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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 22 janvier 2014, n° 12-05810

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Leroy Merlin France (Sté)

Défendeur :

Trans Plus Services (Sté), Deltour (ès qual.), SCP Bayle et Chanel (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes Lallement, Wannepain, Grappotte-Benetreau, Chemla

T. com. Lille, du 23 févr. 2012

23 février 2012

Vu le jugement prononcé le 23 février 2012 par le Tribunal de commerce de Lille, qui a condamné la société Leroy Merlin France à payer à la société Trans Plus Services la somme de 400 000 euros (quatre centre mille euros), pour rupture abusive de leurs relations commerciales, condamné la société Trans Plus Services à payer à la société Leroy Merlin France la somme de 20 121,26 euros (vingt mille cent vingt et un euros et vingt-six centimes) avec intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation, correspondant au prix de 1 379 palettes non restituées et enfin condamné la société Leroy Merlin France à payer à la société Trans Plus Services la somme de 5 000 euros (cinq mille euros) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel interjeté le 28 mars 2012 par la société Leroy Merlin France contre cette décision et ses conclusions du 20 septembre 2013, dans lesquelles elle demande à la cour de réformer le jugement entrepris, juger que la rupture des relations commerciales est entièrement imputable à la société Trans Plus Services, à titre subsidiaire, juger qu'il y a eu rupture partielle et non brutale des relations commerciales entre les parties le 1er juillet 2009, après que la société Trans Plus Services en ait été avisée par le courriel d'appel d'offres de la société Leroy Merlin France du 25 février 2009, que le préavis de 4 mois est raisonnable et suffisant, que la rupture totale et brutale des relations commerciales est intervenue à l'initiative de la société Trans Plus Services, le 19 octobre 2009, sans préavis écrit, en toutes hypothèses, juger que Maître Deltour mandataire judiciaire, ès qualités de liquidateur et la SCP Bayle et Chanel, ès qualités d'administrateurs de la société Trans Plus Services ne justifient de l'existence d'aucun préjudice, les débouter de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ; à titre reconventionnel, juger que la créance de la société Leroy Merlin France est fixée à la somme de 339 156 euros HT, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, à titre subsidiaire, à la somme de 109 080,20 euros HT, avec intérêts à compter de l'assignation, condamner Maître Deltour, mandataire judiciaire, ès qualités de liquidateur et la SCP Bayle et Chanel, ès qualités d'administrateurs de la société Trans Plus Services, à payer à la société Leroy Merlin France la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre celle de 25 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions du 16 septembre 2013 de la société Trans Plus Services dans lesquelles elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a reconnu que la société Leroy Merlin France avait rompu brutalement les relations commerciales établies en ne respectant qu'un préavis écrit de 10 jours et en ce qu'il a rejeté la demande formulée par la société Leroy Merlin au titre d'une rupture des relations commerciales établies, statuant à nouveau, juger que le préavis qui aurait dû être respecté par la société Leroy Merlin France doit être fixé à une année, condamner en conséquence la société Leroy Merlin France à payer à Maître François Deltour, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Trans Plus Services, la somme de 1 132 367,94 euros au titre de l'indemnisation du préjudice subi résultant de la rupture des relations commerciales établies, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation introductive et avec capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, subsidiairement, si par impossible la cour devait considérer que la rupture totale des relations commerciales à compter de novembre 2009 n'était pas imputable à la société Leroy Merlin France, la condamner à payer à Maître François Deltour, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Trans Plus Services, la somme de 733 996,69 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la rupture partielle des relations commerciales établies, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation introductive et avec capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, encore plus subsidiairement, désigner tel expert qu'il plaira à la cour avec la mission de déterminer la perte de marge brute subie par Trans Plus Services pendant la période de préavis qui aurait dû être respectée par Leroy Merlin, dans cette hypothèse, condamner Leroy Merlin à payer à Maître François Deltour, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Trans Plus Services, une provision de 400 000 euros à valoir sur l'indemnisation du préjudice subi, en tout état de cause, juger que la créance alléguée par Leroy Merlin France à l'encontre de Trans Plus Services est inopposable à la procédure de liquidation judiciaire faute pour elle de justifier avoir déclaré sa créance auprès de Maître Deltour, dire et juger que cette créance peut seulement être constatée dans son principe et fixée dans son montant, déclarer Leroy Merlin France irrecevable à solliciter le paiement des palettes qui ne lui auraient pas été restituées par Trans Plus Services, compte tenu de la prescription de cette demande, dire et juger que cette demande en paiement est en tout état de cause mal fondée, débouter par conséquent la société Leroy Merlin France de l'intégralité de ses demandes et la condamner à payer à Maître François Deltour, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Trans Plus Services, la somme de 25 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'arrêt avant-dire-droit de la cour de céans, du 13 novembre 2013, enjoignant à la société Leroy Merlin France de verser aux débats sa déclaration de créances au passif de la société Trans Plus Services ;

