CA Versailles, 3e ch., 30 janvier 2014, n° 13-00036
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Etablissements Darty et Fils (SAS)
Défendeur :
UFC Que Choisir, Ministère public
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Boisselet
Conseillers :
Mmes de Martel, Derniaux
Avocats :
Mes Dupuis, Bretzner, Chouteau, Nasry
Vu l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et suivants ;
Vu les articles 126-1 et suivants du Code de procédure civile ;
Par acte du 12 décembre 2006, l'association UFC Que Choisir (ci-après UFC) a assigné la société Etablissements Darty et fils (ci-après Darty) pris en son établissement des Halles à Paris devant le Tribunal de grande instance de Paris, aux fins pour l'essentiel de voir constater que la défenderesse, qui vend des ordinateurs portables équipés de logiciels d'exploitation, et notamment du logiciel Windows XP, contrevient aux dispositions de l'article L. 122-1 du Code de la consommation qui prohibe les ventes subordonnées ou ventes liées. L'UFC Que Choisir demandait également que soit ordonné à Darty d'indiquer le prix des logiciels préinstallés en application de l'article L. 121-1 du même Code.
Par jugement du 24 juin 2008, le tribunal a donné acte à l'association de Droit du Marketing de son intervention volontaire, ordonné à la société Darty dans le délai d'un mois après signification du jugement d'indiquer le prix des logiciels d'exploitation et d'utilisation préinstallés et débouté les parties de leurs plus amples demandes.
Sur appel de Darty, la Cour d'appel de Paris a, par arrêt du 26 [novembre] 2009, interprétant la loi nationale à la lumière d'un arrêt rendu par la CJUE le 23 avril 2009 (Total Belgium contre Sanoma) a :
- mis hors de cause l'association du Droit du Marketing,
- confirmé le jugement sur le rejet des demandes de l'UFC fondées sur l'article L. 122-1 du Code de la consommation,
- y ajoutant, rejeté les demandes de l'UFC sur le fondement de l'article L. 121-1 du Code de la consommation,
- infirmant le jugement,
- débouté l'UFC de ses demandes fondées sur l'article 7 de l'arrêté du ministre de l'Economie du 3 décembre 1987 relatif à l'information du consommateur sur les prix,
- débouté l'UFC de ses demandes d'indemnisation,
- condamné l'UFC à diffuser sur son site Internet pendant trois mois à compter de la signification de l'arrêt, le dispositif de ce dernier en ce qu'il la concerne et à le publier dans le prochain numéro de la revue mensuelle Que Choisir,
- condamné l'UFC à payer à Darty la somme de 12 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Sur pourvoi de l'UFC, la Cour de cassation a, par arrêt du 6 octobre 2011, cassé cet arrêt en toutes ses dispositions et renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Versailles, retenant, au visa de l'article L. 121-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 3 janvier 2008, tel qu'interprété à la lumière de la directive 2005-29-CE du Parlement et du Conseil du 11 mai 2005, que la Cour d'appel de Paris avait violé ce texte en jugeant que Darty n'avait pas à fournir au consommateur les informations relatives aux conditions d'utilisation des logiciels et pouvait se borner à identifier ceux équipant les ordinateurs qu'elle distribue, alors que les informations relatives aux caractéristiques principales d'un ordinateur équipé de logiciels d'exploitation et d'application sont de celles que le vendeur professionnel doit au consommateur moyen pour lui permettre de prendre une décision en connaissance de cause.
Devant la Cour de Versailles seule UFC a conclu au fond et pour la dernière fois le 9 août 2013.
Par mémoire déposé le 10 décembre 2013, auquel il est expressément fait référence pour l'exposé complet de son argumentation, Darty a demandé que soient transmises à la Cour de cassation les deux questions prioritaires de constitutionnalité suivantes :
1."La notion de "motif légitime", qui subordonne toute application de l'article L. 122-1 alinéa 1er du Code de la consommation et qui n'est pas définie par le droit positif est-elle compatible avec le principe de légalité des délits et des peines consacré par l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ?"
2. "Les notions de "diligence professionnelle", d'"altération substantielle du comportement économique du consommateur" et de "consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé", qui subordonnent la qualification de vente subordonnée au sens de l'article L. 122-1 du Code de la consommation, sont-elles compatibles avec le principe de légalité des délits et des peines consacré par l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ?".
