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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 13 février 2014, n° 13-16153

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Océane (SNC)

Défendeur :

Compagnie Hôtelière des West Indies (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Charlon

Conseillers :

Mmes Dairain, Graff-Daudret

Avocats :

Mes Belfayol Broquet, Joseph, Fromantin, Turolla Karsallah

TGI Fort-de-France, prés., du 23 juil. 2…

23 juillet 2013

FAITS ET PROCEDURE

La société Diamant Beach Club (DBC) a été constituée le 5 novembre 1992 sous la forme d'une société civile d'attribution d'immeubles en jouissance à temps partagé (SCAITP) régie par la loi n° 86-18 du 6 janvier 1986 modifiée par la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009.

Elle a fait l'acquisition d'un ensemble immobilier à usage de résidence hôtelière, dénommé "Diamant Beach", situé sur la commune du Diamant en Martinique.

Elle a été placée en redressement judiciaire en 1997, cette procédure ayant abouti à l'adoption d'un plan de continuation du 15 juin 1999, avec apurement du passif sur dix ans, après recapitalisation au moyen du rachat par la SNC Océane, filiale du Crédit Lyonnais et de la BNP, de semaines invendues.

La SNC Océane détient 92,31 % du capital social de la société DBC.

La SARL Compagnie Hôtelière des West Indies (CHWI) a été constituée le 15 décembre 1999 avec pour objet l'exploitation de tous hôtels, résidences hôtelières, hébergements de toutes natures ainsi que la gestion de tous immeubles touristiques en pleine ou multipropriété.

Par acte du 3 décembre 1999, la SNC Océane a signé avec la société CHWI un "contrat de mise à disposition de période de jouissance" par lequel la SNC Océane a mis à la disposition de la société CHWI l'intégralité de son droit de jouissance qu'elle détenait au sein de la résidence Diamant Beach dans la perspective d'optimiser l'exploitation de l'ensemble de l'opération et de développer le flux de clientèle.

Ce contrat a été conclu à effet du 1er janvier au 30 juin 2000 avec la possibilité de le proroger pour des périodes d'un an, et précisait qu'en tout état de cause, la mise à disposition prendrait fin le 30 juin 2003.

Le contrat stipulait qu'en rémunération de ces mises à disposition, la SNC Océane percevrait sur l'exercice considéré une redevance de 76 % du chiffre d'affaires hors taxes d'hébergement enregistré par la société CHWI, portée à 78 % si le chiffre d'affaires d'hébergement dépassait 3 750 000 F HT, et de 50 % du résultat brut d'exploitation de la société CHWI généré par le site et calculé après déduction de la part de loyer définie précédemment.

Ce contrat de mise à disposition a été reconduit à plusieurs reprises jusqu'au 31 décembre 2003.

En dépit de la survenance du terme, les parties ont poursuivi leurs relations commerciales.

Un désaccord est survenu entre elles concernant le taux de la redevance.

C'est dans ce contexte, très conflictuel, que par lettre recommandée avec avis de réception du 25 septembre 2012, la SNC Océane a notifié à la société CHWI la rupture de la relation commerciale entre les parties avec prise d'effet au 30 avril 2013.

Par acte du 12 avril 2013, la société CHWI a assigné la SNC Océane devant le juge des référés afin que le préavis de cessation de leurs relations commerciales ainsi notifié soit prorogé de onze mois à compter du 30 avril 2013, date de son expiration.

Par ordonnance contradictoire du 23 juillet 2013, le juge des référés du Tribunal mixte de commerce de Fort-de-France a :

- ordonné la prorogation du préavis de rupture des relations commerciales entre les parties au 30 mars 2014,

- débouté pour le surplus,

- rejeté les demandes reconventionnelles et condamné la société défenderesse aux dépens.

La SNC Océane a interjeté appel de cette décision le 2 août 2013.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 décembre 2013.

