Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 30 janvier 2014, n° 12-02755

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fonderie GM Bouhyer (SAS)

Défendeur :

Toyota Industrial Equipement (SA), Cesab Carreli Elevatori SpA (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur

Avocats :

Mes Ingold, Boissonnet, Autier, Bailly, du Parc

T. com. Rennes, du 12 janv. 2012

12 janvier 2012

FAITS ET PROCÉDURE

Le groupe Fonderie Bouhyer (ci-après, Bouhyer) est une société qui produit des contrepoids en fonte de 800 kg à 25 t pour les secteurs des travaux publics et de la manutention (tracteurs, chariots, nacelles, grues, pelles). Il possède deux unités de production, la principale à Ancenis et la seconde à Revin.

Le groupe Toyota est un conglomérat japonais, connu dans le secteur automobile, qui comporte deux sociétés, la société française Tiesa et la société italienne Cesab Carreli Elevatori SPA (ci-après dénommée Cesab) qui produisent des équipements industriels, engins, et chariots élévateurs.

A l'occasion de leurs activités, chacune de ces deux sociétés a noué des relations commerciales avec la société Fonderie Bouhyer.

La société Tiesa s'est approvisionnée en contrepoids pour ses chariots auprès de la société Bouhyer à partir du mois de septembre 2004. Le volume d'affaires entre les deux sociétés a été croissant de 2004 à 2007, puis a décru en 2008 et 2009. Le 7 octobre 2009, la société Tiesa a fait savoir à la société Bouhyer qu'elle cessait de s'approvisionner chez elle, et a demandé que les en-cours de production et retour des outillages soient soldés pour le 26 octobre 2009.

La société Cesab s'est approvisionnée en contrepoids pour ses chariots auprès de la société Bouhyer à partir du mois de juin 2004. Le volume d'affaires entre les deux sociétés a été croissant de 2004 à 2007, puis a décru en 2008 et 2009. Le 25 juin 2009, la société Cesab a fait savoir à la société Bouhyer qu'elle cessait de s'approvisionner chez elle, et a demandé que les en-cours de production et retour des outillages soient soldés pour le 6 juillet 2009.

Considérant, d'une part, que les sociétés Tiesa et Cesab faisant toutes deux partie du groupe Toyota et avaient abusé d'une position dominante, d'autre part, qu'elle avait été victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies au titre de l'article L. 442-6 I 5 de la part de ces sociétés, la société Bouhyer a fait assigner les sociétés Tiesa et Cesab devant le Tribunal de commerce de Rennes.

Par jugement rendu le 12 janvier 2012, qui a fait l'objet d'une rectification d'erreur matérielle le 30 janvier 2012, le Tribunal de commerce de Rennes a :

- dit que le groupe Tiesa n'a pas fait montre d'abus de position dominante à l'égard de la société Bouhyer ;

- dit que la société Bouhyer n'a jamais été en situation de dépendance économique vis-à-vis du groupe Tiesa,

- dit qu'il y a lieu d'examiner séparément les relations commerciales entre la société Bouhyer et les sociétés Tiesa et Cesab,

- dit que la société Tiesa a rompu brutalement les relations commerciales établies avec la société Bouhyer, mais sans commettre de faute,

- condamné la société Tiesa et la société Cesab à payer à la société Bouhyer la somme de 980 euros et débouté la société Bouhyer du surplus de sa demande,

- dit que la société Cesab a rompu brutalement les relations commerciales établies avec la société Bouhyer, mais sans commettre de faute,

- débouté la société Bouhyer de toutes ses demandes formées à l'encontre de la société Cesab, débouté les sociétés Tiesa et Cesab de leurs demandes reconventionnelles de dommages et intérêts formées à l'encontre de la société Bouhyer,

- condamné la société Bouhyer à verser à chacune des sociétés Tiesa et Cesab la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et débouté la société Bouhyer de sa demande,

Vu l'appel interjeté le 13 février 2012 par la société Bouhyer contre cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées le 10 septembre 2012 par lesquelles la société Bouhyer demande à la cour de :

- réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 12 janvier 2012 par le tribunal de commerce de Rennes, sauf en ce qu'il a débouté les sociétés Tiesa et Cesab de leurs demandes reconventionnelles,

- condamner la société Tiesa à lui payer la somme de 2 361 164,36 euros au titre de la marge perdue consécutivement à la rupture de relations contractuelles établies, en application des dispositions de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce,

- condamner solidairement les sociétés Cesab et Tiesa à lui payer la somme de 168 271,69 euros au titre des autres préjudices consécutifs à la rupture brutale de ses relations contractuelles avec ces sociétés,

