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Décisions

CA Angers, ch. com., 11 décembre 2012, n° 11-01881

ANGERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pronuptia Professional Europe (SARL), Guillaume Lemercier (Selarl) (ès qual.), Segard Carboni (Selarl) (ès qual.)

Défendeur :

Dupli'Print (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rauline

Conseillers :

Mmes Van Gampelaere, Monge

Avocats :

SCP Chatteleyn, George, SCP Gontier-Langlois, Mes Curral, Gaillot d'Hautuille

T. com. Laval du 22 juin 2011

22 juin 2011

EXPOSE DU LITIGE

La société Galactic Wedding Network Europe, ci-après dénommée GWNE, est une filiale du groupe Pronuptia qui gère un réseau de distribution de robes de mariage et d'accessoires. Elle a une activité de centrale d'achat pour le compte des sociétés du groupe et propose diverses prestations parmi lesquelles les photographies du mariage.

Par un contrat-cadre du 23 mars 2009, la société GWNE a confié à la société Dupli'Print, qui a pour activité la reprographie, la création, la photocomposition et l'impression, la réalisation des albums photos. Il était spécifié dans l'annexe qu'ils seraient revêtus d'une couverture de type "Unibind Photobook A4 blanc perlé".

Des difficultés sont apparues rapidement, liées à des traces de colle sur les albums et au fait que les pages se détachaient. En septembre 2009, la société Unibind a changé la machine utilisée pour l'assemblage des couvertures mais les plaintes ont perduré.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 28 octobre 2009, la société GWNE, invoquant l'inexécution de ses obligations contractuelles par la société Dupli'Print, a subordonné la poursuite des relations à la livraison dans les délais de produits exempts de malfaçons, au paiement d'une somme de 553 794,40 euro en réparation de ses préjudices et à l'établissement d'avoirs pour les factures émises en 2009.

Le 4 novembre suivant, la société Dupli'Print a réfuté les manquements allégués et notifié à la société GWNE qu'elle refuserait toute commande aussi longtemps que les difficultés auxquelles elle était confrontée ne seraient pas résolues.

Par acte d'huissier en date du 8 décembre 2009, la société GWNE a fait assigner la société Dupli'Print devant le président du Tribunal de commerce de Laval statuant en référé pour obtenir que la défenderesse soit condamnée sous astreinte à lui livrer les commandes en retard exemptes de vices et de non-conformités et à lui payer diverses sommes en réparation de ses préjudices.

Le juge des référés s'est déclaré incompétent en raison d'une contestation sérieuse par une ordonnance du 25 janvier 2010.

Auparavant, par acte du 14 janvier 2010 , la société Dupli'Print avait fait assigner la société GWNE devant le Tribunal de commerce de Laval aux fins de voir prononcer la nullité du contrat pour dol et réclamer des dommages-intérêts à hauteur de 123 620 euro.

La société GWNE a conclu au débouté et réitéré les demandes reconventionnelles indemnitaires présentées devant le juge des référés.

Par un jugement du 22 juin 2011, le tribunal a dit que le consentement de la société Dupli'Print avait été vicié par une réticence dolosive imputable à la société GWNE, prononcé la nullité du contrat et condamné la société GWNE à lui payer la somme de 64167 euro à titre de dommages-intérêts, celle de 2 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens, débouté les parties du surplus de leurs demandes et dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

La société GWNE a interjeté appel de cette décision le 21 juillet 2011. La société Dupli'Print a relevé appel incident.

La société Pronuptia Professional Europe, nouvelle dénomination de la société GWNE, a été placée en redressement judiciaire par un jugement du 3 juillet 2012. La société Dupli'Print a déclaré une créance de 135 620 euro. Les mandataires judiciaires sont intervenus volontairement à l'instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 octobre 2012.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions en date du 20 mars 2012, la société GWNE demande à la cour, au visa des articles 1134, 1147, 1150, 1184, 1227, 1582, 1604 et 1615 du Code civil , L. 442-6 I 5° du Code de commerce et 561 du Code de procédure civile, d'infirmer le jugement et de :

- condamner la société Dupli'Print à lui payer 25 000 euro en réparation de son préjudice au titre des sommes versées ou des avoirs consentis aux clients du concept Espace Photo, 45 796,45 euro HT en vertu de l'article 8-2 du contrat du 23 mars 2009 au titre de la compensation financière en cas de livraison de produits défectueux, 505 058 euro HT en vertu de l'article 5 A 2 du contrat au titre des pénalités de retard, 84 000 euro HT au titre du manque à gagner suite à l'atteinte portée à son image et l'image du concept Espace Photo,