Vu l'absence de communication de ce document à l'audience du 27 novembre 2013 ;

SUR CE,

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :

La société Trans Plus Services a effectué des transports de marchandises pour le compte de la société Leroy Merlin France (ci-après Leroy Merlin), dans le cadre d'un contrat conclu entre les parties le 19 septembre 2002. Ce contrat prévoyait un préavis minimum de six mois en cas de rupture. En application de ce contrat, les transports réalisés par la société Trans Plus Services s'effectuaient tous au départ des entrepôts de Chalons-en-Champagne (La Veuve) et de Reims.

Dans le cadre d'un appel d'offres lancé par courrier du 25 février 2009, une partie des transports faisant l'objet du contrat de la société Trans Plus Services a été confiée, par la société Leroy Merlin, à d'autres prestataires, à compter du 1er juillet 2009. Cette modification du contrat a été notifiée par la société Leroy Merlin France à la société Trans Plus Services, par courrier en date du 18 juin 2009, courrier auquel celle-ci n'a pas répondu.

Les 19 et 20 octobre 2009, la société Trans Plus Services a refusé de continuer à assurer la part des transports qui lui avait été conservée. Par courrier du 22 octobre 2009, la société Leroy Merlin rappelait que "la baisse des volumes chargés par Trans Plus Services a été causée par la dégradation de votre qualité de service sur l'échange des palettes Europe". Par courrier du 20 octobre 2009, Trans Plus Services faisait état "d'une brutale dégradation de son activité depuis le mois de mai 2009", rapportant des pertes d'exploitation de mai à septembre 2009.

C'est dans ces conditions que, par acte du 27 juillet 2010, la société Trans Plus Services a fait assigner la société Leroy Merlin devant le Tribunal de commerce de Lille, aux fins de la voir condamner pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Le tribunal a estimé que la rupture brutale est intervenue le 18 juin 2009 et a évalué l'indemnité de rupture à la charge de Leroy Merlin à six mois de marge sur coûts variables (135 000 X 6 X 49,39 %). Il a refusé de tenir compte du courriel d'appel d'offres du 25 février 2009 comme valant préavis écrit de la rupture.

Le 16 mai 2013, la société Trans Plus Services a été placée en liquidation judiciaire, par jugement du Tribunal de commerce de Chalons-en-Champagne.