- débouter les sociétés Cesab et Tiesa de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner solidairement les sociétés Cesab et Tiesa à lui payer la somme de 10 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Fonderie Bouhyer soutient que les demandes reconventionnelles de ses adversaires au titre d'un prétendu refus de la société Bouhyer de satisfaire aux commandes qui lui avaient été passées à compter du mois de juillet 2007 sont totalement infondées et reposent sur une présentation des faits totalement tronquée. Elle expose que les sociétés Tiesa et Cesab n'avaient absolument pas matérialisé ni même évoqué ces réclamations à l'époque où les faits se sont passés, et qu'elles ne les ont en aucun cas invoquées à l'appui de leur décision de mettre fin aux relations commerciales établies.

Elle affirme que lorsqu'elle indiquait limiter sa production au profit de ses adversaires à hauteur d'un volume de 20 contrepoids par jour, il ne s'agissait pas d'une baisse unilatérale de la capacité de production mais d'un maintien de cette capacité autour des volumes qui étaient produits depuis le début de l'année 2007.

Elle expose par ailleurs qu'elle ne peut se voir reprocher aucun problème substantiel de qualité et de retard dans ses fournitures aux sociétés intimées, et qu'aucune faute contractuelle ne peut lui être imputée.

A titre subsidiaire, pour le cas où la cour retiendrait qu'elle se serait rendue coupable de manquement à ses obligations contractuelles, elle soutient que ses contradictrices ne justifient d'aucun préjudice ni d'aucun lien entre les postes de préjudice allégués et ces prétendus manquements.

Sur ses propres demandes, elle soutient avoir été victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies avec les intimées.

Elle soutient également que les sociétés Tiesa et Cesab ne peuvent en aucune façon lier la durée du préavis qu'elles auraient dû lui accorder au comportement qui lui était imputé, en soutenant notamment que 'le préavis n'aurait pu être que court, dans la mesure où les manquements de Bouhyer et l'attitude générale de cette dernière ont eu un impact certain sur la décision de terminer la relation commerciale établie'. Elle insiste sur le fait que le tribunal n'a constaté aucune faute grave de nature à exclure la rupture brutale des relations commerciales établies.

Elle expose ensuite que les décisions des sociétés Tiesa et Cesab de rompre leurs relations contractuelles avec la société Bouhyer reposent exclusivement sur des considérations de coûts ; que le jugement s'est contenté d'une appréciation purement superficielle des faits de l'espèce pour déduire du seul fait de l'existence de deux personnes morales distinctes l'absence de stratégie globale du groupe Toyota pouvant expliquer la rupture brutale des relations commerciales établies avec la société Bouhyer.

Elle soutient enfin que le préavis qui aurait dû lui être donné aurait dû être d'une durée d'un an au regard de l'ancienneté de la relation commerciale (cinq ans et demi), de la dépendance de la société Bouhyer à l'égard des intimées, de la spécificité des produits fabriqués et du temps nécessaire pour retrouver un client équivalent sur ce secteur d'activité.

Sur les indemnités de préavis, elle demande à la cour de considérer comme chiffres d'affaires de référence, les chiffres d'affaires des années 2007 et 2008 pendant lesquelles sa production s'est stabilisée après les deux premières années de progression, pour une perte de marge brute qu'elle estime à 2 361 164,36 euro pour la société Tiesa et à 604 913,98 euro pour la société Cesab.

Elle demande enfin réparation pour les autres préjudices subis du fait de la rupture brutale, pour une somme totale de 168 271,69 euro.

Vu les dernières conclusions signifiées le 24 septembre 2013 par lesquelles les sociétés Tiesa et Cesab demandent à la cour de :

A titre principal :

Sur les demandes de Bouhyer :

- constater que Bouhyer a commis des inexécutions contractuelles à l'encontre de Tiesa et de Cesab,

En conséquence :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Bouhyer de l'ensemble de ses demandes au titre de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,

A titre reconventionnel :

- condamner la société Bouhyer à payer la somme de 643 264 euros au titre du préjudice subi par la société Tiesa,

- condamner la société Bouhyer à payer la somme de 55 500 euro au titre du préjudice subi par la société Cesab,

- débouter la société Bouhyer de l'ensemble de ses autres demandes,

A titre subsidiaire, si la cour estimait qu'un préavis aurait dû être accordé à Bouhyer :

- constater que la société Bouhyer a commis des inexécutions contractuelles à l'encontre tant de Tiesa que de Cesab,

