CA Riom, ch. com., 29 janvier 2014, n° 12-01612
RIOM
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Etudes Eclairage Equipements Réseaux Provence (SARL)
Défendeur :
Valmont France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Andrieux
Conseillers :
Mmes Javion, Millerand
Avocats :
Mes Gutton-Perrin, Sigaud, Ardigier, Lacquit, Meyer
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
La SARL Etudes Eclairage Equipements Réseaux Provence désignée par le sigle 3EP a conclu le 19 septembre 2001 avec la société Sermeto un contrat d'agent commercial exclusif sur la région PACA avec mission de négocier et de conclure pour le compte de la société Sermeto la vente des articles qui font l'objet de ses fabrications et de son négoce, en l'espèce des candélabres d'éclairage public et des mâts de pavoisement.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 14 janvier 2010, la société Valmont France qui a absorbé la société Sermeto, a notifié à la société 3EP la rupture du contrat d'agent commercial pour faute grave.
La société 3EP a demandé à la société Valmont France le versement des indemnités auxquelles elle estime pouvoir prétendre en raison de l'absence de faute grave, mais aucun accord n'a été trouvé et la société 3EP a assigné la société Valmont France devant le Tribunal de commerce de Cusset en paiement de l'indemnité compensatrice.
Par jugement en date du 5 juin 2012, le Tribunal de commerce de Cusset a :
- constaté que la société 3EP a commis des manquements constitutifs d'une faute grave justifiant la rupture de son contrat d'agent commercial,
- débouté la société 3EP de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la société 3EP à payer à la SAS Valmont France la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Le Tribunal de commerce de Cusset a estimé que même si la non-atteinte des objectifs de chiffre d'affaires ne constitue pas à elle seule une faute grave, elle participe néanmoins à une atteinte au contrat liant les parties, que le défaut de prospection de la zone commerciale définie contractuellement, le défaut de développement de la gamme signature et le manquement à l'obligation d'information mensuelle et régulière de son mandant sont établis, et concourent à caractériser la faute grave.
La SARL Etudes Eclairage Equipements Réseaux Provence a interjeté appel de ce jugement par déclaration au greffe reçue le 29 juillet 2012.
Aux termes de ses dernières conclusions du 2 octobre 2013, la société 3EP demande au visa des articles L. 134-1et suivants, L. 134-16 du Code de commerce et 1134 du Code civil de :
- réformer le jugement entrepris,
- constater l'absence de faute grave de la société 3EP,
en conséquence, constater que la rupture du contrat d'agent commercial en date du 19 septembre 2001, notifié à la société 3EP le 14 janvier 2010 par la société Valmont France est abusive,
- condamner la SAS Valmont France à payer à la société 3EP la somme de 28 026,69 euro TTC à titre de dommages intérêts pour non-respect du préavis, avec intérêts au taux légal à compter du 14 janvier 2010,
- condamner la SAS Valmont France à payer à la société 3EP une indemnité compensatrice du préjudice subi du fait de la rupture abusive et brutale du contrat d'agent commercial d'un montant de 178 309,08 euro HT, correspondant à deux ans et un trimestre de commissions, avec intérêts au taux légal à compter du 14 janvier 2010,
- la condamner au paiement de la somme de 3 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Par conclusions reçues le 20 septembre 2013, la SAS Valmont France demande de :
- débouter la société 3EP et confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société 3EP,
à titre subsidiaire,
- réduire l'indemnité sollicitée par la société 3EP à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive à 12 mois de commissions, soit la somme de 62 292 euro,
- condamner la société 3EP à verser à la société Valmont France la somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et la condamner aux dépens.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 octobre 2013.
MOTIVATION
Sur la rupture du contrat d'agent commercial
En application des dispositions combinées des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce :
En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
La réparation n'est pas due quand la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 14 janvier 2010, la société Valmont a notifié à la société 3EP la rupture du contrat sans préavis en faisant état de faute grave à savoir :
- le chiffre d'affaires de 1 449,16 euro fixé en commun en 2001 n'a jamais été réalisé à l'exception de l'année 2008, ce qui ne s'est pas confirmé en 2009,
- ne pas faire progresser le chiffre d'affaires dans une région comme la région PACA, 3e région française par sa richesse est inexplicable, tous les efforts n'ont donc pas été fournis pour atteindre l'objectif, notamment en terme de personnel,
- la société 3EP a manifesté un désintérêt pour la société Valmont qui ne peut plus être toléré,
- la société 3EP n'a jamais effectué de rapports sur l'état du marché et la concurrence, comme prévu au contrat,
- elle n'a pas développé la gamme Signatures.
