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Décisions

CA Paris, Pôle 2 ch. 2, 7 février 2014, n° 13-00708

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Poweo Direct Energie (Sté)

Défendeur :

Ayouma, Leclerc, UFC Que Choisir

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vidal

Conseillers :

Mmes Martini, Richard

Avocats :

Mes Boccon Gibod, Limbour, Bodin Casalis, Nasry

TGI Paris, du 4 déc. 2012

4 décembre 2012

Le 26 novembre 2009, l'Union fédérale des consommateurs-Que choisir (UFC - Que choisir) et M. Ayouma ont introduit une action à laquelle M. Leclerc s'est joint le 29 juin 2010, entendant faire juger nuls et de nul effet les contrats liant M. Ayouma et M. Leclerc à la société Poweo Direct Energie, faire prononcer la condamnation de cette dernière à restituer à M. Ayouma la somme de 72,39 euros indûment perçue avec intérêts dans les conditions de l'article L. 122-3 alinéa 2 du Code de la consommation ou subsidiairement au taux légal à compter d'une mise en demeure du 5 octobre 2009, à payer à M. Ayouma et à M. Leclerc la somme de 5 000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral, et ordonner à la société Poweo Direct Energie la cessation de la pratique commerciale dénoncée, à savoir une pratique commerciale agressive et une pratique de vente de prestation de service sans commande préalable, sous astreinte de 50 000 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement. Ils sollicitaient également la condamnation de la société Poweo Direct Energie à verser à l'UFC - Que choisir la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif des consommateurs et à la publication dans trois journaux et sur son site Internet.

Ils exposaient que M. Ayouma et M. Leclerc avaient été victimes d'une pratique commerciale agressive de la part de la société Direct Energie devenue Poweo Direct Energie tendant à les contraindre à changer de fournisseur d'électricité, qu'au printemps 2008 pour M. Ayouma et au mois de juin 2009 pour M. Leclerc une personne se prétendant agent EDF s'était présentée à leur domicile et s'était fait remettre des factures EDF pour y recueillir à l'insu des intéressés les renseignements nécessaires pour opérer le changement du point de livraison de l'électricité, que leur contrat avec EDF avait été résilié sans leur accord et qu'ils s'étaient vu adresser par Direct Energie un courrier confirmant leur commande puis des factures d'électricité alors qu'ils n'avaient accepté aucun contrat avec cette société, que leur situation n'était pas isolée et reflétait en réalité une pratique commerciale généralisée de la société Direct Energie sur laquelle l'association UFC - Que choisir avait été alertée à de très nombreuses reprises par des consommateurs à la suite de l'ouverture du marché intérieur de l'électricité à la concurrence au 1er juillet 2007 s'agissant des particuliers.

Par jugement du 4 décembre 2012, le Tribunal de grande instance de Paris a déclaré les demandes recevables, a condamné la société Poweo Direct Energie à payer à M. Ayouma la somme de 72,39 euros, a dit que cette somme produirait intérêts calculés au taux légal à compter du 5 octobre 2009 et au taux légal majoré de moitié à compter du 26 novembre 2009, a condamné la société Poweo Direct Energie à payer à titre de dommages et intérêts la somme de 800 euros chacun à M. Ayouma et à M. Leclerc et celle de 10 000 euros à la société Poweo Direct Energie, et a ordonné aux frais de la société Poweo Direct Energie, dans la limite 3 000 euros par insertion, la publication dans les journaux Le Monde, Le Figaro et Le Parisien, du communiqué suivant : "Par décision du 4 décembre 2012, le Tribunal de grande instance de Paris, à la requête de l'UFC - Que choisir et de deux consommateurs, a condamné la société Poweo Direct Energie venant aux droits de la société Direct Energie à verser à ces derniers des dommages et intérêts en réparation des préjudices résultant de la mise en œuvre, au cours des années 2008 et 2009, par l'intermédiaire de sociétés de démarchage, de pratiques commerciales agressives et de ventes sans commande préalable". Le tribunal a ordonné la diffusion de ce communiqué de manière lisible (caractères qui ne soient pas inférieurs au corps 12, gras et de couleur rouge) et sur la partie supérieure de la page d'accueil du site Internet de la société Poweo Direct Energie www.direct-energie.com, pendant un délai d'un mois, aux frais de cette dernière, sous astreinte de 3 000 euros par jour de retard passé le délai de quinze jours suivant lequel le présent jugement serait définitif. Le tribunal a également condamné la société Poweo Direct Energie à payer à M. Ayouma et à M. Leclerc la somme de 1 500 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et à l'UFC - Que choisir la somme de 5 000 euros à ce même titre, a ordonné l'exécution provisoire du jugement en toutes ses dispositions à l'exception de celles relatives à la décision de publication et de diffusion du communiqué judiciaire dans la presse et sur le site Internet de la société Poweo Direct Energie, a rejeté le surplus des demandes et a condamné la société Poweo Direct Energie aux dépens.