En conséquence :

- condamner la société Bouhyer à payer la somme de 643 264 euros au titre du préjudice subi par la société Tiesa,

- condamner la société Bouhyer à payer la somme de 55 500 euros au titre du préjudice subi par la société Cesab,

- donner acte que la société Tiesa accepte de payer au maximum la somme de 314 106 euros correspondant à deux mois de marge brute, à titre de dommages et intérêts, pour la rupture brutale de ses relations commerciales établies en application des dispositions de l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce, sous réserve de justification du taux de marge brute annoncé par Bouhyer,

- donner acte que la société Cesab accepte de payer au maximum la somme de 90 560 euro correspondant à deux mois de marge brute, à titre de dommages et intérêts, pour la rupture brutale de ses relations commerciales établies, en application des dispositions de l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce, sous réserve de justification du taux de marge brute annoncé par Bouhyer,

- ordonner la compensation des créances réciproques des parties à concurrence du montant de la plus faible créance,

- débouter la société Bouhyer de l'ensemble de ses autres demandes,

En tout état de cause :

- condamner la société Bouhyer à payer à chacune des intimées la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les sociétés Tiesa et Cesab soutiennent à titre principal qu'aucun préavis n'était dû à la société Bouhyer, en raison des inexécutions contractuelles graves de cette dernière. Elles exposent que celle-ci a manqué à son obligation de livraison dans les délais, n'a respecté ni les quantités demandées, ni les exigences de qualité, n'a pas tenu compte des améliorations de performance proposées par Cesab, et a profité de sa position pour imposer sa politique de prix.

A titre subsidiaire, elles soutiennent que si un préavis avait dû être donné à la société Bouhyer, il n'aurait pu être que court ou même inexistant, dans la mesure où les manquements de cette dernière et son attitude générale ont eu un impact certain sur la décision de terminer la relation commerciale établie.

Elles affirment que ce préavis doit être fixé au regard de la durée de la relation commerciale des parties, de l'absence de dépendance entre elles, de l'absence de spécificité des commandes de Tiesa, de l'absence d'organisation spécifique du personnel, et de l'absence d'investissements

Elles affirment que le préjudice subi par l'appelante du fait de la rupture des relations commerciales établies avec Tiesa ne saurait être supérieur à la somme de 314 106 euros et que le préjudice subi par cette dernière du fait de la rupture des relations commerciales établies avec Cesab ne saurait être supérieur à 90 560 euros sur la base d'un préavis de deux mois.

Sur les autres préjudices prétendument subis par l'appelante, les intimés exposent que les demandes de l'appelante au titre des stocks ne sont pas justifiées, qu'elle ne démontre pas que les immobilisations dont elle demande le paiement étaient exclusivement rattachées à leurs commandes, qu'elle ne rapporte aucune preuve relative aux matériels non amortissables, et que le chômage technique qu'elle a subi ne résulte pas de la cessation des relations commerciales.

Sur les demandes reconventionnelles, les intimées affirment que le tribunal a considéré à tort qu'il n'existait pas de relations contractuelles

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Considérant que les sociétés Tiesa et Cesab Carreli Elevatori soutiennent que c'est à juste titre que l'une comme l'autre ont rompu sans préavis les relations qu'elles entretenaient avec la société Fonderie Bouhyer en raison de la gravité des inexécutions contractuelles de celle-ci ; qu'elles font valoir qu'il convient d'examiner de façon séparée les relations ayant existé entre chacune d'elles et le groupe Bouhyer.

Considérant que la société Fonderie Bouhyer conteste les griefs formulés à son encontre et soutient que les sociétés Tiesa et Cesab Carreli Elevatori ne peuvent pas être dissociées, qu'elles appartiennent au groupe Toyota qui pratique une politique d'achat commune à toutes les filiales et qu'en conséquence, elle n'est qu'un fournisseur comme un autre du groupe sur l'échelle mondiale et tout au plus un fournisseur significatif à l'échelle européenne.

Considérant que les sociétés Tiesa et Cesab Carreli Elevatori, bien qu'appartenant à un même groupe et ayant la même activité, sont deux sociétés autonomes qui ont toujours entretenu des relations commerciales distinctes avec la société Fonderie Bouhyer, chacune passant ses propres commandes et chacune ayant mis fin individuellement à sa relation commerciale avec la société Fonderie Bouhyer, de sorte que la rupture des relations commerciales doit être examinée au regard des relations de la société Fonderie Bouhyer avec chacune des deux sociétés.

