CA Montpellier, 1re ch. A, 13 février 2014, n° 11-08136
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Kirkpatrick
Défendeur :
Steinmetz
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Besson
Conseillers :
Mme Chiclet, M. Bertrand
Avocats :
Mes Garrigue, Vidal, Balzarini
FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Vu l'assignation délivrée le 11 août 2010 à M. Olivier Kirkpatrick, demeurant à (...) devant le Tribunal de grande instance de Montpellier, par M. Johannes Steinmetz qui sollicitait notamment :
- l'annulation de la vente par M. Kirkpatrick de son véhicule Maserati 3200 au prix de 23 000 euro conclue le 4 novembre 2009, pour avoir dissimulé que celui-ci, acquis d'occasion, avait été l'objet de deux accidents précédemment,
- la restitution du prix contre celle du véhicule,
- la condamnation de M. Kirkpatrick à lui payer une somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts et de celle de 5 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens ;
Vu la décision contradictoire en date du 13 octobre 2011, de cette juridiction qui a, notamment, au visa de l'article 1116 du Code civil :
- dit que la vente intervenue le 4 novembre 2009 entre M. Johannes Steinmetz et M. Olivier Kirkpatrick, portant sur le véhicule Maserati 3200 était nulle,
- ordonné la restitution du prix contre restitution du véhicule,
- condamné M. Olivier Kirkpatrick à payer à M. Johannes Steinmetz la somme de 3 000 euro en réparation du préjudice subi et celle de 2 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;
Vu l'appel de cette décision interjeté le 28 novembre 2011 par M. Olivier Kirkpatrick ;
Vu les dernières conclusions déposées au greffe de la cour le 2 décembre 2013, dans lesquelles M. Olivier Kirkpatrick sollicite notamment :
- l'infirmation du jugement déféré, au motif qu'il n'avait aucune connaissance de ce que le véhicule qu'il a revendu à M. Steinmetz avait été accidenté et qu'il était de bonne foi, aucune preuve de son intention dolosive n'étant rapportée, tandis que la preuve du caractère déterminant du passé du véhicule dans son achat n'est pas rapportée,
- le rejet des prétentions de M. Steinmetz,
- subsidiairement, en cas de résolution de la vente, que la restitution du prix soit limitée à la somme de 15 000 euro, déduction faite du bénéfice d'usage que M. Steinmetz a tiré de l'utilisation normale du véhicule depuis son acquisition,
- la condamnation de M. Johannes Steinmetz au paiement de la somme de 4 000 euro pour les frais de procédure prévus par l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel ;
Vu les dernières conclusions déposées au greffe de la cour le 9 février 2012, dans lesquelles M. Johannes Steinmetz demande notamment la confirmation de la décision entreprise et la condamnation de M. Olivier Kirkpatrick à lui payer une somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts, outre celle de 5 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 23 décembre 2013 ;
SUR CE :
SUR LA DEMANDE PRINCIPALE :
Attendu que selon les dispositions de l'article 1116 du Code civil, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que dans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ; qu'il est de principe à cet égard, ainsi que l'a rappelé la 3ème chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt en date du 6 novembre 1970, qu'un simple mensonge, non appuyé d'actes extérieurs, peut constituer un dol ;
Qu'en l'espèce comme l'a exactement relevé le tribunal de grande instance de Montpellier dans son jugement déféré, dont la cour adopte les motifs non contraires aux siens, en y ajoutant les siens propres :
- M. Olivier Kirkpatrick a importé d'Allemagne un véhicule Maserati 3200 GTA, (n° de série ZAMAA38B000003803) acquis d'occasion auprès d'un professionnel de la vente automobile, Automobilkontor, à Hamburg (Allemagne) le 19 août 2005, au prix de 30 500 euro,
- selon le certificat de cession de ce véhicule établi en langue allemande et signé par lui, celui-ci avait été immatriculé pour la première fois le 28 juin 2001, avait parcouru 21 160 km, ce qui était ensuite déclaré par M. Kirkpatrick lorsqu'il a rempli le certificat d'acquisition de ce véhicule importé, en France, le 3 novembre 2005, et avait été accidenté ("Unfallschaden")