Sur la rupture brutale

Considérant que la société Leroy Merlin prétend qu'elle a rompu partiellement les relations commerciales établies avec la société Trans Plus Services, par courriel d'appel d'offres du 25 février 2009 à effet au 1er juillet 2009 et dans un délai de préavis de plus de quatre mois, suffisant et raisonnable pour une modification partielle des conditions de leurs relations commerciales ;

Considérant que la société Trans Plus Services, représentée par Maître François Deltour, liquidateur, expose que la société Leroy Merlin est seule responsable de la rupture partielle et importante de leurs relations commerciales le 18 juin 2009 à effet au 1er juillet 2009, sans qu'aucun préavis écrit supérieur à dix jours n'ait été respecté, ce qui l'a conduite à une situation financière difficile ; qu'elle fait valoir qu'elle n'a reçu aucun appel d'offre le 25 février 2009 ; qu'elle soutient avoir subi un préjudice important du fait de l'absence de préavis accordé par la société Leroy Merlin, se retrouvant dans une situation financière délicate compromettant sa pérennité puisqu'elle a été placée en redressement judiciaire le 2 août 2012, cette procédure ayant été convertie en liquidation judiciaire le 16 mai 2013 ; qu'elle demande ainsi à ce que soit revue à la hausse l'indemnisation allouée à Maître Deltour, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Trans Plus Services ;

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 442-6-I-5° : "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...). Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure" ;

Considérant que si les parties ne contestent pas l'ancienneté des relations commerciales qui les ont unies, elles s'opposent sur leur durée, sur le point de départ et la durée du préavis ;

Sur la durée des relations commerciales

Considérant que si la société Trans Plus Services les fait remonter à 1994, elle ne verse aux débats aucun élément de nature à établir des relations commerciales établies depuis cette date ; que seules sont attestées des relations continues depuis la signature du contrat de transport du 19 septembre 2002 ;

Sur le point de départ du préavis

Considérant que c'est la société qui rompt les relations commerciales qui doit manifester sans équivoque à son partenaire son intention de ne pas les poursuivre dans les conditions antérieures ; que cette manifestation fait courir le délai de préavis ; qu'aucune formalité précise n'est prescrite pour signifier cette intention ;

Considérant, en l'espèce, que c'est par courriel du 25 février 2009 que la société Leroy Merlin a fait part à son partenaire de la fin de leurs relations commerciales établies en lui annonçant le lancement d'un appel d'offres ; qu'en effet, cet appel d'offres concerne précisément les flux au départ des entrepôts de Chalons-en-Champagne (La Veuve) et de Reims, concernés par le contrat de transport de la société Trans Plus Services : "Les tableaux concernent les flux au départ de Chalons-en-Champagne et Reims" ; que la notification du recours à un appel d'offres vaut notification de rupture de la relations commerciale et constitue le point de départ du préavis ;

Considérant que si la société Trans Plus Services prétend ne pas avoir reçu ce message électronique, il résulte de la capture d'écran du lancement de l'appel d'offres versée aux débats qu'elle faisait partie, comme les autres sociétés consultées, des destinataires de ce message, à l'adresse : [email protected], qui est son adresse effective ; que les autres sociétés consultées ont répondu entre le 3 mars et le 12 mai 2009 ; que la société Trans Plus Service ne démontre pas que ce message aurait été manipulé ou tronqué ; que l'intégrité de ce document ne peut donc être mise en cause ; que le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a estimé que la copie du message électronique émanait d'un système non identifié et que certaines données avaient été occultées ;

Considérant que la société Trans Plus Services n'a jamais contesté avoir été destinataire du message et être au courant de cet appel d'offres, avant le présent litige ; que, par courrier du 18 juin 2009, la société Leroy Merlin l'informait que "suite à l'appel d'offres pour les flux au départ des entrepôts de La Veuve et de Reims", elle n'était plus titulaire que d'une partie des transports qui lui étaient précédemment dévolus, à compter du 1er juillet 2009 ; que cette modification de leurs relations contractuelles n'a suscité aucune protestation de la société Trans Plus Services, qui a exécuté le nouveau marché, pendant près de quatre mois, jusqu'au 20 octobre 2009 ;

Considérant que le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a estimé que le message litigieux, à le supposer reçu, "ne pouvait être assimilé, du fait de ses modalités, à une notification (de résiliation) au sens du terme employé dans le contrat" ; qu'en effet, la rupture intervenue ne met pas en œuvre la clause résolutoire du contrat de transport ; que la notification n'a donc pas à suivre les formes prévues au contrat ;