Considérant qu'il ne peut être contesté que les deux sociétés qui avaient de façon concomitante noué des relations commerciales avec la société Fonderie Bouhyer ont mis fin à celles-ci dans des conditions identiques, la société Cesab Carreli Elevatori par un courrier du 25 juin 2009 et la société Tiesa par un courrier du 7 octobre 2009, l'une et l'autre sans aucun préavis ; que d'ailleurs, elles justifient leur rupture des relations commerciales sur des motifs similaires ; que les conséquences de ces ruptures ont nécessairement été amplifiées pour la société Fonderie Bouhyer dans la mesure où elles se sont cumulées.

Sur la rupture des relations commerciales établies

Considérant que l'article L. 442-6 du Code de commerce dispose qu'"engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers: (...) 5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale (...) "mais que ces dispositions" ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations".

Considérant que la société Tiesa affirme que la société Fonderie Bouhyer a toujours refusé de coopérer et lui a imposé des décisions, la mettant elle-même dans l'impossibilité de répondre à ses propres clients, et qu'elle a dû transférer en urgence une partie de sa production à un autre fournisseur, dans la mesure où à défaut d'être fournie en contrepoids elle ne pouvait pas honorer ses commandes ; qu'elle formule cinq reproches à la société Fonderie Bouhyer à savoir :

un défaut de respect des quantités

un défaut de livraison dans les délais

un défaut de respect de la qualité

un défaut de prise en compte des améliorations de performance proposées par les deux sociétés

un abus de sa position pour imposer une politique de prix.

Sur les quantités :

Considérant que la société Tiesa soutient que la société Fonderie Bouhyer a manqué à ses obligations quant aux volumes convenus, faisant valoir qu'elle avait lancé en 2007 un nouveau modèle et qu'elle avait alors adressé à ses fournisseurs une demande avec des volumes prévisionnels.

Considérant que la société Fonderie Bouhyer conteste avoir accepté des volumes prévisionnels, soutenant avoir seulement refusé de désorganiser son outil de production pour favoriser les demandes des sociétés Tiesa et Cesab Carreli Elevatori au détriment de ses autres clients et d'accentuer au-delà du raisonnable sa dépendance à leur égard.

Considérant que la société Tiesa affirme que la société avait accepté de lui vendre des quantités précises de contrepoids ; qu'elle se réfère à un courrier qu'elle a adressé le 21 juillet 2006 à la société Fonderie Bouhyer, auquel avait été annexé un tableau mentionnant des quantités annuelles ; qu'il s'agit d'un document établi par la société Tiesa qui ne démontre pas avoir reçu l'aval de son partenaire, la société Fonderie Bouhyer lui ayant au contraire clairement indiqué qu'elle ne souhaitait pas s'engager sur de tels volumes, que la société Tiesa ne fournit aucun document laissant supposer que la société Fonderie Bouhyer ait donné son accord sur des volumes de production ; qu'au contraire, il résulte des courriers échangés que la société Fonderie Bouhyer n'a eu de cesse que d'alerter ses deux partenaires sur son impossibilité à produire les quantités souhaitées par elles.

Qu'ainsi, à l'occasion de la mise en fabrication d'un nouveau modèle de chariot, la société Fonderie Bouhyer a écrit par email du 24 mai 2007 en distinguant sa capacité de production brute et celle de produits finis, indiquant "Nous vous confirmons ce que nous avions annoncé début avril en terme de capacité. Nous n'avons pas de souci en termes de moulage et nous pourrons produire les quantités suivantes : 30 pièces par jour d'ici fin 2007 en laque, + 50 % en 2008, + 50 % en 2009, précisant en revanche "Nous avons toutefois une limite en ce qui concerne la finition : nous pouvons livrer 50 contrepoids par jour mais la différence de 20 sera livrée en apprêt" ; que dès juillet 2007, avant le lancement de la fabrication du nouveau modèle, elle a averti son partenaire qu'elle ne serait en mesure que de produire vingt contrepoids dans la couleur de finition choisie par la société Tiesa soit grise ; que la société Tiesa indique que les parties se sont alors réunies et que la société Fonderie Bouhyer a demandé un courrier d'engagement sur les quantités par modèles sur une période de 18 mois, demande qu'elle n'indique pas avoir acceptée.

