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Décisions

CA Versailles, premier président, 30 janvier 2014, n° 13-04058

VERSAILLES

Ordonnance

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brylinski

Paris, JLD, du 3 juin 2009

3 juin 2009

FAITS ET PROCÉDURE

A la suite d'une ordonnance du juge des libertés et de la détention de Paris en date du 3 juin 2009, autorisant le rapporteur de l'Autorité de la concurrence à effectuer des visites dans les locaux de diverses entreprises dont notamment la société X, en vue d'apporter la preuve de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la certification et de la production de matériels d'isolation thermique, les opérations de saisies ont été menées le 11 juin 2009 dans les locaux de cette société à Suresnes et à Courbevoie, dont procès-verbal a été dressé.

La société X a présenté un recours sur le déroulement des opérations devant le délégué du premier président de la Cour d'appel de Paris, sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce.

Celui-ci a débouté la société X de toutes ses demandes, et constaté l'accord de l'Autorité de la concurrence pour restituer, par destruction, les documents informatiques listés en annexe 19 et 25 des conclusions de la société X, à l'exception des 24 documents listés en annexe A issus de l'annexe 19 précitée.

Statuant sur l'un des motifs du recours, tiré de ce que certains documents ou messageries étaient couverts par le secret professionnel, il a considéré que leur saisie ne procède pas d'une recherche délibérée de correspondances étrangères à la mission des enquêteurs et qu'il convient de constater que l'Autorité de la concurrence n'est pas opposée à la restitution, par destruction, des pièces dont il est allégué qu'elles relèvent de la correspondance entre client et avocat, ce qui permet de rétablir la requérante dans ses droits, sans porter irrémédiablement atteinte à ses intérêts, dès lors que ces pièces ne pourront être utilisées au cours de l'instruction.

La Cour de cassation, par arrêt en date du 24 avril 2013, a cassé et annulé cette ordonnance, mais seulement en ce qu'elle s'est prononcée sur les documents et supports informatiques pouvant relever de la protection du secret professionnel entre un avocat et son client et des droits de la défense, toutes autres des dispositions étant expressément maintenues, et renvoyé la cause et les parties devant la juridiction du premier président de la Cour d'appel de Versailles.

La cour, sous le visa des articles L. 450-4 du Code de commerce et 66-5 de la loi du 31 décembre 1971,

- énonce que le pouvoir, reconnu aux agents de l'Autorité de la concurrence par l'article L. 450-4 du Code de commerce, de saisir des documents et supports informatiques, trouve sa limite dans le principe de la libre défense qui commande de respecter la confidentialité des correspondances échangées entre un avocat et son client et liées à l'exercice des droits de la défense ;

- fait grief au premier président de ne pas avoir justifié sa décision, dès lors qu'il lui appartenait de rechercher si les pièces et supports informatiques dont la saisie était contestée par la société étaient ou non couverts par le secret professionnel entre un avocat et son client, pour prononcer, le cas échéant, l'annulation de leur saisie.

La société X nous a régulièrement saisie par déclaration du 17 mai 2013, et a déposé le 27 novembre 2013 un mémoire, oralement soutenu à l'audience auquel il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, aux termes duquel elle nous demande de :

- constater que les agents de l'Autorité de la concurrence ont, lors des opérations de visite et saisie qui se sont déroulées les 11 et 12 juin 2009 au sein de ses locaux, saisi une masse importante de documents couverts par la confidentialité de la correspondance avocat/client et ont en conséquence violé le secret professionnel ;

- à titre principal, annuler l'ensemble des visites et saisies effectuées dans ses locaux et, en toute hypothèse, prononcer l'annulation de la saisie de la totalité des messageries électroniques contenant des documents privilégiés ;

- à titre subsidiaire, exiger de l'Autorité de la concurrence que le dossier une fois expurgé des documents annulés, soit instruit par un nouveau rapporteur n'ayant pas pris connaissance de ces documents ;

- à titre infiniment subsidiaire, annuler la saisie des documents couverts par le secret professionnel ;

- en toute hypothèse, condamner l'Autorité de la concurrente au paiement de la somme de 30 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

L'Autorité de la concurrence a déposé le 10 décembre 2013 des observations écrites, oralement soutenues à l'audience et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, aux termes desquelles elle nous demande de :

- rejeter la demande visant à constater qu'une masse importante de documents couverts par la confidentialité de la correspondance avocat-client a été saisie le 11 juin 2009 dans les locaux de X ;

- rejeter la demande d'annulation de l'ensemble des visites et saisies, notamment de la totalité des messageries électroniques contenant des documents privilégiés ;

- rejeter la demande tendant à ce que l'instruction soit conduite par un nouveau rapporteur;

- rechercher si les documents listés en pièce 9 des conclusions de X sont des correspondances avocat-client protégées par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée ;

- prononcer l'annulation, le cas échéant, des seules pièces couvertes par le secret professionnel entre un avocat et son client et le droits de la défense, listées en pièce 9 des conclusions de X ;

- condamner X au paiement de la somme de 30 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

DISCUSSION

X rappelle le principe de la protection du secret professionnel et souligne que la violation de celui-ci est constituée dès la saisie elle-même, ce qui à ce jour n'est pas discuté par l'Autorité de la concurrence.