MOYENS ET PRETENTIONS DE LA SNC OCÉANE :

Par dernières conclusions du 24 octobre 2013, auxquelles il convient de se reporter, la SNC Océane fait valoir :

- que les circonstances dans lesquelles est intervenue la rupture interdisent de la qualifier de pratique abusive au sens des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, car la société CHWI est seule responsable de la rupture des relations commerciales liant les parties, en raison du non-paiement des redevances, alors même qu'elle continuait d'exploiter les droits de jouissance mis à sa disposition, que la société CHWI ne saurait tirer prétexte du litige sur le taux de la redevance, dès lors qu'elle s'est abstenue de régler quelque somme que ce soit, que l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce lui permet quant à elle d'opposer l'exception d'inexécution,

- que les conditions prévues par l'article 873 alinéa 1er du Code de procédure civile ne sont pas réunies en ce qu'il n'existe pas de dommage imminent ni de trouble manifestement illicite,

- qu'à titre subsidiaire, si la cour devait confirmer l'ordonnance déférée, elle devrait à tout le moins lui accorder une provision sur redevance due, à laquelle les contestations sur le taux de la redevance ne sauraient faire obstacle.

Elle demande à la cour :

- de la recevoir en son appel et l'y déclarant bien fondée,

- d'infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,

- de déclarer mal fondée la société CHWI en ses demandes tendant à voir déclarer caduque la déclaration d'appel ou irrecevable son recours et l'en débouter,

A titre principal,

- de débouter la société CHWI de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

A titre subsidiaire,

- d'ordonner à la société CHWI d'avoir à lui verser, au plus tard le 5 de chaque mois, la somme de 31 599,17 euros, correspondant au 1/12 de 51 % du chiffre d'affaires hébergement 2011 d'un montant de 743 510 euros à titre d'acompte sur redevance et ce, pendant toute la durée du préavis ainsi prorogé,

- de dire que le montant de cet acompte mensuel sur redevance sera immédiatement aligné sur le taux de redevance tel qu'il sera déterminé par l'expert qui sera désigné judiciairement en remplacement de M. Jock,

- de dire que le non-paiement d'un seul acompte sur redevance entraînera automatiquement la révocation du préavis,

En tout état de cause,

- de condamner la société CHWI à lui régler une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- de la condamner aux entiers dépens de l'instance dont recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

MOYENS ET PRETENTIONS DE LA SOCIETE CHWI :

Par dernières conclusions du 16 décembre 2013, auxquelles il convient de se reporter, la société CHWI demande à la cour :

- de dire que l'acte de signification de déclaration d'appel est nul après avoir relevé qu'il ne lui notifiait pas le délai plus court imparti par le président en application de l'article 905 du Code de procédure civile pour le dépôt de ses conclusions et l'induisait en erreur en l'invitant à conclure jusqu'à trois mois plus tard et en ne la mettant pas en mesure de conclure puisque les conclusions qu'il contenait ne lui ont pas été intégralement dénoncées et ne comportaient même pas de dispositif et que cette irrégularité caractérise une inobservation substantielle d'ordre public sur le fondement de l'article 114 du Code de procédure civile,

- de dire en conséquence que la signification prévue à l'alinéa 2 de l'article 902 du Code de procédure civile ne peut être regardée comme ayant été valablement effectuée dans le mois de l'avis du greffe,

- de prononcer en conséquence la caducité de la déclaration d'appel sur le fondement de l'article 902 alinéas 2 et 3,

A titre subsidiaire,

- de confirmer l'ordonnance de référé dont appel en toutes ses dispositions,

- de constater qu'il résulte des pièces et des affirmations même de l'appelante qu'il existe une relation commerciale entre les parties depuis 1999,

- de relever que cette relation était formalisée à l'origine par un contrat qui n'a pas été renouvelé en 2004 mais que leur relation commerciale s'est poursuivie sans écrit,

- de relever que la doctrine et la jurisprudence reconnaissent que le délai de préavis doit permettre à la partie victime de la rupture "de prendre ses dispositions et de donner en temps utile une nouvelle orientation à ses activités",

- de relever que l'activité de la SARL CHWI dépend à 98,06 % de sa relation commerciale avec la SNC Océane, ce qui la place à l'évidence dans une situation de dépendance économique à son égard,

- de dire que la durée de sept mois de préavis laissée à elle par la SNC Océane risquait d'engendrer un dommage imminent et constituait un trouble manifestement illicite eu égard aux pratiques restrictives édictées à l'article L. 442-6 du Code de commerce, du fait de l'insuffisance de sa durée au regard de l'ancienneté de leur relation, mais aussi de la perturbation qu'elle entraîne dans le cycle de commercialisation des périodes de séjour eu égard au caractère saisonnier des négociations avec Tours Opérateurs et voyagistes,

