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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 8 janvier 2014, n° 12-01306

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Etam Prêt à Porter (Sté)

Défendeur :

Top Mod'Elle (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes Henry, de Roux, Herman, Rivollier

T. com. Paris, 13e ch., du 19 déc. 2011

19 décembre 2011

Vu le jugement du 19 décembre 2011, par lequel le Tribunal de commerce de Paris a, sous le régime de l'exécution provisoire, condamné la société Top Mod'Elle à payer à la société Etam Prêt à Porter la somme de 73 769,51 euros au titre des préjudices subis, ainsi que celle de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et débouté la société Top Mod'Elle de sa demande reconventionnelle ;

Vu l'appel interjeté le 23 janvier 2012 par la société Etam Prêt à Porter et ses conclusions du 24 août 2012, dans lesquelles elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris sur le quantum de l'indemnisation qui lui a été octroyée et statuant à nouveau, condamner la société Top Mod'Elle à lui payer la somme de 470 549,05 euros ainsi que celle de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions du 25 juin 2012 de la société Top Mod'Elle, dans lesquelles elle demande à la cour de débouter la société Etam Prêt à Porter de ses demandes, d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la société Etam Prêt à Porter à lui payer la somme de 70 891,70 euros, majorée des intérêts au taux du triple de l'intérêt légal à compter du 10 octobre 2008, ainsi que celle de 25 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

SUR CE,

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :

La société Etam Prêt à Porter, société de vente au détail de prêt-à-porter, a acheté, au cours de l'été 2008 à la société Top Mod'Elle, ayant pour activité le commerce import-export de chaussures et accessoires de mode, deux modèles de sa collection hiver 2008/2009, la botte "Anne-Sophie" et la chaussure "Marie". La société Etam Prêt à Porter a ainsi commandé 6 440 paires pour un montant de 59 560 euros.

Ces deux modèles ont été mis en vente en octobre 2008 et quelques semaines plus tard, la société Etam Prêt à Porter a été informée que des allergies graves avaient été provoquées par le port de ces chaussures, en raison de leur imprégnation d'une substance antifongique hautement irritante, le dimethyl fumarate, produit antifongique.

La société Etam Prêt à Porter a retiré immédiatement de la vente tous les produits litigieux, a mis en place une communication auprès de ses clientes afin que les paires soient ramenées dans les magasins, a déclaré le risque à la DGCCRF et a fait réaliser des tests sur les produits incriminés.

Par acte du 28 novembre 2008, la société Etam Prêt à Porter a fait assigner la société Top Mod'Elle devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de voir constater l'existence d'un vice caché et condamner cette société à l'indemniser de son préjudice matériel résultant du retrait des modèles en cause, mais aussi d'image. Le tribunal a jugé la société Top Mod'Elle tenue de garantir les vices cachés des produits vendus par elle, écartant l'excuse d'ignorance de cette société, qui soutenait avoir elle-même acheté les produits déjà affectés de vices, la qualité d'acheteur professionnel de la société Etam Prêt à Porter, et l'argument de vente sur échantillon, présentés par la société Top Mod'Elle. Il l'a condamnée à lui payer la somme globale de 73 769,51 euros, décomposée comme suit : 9 207,51 euros pour les frais d'emballage et de transport pour acheminer les chaussures contaminées, 6 825 euros pour les frais de communication, 17 737 euros résultant de l'augmentation de sa prime d'assurance postérieure aux faits, et celle de 40 000 euros pour préjudice moral.

Sur la responsabilité de la société Top Mod'Elle

Considérant qu'en vertu de l'article 1641 du Code civile, "Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus" ;

Considérant qu'il est constant et non contesté par les parties que les chaussures et bottes vendues par la société Top Mod'Elle à la société Etam Prêt à Porter se sont révélées impropres à leur usage, un certain nombre de clientes ayant souffert de brûlures à la suite de leur utilisation ; que les chaussures et bottes en cause se sont révélées contaminées dans leur boîte d'emballage par la présence, en leur sein, de sachets "anti moisture" contenant une quantité anormalement concentrée de diméthylfumarate, substance antifongique ;

Considérant que la société Top Mod'Elle prétend ne pas être tenue à la garantie de ces vices cachés, le vice étant indécelable pour elle, l'acheteur la société Etam Prêt à Porter étant un professionnel, le vice n'étant pas caché pour l'acheteur, et la vente sur échantillon accepté par la société Top Mod'Elle la privant de toute possibilité d'action sur ce fondement ;

Mais considérant, sur le premier point, qu'en vertu de l'article 1643 du Code civil, "(Le vendeur) est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie" ;

Considérant, sur le deuxième point, que la qualité de professionnel de l'acheteur n'exonère pas en soi le vendeur de l'obligation de garantir les vices cachés de la chose vendue ; que le vendeur doit démontrer que cette qualité de professionnel aurait dû lui permettre de déceler le vice caché ; que la société Etam Prêt à Porter est une société qui vend surtout des vêtements, les chaussures ne représentant que 2 % de son chiffre d'affaires ;