La société Poweo Direct Energie a relevé appel de ce jugement et, dans ses dernières conclusions notifiées le 6 août 2013, elle demande de constater que l'association UFC - Que choisir ne justifie en rien d'un intérêt à agir, que M. Ayouma et M. Leclerc ne sont plus liés avec elle de quelque façon que ce soit, qu'ils ne justifient d'aucun préjudice et ont même bénéficié gratuitement durant plusieurs mois de la fourniture d'électricité assurée par elle, en conséquence de dire l'association UFC - Que choisir irrecevable et à tout le moins mal fondée en ses demandes et M. Ayouma et M. Leclerc mal fondés en l'ensemble de leurs prétentions, et de les en débouter. Reconventionnellement, elle demande au visa de l'article 1382 du Code civil de constater que l'association UFC - Que choisir a exercé abusivement son droit d'agir en justice et entrepris sciemment de donner une large publicité à l'introduction de son action de façon à porter atteinte à sa réputation et à son image et en conséquence de prononcer sa condamnation à lui verser un euro symbolique en réparation de son préjudice et à publier un communiqué judiciaire dans les journaux Le Monde, Le Figaro et Le Parisien dans le magazine Que choisir en ces termes : "Communiqué judiciaire : par arrêt en date du (...), la Cour d'appel de Paris a condamné l'association UFC - Que choisir pour avoir exercé abusivement une action judiciaire dénonçant sans fondement la mise en place par la société Poweo Direct Energie d'une prétendue pratique commerciale qui aurait été préjudiciable à l'intérêt général des consommateurs et en ayant parallèlement entrepris de sciemment assurer une ample publicité de cette instance dès son introduction". Elle demande de dire que ce texte devra être publié dans une taille de caractère qui ne soit pas inférieure à 12, et que l'intitulé devra apparaître en majuscules, en gras et en rouge, que la publication devra intervenir dans un délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, que ce communiqué devra être publié sous cette forme, dans le même délai et sous la même astreinte, sur la page d'accueil du site Internet accessible par le nom de domaine "www.quechoisir.org", aux frais de l'association UFC - Que choisir et pendant un délai d'un mois. A titre subsidiaire, elle demande de confirmer le jugement en ce qu'il a constaté que le caractère systématique et la persistance des pratiques commerciales prétendument commises n'étaient pas démontrés et a donc refusé d'ordonner la cessation des pratiques dénoncées. En tout état de cause, elle sollicite le versement de la somme de 7 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions notifiées le 7 juin 2013, les intimés demandent, au visa des articles L. 411-1, L. 421-1, L. 421-2 et L. 421-9 du Code de la consommation, 1108 et suivants et 1382 du Code civil, L. 120-1 II, L. 122-11 et suivants du Code de la consommation et L. 122-3 et L. 121-24 et L. 121-87 du même Code, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne le quantum des réparations allouées au titre du préjudice moral de M. Ayouma et de M. Leclerc et du préjudice porté à la collectivité des consommateurs. Formant appel incident, ils demandent de condamner la société Poweo Direct Energie à verser à M. Ayouma et à M. Leclerc la somme de 5 000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral et celle de 100 000 euros en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif des consommateurs. En tout état de cause, ils concluent au débouté de l'ensemble des demandes de l'appelante et à verser en application de l'article 700 du Code de procédure civile les sommes de 1 500 euros à M. Ayouma et à M. Leclerc et de 5 000 euros à l'association.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Selon l'article L. 421-1 du Code de la consommation, les associations régulièrement déclarées ayant pour objet statutaire explicite la défense des intérêts des consommateurs peuvent, si elles ont été agréées à cette fin, exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs. La présente action d'UFC - Que choisir, association de consommateurs agréée, qui entend faire cesser des pratiques commerciales considérées comme illicites à l'occasion de l'ouverture du marché de la fourniture de l'électricité à la concurrence, a bien pour objectif la défense de l'intérêt collectif des consommateurs qu'elle représente, directement concernés par les pratiques dénoncées. Au-delà de l'illustration tirée de la situation individuelle de M. Ayouma et de M. Leclerc, son action poursuit un intérêt certain à agir au sens de ces dispositions.