Considérant que la société Fonderie Bouhyer expose que l'année 2007 a été une année d'explosion mondiale des demandes en biens d'équipement de sorte qu'elle a tenté de fournir à la société Tiesa les volumes qu'elle souhaitait, atteignant ainsi en novembre 2007 une production de 33,26 contrepoids par jour soit une augmentation de 65 % par rapport à ses livraisons habituelles ; que le chiffre d'affaires entre les deux sociétés qui était de 2 846 422 Meuro en 2006 est passé à 5 271 373 Meuro en 2007, à 5 430 186 Meuro en 2008 et à 1 096 912 Meuro pour les dix premiers mois de 2009, chiffres qui démontrent que la société Fonderie Bouhyer a répondu aux demandes de son client au cours des années 2007 et 2008.

Considérant que, dès novembre 2007, la société Fonderie Bouhyer a demandé à la société Tiesa de réduire ses commandes à 20 contrepoids par jour et ce dans le délai le plus court, son dirigeant justifiant sa demande par le fait "de ne pas mettre sa société en péril" ; que la société Tiesa avait été parfaitement informée de la position de la société Fonderie Bouhyer, celle-ci lui ayant confirmé à plusieurs reprises en novembre et décembre 2007 qu'elle maintenait sa position de 20 contrepoids par jour ; que la société Tiesa n'en a pas moins maintenu ses relations commerciales avec la société Bouhyer, externalisant alors en partie, dès janvier 2008, la fabrication du modèle de contrepoids de son nouveau modèle de charriot ; que la société Fonderie Bouhyer n'avait aucune raison de privilégier les sociétés Tiesa et Cesab Carreli Elevatori au détriment de ses autres clients comme elle le leur a écrit ; qu'elle avait seule la maitrise de son outil de production et de son fonctionnement.

Considérant que la société Tiesa reconnait qu'elle a dû investir pour le compte de son nouveau fournisseur dans un nouveau bâtiment dédié aux opérations de peinture et qu'elle-même a, en janvier 2008, créé un atelier provisoire de peinture de finition avec une production de 5 à 7 contrepoids préparés et peints par jour, ce qui démontre la réalité des contingences avancées par la société Fonderie Bouhyer quant aux opérations de finition pour refuser d'augmenter sa propre production ainsi que sa demande de prise en charge des surcoûts résultant de cette nouvelle production ; que la société Tiesa ne saurait le contester, dans la mesure où elle indique, que deux experts japonais de l'usine Toyota Japon se sont déplacés en novembre 2007, pendant 15 jours au sein de l'entreprise Fonderie Bouhyer, et ont proposé des aides afin de renforcer sa capacité de production.

Considérant qu'il résulte de ces éléments que la société Fonderie Bouhyer avait accepté exceptionnellement de produire plus de 20 contrepoids par jour ; que, si elle a estimé que l'augmentation de sa production dans les proportions souhaitées par les sociétés Tiesa et Cesab Carreli Elevatori mettait en danger son propre circuit de production, notamment au niveau de ses ateliers de finition et était de nature à créer un déséquilibre dans ses relations avec ses autres clients, il ne saurait lui être fait grief de son refus d'augmenter celle-ci au-delà de ce qu'elle jugeait raisonnable ; qu'une telle décision ne saurait constituer un manquement contractuel dans la mesure où il n'est pas démontré qu'elle avait pris un engagement en terme de volume à produire.

Sur les retards

Considérant que, si l'augmentation des volumes et la production d'un nouveau modèle avec des exigences de couleur particulière, ont pu entrainer des problèmes de livraison, il résulte de la fiche d'évaluation qu'à partir d'avril 2008, l'usine de la société Tiesa, qui se trouvait à proximité de celle de la société Cesab Carreli Elevatori, a pu bénéficier d'une moyenne de cinq livraisons par jour ; qu'en 2008, elle a pu se prévaloir d'un taux de livraison de 98,44 % au jour J et de 100 % en 2009 ; qu'il en résulte que la société Fonderie Bouhyer s'est adaptée aux demandes croissantes de la société Tiesa ;

Sur les prix

Considérant que par email du 21 juin 2007, la société Fonderie Bouhyer avait annoncé des hausses de prix de 8 % à compter du 1er septembre 2007, puis de 8 % au 1er janvier 2008 et demandé la prise en charge de surcoûts ; qu'il convient de relever que les coûts de finition peinture représentent à l'évidence des surcoûts ; que la société Tiesa a accepté ces conditions ; que, si les parties se sont rencontrées le 5 septembre 2008 afin que la société Fonderie Bouhyer mette en œuvre un process de réduction des coûts, la société Tiesa ne saurait prétendre que le facteur prix a été sans incidence sur sa décision de mettre fin à leurs relations commerciales, ayant dès le 15 septembre, puis les 6 et 22 octobre adressé à la société Fonderie Bouhyer des lettres de relance et ayant annoncé dès septembre 2008 des objectifs de réduction de coûts de 30 % ; que, si la société Fonderie Bouhyer lui a envoyé le 16 décembre 2008 un courrier annonçant une hausse de 5 %, il n'est pas démontré pour autant un refus de collaboration de sa part dans la recherche d'économies, étant elle-même confrontée à la hausse des matières premières ; que la société Tiesa ne démontre pas que la société Fonderie Bouhyer ait commis un abus par cette hausse de 5 %.