Il appartient au mandant de rapporter la preuve de la faute grave de l'agent commercial :
- Sur les objectifs non atteints
La société Valmont reconnaît dans ses conclusions (page 5) que le non-respect d'un objectif fixé dans un contrat d'agent commercial n'est pas constitutif d'une faute grave, ce que retient une jurisprudence constante.
Pour autant elle maintient que l'objectif aurait dû être atteint dans la région PACA du fait de sa richesse et que l'insuffisance des résultats ne peut s'expliquer que par la paresse de la société 3EP. Elle en veut pour preuve que l'objectif a été dépassé en 2010 par le nouvel agent commercial.
Aux termes de l'article 5 du contrat, la non-réalisation du chiffre d'affaires minimum pourra justifier le retrait de l'exclusivité, sans que pour autant le présent contrat se trouve résilié de plein droit.
Force est de constater que la non-réalisation du chiffre d'affaires n'entraînant pas la rupture du contrat n'était pas un élément constitutif d'une faute grave, que le chiffre d'affaires minimum n'a pas été atteint, sauf une année, par la société 3EP, qu'à l'issue de la clôture des exercices annuels, la société Valmont n'a jamais envisagé de retirer à son agent commercial l'exclusivité territoriale dont il bénéficiait.
Le chiffre d'affaires réalisé par la société 3EP, certes inférieur à l'objectif a été en augmentation constante de 2002 à 2008, le résultat fixé étant atteint en 2008, et sans qu'il ne soit établi que la société Valmont ait analysé la situation et adressé à la société 3EP des observations ou des demandes d'explications.
Le chiffre d'affaires en 2009 a connu une baisse importante ; la société Valmont critique les explications avancées par la société 3EP. Pourtant, la crise économique, la période électorale rendant les acquéreurs potentiels que sont les municipalités attentistes, l'augmentation par la société Valmont de ses prix de manière significative sont des éléments à prendre en compte.
En toute hypothèse, la société Valmont qui s'est refusée à communiquer un ensemble de documents dont la production était sollicitée par la société 3EP et qui aurait permis de comparer l'activité de la société 3EP à celle d'autres agents commerciaux, de vérifier si la société Valmont n'a pas adressé à 3 autres agents commerciaux des lettres de rupture de contrat comportant des imputations de faute identiques témoignant d'une volonté de réduire les commissions devant être versées aux agents commerciaux, si elle-même n'exerçait pas une activité concurrente dans la région PACA avec le lanternier Ragni au cours des années 2008, 2009 et 2010, ne rapporte pas la preuve d'une baisse du chiffre d'affaires imputable à une faute grave de la société 3EP.
Le grief tenant au défaut de prospection de nouveaux clients a été formulé par la société Valmont dans son courrier informant la société 3EP de la rupture conventionnelle, la société Valmont évoquant l'insuffisance des moyens mis en œuvre pour atteindre les objectifs fixés dans la région PACA et le désintérêt de la société 3EP pour la société Valmont dans le secteur géographiquement clé pour elle. Ce grief est donc recevable.
La société 3EP dont le siège social est situé dans les Bouches-du-Rhône y a réalisé son plus fort chiffre d'affaires ; néanmoins, la société 3EP indique que le lieu de facturation à son siège social peut être différent du lieu de prospection et de réalisation des marchés ;
La société Valmont, en l'espèce, se contente de procéder par affirmation sur l'existence de marchés potentiels qui n'auraient pas été démarchés par la société 3EP.
Le grief n'est donc pas fondé.
- Sur l'embauche de personnel
Le grief selon lequel la société 3EP n'aurait pas atteint ses objectifs en particulier à défaut de personnel n'est assorti d'aucun début de preuve ; la société 3EP exerçant en outre son activité en toute indépendance, il n'appartient pas à la société Valmont de juger les moyens mis en œuvre par l'agent commercial pour atteindre les objectifs fixés.
- Sur l'établissement de rapports sur l'état du marché et de la concurrence
La société Valmont soutient que la société 3EP était défaillante dans son obligation d'établir des rapports sur l'état des marchés et de la concurrence, produisant un courriel de son directeur du 4 juillet 2006 rappelant à la société 3EP qu'une fois par mois il lui est demandé des informations concernant les affaires en cours dans son secteur et qu'elle est le seul agent à ne jamais répondre sans xx relances.
La société 3EP était tenue contractuellement non pas d'établir des rapports, mais exerçant son activité en toute indépendance de renseigner le mandant au moins une fois par mois sur les faits et gestes de la concurrence, l'évolution des marchés, etc.