Considérant, sur le troisième point, que selon les dispositions de l'article 1642 du Code civil, "Le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même" ; qu'il n'est pas démontré, en l'espèce, que la société Etam Prêt à Porter aurait pu se convaincre elle-même de la contamination des articles litigieux ; qu'en effet, à supposer même que les échantillons transmis par la société Top Mod'Elle aient été adressés sous forme de boîte contenant un sachet de diméthylfumarate, ce qui n'est pas démontré par la société Top Mod'Elle, ce sachet ne portait aucune mention indiquant son contenu, à part la mention "anti moisture" ; que la société Etam Prêt à Porter n'avait donc aucune raison d'être alertée par cette présence ; qu'au moment des faits, le diméthylfumarate n'était pas encore interdit, ni en droit national, ni en droit communautaire ; que ni l'imprégnation possible des semelles et de l'intérieur des chaussures et bottes litigieuses par ce produit hautement toxique, ni la réaction allergique des consommateurs n'étaient encore établies ; qu'aucune opération élémentaire n'aurait pu permettre à la société acheteuse de se convaincre de cette toxicité, à part la réalisation de tests en laboratoires, totalement hors de proportion avec les contrôles de qualité d'usage et ces tests n'établissant pas au surplus la dangerosité systématique de la substance, à laquelle tous les consommateurs ne sont pas allergiques ; qu'au moment de la vente, le vice était donc indécelable ;

Considérant, enfin, que l'acceptation des échantillons par la société Etam Prêt à Porter ne peut la priver de son action en garantie de vice caché, cette action n'étant pas une action pour défaut de conformité des objets livrés à cet échantillon ; que le défaut n'était pas décelable sur l'échantillon mais est apparu plus tard et le vendeur reste tenu de garantir les vices cachés ;

Considérant qu'il n'est pas besoin de se prononcer sur l'obligation de sécurité et d'information pesant sur le vendeur, puisque la société Etam Prêt à Porter n'en tire aucune conséquence spécifique en terme de demandes d'indemnisation, qu'elle évalue dans tous les cas à l'entier préjudice ;

Considérant que, responsable de la garantie des vices cachés, la société Top Mod'Elle, professionnel, est tenue à indemniser la société Etam Prêt à Porter de l'intégralité de son préjudice, conformément à l'article 1645 du Code civil ;

Sur le préjudice

Considérant que la société Top Mod'Elle soutient que les dommages-intérêts demandés par la société Etam Prêt à Porter ne sont pas justifiés et, en toute hypothèse, ne lui sont pas entièrement imputables, la société Etam Prêt à Porter ayant rappelé, simultanément avec les articles de Top Mod'Elle, des chaussures achetées auprès d'autres fournisseurs, pour le même motif de contamination par le diméthylfumarate ;

Considérant qu'au sein des factures afférentes aux frais de transport et d'emballage des sociétés Atvyl et Tatex, l'indication manuscrite, à côté de la mention de chaque colis, permet d'évaluer le coût de la marchandise litigieuse à la somme de 9 207,51 euros ;

Considérant qu'au vu du retrait d'autres paires de chaussures pour des motifs similaires, les frais de communication de crise de 6 825 euros sont entièrement imputables à la société Top Mod'Elle ; qu'en revanche, l'augmentation de la prime d'assurance de la société Etam Prêt à Porter, de 17 737 euros, est la conséquence des autres sinistres qu'a connus la société Top Mod'Elle pour le même motif et s'est accompagnée de la souscription d'une garantie supplémentaire ; que compte tenu de ces éléments, la cour réduira l'indemnisation de ce préjudice à 9 000 euros ;

Considérant, s'agissant de la mobilisation du personnel de la société pour faire face au sinistre, que son coût ne peut être équivalent au coût horaire de la main d'œuvre multiplié par le nombre d'heures consacrées à cette mission ; qu'en effet, les charges de personnel font partie des coûts fixes de l'entreprise ; que seuls les coûts incrémentaux afférents à cette mission doivent être pris en compte ; que la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer ces coûts à la somme de 10 000 euros ;

Considérant que, s'agissant de l'indemnisation du préjudice moral, les premiers juges ont justement évalué à 40 000 euros la somme à verser à la société Etam Prêt à Porter ; qu'en effet, si le retrait des articles et la publicité donnée à la contamination des chaussures a nécessairement porté atteinte à l'image de la société Etam Prêt à Porter, ce préjudice doit être évalué en prenant en compte l'image de la société Etam Prêt à Porter et la large diffusion dans les medias de sa réaction instantanée au sinistre, élément favorable pour sa réputation ; que la société Etam Prêt à Porter ne verse aux débats aucun élément de nature à permettre une majoration du quantum alloué par les premiers juges ;

Considérant, en définitive, qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris, sauf sur le quantum alloué à la société Etam Prêt à Porter, pour son préjudice matériel, qui sera évalué à 35 032,51 euros, au lieu de 33 769,51 euros ;

Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la société Etam Prêt à Porter les frais irrépétibles engagés par elle durant l'instance ;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris, sauf sur l'évaluation du préjudice matériel de la société Etam Prêt à Porter, L'infirme sur ce point, et, statuant à nouveau, Condamne la société Top Mod'Elle à payer à la société Etam Prêt à Porter la somme de 35 032,51 euros, Condamne la société Top Mod'Elle aux dépens de l'instance d'appel, qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.