- dire que les intérêts au taux légal courront à compter de l'assignation et ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code civil,

- dire que les créances détenues par la société Dupli'Print relatives aux factures des 31 mai, 30 juin, 31 juillet, 31 août et 30 septembre 2009 pour un montant total de 29 587,84 euro HT viendront en déduction de ces sommes en vertu de la compensation,

- ordonner la résiliation du contrat du 23 mars 2009 pour manquements de la société Dupli'Print à ses obligations contractuelles et dire qu'elle ne peut donc prétendre à aucune indemnisation suite à l'arrêt des commandes,

- fixer le préavis devant être observé par la société Dupli'Print pour mettre fin aux relations contractuelles à cinq mois et ordonner à la société Dupli'Print de verser 45 749,16 euro à titre de dommages-intérêts représentant la perte de marge brute en fonction de la durée du préavis non respectée par elle,

- en toute hypothèse, condamner la société Dupli'Print à lui payer 7 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.

Dans leurs dernières conclusions en date du 14 septembre 2012, la Selarl Guillaume Lemercier prise en qualité de mandataire judiciaire et la Selarl Segard-Carboni, prise en qualité d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la société Pronuptia Professional Europe anciennement dénommée GWNE, demandent à la cour de leur décerner acte de leur intervention volontaire et de ce qu'ils donnent pleine et entière adjonction aux écritures notifiées par la société GWNE nouvellement dénommée Pronuptia Professional Europe, de déclarer irrecevables toutes les prétentions de la société Dupli'Print à condamnation au paiement de sommes d'argent et de la condamner aux dépens.

Dans ses dernières conclusions en date du 2 octobre 2012, la société Dupli'Print demande à la cour de :

- se déclarer incompétente sur la demande de dommages-intérêts en application de l'article L. 442-6 du Code de commerce,

- confirmer le jugement déféré, sauf sur le montant des dommages-intérêts,

- fixer sa créance de dommages-intérêts au passif du redressement judiciaire de la société Pronuptia Professional Europe à la somme de 135 640 euro,

- à titre subsidiaire, si la cour ne prononçait pas la nullité du contrat, dire que la société Pronuptia Professional Europe n'a pas exécuté le contrat de bonne foi et débouter l'appelante de toutes ses demandes,

- dire qu'en tout état de cause, aucun manquement ou inexécution contractuelle ne lui est imputable,

- dire qu'en présence d'une cause étrangère, elle est exonérée de toute responsabilité,

- plus subsidiairement, dire que le préjudice allégué n'est fondé ni dans son principe, ni dans son quantum,

- encore plus subsidiairement, dire que les clauses contractuelles sur lesquelles sont fondées les demandes indemnitaires constituent des clauses pénales manifestement excessives,

- débouter la société Pronuptia Professional Europe représentée par les sociétés Guillaume Lemercier et Segard-Carboni de toutes leurs demandes,

- en tout état de cause, condamner la société Guillaume Lemercier et la société Segard-Carboni ès qualités à lui payer 12 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens d'appel.

MOTIFS

1°) Sur le dol

Pour prononcer la nullité du contrat, le tribunal a relevé que la cause principale des désordres affectant les albums photos provenait de l'utilisation de la couverture Unibind Photobook blanc perlé imposée par la société Pronuptia Professional Europe, que cette dernière n'avait pas informé la société Dupli'Print des problèmes rencontrés avec le précédent prestataire, la société Sprintoo, qu'au lieu de l'en avertir, elle a introduit dans le contrat des clauses sanctionnant sévèrement l'inexécution du contrat et les retards de livraison, que ces éléments caractérisent une réticence dolosive de la part de la société Pronuptia Professional Europe ayant vicié le consentement de la société Dupli'Print.

L'appelante conteste le dol en soutenant qu'elle ignorait l'existence d'un défaut lié à la couverture blanc perlé lors des négociations avec l'intimée, que le contrat avec la société Sprintoo a été rompu d'un commun accord car elle ne pouvait pas faire face au volume des commandes, et que c'était à la société Dupli'Print, professionnelle de l'impression, de s'informer sur l'état et la pratique et de réaliser des tests pour s'assurer de la faisabilité du travail qui lui est confié.