Il n'est pas démontré par la société Valmont que la société 3EP n'ait pas satisfait à son obligation lors d'échanges téléphoniques et de réunions, comme cette dernière l'affirme (pièces 15 et 16).
- Sur le développement de la gamme Signatures
Selon la société Valmont, la société 3EP n'a pas développé ce nouveau produit ; elle n'a enregistré que de faibles commandes sur les produits de la gamme alors que dans le même temps (en 2008) les ventes de produits de la gamme par l'agent commercial de la région Normandie Haute-Normandie représentaient 20 % de son chiffre d'affaires.
Pourtant en avril 2007, la société Valmont se félicitait de ce que la société 3EP "a déjà mis en place une politique forte de prescription de nos nouveaux produits. Exemple l'affaire de Nice en Patagonia avec le CG06".
Les commandes n'ont cependant pas été à hauteur des promesses, la société 3EP qui évoque le non-respect de délais de livraison et les exigences des clients, sollicitant une rencontre avec son mandant en octobre 2008 afin de "définir un plan d'action et étudier les différents donneurs d'ordre et concepteur de la Région pour évaluer ensemble quels sont les freins à l'utilisation de cette gamme".
La faiblesse du chiffre d'affaires réalisé sur la gamme Signature ne semble pas due à un désintérêt de l'agent commercial pour le produit, mais plutôt à des difficultés de commercialisation qui ne s'apparentent pas à des fautes graves.
La société Valmont est donc redevable d'une indemnité compensatrice envers la société 3EP.
Le jugement rendu le 5 juin 2012 par le Tribunal de commerce de Cusset sera en conséquence infirmé.
Sur la réparation des préjudices subis
- L'indemnité en l'absence de respect du préavis
Il n'est pas contesté que le contrat initial d'une durée d'un an reconduit tacitement est un contrat à durée indéterminée et qu'en application des dispositions de l'article L. 134-11 du Code de commerce, la société 3EP bénéficiait d'un préavis de trois mois pour la troisième année commencée du contrat et les années suivantes, soit en l'occurrence 3 ans et un trimestre.
La société Valmont qui a mis fin au contrat sans préavis sera condamnée au paiement de la somme de 28 026,69 euro TTC sur la base d'une moyenne des commissions des trois dernières années de 6 604,04 euro.
- L'indemnité compensatrice
La société Valmont plaide pour la réduction de l'indemnité compensatrice à un an, alléguant que l'usage de fixer cette indemnité à deux ans de commissions n'ayant pas force de loi, que la société 3EP n'a pas gravement souffert de la rupture, son activité d'agent commercial ne représentant qu'une partie de son chiffre d'affaires.
Il s'avère cependant que la société 3EP qui produit le compte de résultat de l'exercice 2009, a réalisé, outre une activité propre de vente, un chiffre d'affaires de 127 047 euro au titre des commissions perçues comme agent commercial, dont 58 660,80 euro de commissions versées par la société Valmont, ce qui représente 50 % de son chiffre d'affaires d'agent commercial.
Dans ces conditions, la brusque rupture du contrat sans préavis en janvier 2010 au terme d'une collaboration de plus de 8 ans, justifie l'allocation d'une indemnité compensatrice correspondant à deux années de commissions soit une somme de 158 496,96 euro HT avec intérêts au taux légal à compter du 14 janvier 2010 date de la rupture du contrat.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société Valmont, partie succombante, sera condamnée à payer la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel. Elle sera déboutée de sa demande en paiement de frais irrépétibles.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire, en dernier ressort et après en avoir délibéré ; Infirme le jugement rendu le 5 juin 2012 par le Tribunal de commerce de Cusset ; Statuant à nouveau ; Dit que la SAS Valmont France ne rapporte pas la preuve d'une faute grave de son agent commercial ; Dit en conséquence que la rupture du contrat d'agent commercial de la société 3EP est abusive ; Condamne la SAS Valmont France à payer à la société Etudes Eclairage Equipements Réseaux Provence (3EP) la somme de 28 026,69 euro TTC à titre de dommages intérêts pour non-respect du préavis, avec intérêts au taux légal à compter du 14 janvier 2010 ; Condamne la SAS Valmont France à payer à la société Etudes Eclairage Equipements Réseaux Provence (3EP) une indemnité compensatrice d'un montant de 158 496,96 euro HT, avec intérêts au taux légal à compter du 14 janvier 2010 ; Condamne la SAS Valmont France à payer la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à la société Etudes Eclairage Equipements Réseaux Provence (3EP) ; Déboute la SAS Valmont de ses demandes ; Condamne la SAS Valmont France aux dépens de première instance et d'appel.