mme Le Gal était adapté au marché local mais que cette dernière disposait de tous les éléments d'information pour apprécier l'opportunité de son investissement ;

Considérant par voie de conséquence que le jugement sera réformé en ce qu'il a annulé le contrat de franchise en cause;

Considérant que la société Bleu de France Engineering sollicite de la cour la condamnation de Mme Le Gal à lui verser la somme de 15 307,92 euro au titre de factures de redevances émises et demeurées impayées en dépit de nombreuses mises en demeure, en vertu du contrat de franchise;

Considérant que pour s'opposer au paiement de ces factures, Mme Le Gal invoque la prétendue défaillance de la société Bleu de France Engineering dans l'exécution de ses obligations essentielles de franchiseur;

Considérant que Mme Le Gal fait ainsi grief à la société Bleu de France Engineering de ne pas lui avoir dispensé une formation suffisante et notamment que des pages relatives à l'entretien des machines manquaient dans le manuel d'instruction ;

Considérant que cet argument est dénué de sérieux dès lors qu'il lui était évidemment loisible de réclamer les pages manquantes à son franchiseur; que s'agissant de la formation, est démontré le niveau parfaitement satisfaisant de la formation ayant été dispensée à Mme Le Gal, tant en termes de durée qu'en termes de pratique et de théories, tous les aspects relatifs à l'exploitation d'un pressing ayant été abordés, au vu du planning de formation régulièrement versé aux débats ; qu'il est d'ailleurs significatif de constater que dans le cadre de cette formation, Mme Le Gal n'ait jamais cru bon d'élever la moindre réclamation au sujet de la qualité de l'enseignement ;

Considérant que Mme Le Gal reproche également à la société Bleu de France Engineering de ne pas lui avoir fourni un compte d'exploitation provisionnel, contrairement aux dispositions de la page 2 du "manuel d'instruction pour les franchises"; que cependant, seul document constituant la loi des parties, le contrat de franchise ne prévoit aucune obligation légale en ce sens en sorte que le moyen n'est pas fondé ;

Considérant en troisième lieu que Mme Le Gal reproche à la société Bleu de France Engineering une "politique commerciale inadaptée au pressing"; que ses allégations ne sont étayées par aucun élément de preuve et n'ont jamais fait l'objet de la moindre réclamation avant l'introduction de la procédure ;

Considérant que Mme Le Gal reproche à la société Bleu de France Engineering de lui avoir réclamé à plusieurs reprises l'envoi de gaines aux couleurs de la marque et de cartes de fidélité et qu'il ne lui aurait été donné satisfaction que tardivement; qu'aucun élément probant n'est versé aux débats susceptible de démontrer la réalité du grief tiré de la fourniture tardive de ces accessoires commerciaux; que bien au contraire, l'échange de courriels datant du mois d'août 2007 démontre que la société Bleu de France Engineering lui a répondu avec la diligence requise ;

Considérant que Mme Le Gal fait en outre valoir qu'elle aurait subi "de multiples avaries et défauts de fonctionnement sur le matériel sans obtenir d'assistance de la part du franchiseur" et qu'elle aurait été mal conseillée à propos de l'achat de diverses machines; qu'il va de soi que le franchiseur n'est pas tenu de garantir le prix le plus bas à son franchisé de même que si l'assistance du franchiseur peut être demandée, en cas de pannes, ce dernier n'a nullement l'obligation de procéder lui-même aux réparations ; que s'agissant de la caisse enregistreuse notamment, aucun manquement ne peut être reproché à la société Bleu de France Engineering qui a tout mis en œuvre pour que soit donnée une issue rapide à la réclamation formée par Mme Le Gal;

Considérant qu'il n'est pas sans intérêt de souligner que les griefs exposés par Mme Le Gal n'ont jamais été invoqués avant l'introduction de la procédure; qu'ils ont manifestement été soulevés artificiellement, pour les besoins de la cause, particulièrement en ce qui concerne les commandes de tuyaux de fers à repasser ;