La société Dupli'Print fait valoir qu'elle utilisait régulièrement le procédé Unibind, qui consiste à utiliser une couverture fournie par ce fabricant préencollée dans le dos, mais avec un revêtement lin ou cuir, qu'elle n'avait aucune raison de supposer que celui en balacron, qu'elle n'avait jamais utilisé auparavant, poserait des difficultés et qu'elle avait testé uniquement la qualité papier des pages de l'album.

Les dénégations de l'appelante quant à l'existence d'un problème inhérent à cette couverture et au fait qu'elle en avait connaissance lorsqu'elle a signé le contrat du 23 mars 2009 sont contredites par plusieurs pièces du dossier.

Si la société appelante produit en pièce 80 des courriels retraçant ses échanges avec les Points Mariage et faisant apparaître d'autres problèmes (essentiellement des retards de livraison), il reste que, dans un courriel du 25 septembre 2008, son responsable des ventes écrivait à la société Unibind, avec copie à la société Sprintoo, que "les pages ne tiennent pas avec vos couvertures, nous livrons à nos clients les livres et ils reviennent au bout de deux jours car les feuilles se détachent, nos magasins sont énervés par le fait d'avoir à gérer tous ces litiges, nous avons 140 litiges clients et la situation est inacceptable (...) il est urgent que vous trouviez une solution".

L'antériorité des difficultés par rapport aux pourparlers résulte encore de l'attestation du gérant de la société Sprintoo, Monsieur Hoofd, datée du 12 janvier 2011 qui déclare que le procédé Unibind est très répandu et très simple à mettre en œuvre, que sa société a rencontré d'importantes difficultés lors de son utilisation avec la couverture "Pearl White" dont le revêtement est très fin, la colle ne tenant pas et les pages se détachant, qu'elles ont donné lieu à des plaintes des Points Mariage, qu'aucune solution n'a pu être trouvée avec le fabricant, que sa société a proposé d'autres couvertures qui ont été refusées par les magasins du réseau et que la société GWNE a finalement rompu le contrat en lui imputant la responsabilité des désordres et en refusant de régler ses factures, occasionnant à sa société une perte importante.

La société Pronuptia Professional Europe ne peut davantage nier que le même problème est survenu avec la société intimée au regard des pièces communiquées, à savoir les plaintes des Points Mariage faisant état de ce que les pages se détachent très rapidement en mai, septembre et octobre 2009, la lettre recommandée avec accusé de réception que la société Dupli'Print lui a envoyée le 27 juillet 2009 pour se plaindre que "les feuilles se détachent des couvertures, les albums ont des traces de colle", et le listing des malfaçons édité par l'appelante le 21 novembre 2009.

Enfin, cette dernière affirme sans le démontrer que le troisième prestataire aurait imprimé avec succès des albums photos avec la couverture blanc perlé. Comme le relève le tribunal, l'attestation de son gérant du 8 juin 2010 ne présente aucun intérêt puisqu'il se borne à déclarer qu'il utilise le procédé Unibind sans difficulté, ce qui n'est pas l'objet du litige. Il ressort, au contraire, des constats de maître Bonjean-Lepère, huissier de justice à Argenteuil (95), en date du 22 juin 2010 dans les Points Mariage d'Herblay et de Brice sous Forêt que les couvertures des albums photos ne sont plus les mêmes.

Pour que le silence soit constitutif d'une réticence dolosive, il faut que la victime rapporte la preuve de l'intention de l'auteur de provoquer une erreur sur un élément déterminant de son consentement.

Il est de principe que le professionnel chargé de l'impression d'albums photos est tenu à une obligation de résultat envers le client profane et a le devoir de se renseigner sur les matériaux mis en œuvre et que ce dernier peut changer de fournisseur sans avoir à faire état des difficultés qu'il a rencontré avec le précédent.

Toutefois, dans le cas d'espèce, il a été vu précédemment que l'appelante a eu personnellement un contact avec le fabricant pour le mettre en demeure d'apporter une solution au problème des pages qui se décollent, en vain. Elle avait donc une connaissance du revêtement qu'elle exigeait et était informée de l'existence d'un problème technique, ce qui l'empêche de revendiquer la qualité de profane. Elle ne pouvait dans ces conditions imputer la responsabilité de l'échec à la société Sprintoo.

