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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 5 février 2014, n° 12-22321

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

J.M.Weston (S.A.S)

Défendeur :

Bexley (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rajbaut

Conseillers :

Mmes Gaber, Chaussade

Avocats :

Mes Lagourgue-Olivier, Escande, Fromantin, Stouls

T com Paris, du 16 oct 2009

16 octobre 2009

Vu l'appel interjeté par la société JM Weston (SAS), du jugement contradictoire rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 16 octobre 2009 (n° RG : 2006052968) ;

Vu l'arrêt de sursis à statuer rendu par cette cour le 9 novembre 2011 ;

Vu les dernières conclusions après reprise d'instance de la société JM Weston (SAS), appelante, signifiées le 25 novembre 2013 ;

Vu les dernières conclusions après reprise d'instance de la société Bexley (SA), intimée, signifiées le 29 novembre 2013 ;

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 3 décembre 2013 ;

SUR CE, LA COUR :

Considérant que pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, il est expressément référé à la décision entreprise et aux écritures, précédemment visées, des parties ;

Qu'il suffit de rappeler que la société JM Weston, qui fabrique et commercialise des chaussures, se présentant comme titulaire de droits d'auteur et de modèle sur un derby à plastron dénommé "demi-chasse" et estimant que la société Bexley commercialisait une chaussure "paddington" reproduisant les caractéristiques originales et nouvelles de son modèle, a fait procéder à une saisie-contrefaçon le 21 juillet 2006 puis fait assigner cette société sur le fondement de contrefaçon de ses droits de propriété intellectuelle et de concurrence déloyale et parasitaire ;

Que le Tribunal de commerce de Paris, par le jugement dont appel, a, entre autres dispositions, annulé le modèle de soulier masculin "demi-chasse" déposé à l'INPI le 29 janvier 1991 sous le n° 910560, débouté la société JM Weston de toutes ses prétentions et rejeté la demande reconventionnelle en dommages-intérêts de la société Bexley ;

Que la Cour de céans, par arrêt du 9 novembre 2011, ayant relevé qu'un précédent arrêt de la Cour d'appel de Paris (chambre 5-2) du 17 septembre 2010, frappé de pourvoi, avait jugé, dans une affaire concernant la même chaussure "demi-chasse", que la société JM Weston était irrecevable à agir au titre du droit d'auteur sur cette chaussure, dépourvue d'originalité, et que le modèle déposé à l'INPI le 29 janvier 1991 sous le n° 910560 était nul, a prononcé un sursis à statuer au motif que l'issue de l'instance pendante devant la Cour de cassation était susceptible d'avoir une incidence sur la présente procédure ;

Que les parties ont repris l'instance au vu de l'arrêt de rejet rendu par la Cour de cassation (première chambre civile) le 5 avril 2012 ;

Sur la demande de la société JM Weston au fondement des droits de modèle :

Considérant que force est de relever que si la société Weston poursuit l'infirmation du jugement dont appel en toutes ses dispositions, elle s'abstient, aux termes de son dispositif, d'émettre des prétentions au fondement des droits attachés au dépôt de modèle n° 910560 du 29 janvier 1991 en sa partie concernant la chaussure "demi-chasse" et se garde, dans le corps de ses écritures, de formuler la moindre critique à l'encontre des motifs retenus par les premiers juges pour conclure à la nullité du modèle revendiqué ;

Considérant que la société Bexley observe pour sa part que la société Weston semble abandonner son action en contrefaçon de modèle et qu'elle est en toute hypothèse irrecevable à agir au fondement du modèle "demi-chasse" définitivement annulé par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 14 février 2003 (chambre 5-2) passé en force de chose jugée ;

Considérant que dès lors que la société Weston prie la cour d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, la question de la validité de ses droits de modèle demeure en discussion et il incombe à la cour de statuer sur ce point ;

Considérant que la société Bexley fait à cet égard valoir, à juste titre, qu'il a été jugé, par arrêt de cette cour (chambre 5-2) du 14 février 2003, que le modèle "demi-chasse" de la société Française De Chaussures (aux droits de laquelle vient la société Weston) n'était pas protégeable en présence de l'antériorité de toutes pièces constituée par le modèle john foster dénommé "hunt" commercialisé depuis 1915 ;

