CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 13 février 2014, n° 12-09668
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Vivien Fret (SAS), Capel (ès qual.), Rousseau (ès qual.)
Défendeur :
Poitou Boissons (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur
Avocats :
Mes Gerigny, Simonet, Garnier, Polleux, de la Taille
FAITS ET PROCÉDURE
La société Elidis Boissons Services Niort, qui fait partie du groupe Kronenbourg, exploitait sur la région Poitou-Charentes six établissements de négoce de boissons, parmi lesquels un établissement à Chasseneuil du Poitou. Par acte du 30 septembre 2005, elle a confié, sous le régime de la location-gérance, l'exploitation de ce dernier établissement à la société Elidis Boissons Services Niort, devenue la société Poitou Boissons, puis le lui a cédé par acte du 30 mars 2006. La société Vivien Fret, qui exerce l'activité de transports routiers, entretenait des relations commerciales avec la société Elidis Boissons Services Niort dont elle assurait les transports d'approvisionnement.
Le 14 avril 2006, la société Poitou Boissons a fait savoir à la société Vivien Fret qu'elle utiliserait désormais ses propres camions pour ses approvisionnements et ne ferait appel à ses services qu'occasionnellement. Leurs relations commerciales ont pris fin en août 2006, la société Poitou cessant à cette date de confier des transports à la société Vivien Fret.
La société Vivien Fret a alors fait assigner la société Poitou Boissons devant le Tribunal de commerce de Poitiers, qui s'est déclaré territorialement incompétent au profit du Tribunal de Rennes.
Par jugement rendu le 5 juillet 2011, le Tribunal de commerce de Rennes a :
- débouté la société Vivien Fret de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné la société Vivien Fret à payer à la société Poitou Boissons la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'appel interjeté le 29 mai 2012 par la société Vivien Fret contre cette décision.
Vu les dernières conclusions récapitulatives signifiées par la société Vivien Fret le 13 août 2013, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- dire et juger l'appel de la société Vivien Fret recevable,
- réformer la décision du Tribunal de commerce de Rennes du 5 juillet 2011 dans toutes ses dispositions et statuant à nouveau,
Vu l'article L. 442-6 I 5 du Code de commerce,
Vu l'article 1382 du Code civil,
- condamner la société Poitou Boissons à payer à titre de dommages et intérêts pour brusque rupture des relations commerciales à la société Vivien Fret la somme de 250 000 euros ;
- condamner la société Poitou Boissons à payer à la société Vivien Fret la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'appelante indique qu'elle a effectué de façon continue depuis 1997 des prestations de transport pour plusieurs établissements de négoce, dont celui de Chasseneuil du Poitou, appartenant à la société des Etablissements Laclotre, puis à partir de 1999 à la société Elidis Boissons Services Atlantic et, enfin, à la société Elidis Boissons Services Poitiers qui deviendra la société Poitou Boissons. Elle fait valoir que ces relations ont été interrompues sans préavis et alors qu'aucune inexécution de ses obligations contractuelles ne peut lui être reprochée. Elle estime subir un préjudice dont elle demande réparation sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 5 du Code de commerce et que, compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales et du coefficient de marge brute à appliquer, elle évalue à 250 000 euros.
Vu les conclusions d'intervention volontaire signifiées le 12 novembre 2013 par Maître Marie Laetitia Capel, mandataire judiciaire du redressement judiciaire de la société Vivien Fret, et par la Selarl AJ Partenaires, administrateur judiciaire de la société Vivien Fret, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- dire et juger recevable l'intervention volontaire de la Selarl AJ Partenaires, administrateur judiciaire, et de Maître Marie Laetitia Capel, mandataire judiciaire ;
- dire et juger l'appel de la société Vivien Fret recevable ;
- réformer la décision du Tribunal de commerce de Rennes du 5 juillet 2011 dans toutes ses dispositions et statuant à nouveau,
Vu l'article L. 442-6 I 5 du Code de commerce,
Vu l'article 1382 du Code civil,
- condamner la société Poitou Boissons à payer à titre de dommages et intérêts pour brusque rupture des relations commerciales à la société Vivien Fret la somme de 250 000 euros ;
- condamner la société Poitou Boissons à payer à la société Vivien Fret la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- débouter la société Poitou Boissons de toutes ses demandes.
La Selarl AJ Partenaires et Maître Marie Laetitia Capel, intervenant ès-qualités, exposent que le Tribunal de commerce de Poitiers a, par jugement du 15 octobre 2013, placé la société Vivien Fret en redressement judiciaire et les a désignées en qualités d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire. Ils font valoir que leur intervention volontaire, quoique intervenue après la clôture fixée au 31 octobre 2013, est néanmoins recevable puisqu'elle tend à la reprise de l'instance que le redressement judiciaire de la société Vivien Fret avait interrompue. Sur le fond, les intervenants soutiennent qu'en reprenant le fonds de commerce, la société Poitou Boissons a poursuivi les relations commerciales antérieures de sorte qu'elle ne peut y mettre fin sans un préavis écrit conforme aux dispositions de l'article L. 442-6 5 du Code de commerce. Ils chiffrent l'indemnité due en l'absence de préavis à 250 000 euros.