Elle considère que seule l'annulation de l'ensemble des opérations de visites et saisies permettra de ne pas compromettre irrémédiablement l'exercice de ses droits de la défense, dès lors que par essence la simple restitution de ces seuls documents ne permettrait pas en l'état du déroulement de l'instruction en cours devant l'Autorité de la concurrence, d'appréhender l'irrégularité de leur consultation, et que les documents privilégiés irrégulièrement saisis se comptent par milliers et que le rapporteur a pu depuis quatre ans en prendre connaissance, et argue par ailleurs du caractère insécable des messageries électroniques et notamment de celle de son directeur juridique ; qu'à défaut il conviendrait, pour garantir toute impartialité à l'instruction du dossier expurgé des pièces dont la saisie est annulée, de confier celle-ci à un nouveau rapporteur n'ayant pu avoir connaissance de celles-ci.

Sur renvoi, le premier président est saisi dans les limites de la cassation partielle, qui ne porte que sur les dispositions s'étant prononcées sur les documents et supports informatiques pouvant relever de la protection du secret professionnel entre un avocat et son client et des droits de la défense.

La Cour de cassation, dans les motifs de son arrêt, pour limiter le pouvoir reconnu aux agents de l'Autorité de la concurrence par l'article L. 450-4 du Code de commerce, de saisir des documents et supports informatiques, impose seulement de respecter la confidentialité des correspondances échangées entre un avocat et son client ; les documents concernés par l'insaisissabilité ainsi prescrite sont nécessairement définis par référence, telle qu'opérée par la Cour de cassation, aux dispositions de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 qui dispose qu'en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention "officielle", les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel.

Dans les limites de la cassation partielle, mais également et de surcroît dans la droite ligne d'une jurisprudence désormais établie que l'arrêt du 24 avril 2013 ne remet pas en cause, la nullité de la saisie ne peut être que partielle, pour concerner uniquement les documents couverts par la confidentialité assurée par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, sans invalidation pour le surplus des opérations de saisie ne donnant pas lieu à d'autre critique.

X annexe à son mémoire déposé le 27 novembre 2013 une pièce n° 9 intitulée "documents concernés par la confidentialité des correspondances d'avocats", comportant le détail des références de scellés, et pour chaque document son emplacement dans les scellés, son titre, sa date, l'identification du correspondant avocat et de l'expéditeur.

Cette liste ne fait pas l'objet de contestation par l'Autorité de la concurrence, qui en a eu communication en temps utile, et constitue la reprise de l'annexe 25 des conclusions déposées devant le premier président de la Cour d'appel de Paris, elle avait alors accepté sans réserve la destruction de tous les documents listés, reconnaissant ainsi qu'ils sont couverts par la confidentialité.

Elle est qualifiée de non-exhaustive par X, mais n'est complétée par aucun autre élément produit cette dernière, permettant de considérer que d'autres documents devraient être vérifiés.

Il convient en conséquence d'ordonner la nullité de la saisie, en ce qu'elle concerne les documents listés en annexe n° 9 du mémoire de X visé par notre greffe le 27 novembre 2013.

L'Autorité de la concurrence étant détentrice depuis plus de quatre ans des documents dont la saisie est annulée, il lui appartient naturellement de prendre toute mesure permettant de garantir à X l'impartialité à laquelle elle est en droit de prétendre pour l'instruction de son dossier expurgé en conséquence.

Mais il n'entre pas dans les pouvoirs du premier président, saisi dans les conditions et limites de l'article L. 450-4 du Code de commerce et dont la sphère d'intervention se limite aux opérations de saisie, d'interférer a priori dans l'exploitation faite des documents régulièrement saisis, ni de donner quelque injonction que ce soit à l'Autorité de la concurrence quant aux modalités d'instruction du dossier.

X sera en conséquence déboutée de ce chef de demande.

L'Autorité de la concurrence supportera les entiers dépens incluant ceux du recours exercé devant le premier président de la Cour d'appel de Paris, et devra verser à X une indemnité de procédure qu'il convient de fixer à la somme de 8 000 euro.

Par ces motifs : Statuant par ordonnance contradictoire, sur renvoi après cassation de l'ordonnance n° 105 rendue le 25 octobre 2011 par le délégataire du premier président de la Cour d'appel de Paris, Annulons la saisie, par l'Autorité de la concurrence, des documents appréhendés dans les locaux de la société X tels que listés sur sa pièce 9 annexée à son mémoire déposé le 27 novembre 2013 ; Rejetons le surplus des prétentions de la société X se rapportant aux opérations de saisie et leurs suites ; Condamnons l'Autorité de la concurrence à payer à la société X la somme de 8 000 euro (huit mille euros) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamnons l'Autorité de la concurrence aux entiers dépens ceux du recours exercé devant le premier président de la Cour d'appel de Paris.