- il a revendu ce véhicule à M. Johannes Steinmetz, résidant à Nuremberg en Allemagne, selon un certificat de cession rédigé en allemand, en date du 4 novembre 2009, établi à Montpellier et qu'il a signé, au prix de 23 000 euro, comme ayant parcouru 42 657 km, et comme n'ayant pas été accidenté ("keinen Unfallschaden") selon les cases 1.3 et 2.1. cochées sur cet acte,
- il n'est pas contesté que ce véhicule, avant son achat par M. Kirkpatrick avait été accidenté à deux reprises, le 10 février 2002 puis le 4 octobre 2004 ce qui avait entraîné des travaux de réparation importants, respectivement 79 990,51 euro, valeur supérieure à sa valeur de remplacement de 70 000 euro, et 23 417,93 euro,
- dans un courriel précédent la vente, envoyé le 30 octobre 2009 à M. Steinmetz, M. Kirkpatrick, négociant cette revente du véhicule, en réponse à une question précise à cet égard de son client potentiel, a déclaré :"Jamais accident (confirmé par Maserati Montpellier qui m'a présenté l'historique de la voiture lorsque je l'ai importée en France). Une seule griffure légère sur aile droite (vandalisme dans la rue) Peinture très belle, brillante, RAS",
- dans l'annonce publiée sur internet (site Auto Scout 24), pour offrir à la vente ce véhicule, M. Kirkpatrick avait aussi indiqué qu'il y avait eu avant lui un seul propriétaire précédent, alors qu'il n'est pas contesté que ce véhicule avait eu trois autres propriétaires avant lui ;
Qu'ainsi M. Kirkpatrick, de nationalité belge et prétendant ne pas connaître la langue allemande malgré ces deux transactions effectuées en allemand avec des ressortissants allemands, a menti à M. Steinmetz quant à l'historique de ce véhicule de prestige et de sport, ce qui a déterminé la décision de ce dernier de l'acheter, même s'il n'est pas établi que les accidents importants qu'il avait subis avaient encore des conséquences sur sa conduite ;
Qu'en effet ce type de véhicule, produit en petite série et aux performances élevées, après une décote importante de sa valeur les premières années, a vocation à devenir, par sa rareté et s'il bénéficie d'un excellent état d'origine, donc sans réparations importantes ultérieures, un véhicule de collection gardant une certaine valeur, ce qui est une condition déterminante de son achat d'occasion au bout de 8 ans, comme en l'espèce ;
Que c'est d'ailleurs l'argument qu'a utilisé M. Kirkpatrick dans son courriel du 30 octobre 2009 pour décider M. Steinmetz à acquérir son véhicule, en arguant d'un historique du véhicule sans accident, confirmé selon lui par Maserati Montpellier lorsqu'il avait lui-même acquis ce véhicule en 2005 ;
Que non seulement cette assertion est en contradiction avec la mention d'un accident antérieur figurant clairement sur le certificat de cession du 19 août 2005, qu'il avait pourtant eu tout le loisir de faire traduire en français depuis 4 ans qu'il possédait ce véhicule et le document, mais surtout M. Kirkpatrick a toujours été incapable de justifier de la soi-disant confirmation par le garage Maserati Montpellier, ayant accès aux données de ce constructeur pour chacun de ses véhicules, de l'historique sans accident de celui-ci, et pour cause ;
Qu'il indique s'être rendu avec M. Steinmetz dans le garage Prestige Auto, concessionnaire de la marque Maserati à Montpellier, pour faire établir un devis de remplacement du filtre à huile le 4 novembre 2009, ce qui n'est pas contesté ; mais qu'il convient de relever qu'il a alors omis de solliciter de ce garagiste l'historique du véhicule, prétendument établi pour lui en 2005 par ce professionnel, qu'il aurait pu ainsi remettre à son acheteur ; que depuis lors, nonobstant la procédure judiciaire en cours, M. Kirkpatrick ne justifie pas avoir sollicité la délivrance d'une attestation de ce garagiste quant à l'historique du véhicule qui lui aurait été communiquée en 2005 ;
Que contrairement aussi à ce qu'il soutient, la photocopie tronquée d'une facture atelier du garage Prestige Automobile, d'un montant de 262,7 euro, datée du 10 novembre 2005, concernant un contrôle et la mise en place d'une demande de dossier de conformité, n'établit nullement que le concessionnaire a recherché l'historique de ce véhicule mais seulement qu'il a vérifié sa conformité aux caractéristiques techniques du constructeur ; qu'au demeurant, si tel avait été le cas, M. Kirkpatrick se serait vu délivrer une attestation de l'historique par le concessionnaire, ou éventuellement plus tard, un duplicata, qu'il aurait pu produire dans cette instance, ce qui n'est pas le cas ;