Sur la qualité

Considérant que la société Tiesa ne précise aucun grief quant à la qualité des contrepoids qui lui ont été fournis par la société Fonderie Bouhyer.

Considérant de plus que la société Fonderie Bouhyer faisait l'objet d'audits réguliers de la part de chacune des deux sociétés auxquelles elle fournissait les mêmes produits ; qu'elle affirme avoir toujours suivi leurs préconisations afin d'améliorer sa production, justifiant d'un rapport de la société Tiesa en date du 10 octobre 2008 parvient à la conclusion suivante :

"L'équipe projet a bien fonctionné, notamment sur les points suivants :

- disponibilité

- transparence

- préparation des réunions

- motivation pour atteindre les objectifs

et qu'il conclut "La constitution de stocks de sécurité a permis d'améliorer considérablement les performances de livraison".

Sur les manquements allégués par la société Cesab Carreli Elevatori à l'encontre de la société Fonderies Bouhyer :

Sur le volume

Considérant que la société Cesab Carreli Elevatori formule des griefs identiques à ceux de la société Tiesa en ce qui concerne la position de la société Fonderie Bouhyer tendant à refuser de satisfaire ses demandes, faisant valoir que celle-ci avait annulé des commandes pourtant acceptées et qu'elle avait refusé d'honorer des commandes futures.

Considérant que le chiffre d'affaires développé entre les deux sociétés a été de 1 107 627 euro en 2006, puis de 1 689 176 euro en 2007, de 1 057 313 euro en 2008 et de 274 823 euro en 2009 ; que la société Fonderie Bouhyer n'a jamais accepté de s'engager sur un volume et n'a cessé de faire connaitre à son partenaire que sa capacité ne lui permettait pas de faire face à ses demandes croissantes.

Que, si la société Fonderie Bouhyer a écrit dès le 16 juillet 2007 à la société Cesab Carreli Elevatori qu'elle ne pouvait lui accorder aucune priorité, dans la mesure où elle devait assurer en priorité les commandes fermes qui lui avaient déjà été données par ses autres clients, il ne s'ensuit pas un refus fautif dans la mesure où elle n'avait pris aucun engagement de volume avec elle ; qu'il n'en demeure pas moins qu'elle a augmenté ses ventes démontrant que, tout comme pour la société Tiesa, elle a cherché à satisfaire ce client.

Sur la qualité

Que si la société Cesab Carreli Elevatori fait état de réclamations concernant la qualité, elle indique que celles-ci portent pour l'essentiel sur les productions 2007 sans préciser quels sont les défauts qu'elle a relevés ; que la société Fonderie Bouhyer ne conteste pas une baisse de qualité, mettant en cause l'augmentation du volume des commandes et expliquant ainsi son refus de sacrifier la qualité à la quantité ; que la société Cesab Carreli Elevatori reconnait qu'en 2008 et 2009 la qualité s'est améliorée ; qu'en toute hypothèse, elle ne caractérise pas les défauts allégués et ne précise ni leur quantité, ni leur conséquence ; que dès lors, elle ne démontre pas que ceux-ci auraient présenté des caractères dépassant ce qu'il est raisonnable d'accepter à l'occasion d'une production industrielle.

Considérant que, si les sociétés Tiesa et Cesab Carreli Elevatori n'avaient pas été satisfaites de la qualité de la production, elles n'auraient à l'évidence, d'une part, ni augmenté de façon considérable leurs commandes, d'autre part, ni souhaité poursuivre pour le futur cette augmentation, ne se plaignant alors que du refus de la société Fonderie Bouhyer de les satisfaire sur ces points

Sur les prix

Considérant que, si la société Fonderie Bouhyer a procédé régulièrement à des augmentations de prix, la société Cesab Carreli Elevatori ne démontre pas que celles-ci n'étaient pas justifiées, ni qu'elles lui auraient été imposées ; qu'elle les a d'ailleurs acceptées et que la société Fonderie Bouhyer n'était qu'un fournisseur parmi d'autres.