Selon l'article L. 122-3 du Code de la consommation dans sa version applicable du 1er décembre 2005 au 19 mai 2011, la fourniture de biens ou de services sans commande préalable du consommateur est interdite lorsqu'elle fait l'objet d'une demande de paiement. Ce texte précise qu'aucune obligation ne peut être mise à la charge du consommateur qui reçoit un bien ou une prestation de service en violation de cette interdiction et que le professionnel doit restituer les sommes qu'il aurait indûment perçues sans engagement exprès et préalable du consommateur, ces sommes étant productives d'intérêts au taux légal calculé à compter de la date du paiement indu et d'intérêts au taux légal majoré de moitié à compter de la demande de remboursement faite par le consommateur. D'autre part, l'article L. 122-1 énonce qu'une pratique commerciale est agressive lorsque du fait de sollicitations répétées et insistantes ou de l'usage d'une contrainte physique ou morale : 1° Elle altère ou est de nature à altérer de manière significative la liberté de choix d'un consommateur ; 2° Elle vicie ou est de nature à vicier le consentement d'un consommateur ; 3° Elle entrave l'exercice des droits contractuels d'un consommateur. Le paragraphe 6° de l'article L. 122-11-1 dans sa version applicable du 6 août 2008 au 19 mai 2011 répute agressives les pratiques commerciales ayant pour objet d'exiger le paiement immédiat ou différé de produits fournis par le professionnel sans que le consommateur les ait demandés.

En l'espèce, les circonstances dans lesquelles M. Ayouma et M. Leclerc se sont vu imposer un changement de fournisseur d'électricité, l'un à compter du 1er juillet 2008, l'autre à compter du 1er novembre 2009, ont été précisément analysées par les premiers juges. En particulier, le tribunal a mis en évidence que les intéressés démarchés à leur domicile n'étaient pas les auteurs de la signature apposée au pied des bulletins de souscription et que malgré leurs protestations auprès de Direct Energie ils ont fait l'objet de mises en demeure de payer et de menaces de coupure d'électricité et de poursuites avant que leur réclamation ne soit prise en compte. Sur la base de ces éléments, le tribunal a exactement retenu, par des motifs pertinents que la cour adopte, que les dispositions précitées de l'article L. 122-3 du Code de la consommation avaient vocation à s'appliquer ainsi que celles de l'article L. 122-11-1 6° applicable à la date des faits pour ce qui concerne M. Leclerc et en a prononcé les conséquences. Il a également fait une juste évaluation du préjudice moral subi, né des désagréments et démarches que cette situation a entraînés.