Qu'il importe peu qu'un ami de M. Kirkpatrick, dont l'identité n'est pas connue, et qui l'avait accompagné en Allemagne lors de son achat initial, ait indiqué par courriel le 31 décembre 2009 qu'il se souvenait que le vendeur allemand lui avait assuré que le véhicule n'avait pas été accidenté, alors que le certificat de cession portait la mention contraire et que cet ami, germanophone pour comprendre les explications du vendeur, pouvait donc aussi le lui traduire, si nécessaire ;
Que le fait mentionné dans l'annonce, également erroné, que le véhicule n'avait eu qu'un seul propriétaire avant M. Kirkpatrick, s'il n'était pas déterminant en lui-même quant à la conclusion de cette vente, a participé à vicier le consentement de M. Steinmetz, car cela accréditait encore l'affirmation de l'absence d'accident antérieur et d'un historique limpide du véhicule l'attestant ; que M. Kirkpatrick prétend désormais qu'il ignorait combien de propriétaires antérieurs avaient possédé son véhicule, ce qui n'enlève rien au caractère mensonger, fut-ce par ignorance, de cette affirmation présentée à l'acquéreur potentiel ;
Que ce caractère déterminant pour l'acheteur de cette information est confirmé par la demande de résolution de la vente intervenue peu de temps après celle-ci, le 30 décembre 2009, soit moins d'un mois et trois semaines, dès que M. Steinmetz a obtenu les informations en Allemagne sur le passé de son véhicule ;
Que M. Kirkpatrick prétend désormais qu'il aurait transmis à M. Steinmetz, 8 jours avant la vente, "l'ensemble des documents du véhicule" et que ce dernier a donc eu connaissance de la mention Unfallschaden ; mais attendu que cette assertion, contestée par M. Steinmetz qui déclare n'avoir eu communication de ce document qu'après la vente, n'est corroborée par aucune justification quant au document du 19 août 2005 en particulier, alors même qu'il n'est pas nécessaire, pour procéder à la vente d'un véhicule d'occasion, de fournir le certificat de cession d'un précédent vendeur, mais seulement les documents d'immatriculation et d'importation en France du véhicule revendu ;
Que M. Kirkpatrick a donc sciemment menti à M. Steinmetz sur une caractéristique de ce véhicule qui était déterminante pour son achat et qu'il convient donc, confirmant le jugement déféré, de prononcer l'annulation pour dol de la vente intervenue le 4 novembre 2009, depuis l'origine, et d'ordonner en conséquence la restitution du prix de 23 000 euro payé par M. Steinmetz, contre la restitution du véhicule à M. Kirkpatrick ;
Attendu que c'est à tort aussi qu'à titre subsidiaire M. Kirkpatrick sollicite la réduction du prix de vente qu'il doit restituer à M. Steinmetz à la somme de 15 000 euro, arguant du bénéfice retiré par ce dernier de l'usage qu'il a eu de ce véhicule depuis la vente du 4 novembre 2009, et de l'amortissement dû à l'usure en ayant résulté, alors que ce dernier n'a pas communiqué les carnets et factures d'entretien traduites, qu'il l'avait sommé de communiquer, afin de déterminer l'état actuel du véhicule ;
Qu'en effet l'annulation d'un contrat de vente a pour effet de remettre les parties dans l'état antérieur à la vente dans lequel elles se trouvaient, d'une part et, d'autre part il est de principe que la restitution du prix de vente auquel un contractant est condamné ne constitue pas par elle-même un préjudice indemnisable, pas plus que le contractant qui obtient l'annulation pour dol dont il a été victime d'une vente, n'est redevable d'une indemnité quelconque pour l'utilisation qu'il a pu faire du bien jusqu'à l'annulation rétroactive ;
Que si toutefois l'acheteur qui a provoqué par son usage du bien une dépréciation qui n'est pas liée à la seule vétusté écoulée, il incombe au vendeur de rapporter la preuve de celle-ci, laquelle ne résulte pas comme argué par M. Kirkpatrick de la seule évolution à la baisse de la cote de ce véhicule, liée à l'écoulement du temps et à son kilométrage moyen supposé accompli pendant cette période ;