Considérant que le pourvoi incident de la société Française De Chaussures qui faisait valoir devant la Cour de cassation que la cour d'appel avait privé sa décision de base légale au regard des articles L. 111-1 et L. 511-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, a été déclaré non admis par arrêt du 31 mai 2005 ;

Considérant qu'il s'infère de ces éléments que l'arrêt du 14 février 2003 de la Cour d'appel de Paris est passé en force de chose de jugée et qu'il est opposable à la société Weston (venant aux droits de la société Française De Chaussure) en ce qu'il déclare le modèle "demi-chasse" non protégeable pour défaut de nouveauté en présence du modèle antérieur "hunt" divulgué en 1915 ;

Considérant que la cour observe de surcroît que les modèles représentés sur les pièces versées aux débats par la société Bexley sous les numéros 109, 90 et 108, constituant des copies extraites des catalogues old england de 1930, Old england quality first de 1932, lotus delta de 1932, galeries lafayette de 1930, réunissent dans la même combinaison l'ensemble des caractéristiques de la chaussure "demi-chasse", objet du dépôt de modèle n° 910560 du 29 janvier 1991 ;

Considérant que la société Weston conteste vainement la valeur probante de telles pièces dont la conformité au catalogue original conservé à la bibliothèque forney de la mairie de Paris ou à la bibliothèque des arts décoratifs (pour le catalogue galeries lafayette de 1930) a été constatée par procès-verbal du 2 août 2011 de l'huissier de justice Lotte dont les énonciations doivent être regardées comme exactes jusqu'à inscription de faux ;

Considérant que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a déclaré nul pour défaut de nouveauté le modèle revendiqué "demi-chasse" déposé le 29 janvier 1991 ;

Que c'est dès lors avec raison que la société Bexley soutient que la société Weston est irrecevable à agir au fondement de ce modèle ;

Sur la recevabilité à agir de la société JM Weston au fondement du droit d'auteur

Considérant que la société JM Weston revendique la protection au titre du droit d'auteur du soulier masculin "demi-chasse" dont elle soutient qu'il aurait été créé en 1933 par Eugène Blanchard et, dès cette date, fabriqué au sein de la "manufacture Weston" à Limoges et commercialisé depuis sous la marque Weston ;

Considérant que selon la société Weston, l'originalité du modèle "demi-chasse" repose sur la combinaison des éléments suivants :

- trépointe à bourrelet cousue baraquette, c'est-à-dire sur tout le pourtour de la chaussure y compris l'emboîtage,

- plastron assemblé sur les claques à plat par une piqûre sellier encadré par deux piqûres simples,

- deux demi-claques assemblées au niveau du bon bout, dans l'axe médian du pied par un jointage,

- une piqûre suivant à distance le bord extérieur des quartiers,

- une piqûre double à la base des quartiers, située légèrement au-dessus du plastron,

- un laçage à cinq œillets ;

Considérant que l'ensemble des caractéristiques précitées correspondent exactement à celles qui sont visibles sur le dépôt du modèle "demi-chasse" n° 910560 évoqué dans les développements qui précèdent ;

Considérant que la Cour d'appel de Paris (chambre 5-2), par un arrêt rendu le 17 septembre 2010 dans un litige en contrefaçon opposant la société JM Weston aux sociétés Manbow (SAS) et Fiman (SA), a jugé que le modèle de chaussure "darman" commercialisé depuis 1924, réunissait toutes les caractéristiques, telles que revendiquées par la société Weston, du modèle opposé "demi-chasse" qui apparaissait dès lors dépourvu d'originalité et ne pouvait ainsi prétendre au bénéfice de la protection au titre du droit d'auteur ;

Considérant que la Cour de cassation, par un arrêt du 5 avril 2012, a rejeté le pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt précité par la société JM Weston ;

Considérant qu'il s'en infère que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 17 septembre 2010 ayant pris force de chose jugée, est opposable à la société JM Weston en ce qu'il dénie à la chaussure "demi-chasse" l'originalité requise pour accéder au statut d'œuvre de l'esprit éligible à la protection au titre du droit d'auteur en présence du modèle "darman" commercialisé depuis 1924 ;