Considérant que dans ces conditions, Mme Le Gal n'est pas fondée à invoquer l'exception non adimpleti contractus ;

Considérant que pour sa part, Mme Le Gal n'a pas respecté l'obligation inhérente au contrat tenant à la nécessité de communiquer différents éléments d'information au franchiseur, au plus tard le 5 de chaque mois ;

Considérant que la créance de la société Bleu de France Engineering est bien-fondée, tant en son principe qu'en son montant; que Mme Le Gal sera condamnée au paiement de la somme de 15 307,92 euro, selon décompte arrêté au 1er septembre 2010, au titre des redevances échues et à échoir jusqu'au prononcé de la résiliation ;

Sur la demande de dommages et intérêts :

Considérant que la société Bleu de France Engineering sollicite de la cour la condamnation de Mme Le Gal à lui verser la somme de 3 000 euro à titre de dommages et intérêts afin de compenser le préjudice économique résultant des nombreuses démarches internes et externes ayant dû être mises en œuvre dans le cadre des relations contractuelles avec Mme Le Gal ;

Considérant cependant que comme l'a souligné la société Bleu de France Engineering à plusieurs reprises dans ses écritures, les griefs exposés par Mme Le Gal n'ont jamais été invoqués avant l'introduction de la procédure à l'exception de celui inhérent à la commande de tuyaux de fers à repasser; que le franchiseur a pour mission d'apporter les remèdes nécessaires aux problèmes liés à l'exploitation de son commerce par le franchisé; qu'il lui appartient de démontrer que dans le cadre de leurs relations contractuelles, Mme Le Gal aurait adopté à son égard une attitude fautive à l'origine à l'origine d'un préjudice économique; que cette preuve étant pas rapportée, la société Bleu de France Engineering sera déboutée de ce chef de demande ;

Sur les demandes accessoires :

Considérant que conformément aux dispositions contractuelles (article 7-5 du contrat) la résiliation emporte l'obligation de faire disparaître du fonds de commerce de Mme Le Gal et à ses frais, l'enseigne ainsi que l'ensemble du matériel publicitaire de même que cette dernière devra restituer l'ensemble des documents remis par le franchiseur en particulier ceux servant de support à la transmission de son savoir-faire; que Mme Le Gal sera condamnée sous astreinte à cette fin selon les modalités définies au dispositif du présent arrêt ;

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile :

Considérant que succombant en ses prétentions, Mme Le Gal sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ainsi que versement de la somme de 4 000 euro en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

DÉCISION : LA COUR, Réforme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 15 mars 2012 par le Tribunal de grande instance de Saint-Nazaire; Déboute Mme Le Gal de sa demande d'annulation du contrat de franchise en cause; Condamne Mme Le Gal à verser à la société Bleu de France Engineering la somme de 15 307,92 euro; Dit que l'ensemble des sommes déjà versées au franchiseur, comme le droit d'entrée, lui resteront acquises; Déboute la société Bleu de France Engineering de sa demande de dommages et intérêts; Condamne Mme Le Gal à faire disparaître de son fonds de commerce l'enseigne ainsi que l'ensemble du matériel publicitaire lui ayant été remis en exécution du contrat de franchise, dans le délai de 15 jours de la signification de cet arrêt, passé ce délai sous astreinte provisoire de 500 euro par jour de retard pendant le délai de trois mois à l'issue duquel il sera le cas échéant de nouveau statué ; Condamne Mme Le Gal à restituer à la société Bleu de France Engineering l'ensemble des documents remis par le franchiseur, en particulier ceux servant de support à la transmission du savoir-faire, dans le délai de 15 jours de la signification de cet arrêt, passé ce délai, sous astreinte provisoire de 500 euro par jour de retard pendant le délai de trois mois à l'issue duquel il sera le cas échéant de nouveau statué; Déboute les parties de leurs plus amples demandes, fins et conclusions ; Condamne Mme Le Gal à verser à la société Bleu de France Engineering la somme de 4 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne Mme Le Gal aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.