D'autre part, l'association UFC - Que choisir justifie avoir été alertée par d'autres consommateurs de pratiques similaires en produisant une cinquantaine de témoignages de 2008 et 2009. Même si la société Poweo Direct Energie fait valoir que certains de ces consommateurs n'ont pu être identifiés ou ont adhéré après une démarche volontaire, ou que d'autres ont bénéficié de la faculté de rétractation, de la procédure de "retour en arrière" ou d'une résiliation, ces témoignages attestent de démarches incompatibles avec un consentement libre et éclairé, similaires à celles que M. Ayouma et M. Leclerc ont connues, de la part de personnes se présentant au domicile des intéressés ou les joignant par téléphone en se faisant passer pour des agents d'EDF pour recueillir des informations sur leur abonnement ayant conduit au changement d'opérateur. Le nombre peu conséquent de ces témoignages comparé à celui des abonnés de la société Poweo Direct Energie n'en est pas moins révélateur de pratiques commerciales agressives au sens de l'article L. 122-1 du Code de la consommation. Les propres initiatives de la société Poweo Direct Energie pour suspendre le 16 juin 2008 l'agrément de deux démarcheurs en raison de pratiques commerciales trompeuses et pour déposer plainte le 5 mai 2008 auprès des parquets de Nanterre et de Paris en dénonçant des faits susceptibles de constituer des pratiques commerciales déloyales de la part de plusieurs sociétés de démarchage dont elle avait utilisé les services, sont elles-mêmes significatives de comportements dont le caractère irrégulier a été reconnu par le fournisseur. C'est donc exactement que le tribunal a retenu une atteinte portée à l'intérêt collectif des consommateurs justifiant l'allocation de dommages et intérêts, dont le montant a été justement évalué à la somme de 10 000 euros.

Dans les circonstances de la cause, où il est avéré plus de quatre ans après l'introduction de l'instance que les pratiques dénoncées n'ont pas persisté au-delà de la période 2008-2009 à laquelle les faits sont parfaitement circonscrits, le tribunal, qui a également souligné l'absence de caractère systématique de telles pratiques, a à juste titre décidé qu'il n'y avait pas lieu de prescrire des mesures destinées à faire cesser les agissements illicites comme le sollicitent les intimés en application de l'article L. 421-2 du Code de la consommation.

Dans ce même contexte, et alors que la société Poweo Direct Energie démontre avoir spontanément mis en œuvre les mesures propres à remédier aux difficultés survenues en procédant elle-même à la dénonciation des pratiques irrégulières moyennant les suspensions d'agrément et plaintes pénales intervenues en mai et juin 2008 et en élaborant au 4 février 2011 une procédure de commercialisation à l'intention de ses courtiers, la cour estime n'y avoir lieu à publication judiciaire et réformera le jugement sur ce point.

L'appelante ne peut prétendre à l'allocation de dommages et intérêts en invoquant le caractère abusif d'une action sur laquelle elle succombe. La médiatisation de la procédure à laquelle l'association UFC - Que choisir a procédé, en son temps, sur son site Internet, n'a pas elle-même dégénéré en abus, les textes diffusés n'ayant pas outrepassé sa mission d'information et de mise en garde du consommateur quant à des faits objectivement relatés. Dès lors, la cour confirmera la décision du tribunal qui a débouté la société Poweo Direct Energie de sa demande reconventionnelle.

Il est équitable de compenser à hauteur de 3 000 euros les frais non compris dans les dépens que les intimés, ensemble, ont été conduits à exposer en appel.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, sauf en ce qu'il a ordonné la publication d'un communiqué judiciaire, Statuant de nouveau de ce chef, Déboute l'association UFC - Que choisir ainsi que M. Ayouma et M. Leclerc de cette demande, Y ajoutant, Condamne la société Poweo Direct Energie aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, et à verser aux intimés la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du même Code.