Considérant en conséquence que, ni la société Tiesa, ni la société Cesab Carreli Elevatori ne démontrent de manquements contractuels de la société Fonderie Bouhyer, de sorte que celle-ci était fondée à bénéficier d'un préavis raisonnable ; qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la société Tiesa et la société Cesab Carreli Elevatori avaient rompu brutalement leurs relations commerciales mais de le réformer en ce qu'il a dit qu'elles n'avaient pas commis de faute alors que celles-ci ne justifient d'aucun manquement grave de la société Fonderie Bouhyer à ses obligations contractuelles rendant impossible toute poursuite des relations commerciales ;

Sur la demande de la société Fonderie Bouhyer

Sur la durée du préavis :

Considérant que La société Tiesa s'est approvisionnée en contrepoids pour ses chariots auprès de la société Bouhyer à partir du mois de septembre 2004 et la société Cesab Carreli Elevatori à partir du mois de juin 2004.

Considérant que le 7 octobre 2009, la société Tiesa a fait savoir à la société Bouhyer qu'elle cessait de s'approvisionner chez elle et que le 25 juin 2009, la société Cesab a pris la même décision ; que les relations avec chacune de ces sociétés ont donc duré cinq ans.

Considérant qu'il convient, pour apprécier la durée du préavis, de prendre en compte le chiffre d'affaires global généré par les deux sociétés dans la mesure où elles ont entretenu une relation commerciale sur une même période et sur des produits identiques avec des exigences similaires en termes quantitatifs et que s'agissant de l'une comme de l'autre, le chiffre d'affaires entretenu avec la société Fonderie Bouhyer a augmenté de manière importante au cours des années 2007 et 2008, pour atteindre 10,20 % de son chiffre d'affaires totale en 2007 et 9,75 % en 2008, de sorte qu'en termes de réorganisation, la société Bouhyer a dû, au cours d'une même période, pallier la perte de deux clients avec lesquels elle avait un chiffre d'affaires conséquent.

Considérant que les sociétés Tiesa et Cesab Carreli Elevatori ont précisé que la mise en place d'une relation de fourniture équivalente à celle qui les liait à la société Fonderies Bouhyer nécessitait préalablement un délai d'un an d'étude et de sélection des fournisseurs; que la société Fonderie Bouhyer justifie qu'elle a entrepris de nouer des relations avec un nouveau client, la société Manitou qui a programmé un prototype en juillet 2011 avec une fabrication en série en octobre 2012.

Considérant, en conséquence, que la société Fonderie Bouhyer était fondée à bénéficier d'un préavis d'un an.

Sur les indemnités de préavis

Considérant qu'il n'y a pas lieu de prendre en compte l'année 2009 qui a été l'année de rupture des relations commerciales et qui dès lors n'est pas significative ; que la cour prendra en compte les années 2007 et 2008 au cours desquelles le chiffre d'affaires avec la société Tiesa s'est élevé à un chiffre moyen de 5 360 191,50 euro et avec la société Cesab Carreli Elevatori de 1 373 244 euro.

Considérant qu'elle justifie pour ces deux années d'une marge brute moyenne de 44,05 %, de sorte que son préjudice à la somme de 2 361 164,36 euro en ce qui concerne la société Tiesa, et à 604 913,98 euro en ce qui concerne la société Cesab Carreli Elevatori.

Sur les autres préjudices

Considérant que la société Fonderie Bouhyer demande une somme complémentaire de 168 271,69 euro au titre des préjudices suivants :

- 50 731,68 euro pour avoir dû procéder à la destruction de stocks de produits et d'encours exclusivement rattachés à la fabrication des produits des deux sociétés

- 25 621 euro au titre des immobilisations rattachées à cette fabrication non encore amortis

- 35 112 euro au titre de matériels non amortissables et spécifiquement affectés à cette fabrication et devenus inutilisables

- 56 807 euro correspondant au coût du chômage technique résultant de la rupture.

Considérant que la société Fonderie Bouhyer ne conteste pas que la refonte des contrepoids était une possibilité, faisant valoir qu'il s'ensuit une nécessaire réorganisation du travail de fonderie pour casser les contrepoids fabriqués et les refondre ;

Considérant que les sociétés Tiesa et Fonderie Bouhyer ont convenu, d'une part, du retrait des outillages, qui a été fait le 2 novembre 2009 contre règlement, d'autre part, des contrepoids en cours de fabrication, qui ont été enlevés le 7 décembre 2009 contre règlement comptant ; que la société Fonderie Bouhyer ne justifie pas de la possession de stocks autres qui ne pourraient qu'être ceux de la société Cesab Carreli Elevatori.