Vu les conclusions récapitulatives signifiées par la société Poitou Boissons le 2 octobre 2013, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- déclarer la société Vivien Fret recevable mais mal fondée en son appel, l'en débouter ;
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Rennes en date du 5 juillet 2011 la déboutant de l'ensemble de ses demandes ;
- déclarer la société Poitou Boissons recevable et bien fondée en son appel incident et y faisant droit,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société Vivien Fret à payer à la société Poitou Boissons la somme de 1 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Et statuant à nouveau,
- condamner la société Vivien Fret au paiement d'une indemnité de 5 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, au profit de la société Poitou Boissons pour la procédure de première instance,
Y ajoutant,
- la condamner au paiement d'une indemnité de 5 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, pour la procédure d'appel, au profit de la société Poitou Boissons,
- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La société Poitou Boisson rappelle que, par acte du 30 mars 2006, elle a acquis auprès de la société EBS Niort le fonds de négoce de boissons de Chasseneuil du Poitou dont elle était locataire-gérant depuis le 1er octobre précédent, et que par lettre du 14 avril 2006, elle a fait connaître à la société Vivien Fret qu'elle entendait désormais assurer elle-même ses transports par ses propres camions.
Elle fait valoir que s'il est exact que la société Vivien Fret assurait jusqu'alors les transports de l'ensemble des établissements de la société Elidis Boissons Services Niort, dont celui de Chasseneuil du Poitou, elle n'était nullement tenue, comme locataire-gérant puis comme cessionnaire, de poursuivre les contrats et les relations commerciales établies par son cédant. Elle précise qu'elle n'a travaillé avec la société Vivien Fret qu'à partir du 1er octobre 2005, date à laquelle elle a repris en location-gérance le fonds de Chasseneuil du Poitou, et pour une période de 11 mois, étant entendu qu'elle lui avait fait connaître ses intentions dès le 14 avril 2006.
L'intimée conteste, enfin, le préjudice allégué par l'appelante qui, selon elle, prend en compte le chiffre d'affaires qu'elle réalisait non avec le seul établissement de Chasseneuil du Poitou, mais avec tous les établissements de la société Elidis Boissons Services Niort et, de surcroît, applique un taux de marge brute contestable.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Sur l'intervention volontaire de la Selarl AJ Partenaires, administrateur judiciaire, et de Maître Marie Laetitia Capel, mandataire judiciaire
Par jugement du 15 octobre 2013, le Tribunal de commerce de Poitiers a constaté la cessation des paiements de la société Vivien Fret et a prononcé son redressement judiciaire en fixant au 18 avril 2014 la fin de la période d'observation. Il a nommé, en qualité, respectivement, d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire, la Selarl AJ Partenaires et Maître Marie-Laetitia Capel, dont l'intervention volontaire, ès-qualités, devant la cour est dès lors recevable.
Sur la rupture des relations commerciales
Il est constant qu'à partir du 1er octobre 2005, la société Poitou Boissons a pris en location-gérance le fonds de négoce de boissons dont la société Elidis Boissons Services Niort était propriétaire à Chasseneuil du Poitou et que, par acte du 30 mars 2006, elle a acquis ce même fonds. Si cette opération a transféré à la société Poitou Boissons la propriété des éléments du fonds cédé, elle n'a pas de plein droit substitué le cessionnaire au cédant dans les relations contractuelles et commerciales que celui-ci entretenait avec la société Vivien Fret. Dès lors, s'il est établi que la société Poitou Boissons a, comme le faisait la société Elidis Boissons Services Niort, confié le transport de ses boissons à la société Vivien Fret pendant le temps de la location-gérance puis après l'acquisition du fonds, jusqu'à ce qu'elle lui fasse connaître, le 14 avril 2006, qu'elle mettait fin à ces relations, elle ne saurait être considérée, par cette seule circonstance, comme ayant accepté de reprendre à sa charge les obligations découlant, au titre de l'article L. 442-6 du Code de commerce, des relations commerciales précédemment établies. Il n'en irait autrement que si la société Poitou Boissons avait, directement ou indirectement, manifesté son intention de poursuivre les relations établies par la société Elidis Boissons Services Niort avec la société Vivien Fret et d'assumer l'obligation de préavis en résultant, à concurrence de l'ancienneté de ces relations, au cas où elle voudrait y mettre fin. Tel n'étant pas le cas, il y a lieu de considérer que c'est à partir du 1er octobre 2005 que les sociétés Poitou Boissons et Vivien Fret ont noué des relations commerciales. La décision d'y mettre fin ayant été notifiée le 14 avril 2006 et ayant été effective au mois d'août suivant, la durée de ces relations - cinq mois et demi ne justifiait pas d'imposer à la société Poitou Boissons un plus long préavis. Le jugement entrepris sera donc confirmé.
Sur les frais irrépétibles
Il n'apparaît pas justifié, au regard des éléments du dossier, de prononcer de condamnation au regard de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Déclare recevable l'intervention volontaire de la Selarl AJ Partenaires, en qualité d'administrateur judiciaire de la société Vivien Fret, et de Mme Marie-Laetitia Capel, en qualité de mandataire judiciaire de la société Vivien Fret ; Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions ; Dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes les autres demandes plus amples ou contraires des parties ; Condamne la société Vivien Fret aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.