Considérant que la société JM Weston ne saurait pertinemment arguer du caractère relatif de l'arrêt rendu dans le cadre d'un litige l'opposant aux sociétés Manbow et Fiman et auquel la société Bexley est étrangère ;

Qu'en effet, sauf à dénier toute portée à la force de chose jugée, l'affirmation selon laquelle le modèle "demi-chasse" est dépourvu d'originalité au regard du modèle antérieur "darman" est absolue et par là-même opposable dans le cadre du présent litige, à l'inverse d'une décision qui aurait conclu à l'originalité de ce modèle et serait toujours susceptible d'être combattue et démentie par la révélation ultérieure d'un élément nouveau ;

Considérant que la cour relève de surcroît que le modèle déposé "demi-chasse", présentant des caractéristiques identiques à celles revendiquées par la société Weston au titre de l'originalité, a été annulé par l'arrêt définitif de la Cour d'appel de Paris du 14 février 2003, ainsi qu'il a été dit précédemment, en présence de l'antériorité "hunt" de 1915 ;

Considérant que la cour constate enfin que les modèles figurant sur les pièces versées à la présente procédure par la société Bexley sous les numéros 109, 90 et 108, constituant des copies extraites des catalogues old england de 1930, Old england quality first de 1932, lotus delta de 1932, galeries lafayette de 1930, réunissent dans la même combinaison l'ensemble des caractéristiques de la chaussure 'demi-chasse' telles que revendiquées par la société Weston ;

Considérant qu'il s'infère de ces éléments que la société Weston est irrecevable à agir au fondement du droit d'auteur au titre de la chaussure "demi-chasse" dépourvue d'originalité ;

Que le jugement déféré sera réformé sur ce point ;

Sur la concurrence déloyale et parasitaire :

Considérant que la société Weston fait grief à la société Bexley d'avoir commis des actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire en commercialisant 200 euros moins cher des copies quasi-serviles de ses deux modèles phares "Golf" et "demi-chasse" et de créer ainsi un effet de gamme ;

Mais considérant que la cour observe que le vil prix n'est pas allégué et que la pratique de prix inférieurs ne saurait être répréhensible ;

Considérant par ailleurs, que la société Weston ne saurait faire grief à la société Bexley de commercialiser une copie du modèle "demi-chasse" dont il a été relevé précédemment qu'il était antériorisé de toutes pièces ;

Considérant enfin, que la société Weston présente un tableau comparatif Weston/Bexley et reproche à la société Bexley de copier les modèles de mocassin, derby, bottine, richelieu qui l'identifieraient sur le marché de la chaussure masculine de luxe ;

Mais considérant, étant rappelé que la société Weston ne saurait monopoliser un genre, que les modèles en cause ne sont pas produits aux débats et l'examen de la cour ne saurait porter sur un tableau qui ne fait pas apparaître distinctement les caractéristiques de chaque modèle ;

Que force est d'observer en outre que la société Weston se garde de démontrer que ses modèles auraient été commercialisés antérieurement aux modèles incriminés et que le grief de suivisme ne saurait dans ces conditions être fondé ;

Considérant que la société Weston sera en conséquence déboutée de ses demandes en concurrence déloyale et parasitaire ;

Sur la demande en nullité de modèles formée par la société Weston :

Considérant que la société Weston demande en cause d'appel la nullité pour défaut de nouveauté des modèles paddington et paddington-forme respectivement déposés par la société Bexley le 6 février 2006 sous le n° 060568-001 et le 16 mai 2008 sous le n° 082355-006 ;

Considérant qu'il est constant et qu'il est en toute hypothèse établi au vu des constatations de la cour, que les dépôts de modèles attaqués portent sur la chaussure "paddington", objet de la demande en contrefaçon initiée par la société Weston sur le double fondement des Livres I et V du Code de la propriété intellectuelle ;

