CA Nancy, 1re ch. civ., 7 janvier 2014, n° 13-01021
NANCY
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Bogelmann (ès qual.), CP Conseil (SARL)
Défendeur :
Viney
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Hittinger
Conseillers :
Mme Deltort, M. Creton
Avocats :
Mes Boutonnet, L'Hote
FAITS ET PROCEDURE
Selon contrat du 1er février 2005, la société CP Conseil a donné mandat à M. Viney de négocier pour son compte les opérations de vente de fonds de commerce, sociétés et immeubles commerciaux et de rechercher des mandats de vente portant sur ces opérations.
Le 24 septembre 2010, la société CP Conseil a notifié à M. Viney la rupture immédiate du contrat au motif que celui-ci avait commis une faute grave en exerçant en violation de la clause de non-concurrence stipulée au contrat une activité concurrente sur le même secteur d'activité en qualité de chargé de clientèle de la société Financière universelle.
Soutenant que le contrat le liant à la société CP Conseil relève du statut des agents commerciaux, M. Viney a assigné cette société en paiement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts.
A l'appui de ces demandes, il a fait d'abord valoir que l'activité qu'il exerce pour le compte de la société Financière universelle ne constitue pas une activité concurrente de celle qui est l'objet du mandat conclu avec la société CP Conseil qui a ainsi abusivement résilié ce contrat. Le contrat prévoyant que la résiliation ne peut prendre effet qu'à l'issue d'un préavis de deux mois, il a en conséquence réclamé la condamnation de la société CP Conseil à lui payer la somme de 18 597 euros correspondant aux commissions qu'il aurait perçues ainsi qu'une somme de 148 776 euros à titre d'indemnité de rupture. Il a réclamé en outre le paiement par la société CP Conseil d'une somme de 2 449,93 euros représentant le solde d'une facture de commissions. Soutenant enfin que la clause de non-concurrence est illicite, il a sollicité le paiement d'une somme de 122 924 euros à titre de dommages-intérêts.
La société CP Conseil a contesté le bien-fondé de ces demandes. Elle a prétendu que l'activité exercée par M. Viney pour le compte de la société Financière universelle consistait non seulement à rechercher des financements, mais aussi à assurer le montage du dossier.
Elle a en outre formé une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts à titre de réparation du préjudice que lui a causé la violation de la clause de non concurrence.
Par jugement du 20 septembre 2012, le Tribunal de grande instance de Nancy a :
- qualifié le contrat du 1er février 2005 de contrat d'agent commercial ;
- condamné la société CP Conseil à payer à M. Viney les sommes de 17 616,75 euros au titre de l'indemnité de préavis, de 125 000 euros au titre de la rupture du contrat et de 2 449,93 euros au titre du solde de la facture de commission ;
- rejeté la demande reconventionnelle formé par la société CP Conseil.
La société CP Conseil a interjeté appel de cette décision.
Celle-ci ayant été placée en liquidation judiciaire le 16 octobre 2012, l'instance a été interrompue puis reprise après mise en cause du mandataire judiciaire et justification de la déclaration des créances de M. Viney.
A l'appui de cet appel, la société CP Conseil représentée par son liquidateur fait valoir que la rupture du contrat était justifiée dès lors que l'activité exercée par M. Viney pour le compte de la société Financière universelle entrait en concurrence avec celle qu'elle-même exerçait. Elle explique que si la société Financière universelle exerce sous l'enseigne Credilia une activité bancaire qui n'entre pas en elle-même en concurrence avec la sienne, elle propose également à côté de la recherche d'un financement pour ses clients le montage du dossier, l'établissement du plan de financement et la rédaction du rapport de présentation et indique sur son site internet "qu'au-delà du courtage habituel se limitant à la présentation du dossier au banquier, Credilia pro s'inscrit dans une véritable démarche de conseil et d'assistance auprès du porteur de projet" et propose "un accompagnement efficace" du "client jusqu'à sa mise en place et son début d'activité". Elle déduit de cette présentation qu'en réalité la société Financière universelle a une activité qui ne se limite pas à celle d'intermédiaire bancaire puisque sa publicité fait état d'un accompagnement du client jusqu'au début de l'activité, ce qui passe par la négociation de prêt pour l'acquisition de fonds de commerce alors qu'elle-même assiste ses clients dans la recherche de financement et le montage du dossier de financement.