Par ailleurs, il résulte du dossier que l'appelante s'est rapprochée de l'intimée en lui disant : "Ma volonté de changer de prestataire est liée au fait que je suis à la recherche de fiabilité dans notre schéma de fonctionnement en terme de service : délais de livraison (volume important sur 4 mois) et de qualité (imprimeur avec l'expérience des livres albums)" (cf. le courriel du 18 novembre 2008). Ces termes n'étaient pas de nature à alerter l'intimée sur d'éventuelles difficultés de faisabilité de la commande et cette dernière soutient justement qu'elle n'avait pas à tester un produit censé l'avoir été par le fabricant avant sa mise sur le marché.

Il est évident que si elle avait été informée loyalement de l'incapacité de cette dernière à réaliser de manière satisfaisante les albums avec la couverture blanc perlé, la société Dupli'Print, dont l'appelante vante la notoriété et l'expérience et qui n'avait pas le choix de la couverture, aurait d'abord pris les contacts utiles auprès de la société Sprintoo et de la société Unibind pour s'informer de la cause des difficultés et procéder à ses propres essais pour s'assurer qu'elle était en mesure d'exécuter la commande. A tout le moins, elle aurait contracté à d'autres conditions.

C'est bien pour obtenir l'acceptation du contrat par l'intimée que l'appelante lui a dissimulé l'échec avec le précédent prestataire. En agissant ainsi, elle a introduit dans la relation contractuelle un aléa alors que la contrepartie de l'obligation de résultat, qui a pour corollaire une présomption de responsabilité, est précisément l'absence d'aléa. De surcroît, elle a mis à profit la surface financière de l'intimée pour insérer dans le contrat des clauses d'un montant exorbitant si l'aléa advenait tandis que cette dernière ne pouvait s'exonérer de sa responsabilité, la cause étrangère étant par nature extérieure à celui qui l'invoque.

C'est à bon droit, en conséquence, que le tribunal a jugé que les conditions du dol étaient réunies. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat et rejeté les demandes reconventionnelles de la société Pronuptia Professional Europe.

2°) Sur la réparation du préjudice de la société Dupli'Print

Le premier juge a fixé à 64 167 euro l'indemnité due à la société Dupli'Print représentant le montant des factures impayées (39 167 euro) et 65 % de cette somme pour la réimpression des albums.

L'intimée, qui justifie avoir déclaré sa créance, forme un appel incident sur le montant des dommages-intérêts qu'elle estime insuffisants pour réparer l'intégralité de ses préjudices. Elle expose qu'elle a exécuté les commandes sans être payées, que les réimpressions, parfois plusieurs fois de suite, et les livraisons ont entraîné un surcoût de fabrication et une désorganisation de ses ateliers au détriment d'autres clients, et qu'elle a été contrainte de consacrer une personne à temps complet pendant trois mois pour essayer de trouver une solution aux défectuosités récurrentes.

L'ampleur des désordres est attestée par de nombreuses pièces du dossier de même que les démarches effectuées par l'intimée en lien avec le fabricant pour tenter d'y remédier. Il est exact que l'évaluation du premier juge n'en tient pas suffisamment compte. Cette indemnité sera donc portée à la somme de 80 000 euro, laquelle sera fixée au passif du redressement judiciaire de société Pronuptia Professional Europe, le jugement étant dès lors infirmé.

3°) Sur les autres demandes

Compte tenu de la procédure collective ouverte à l'égard de l'appelante, les dispositions du jugement relatives aux frais répétibles et irrépétibles seront infirmées et une fixation au passif ordonnée.

L'appelante qui succombe en ses prétentions sera condamnée aux dépens d'appel. Il convient d'allouer à l'intimée une indemnité complémentaire de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement : Confirme le jugement déféré, sauf sur en ce qu'il a condamné la société GWNE à payer à la société Dupli'Print 64 167 euro à titre de dommages-intérêts, 2 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens, Statuant à nouveau, Fixe les créances de la société Dupli'Print au passif du redressement judiciaire de la société Pronuptia Professional Europe à : - la somme de 80 000 euro à titre de dommages-intérêts, - celle de 2 500 euro au titre de l'indemnité de procédure, - les dépens de première instance, Condamne la société Pronuptia Professional Europe représentée par la Selarl Segard-Carboni, prise en qualité d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire et la Selarl Guillaume Lemercier, prise en qualité de mandataire judiciaire, à payer à la société Dupli'Print la somme de 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Condamne la société Pronuptia Professional Europe représentée par la Selarl Segard-Carboni, prise en qualité d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire et la Selarl Guillaume Lemercier, prise en qualité de mandataire judiciaire, aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.