Considérant qu'il s'infère de cette observation que la demande en nullité des modèles paddington et paddington-forme constitue au sens des dispositions de l'article 566 du Code de procédure civile l'accessoire, la conséquence et le complément de la demande en contrefaçon incriminant la chaussure paddington commercialisée par la société Bexley ;

Qu'une telle demande était en outre virtuellement comprise dans la demande en contrefaçon soumise aux premiers juges ;

Qu'elle ne saurait dès lors être regardée comme nouvelle au sens des dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile et doit être déclarée recevable ;

Considérant qu'il ressort des constatations auxquelles la cour s'est livrée que les modèles attaqués, présentant à l'identique l'ensemble des caractéristiques de la chaussure "paddington" incriminée de contrefaçon par la société Weston, sont antériorisés de toutes pièces par les propres modèles que la société Bexley a opposés à la société Weston pour justifier du défaut de nouveauté et du défaut d'originalité du modèle "demi-chasse" revendiqué par cette dernière ;

Qu'en effet, les documents versés aux débats sous les numéros 109, 90 et 108, constituant des copies extraites des catalogues old england de 1930, old england quality First de 1932, lotus delta de 1932, galeries lafayette de 1930, réunissent dans la même combinaison l'ensemble des caractéristiques visibles sur les modèles paddington et paddington-forme tels que déposés par la société Bexley ;

Qu'il s'ensuit que c'est à raison que la société Weston demande la nullité pour défaut de nouveauté des modèles en cause ;

Sur les autres demandes :

Considérant que la société Bexley, estimant téméraire, au regard des décisions précédemment rendues par cette cour le 14 février 2003 et le 17 septembre 2010, l'action en justice introduite par la société Weston, demande reconventionnellement 500 000 euros de dommages-intérêts outre une mesure de publication ;

Mais considérant que le droit d'ester en justice et de former appel n'est susceptible de dégénérer en abus ouvrant droit à réparation que s'il est exercé de mauvaise foi, par intention de nuire ou par légèreté blâmable équipollente au dol, toutes circonstances qui ne sont pas établies à la charge de la société Weston qui a pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits sur le modèle revendiqué "demi-chasse" dont l'originalité a été au demeurant reconnue par les juges consulaires en première instance ;

Considérant que la société Bexley prétend en outre que la société Weston se prévaudrait mensongèrement d'une fabrication artisanale et clamerait tout aussi mensongèrement que sa concurrente ferait fabriquer ses produits en Inde ;

Considérant que s'agissant de simples allégations qui ne sont aucunement confirmées par les pièces de la procédure, la cour ne saurait les retenir ;

Qu'il s'ensuit que les demandes reconventionnelles de la société Bexley ne sont pas fondées ;

Que l'équité commande en revanche de condamner la société Weston au titre des frais irrépétibles dans les termes du dispositif ci-après ;

PAR CES MOTIFS : Réforme le jugement dont appel sauf en ce qu'il prononce la nullité du modèle "demi-chasse" objet du dépôt n° 910560 effectué auprès de l'INPI le 29 janvier 1991 par la société J.M. Weston et en ce qu'il déboute des demandes formées par la société J.M. Weston au titre de concurrence déloyale et parasitaire, Statuant à nouveau dans les limites de l'appel, Déclare la société J.M. Weston irrecevable à agir au fondement des droits de modèle pour la chaussure "demi-chasse", Dit que la chaussure 'demi-chasse' de la société J.M. Weston est dépourvue d'originalité, Déboute la société J.M. Weston de ses demandes en contrefaçon de la chaussure "demi-chasse" formées au fondement du droit d'auteur, Prononce la nullité des dépôts de modèles paddington et paddington-forme effectués par la société Bexley le 6 février 2006 sous le n° 060568-001 et le 16 mai 2008 sous le n° 082355-006, Dit que la transmission de l'arrêt devenu définitif à l'INPI sera assurée par la partie la plus diligente, Déboute la société Bexley de ses demandes reconventionnelles, Déboute de toutes demandes contraires aux motifs de l'arrêt, Condamne la société J.M. Weston aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés, s'agissant des dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et à verser à la société Bexley une indemnité de 20 000 euros au titre des frais irrépétibles.