Considérant que la société Fonderie Bouhyer ne démontre pas que les investissements utilisés à l'occasion de ses relations avec les deux sociétés Tiesa et Cesab Carreli Elevatori sont devenus superflus, dans la mesure où elle ne conteste pas avoir pu nouer de nouvelles relations commerciales ; que s'agissant des mesures de chômage technique, elle ne conteste pas que celles-ci ont pu commencer en raison de la crise économique qui a frappé le secteur.

Considérant, en conséquence, que la société Fonderie Bouhyer ne démontre pas de préjudice autre que celui résultant de la brutalité de la rupture des relations commerciales et qui est réparé par le préavis fixé par la cour.

Sur les demandes reconventionnelles des sociétés Tiesa et Cesab Carreli Elevatori

Considérant que le tribunal a rejeté les demandes des deux sociétés en ce qu'il a considéré que celles-ci n'apportaient "pas la preuve qu'une convention ait été formée entre les parties".

Considérant que si les parties n'avaient pas conclu de contrat écrit, il résulte des pièces produites la preuve d'une relation contractuelle liant un fournisseur à savoir la société Fonderie Bouhyer et deux sociétés clientes, la société Tiesa, d'une part, la société Cesab Carreli Elevatori, d'autre part.

Sur la demande de la société Tiesa

Considérant que la société Tiesa réclame une somme de 643 264 euro qu'elle décompose en sept postes à savoir :

l'achat de contrepoids entre décembre 2007 et janvier 2008

l'étude sur la mise en place d'un atelier de peinture dans ses locaux de février à juin 2008

la rotation des contrepoids de septembre 2007 à mars 2008

la mise en place d'un atelier de peinture chez un autre fournisseur en mars 2008

le coût du support technique du Japon en novembre 2007

le transfert de contrepoids de la société Fonderies Bouhyer aux fournisseurs alternatifs

le surcoût de peinture des contrepoids en février 2008.

Considérant que ces dépenses sont liées à la mise en fabrication d'un nouveau chariot et aux frais engagés et pris en charge par la société Tiesa, tant auprès de la société Fonderie Bouhyer que de son nouveau fournisseur ; que comme il a été développé précédemment, aucune faute ne peut être reprochée à la société Fonderie Bouhyer, ni dans son refus d'accroitre sa production en l'absence de tout volume convenu entre les parties, ni dans sa politique de prix que la société Tiesa restait libre de refuser ; qu'il y a lieu, en conséquence, de débouter la société Tiesa de ses demandes au titre des dépenses précitées.

Sur la demande de la société Cesab Carreli Elevatori

Considérant que la société Cesab Carreli Elevatori réclame une somme de 55 500 euro se décomposant en quatre postes à savoir :

la mise en place d'un approvisionnement chez un fournisseur alternatif

de nouveaux moules de contrepoids pour un fournisseur alternatif

le support technique auprès du fournisseur alternatif pour le démarrage et l'optimisation de la production

le test et l'audit qualité, la certification et l'approbation du fournisseur alternatif.

Considérant que les demandes de la société Cesab Carreli Elevatori reposent également sur les coûts générés par son recours à un autre fournisseur ; que la société Fonderie Bouhyer à l'encontre de laquelle il n'a été relevé ni manquement contractuel, ni mauvaise foi, ne saurait être tenue de dépenses liées à la politique commerciale extensive de son partenaire.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que la société Fonderie Bouhyer a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif.

Par ces motifs : Et, adoptant ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Reforme le jugement déféré sauf en ce qu'il a dit que les sociétés Tiesa et Cesab Carreli Elevatori ont rompu brutalement leurs relations avec la société Fonderie Bouhyer et en ce qu'il a débouté les sociétés Tiesa et Cesab Carreli Elevatori de leurs demandes reconventionnelles, Dit que le préavis dont devait bénéficier la société Fonderie Bouhyer de la part des sociétés Tiesa et Cesab Carreli Elevatori est d'un an, Condamne la société Tiesa à payer à la société Fonderie Bouhyer la somme de 2 361 164,36 euro au titre de la marge brute perdue, Condamne la société Cesab Carreli Elevatori à payer à la société Fonderie Bouhyer la somme de 604 913,98 euro au titre de la marge brute perdue, Rejette toute autre demande plus ample ou contraire, Condamne solidairement les sociétés Tiesa et Cesab Carreli Elevatori à payer à la société Fonderie Bouhyer la somme de 10 000euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne solidairement les sociétés Tiesa et Cesab Carreli Elevatori aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.