Sur le solde de la facture de commission, la société CP Conseil indique que la commission litigieuse n'est pas due à M. Viney puisque le client concerné a vendu son fonds sans passer par l'intermédiaire de la société CP Conseil.
La société CP Conseil sollicite en outre la condamnation de M. Viney à lui payer une indemnité en réparation du préjudice que lui a causé la violation de l'obligation de non-concurrence stipulée au contrat ainsi qu'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
M. Viney conclut à la confirmation du jugement, sauf à substituer aux condamnations prononcées une fixation des mêmes créances au passif de la liquidation judiciaire. Subsidiairement, il fait valoir que la clause de non-concurrence après la cessation du contrat, qui n'est pas conforme aux dispositions de l'article L. 134-4 du Code de commerce, est nulle. Il réclame en outre la condamnation de la société CP Conseil à lui verser une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
SUR CE :
I - Sur les demandes de M. Viney
1 - Sur les demandes de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat
Attendu que le contrat liant la société CP Conseil à M. Viney prévoit que la mission de ce dernier consiste en la négociation, au nom et pour le compte du mandant, de transactions portant sur les fonds de commerce, sociétés, immeubles commerciaux, la recherche de mandats de vente portant sur ces biens, ainsi que, notamment "la recherche des financements, l'accomplissement de toutes les démarches administratives et commerciales nécessaires à l'aboutissement d'une vente (...), la participation à l'acte final" ;
Attendu que selon le contrat de mandat conclu avec la société Credilia, "le mandataire est habilité à présenter pour le compte du mandant ;
- des opérations en intermédiaire d'opération de banque
- des opérations d'assurance sur la vie
- des opérations sur les produits financiers et valeurs mobilières
- des opérations d'IARD (assurances sur incendies, accidents et risques divers)".
Que plus précisément, décrivant son activité à l'occasion d'un curriculum vitae figurant sur le site "viadeo.com", M. Viney précise que son activité est celle d'un "courtier en prêt (...) dont le métier est de mettre en relation une personne ou une entreprise ayant besoin de financement et une entreprise pouvant répondre à ce besoin, autrement dit les banques" ; qu'il ajoute : "Mon activité en tant qu'indépendant est concentré (sic) sur les transactions de fonds de commerce (...). De la recherche du produit jusqu'à la vente finale, en passant par les démarches administratives et juridiques, mon intervention se décline sur tout le processus d'acquisition du fonds de commerce" ; que dans un article publié par les "Tablettes lorraines" sur l'activité de la société Crédilia, M. Viney décrit son activité d'intermédiaire en financement en faisant référence à un dossier qu'il a été amené à traiter ;
Attendu qu'il apparaît ainsi que, sans que soient déterminants les codes APE sous lesquels les sociétés concernées ont été immatriculées, l'activité de M. Viney pour le compte de la société Crédilia entrait directement en concurrence avec celle qu'il exerçait pour le compte de la société CP Conseil puisque, pour le compte de ces deux sociétés, il exerçait une activité d'intermédiaire lors de transactions sur fonds de commerce et de la recherche d'un financement et assistait les clients tout au long du processus conduisant à la vente d'un fonds de commerce ; qu'il n'est pas contesté que ces activités étaient exercées sur le même secteur géographique ;
Attendu que c'est donc à juste titre que la société CP Conseil a, en application de son article 12, résilié avec effet immédiat le contrat la liant à M. Viney en raison de la faute grave commise par celui-ci pour avoir, en violation de l'article 6-5 du contrat, exercé "une activité de transaction susceptible de concurrencer celle faisant l'objet (de ce contrat)" ; que M. Viney n'est donc pas fondé à réclamer des dommages-intérêts à la société CP Conseil tant à titre d'indemnité de préavis qu'au titre de l'indemnité de rupture prévue par l'article L. 134-12, alinéa 1er, du Code de commerce ;
2 - Sur la demande en paiement d'une facture
Attendu que l'article 8 du contrat prévoit que "l'agent perçoit sur les ventes qu'il finalise dans son secteur une commission égale à :
- 37,5 % du montant hors taxes des factures de commissions facturées par le cabinet d'affaires Michel Simond lorsque le consultant aura accompli la totalité de la mission telle que définie à l'article 1b) des présentes, qu'il ait recherché le mandat de vente ou pas.
