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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 30 janvier 2014, n° 13-02234

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lemoine

Défendeur :

Jalis (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Farina

Conseillers :

Mmes Aublin-Michel, Bertoux

Avocats :

Mes Duval, Mosquet

T. com. Evreux, du 10 janv. 2013

10 janvier 2013

EXPOSE DU LITIGE

Mme Caroline Lemoine, exploitante à titre individuel d'un institut de beauté sous l'enseigne "Institut Bien Etre" a conclu avec la société Jalis un contrat de licence d'exploitation de site Internet, le 30 novembre 2010. Ce contrat avait notamment pour objet la création, la maintenance, l'hébergement d'un site Internet par la société Jalis, moyennant le versement par Mme Lemoine de 48 mensualités de 215,28 euro, outre un forfait d'installation de 800 euro.

Mme Caroline Lemoine ayant refusé de prendre la livraison du site, la société Jalis lui a réclamé, par courrier en date du 3 mai 2012, le versement d'une indemnité équivalente à 30 % des loyers prévue à l'article 16 du contrat, relatif à la résiliation contractuelle.

Faute de règlement de la somme réclamée, la société Jalis a engagé une procédure d'injonction de payer à l'encontre de Mme Lemoine devant le président du Tribunal de commerce d'Evreux, lequel a fait droit aux demandes de la société Jalis.

Sur opposition à ordonnance d'injonction de payer du 17 juin 2011, par jugement du 10 janvier 2013, le Tribunal de commerce d'Evreux a :

- déclaré recevable en la forme l'opposition de Mme Lemoine,

- au fond, débouté Mme Lemoine de son opposition,

- condamné Mme Lemoine à payer, en deniers ou quittances valables à la SARL Jalis :

* la somme de 3 100 euro en principal, avec intérêts de droit à compter du 3 mai 2011,

* la somme de 400 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné Mme Lemoine aux dépens,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent jugement.

Mme Lemoine a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions du 15 juillet 2013, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des faits, moyens et prétentions soulevés, Mme Lemoine demande à la cour d'infirmer le jument entrepris, à titre principal d'annuler le contrat pour défaut de cause, à titre subsidiaire, soit déclarer l'article 16-5 des conditions générales de vente non écrites, soit réduire le plus largement possible la pénalité de résiliation du contrat, en tout état de cause, de condamner la société Jalis à lui payer la somme de 3 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, entiers dépens en sus.

Au soutien de ses demandes, pour l'essentiel, à titre principal, Mme Lemoine fait valoir en premier lieu que les dispositions prévoyant le versement de l'indemnité réclamée doivent être réputées non écrites en ce qu'elles portent atteinte au principe d'équilibre contractuel énoncé par l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce, qu'elles prévoient de multiples causes de résiliation au profit de la société Jalis sans évoquer l'indemnisation du client.

Elle invoque en second lieu une atteinte à l'obligation de bonne foi par la société Jalis au motif notamment que celle-ci avait donné son accord verbal pour décaler les travaux d'installation du site et repousser ainsi le paiement des frais d'installation du site, puis qu'elle aurait adressé la facture d'installation sans respecter son engagement.

Elle ajoute enfin que le contrat serait dénué de cause en ce qu'il aurait pour objet la création d'un site Internet au profit d'une société tierce, la société Antik Spa, et ne prévoirait aucune contrepartie pour Mme Lemoine en sa qualité d'exploitante individuelle, ce qui justifierait son annulation.

A titre subsidiaire, elle soutient essentiellement que le prix proposé par la société Jalis serait disproportionné au regard de la valeur du service apporté et qu'ainsi la clause dont il est demandé l'exécution doit être écartée ou doit à tout le moins être réduite.

Dans ses dernières écritures du 2 septembre 2013, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des faits, moyens et prétentions soulevés, la société Jalis demande à la cour, au visa des articles 9 du Code de procédure civile et 1134 du Code civil, de rejeter les demandes de Mme Lemoine, confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages et intérêts formées par la société Jalis, constater l'annulation anticipée du contrat de licence d'exploitation de la part de Mme Lemoine, confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mme Lemoine à verser à la société Jalis la somme de 3 100,03 euro TTC assortie des intérêts de droit à compter de l'acte introductif d'instance, de l'infirmer sur la demande de dommages et intérêts et indemnité de procédure, de condamner Mme Lemoine à lui payer la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée, celle de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, entiers dépens de l'instance en sus.

La société Jalis fait valoir en résumé que les dispositions de l'article L. 442-6 I du Code de commerce invoquées par Mme Lemoine sont inapplicables, cette dernière n'étant pas un partenaire économique de la société Jalis.

Elle soutient qu'elle a respecté son obligation de bonne foi et indique que l'appelante ne rapporte pas la preuve de ses allégations concernant un non-respect de délais de paiement.

Elle explique que Mme Lemoine a signé le contrat en parfaite connaissance de cause et après avoir négocié le prix et obtenu une baisse du montant des loyers.