Considérant que le point de départ du préavis sera donc fixé au 25 février 2009, et non au 18 juin 2009, comme l'ont décidé les Premiers Juges ;

Sur la durée du préavis accordé

Considérant que si la société Trans Plus Services demande l'allocation d'un préavis de 12 mois, la société Leroy Merlin estime que le délai de quatre mois d'ores et déjà octroyé, jusqu'au 1er juillet 2009, remplit son ancien partenaire dans ses droits ;

Considérant que le préavis doit permettre au partenaire évincé de se reconvertir et de rechercher de nouveaux débouchés ;

Considérant, en l'espèce, au regard de la durée des relations commerciales entretenues, du volume d'affaires entre les parties, du marché considéré, de l'absence d'exclusivité de la société Trans Plus Services au bénéfice de la société Leroy Merlin et de situation de dépendance à son égard, de l'absence d'investissements dédiés, la durée de quatre mois octroyée par la société Leroy Merlin est insuffisante ; que cette durée doit être portée à six mois ;

Sur l'indemnisation

Considérant que le préjudice qui découle d'une rupture brutale de relations commerciales établies est constitué de la perte subie ou du gain dont la victime a été privée ; que l'indemnité qui tend à réparer ce type de préjudice correspond à la perte de marge brute sur le chiffre d'affaires qui aurait dû être perçue si un préavis conforme aux usages du commerce avait été consenti ; qu'il convient d'allouer à la société Trans Plus Services la marge brute qu'elle aurait perçue au titre des mois de juillet et d'août, seuls quatre mois, de mars à juin ayant été exécutés dans des conditions non remises en cause par Trans Plus Services ; que les mois de juillet et août ont été affectés par la réduction du volume d'activité entre les deux sociétés, déjà restreint depuis le 1er juillet 2009 du fait de la dévolution d'une partie des transports à des concurrents ; que sur la base des attestations comptables versées aux débats, par Trans Plus Services, celle-ci réalisait avec Leroy Merlin un chiffre d'affaires moyen de 193 000 euros par mois ; qu'en juillet 2009, elle n'a réalisé que 153 306 euros et en août 2009, 54 357 euros ; que c'est donc un chiffre d'affaires de 179 000 euros qu'elle a perdu ; que la société Trans Plus Services démontre que son taux de marge brute était de 49,39 %, sans qu'il y ait lieu de déduire les frais salariaux dont la société Leroy Merlin ne démontre pas le caractère variable ; que la société Leroy Merlin devra donc payer à Maître François Deltour, ès qualités de liquidateur de la société Trans Plus Services, la somme de 88 408 euros ; que le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a évalué le préjudice de la société appelante à la somme de 400 000 euros (49,39 % de 193 000 X 3) ;

Sur les demandes reconventionnelles de la société Leroy Merlin

Considérant que la société Leroy Merlin France n'a pas déclaré ses créances au passif de la société Trans Plus Services ; qu'il y a donc lieu de disjoindre les demandes reconventionnelles de cette société, de constater que l'instance afférente à celles-ci est interrompue et de la radier ;

Par ces motifs : Infirme le jugement entrepris, sauf sur les dépens de première instance et l'article 700 du Code de procédure civile, et, statuant à nouveau, Condamne la société Leroy Merlin France à payer à Maître François Deltour, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Trans Plus Services, la somme de 88 408 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation introductive et avec capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, Prononce la disjonction des demandes de la société Leroy Merlin France à l'égard de la société Trans Plus Services, Constate l'interruption de l'instance relative à ces demandes, En ordonne la radiation, Déboute Maître Deltour, ès qualités, du surplus de ses demandes, Condamne la société Leroy Merlin France aux dépens de l'instance d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 de Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.