- le fait générateur de la commission est l'encaissement des honoraires par le mandant relativement aux transactions devenues définitives et ayant fait l'objet d'un acte de signature..."
Attendu que pour s'opposer à la demande de M. Viney qui sollicite le règlement du solde d'une commission, la société CP Conseil fait valoir que la facture litigieuse se rapporte à un mandat de vente exclusif au titre duquel elle a perçu non pas des honoraires ouvrant droit à commission au bénéfice de M. Viney mais une indemnité due par mandant qui avait vendu son fonds de commerce en violation de la clause d'exclusivité ; qu'elle précise avoir réglé à M. Viney, sans y être tenue, une somme de 2 050,07 euros ;
Mais attendu que M. Viney ayant droit à un pourcentage des commissions facturées par la société CP Conseil sur ses clients, ce droit lui est également ouvert lorsque celui-ci perçoit une indemnité destinée à compenser la perte de la commission causé par la violation d'une clause d'exclusivité ;
Que M. Viney détient donc sur la société CP Conseil une créance correspondant au solde encore dû, soit 2 449,93 euros ;
II - Sur la demande reconventionnelle de la société CP Conseil
Attendu que l'article 13 du contrat stipule qu' "en cas de cessation du présent contrat pour quelque cause que ce soit, le consultant s'interdit expressément d'assurer la représentation, en qualité d'agent mandataire ou à tout autre titre, d'entreprises ou de personnes ayant une activité dont l'objet est tel que défini à l'article 3 des présentes. Cette interdiction est étendue au secteur géographique sur lequel le mandant exerce son activité plus tous les départements limitrophes. Ladite interdiction est limitée à une durée de 24 mois commençant à courir à la date de cessation effective du présent contrat" ; qu'il ajoute qu'en cas de violation de cette obligation, M. Viney est "redevable envers le mandant de dommages et intérêts dont le montant est d'ores et déjà fixé, à titre de clause pénale, au montant des commissions perçues par lui au cours de ses douze derniers mois d'activité" ;
Attendu cependant que si l'article L. 134-14 du Code de commerce prévoit que le contrat d'agent commercial peut contenir une clause de non-concurrence après la cessation du contrat, il ajoute que cette clause doit être établie par écrit et concerner le secteur géographique pour lequel l'agent commercial exerce la représentation aux termes du contrat ;
Attendu que la clause du contrat étendant l'obligation de non-concurrence aux départements limitrophes au secteur géographique pour lequel M. Viney exerçait la représentation, celle-ci, qui n'est pas conforme aux dispositions de l'article L. 134-4, n'est valable que si elle prévoit une contrepartie financière au profit de l'agent commercial ; qu'en l'absence d'une telle rémunération, la clause litigieuse est donc nulle ;
Qu'il convient donc de rejeter la demande de la société CP Conseil ;
III - Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
Attendu qu'il convient de rejeter les demandes formées sur ce fondement par M. Viney et de le condamner à payer à la société CP Conseil, représentée par son mandataire liquidateur, la somme de 2 000 euros ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, Infirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a qualifié le contrat conclu entre M. Viney et la société CP Conseil de contrat d'agent commercial ; Statuant à nouveau : Fixe la créance de M. Viney sur la société CP Conseil à la somme de deux mille quatre cent quarante-neuf euros et quatre-vingt-treize centimes (2 449,93 euro) au titre du solde d'une facture ; Rejette les autres demandes de M. Viney ; Déclare nulle la clause de non-concurrence stipulée dans le contrat liant M. Viney et la société CP Conseil ; En conséquence, déboute M. Bogelmann, es qualité de mandataire liquidateur de la société CP Conseil, de sa demande d'indemnité ; Condamne M. Viney à payer à M. Bogelmann, es qualité de mandataire liquidateur de la société CP Conseil, la somme de deux mille euros (2 000 euro) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne M. Viney aux dépens de première instance et d'appel.