Elle fait valoir enfin qu'elle a régulièrement exécuté ses obligations contractuelles en concevant et en élaborant le site Internet et qu'elle est ainsi fondée à réclamer le paiement de l'indemnité contractuelle d'exécution.

A titre reconventionnel, elle soutient que le comportement de Mme Lemoine justifie sa condamnation au paiement d'une indemnité pour résistance abusive.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 novembre 2013.

SUR CE

Pour la clarté des débats, il convient de relever au vu des pièces produites aux débats que :

- Selon l'extrait K bis, Mme Lemoine, a été immatriculée, le 10 avril 2002, au RCS d'Evreux sous le n° 441 613 361, comme exerçant l'activité de soins de beauté, sous l'enseigne "Beauté Bien être" [...], et radiée le 6 août 2012,

- Selon l'extrait K Bis, la société Antik Spa, SARL à associé unique, ayant pour gérant associé unique, Mme Lemoine, est immatriculée sous le n° 523 745 933 au RCS d'Evreux, exerce son activité de Spa, Hamman, Balnéothérapie, massage de bien être, sauna, soins du visage, depuis le 1er août 2010 [...],

- Le 26 octobre 2010, un contrat d'exploitation de licence a été conclu entre la société Antik Spa [...] et la société Jalis,

- Le 30 novembre 2010, un contrat d'exploitation a été conclu entre "Beauté Bien Etre" [...], et la société Jalis.

1) Sur la demande en annulation du contrat

* Sur le déséquilibre dans les relations contractuelles et l'application de l'article L. 442-6 I 2°) du Code de commerce au présent litige

Mme Lemoine se prévaut des dispositions de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce invoquant l'existence d'un déséquilibre dans les relations contractuelles contenu dans la clause de résiliation (article 16 des conditions générales) qui n'a jamais pu être négociée permet au cessionnaire du contrat ou à défaut la société Jalis de résilier le contrat pour un nombre de causes importantes sans jamais parler d'indemnisation pour le client alors que si le client résilie le contrat, il est prévu une série d'indemnisations au profit de la société Jalis en fonction du moment et des causes de résiliation.

L'article L. 442-6 I 2°) est inscrit au chapitre II "Des pratiques restrictives de concurrence" du titre quatre "De la transparence, des pratiques restrictives de concurrence et d'autre pratiques prohibées", du Code de commerce dispose que :

"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou "personne immatriculée au répertoire des métiers" :

.../...

2° de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties".

En premier lieu, l'action sur le fondement de l'article L. 442-6 I 2°) du Code de commerce tend à la réparation d'un préjudice et non pas à déclarer réputée non écrite une clause d'un contrat comme ne respectant pas l'équilibre contractuel imposée par ledit article, comme l'indique à juste titre la société Jalis.

En second lieu, l'application de ce texte est réservée aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret parmi lesquels ne figurent ni le Tribunal de commerce d'Evreux, ni la Cour d'appel de Rouen.

Il s'ensuit que Mme Lemoine doit être déboutée de sa demande d'annulation du contrat sur le fondement de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce.

* Sur l'absence de bonne foi de la société Jalis

Selon l'article 1134 du Code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Mme Lemoine prétend tout d'abord que la société Jalis a voulu faire payer la création du site Internet concernant la société Antik Spa à Mme Lemoine, en sa qualité d'exploitant d'entreprise individuelle, pour des raisons purement pécuniaires.

Si un premier contrat a été conclu le 26 octobre 2010 avec la société Antik Spa puis un second au nom de Beauté Bien Etre, soit sous l'enseigne de l'exploitation personnelle de Mme Lemoine le 30 novembre 2010, et qu'au vu des écritures de la société Jalis selon lesquelles, suite à des négociations avec Mme Lemoine, elle a accepté de réduire le montant des mensualités dues de 239 euro HT à 180 euro HT, Mme Lemoine ne rapporte nullement la preuve de ce que le commercial de la société Jalis, ayant appris que la société Antik Spa n'avait que trois mois d'existence serait revenu faire signer à Mme Lemoine un nouveau contrat en son nom personnel.

Par ailleurs, si l'allongement de l'échéancier a eu pour conséquence d'augmenter le coût du site qui est passé de 10 268,64 euro TTC à 10 333,44 euro TTC, celle-ci reste très modique et en tout état de cause prend en compte les difficultés de trésorerie invoquées par Mme Lemoine puisque le montant du loyer mensuel passe de 239 euro HT à 180 euro HT soit une charge mensuelle moindre.

Enfin elle n'établit pas que pour des problèmes de trésorerie elle aurait tenté de négocier un report de six mois de la création du site et retardait ainsi la facturation relative aux frais d'installation et de l'échéancier, encore moins de l'obtention d'un accord verbal sur ce report qui n'aurait pas été pris en compte.

Force est de constater que ses seules allégations étayées par aucun élément matériel de nature à les justifier ne suffisent pas à démontrer la mauvaise foi de la société Jalis dans l'exécution de la convention.