L'UFC a, dans son mémoire en réponse, transmis le 15 janvier 2014, auxquelles il est également expressément fait référence, demandé à la cour de :
- Vu l'article 61-1 alinéa 1er de la Constitution,
- Vu les articles 23-1 et suivants de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958,
- juger les deux questions prioritaires de constitutionnalité formulées par la société Darty au sujet des articles L. 120-1 et L. 122-1 du Code de la consommation irrecevables et infondées,
- débouter la société Darty de ses demandes de transmission à la Cour de cassation des questions prioritaires de constitutionnalité précitées,
- condamner la société Darty et Fils à payer à l'UFC - Que Choisir la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'affaire a fait l'objet d'une communication au Ministère public, qui a conclu le 17 décembre 2013 qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer les questions au Conseil constitutionnel, à défaut de tout caractère sérieux.
Sur la première question, relative au "motif légitime" visé par l'article L. 122-1 du Code de la consommation :
Selon le libellé de la question, la licéité des ventes subordonnées résulterait de l'existence d'un motif légitime à proposer cette vente au consommateur, motif légitime démontré en l'espèce, et dont l'imprécision justifierait que soit examinée la constitutionnalité du texte de ce point de vue.
Il résulte cependant de la simple lecture de l'article L. 122-1 que la notion de "motif légitime", placée entre virgules à la suite de l'énonciation de la prohibition des refus de vente, s'applique à cette seule prohibition et ne concerne donc pas la seconde interdiction, qui concerne les ventes subordonnées, reliée par la conjonction de coordination "et" à la précédente. En effet le législateur, dont il ne peut être supposé qu'il ne maîtrise pas la langue française, n'aurait pu placer qu'en tête de phase l'expression "sauf motif légitime", s'il avait entendu lui conférer une valeur générale s'appliquant à toutes les prohibitions édictées par l'article L. 122-1 du Code de la consommation, et ainsi écrire, ce qu'il n'a pas fait, "sauf motif légitime", il est interdit de refuser à un consommateur la vente (...), et de subordonner la vente d'un produit, ainsi que de subordonner. La mention "sauf motif légitime" se rapporte donc exclusivement à l'infraction de refus de vente, qui n'est pas applicable au litige.
En outre, ainsi que l'UFC le relève justement, seule la notion de pratique commerciale déloyale est dorénavant applicable, pour caractériser une vente subordonnée prohibée, de sorte que l'appréciation du caractère légitime ou non d'une pratique, est également pour ce motif inutile.
La première question formulée est donc dépourvue de sérieux et n'a donc pas à être transmise à la Cour de cassation.
Sur la seconde question, relative aux notions de "diligence professionnelle", d'"altération substantielle du comportement économique du consommateur" et de "consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé" contenues dans l'article L. 120-1 du Code de la consommation, auquel renvoie l'article L. 122-1 du même Code :
Il doit être observé, à titre liminaire, que le présent litige est soumis à une juridiction civile et non pénale, de sorte que l'incompatibilité alléguée de l'article L. 120-1 du Code de la consommation avec le principe de légalité des peines et des incriminations, énoncé par l'article VIII de la déclaration des Droits de l'Homme n'est pas pertinente.
Etant néanmoins considéré, pour les besoins du raisonnement, que le présent litige est fondé sur le non-respect allégué de Darty aux prescriptions du texte litigieux et qu'il doit être apprécié si est caractérisé contre Darty un manquement à ses obligations en sa qualité de vendeur professionnel sur le plan civil, les notions critiquées apparaissent suffisamment claires et précises en elles-mêmes pour permettre au juge civil, dans le cadre de son pouvoir général d'interprétation de la loi et sans risque d'arbitraire, d'apprécier le mérite des demandes formées par l'UFC et de qualifier les faits reprochés à Darty, le législateur ne pouvant énumérer de façon exhaustive tous les comportements commerciaux susceptibles d'être qualifiés de déloyaux.
La seconde question est donc, elle aussi, dépourvue de tout caractère sérieux.
La demande d'indemnité de procédure formée par l'UFC sera rejetée faute de toute demande de condamnation aux dépens formulée contre son adversaire.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant, publiquement et contradictoirement, Par décision non susceptible de recours hors celui contre la décision réglant tout ou partie du litige, Dit n'y avoir lieu à transmission à la Cour de cassation des deux questions prioritaires de constitutionnalité formulées par la société Etablissements Darty et fils en son mémoire du 10 décembre 2013, Déboute l'UFC de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Fait injonction à la société Etablissements Darty et fils de conclure au fond avant le 20 mars 2014, Renvoie l'affaire pour fixation au fond à la conférence de mise en état du 10 avril 2014.