- d'ordonner la prorogation par la SNC Océane du préavis jusqu'au 31 mars 2014,

- de débouter la SNC Océane de toutes ses demandes reconventionnelles formées au titre du paiement de la redevance dans l'attente du rapport définitif de l'Expert judiciaire,

- de lui donner acte de ce qu'elle lui a déjà versé à titre de provision la somme globale de 1 423 956,06 euros au titre de la redevance dont le taux n'est arrêté que de manière provisoire par l'expert judiciaire à un taux de 45,27 % très inférieur à celui revendiqué par la SNC Océane,

- de condamner la SNC Océane à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- de condamner la SNC Océane à supporter les entiers dépens et taxes fiscales relatifs à la présente instance.

Sur ce, LA COUR,

Sur la caducité de la déclaration d'appel :

Considérant que la société CHWI demande de prononcer la caducité de la déclaration d'appel sur le fondement de l'article 902, alinéas 2 et 3, du Code de procédure civile ;

Considérant que l'article 908 du Code de procédure civile énonce'que "A peine de caducité de la déclaration d'appel relevée d'office, l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour conclure" ;

Considérant que l'article 905 du même Code énonce que "lorsque l'affaire semble présenter un caractère d'urgence ou être en état d'être jugée ou lorsque l'appel est relatif à une ordonnance de référé ou à une des ordonnances de la mise en état énumérées aux 1° à 4° de l'article 776, le président de la chambre saisi, d'office ou à la demande d'une partie, fixe à bref délai l'audience à laquelle elle sera appelée ; au jour indiqué, il est procédé selon les modalités prévues aux articles 760 à 762" ;

Considérant que, dans ce cas, il n'est pas imposé aux parties de conclure dans des délais dont le non-respect serait sanctionné et aucun conseiller de la mise en état n'est désigné ;

Considérant, par ailleurs, que l'article 911-1 du même Code qui dispose que "La caducité de la déclaration d'appel en application des articles 902 et 908 ou l'irrecevabilité des conclusions en application des articles 909 et 910 sont prononcées par ordonnance du conseiller de la mise en état qui statue après avoir sollicité les observations écrites des parties. L'ordonnance qui prononce la caducité ne peut être rapportée, ne peut s'appliquer en l'espèce dès lors qu'aucun conseiller de la mise en état n'est désigné et qu'il n'est prévu aucune sanction de caducité prononcée par la cour elle-même dans l'hypothèse où l'article 905 s'applique" ;

Considérant dès lors que la demande présentée par l'intimée est irrecevable ;

Sur la prorogation de la relation contractuelle :

Considérant que selon l'article 873, alinéa 1er, du Code de procédure civile, le juge des référés peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;

Considérant que selon l'article L. 442-6 I du Code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ;

Que selon le IV du même texte, le juge des référés peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratiques abusives ou toute autre mesure provisoire ;

Considérant que le préavis de rupture de la relation commerciale notifié par la SNC Océane le 25 septembre 2012 expirait le 30 avril 2013 ;

Qu'il n'est pas sérieusement contesté que les parties entretenaient des relations commerciales de manière ininterrompue depuis 1999, celles-ci s'étant poursuivies au-delà du terme du contrat écrit initial ;

Que cette notification a été effectuée après que l'assemblée générale de la société DIAMANT BEACH (DBC), dont la SNC Océane détient 92,31 % du capital social, eut adopté, le 30 mars 2012, à la majorité, y incluant la voix de la SNC Océane présente, une (8e) résolution approuvant le principe de la conclusion d'un contrat de location portant sur les périodes de séjours semaines 37 et 38 ainsi que pour les périodes de séjours des associés défaillants entre la société et la société CHWI moyennant le paiement d'un loyer mensuel à déterminer sur la base des travaux réalisés par la commission constituée à la 3e résolution (composée de trois experts comptables) ;

Considérant que par lettre recommandée du 23 avril 2012, la société CHWI a mis en demeure la SNC Océane d'avoir à la fixer quant à ses intentions sur sa propre cession ou encore sur ses relations commerciales avec elle et notamment si elle entendait ou non toujours lui confier la location de ces périodes de séjour à long terme ;

Que la SNC Océane n'a pas répondu à cette mise en demeure ;