Mme Lemoine doit également être déboutée de sa demande d'annulation de la convention sur le fondement de l'article 1134 alinéa 3 du Code civil.

* Sur l'absence de contrepartie constitutive d'une absence de cause

Mme Lemoine soutient que les sommes qui lui sont réclamées sont la contrepartie d'un objet inexistant pour elle puisqu'il s'agit de la création d'un site Internet pour une autre personne morale, à savoir la société Antik Spa.

Cependant, il ressort du contrat signé le 30 novembre 2010, que Mme Lemoine, signataire en son nom personnel, a passé commande auprès de la société Jalis, d'un site Internet, sans qu'il y soit précisé qu'il s'agissait d'un site Internet pour la société Antik Spa. Selon la fiche technique dédiée à la création du site Internet du nom du domaine "www.antikspa.com".

Les sommes réclamées à Mme Lemoine ont donc bien une contrepartie pour elle, la création du site Internet, quand bien celle-ci concernerait elle la société Antik Spa.

Au surplus, il résulte d'une capture d'écran produite aux débats par Mme Lemoine que le site a été créé sous le nom de domaine "Antik Spa" qu'il reprend diverses offres de prestations de services en matière de soins du corps et du visage, SPA, Hammam, Balnéo, sauna... sous lesquelles figurent un encadré "Tarifs", énoncent le coût de soins du corps, du visage, ce qui établit que le site n'était pas vide, de sorte que Mme Lemoine ne peut se prévaloir du fait que le site qui lui a été présenté était vide pour justifier son refus de signer le procès-verbal de réception. Elle ne peut davantage arguer de son désaccord avec son prestataire sur la construction du site, dans la mesure où à aucun moment elle ne justifie des critiques qu'elle aurait formulées à l'égard du travail réalisé.

Mme Lemoine soutient par ailleurs que le prix pratiqué par la société Jalis pour la réalisation du site Internet est très élevé au regard de la valeur du service, soit 9 440 euro TTC, qu'aujourd'hui la société Jalis lui réclame la somme de 3 100,03 euro en application des stipulations contractuelles, qu'or le prix pour la création d'un site Internet pour les besoins de Mme Lemoine varie de 1 300 euro à 2 500 euro, ce qui justifie selon elle d'écarter l'application de la clause de résiliation.

Cependant, la production du seul catalogue des tarifs et prestations site Internet Pixalione ne suffit pas à établir le caractère disproportionné du prix proposé par la société Jalis par rapport à la prestation fournie.

Mme Lemoine doit par conséquent être déboutée de sa demande d'annulation du contrat pour absence de cause.

Pour l'ensemble de ses développements, la société Jalis est par conséquent fondée à se prévaloir des stipulations de l'article 16 des conditions générales du contrat.

2) Sur l'indemnité de résiliation réclamée par la société Jalis

Il n'est pas contesté que Mme Lemoine n'a pas souhaité prendre livraison du site; que par lettre du 12 mai 2011, elle a résilié le contrat.

L'article 16.5 des conditions générales du contrat stipule : "En cas de résiliation, ou annulation de commande anticipée de la part du client :

Avant la livraison, il sera dû au prestataire une somme correspond à 30 % des loyers qui auraient été dus en cas d'exécution du contrat. Les parties conviennent expressément que cette indemnité ne peut être assimilée à une clause pénale et ne peut donc en aucun cas être révisée sur le fondement de l'article 1152 du Code civil".

Cette indemnité contractuelle de résiliation anticipée représente le prix de la faculté de résiliation unilatérale offerte au client avant la livraison du produit, en dehors de toute notion d'inexécution, n'a pas le caractère de clause pénale.

Il s'ensuit que son montant ne peut faire l'objet d'une révision judiciaire sur le fondement de l'article 1352 du Code civil.

Il convient, dans ces conditions, de condamner Mme Lemoine à payer à la société Jalis la somme de 3 100,03 euro augmentée des intérêts au taux légal à compter du 3 mai 2011, et de confirmer la décision entreprise.

3) Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée

La société Jalis indique avoir respecté ses propres engagements et engagé des frais pour mettre en place le site, gérer le nom de domaine et l'hébergement etc...

Toutefois, la société Jalis ne justifie d'aucun autre préjudice que celui résultant de l'usage de la faculté de résiliation avant livraison dont disposait Mme Lemoine et réparé par l'octroi de l'indemnité contractuellement prévue, de sorte qu'elle doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée.

4) Sur l'indemnité de procédure

L'équité commande d'allouer à la société Jalis la somme indiquée ci-après au dispositif, en sus de celle octroyée en première instance qui sera confirmée.

Mme Lemoine qui succombe en son appel sera déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris, Y ajoutant, Déboute la société Jalis de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée, Déboute Mme Lemoine de sa demande d'indemnité de procédure, Condamne Mme Lemoine à payer à la société Jalis la somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne Mme Lemoine aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.