Que la cour ne retiendra pas comme probant le manquement allégué dans ses dernières écritures du 2 décembre 2013 par M. Kirkpatrick à l'égard de M. Steinmetz à qui il reproche de n'avoir pas déféré à une sommation délivrée par son avocat de communiquer copie du carnet d'entretien et des factures d'entretien traduites, à l'appui de sa demande subsidiaire de réduction du prix à restituer, en fonction de l'état actuel du véhicule ;
Qu'en effet cette sommation de communiquer est produite en copie avec le bordereau de pièces annexé à ces conclusions (pièce n° 11), mais ne porte aucune date de sa transmission à l'avocat de M. Steinmetz ; qu'elle n'a été transmise au greffe de la cour que le 18 décembre 2013 par le Réseau Privé Virtuel Avocat ;
Qu'en l'état il n'est donc justifié de sa transmission à l'avocat de ce dernier qu'à la date du 2 décembre 2013, au plus tôt, à l'appui d'une demande subsidiaire présentée également pour la première fois dans ces nouvelles conclusions prises 21 jours seulement avant l'ordonnance de clôture, dans une procédure d'appel pourtant en cours depuis plus de deux ans ;
Que d'une part ce procédé s'avère déloyal de la part de M. Kirkpatrick, qui était à même d'invoquer ce moyen et de solliciter ces documents depuis le début de la procédure d'appel, ce qu'il n'a pas fait, afin manifestement de chercher à en tirer indûment un avantage procédural ; que, d'autre part, s'agissant d'un adversaire intimé résidant en Allemagne, à qui il était demandé, par l'intermédiaire de son avocat français, avec un délai de seulement trois semaines, de produire des carnets d'entretien et des factures d'entretien du véhicule traduites, nécessairement par un traducteur agréé de l'allemand en français, et de les communiquer ensuite par son avocat français à l'avocat adverse, ainsi qu'à la cour par voie électronique, la demande tardive ne permettait manifestement pas à M. Steinmetz d'y déférer avant le prononcé de l'ordonnance de clôture ;
Qu'il sera aussi relevé en l'espèce que l'écoulement du temps depuis la vente du 4 novembre 2009, argué par l'appelant, a été provoqué par le refus de M. Kirkpatrick de restituer le prix de vente contre la restitution immédiate du véhicule qui était réclamée et offerte dès le 30 décembre 2009, à effet au 24 janvier 2010, par M. Steinmetz, avant tout usage important de ce véhicule, hormis son retour initial de Montpellier en Allemagne ;
Que rien dans les pièces produites ne permet de retenir que M. Steinmetz a provoqué une dépréciation particulière du véhicule devant être restitué à M. Kirkpatrick;
SUR LES DOMMAGES ET INTÉRÊTS :
Attendu qu'en trompant sciemment M. Steinmetz sur les qualités du véhicule vendu le 4 novembre 2009, M. Kirkpatrick est à l'origine de l'annulation pour dol de la vente et doit réparation des préjudices accessoires causés par celle-ci, liés notamment à la privation par ce dernier de la possibilité de conserver ce véhicule qu'il avait été chercher loin de chez lui, à ses frais, puis mener une longue procédure judiciaire à l'étranger ;
Que le tribunal de grande instance de Montpellier dans son jugement déféré a exactement évalué le préjudice subi par M. Steinmetz à la somme de 3 000 euro que devra lui payer à titre de dommages et intérêts, par application de l'article 1382 du Code civil, M. Olivier Kirkpatrick ;
SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE ET LES DÉPENS :
Attendu qu'il y a lieu d'allouer à M. Johannes Steinmetz la somme supplémentaire de 2 500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, que devra lui payer M. Olivier Kirkpatrick, condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel, en sus de celle de 2 000 euro déjà allouée pour les frais irrépétibles de la procédure de première instance par le jugement déféré, confirmé également de ces chefs ;
Attendu qu'il n'est pas inéquitable en l'espèce de laisser à la charge de M. Olivier Kirkpatrick les frais de procédure qui ne sont pas compris dans les dépens ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant, publiquement, par arrêt contradictoire, et en dernier ressort, Vu les articles 6 et 9 du Code de procédure civile, Vu les articles 1109, 1116, 1315 et 1382 du Code civil, Reçoit l'appel en la forme, Confirme le jugement du Tribunal de grande instance de Montpellier prononcé le 13 octobre 2011, en toutes ses dispositions, Condamne M. Olivier Kirkpatrick aux dépens d'appel et à payer à M. Johannes Steinmetz la somme supplémentaire de 2 500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes des parties.