Que par ordonnance du 24 mai 2012, rendue sur requête de la société CHWI, le président du Tribunal mixte de commerce de Fort-de-France a ouvert une procédure de conciliation ; que le conciliateur indique que le 16 juillet 2012, la SNC Océane lui avait fait savoir qu'elle sollicitait une nouvelle fois de la société CHWI qu'elle lui paie le montant de la redevance qui lui est due et que soient maintenues en l'état les modalités et conditions de calcul de la redevance due par CHWI au titre du contrat de louage conféré par elle ;

Que par ordonnance du 17 juillet 2012, rendue au visa de l'article L. 611-7 du Code de commerce, et dont il n'est pas soutenu qu'elle n'a pas été notifiée ou qu'elle a été rétractée, le président du Tribunal mixte de commerce de Fort-de-France a alloué au bénéfice de la société CHWI un délai de douze mois à compter du prononcé de l'ordonnance pour s'acquitter de la somme de 184 175 euros qui lui était réclamée par la SNC Océane et dit que ladite SNC ne pourrait en poursuivre le règlement dans ce délai ;

Qu'eu égard au litige entre les parties sur le taux de la redevance, à la désignation d'un expert amiable le 8 mars 2010, à l'exécution volontaire par la société CHWI jusqu'à la fin de l'année 2011 du taux de redevance initialement défini par cet expert jusqu'au 31 décembre 2009, à l'ordonnance du 24 mai 2012 désignant un conciliateur avec mission de favoriser un accord de nature à déterminer les modalités et conditions de calcul de la redevance due par la société CHWI, la SNC Océane ne saurait de bonne foi invoquer l'exception d'inexécution ;

Considérant, en conséquence, que revêt à l'évidence un caractère abusif et constitue, dès lors, un trouble manifestement illicite la dénonciation des relations commerciales par la SNC Océane le 25 septembre 2012, avec un préavis de sept mois seulement, alors que les relations entre les parties duraient depuis près de treize années, dans le contexte précité dont il ressort que la société CHWI était légitimement fondée à croire que ces relations se poursuivraient, et faisant immédiatement suite à l'octroi de délais de paiement par décision judiciaire ;

Que par ces motifs, outre ceux pertinents du premier juge portant sur la dépendance économique dans laquelle se trouve la société CHWI par rapport à la SNC Océane et au caractère saisonnier de l'activité de l'intimée, l'ordonnance entreprise sera confirmée ;

Sur la provision :

Considérant que selon l'article 873, alinéa 2, du Code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier ;

Considérant que c'est à juste titre que le premier juge a retenu l'existence d'une contestation sérieuse faisant échec à l'octroi d'une provision au titre de la redevance due pendant la période de prorogation de préavis, dès lors qu'une expertise judiciaire confiée à M. Jock suivant ordonnance du 15 janvier 2013, était en cours, tendant à ce que les comptes puissent être faits entre les parties ;

Que les propres développements de l'appelante sur le déroulement de cette expertise montrent qu'aucun élément ne permet, à ce stade, de retenir comme non sérieusement contestable le taux déterminé provisoirement par l'expert, sur lequel les parties ne s'entendent pas même (45,27 % pour CHWI, 49,45 % pour la SNC Océane), la SNC Océane indiquant en outre que "le montant de l'acompte mensuel sur redevance qu'elle sollicite sera immédiatement aligné sur le taux de redevance tel qu'il sera déterminé par l'expert qui sera désigné judiciairement en remplacement de M. Jock" ;

Que l'intimée produit un certain nombre de justificatifs de paiement dont elle déduit qu'elle aurait payé un total de 1 423 956, 56 euros, sans que le lien entre ces montants et les trimestres appelés au titre de la redevance ne puissent clairement être établi en référé ;

Qu'au surplus, le premier juge a encore exactement relevé que les comptes ne pourront être faits entre les parties qu'en tenant compte des conséquences de la rupture des relations commerciales entre les parties ;

Que l'ordonnance sera également confirmée sur ce point et la demande subsidiaire formée par l'appelante rejetée ;

Par ces motifs, Déclare irrecevable la demande de caducité de la déclaration d'appel, Confirme l'ordonnance entreprise, Y ajoutant, Rejette les demandes de la SNC Océane, Condamne la SNC Océane à payer à la SARL Compagnie Hôtelière des West Indies la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SNC Océane aux dépens d'appel.