CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 24 octobre 2012, n° 11-00331
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Conceptica (SARL)
Défendeur :
Legros
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Salmeron
Conseillers :
M. Delmotte, Mme Pellarin
Avocats :
SCP Cantaloube-Ferrieu Cerri, SCP Rives Podesta Mes Morin, Aubert
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 2 décembre 2009, M. Jean-Marie Legros, qui exploite un fonds de commerce d'épicerie fine et vente de pâtes fraîches et sèches à l'enseigne "Les Bonnes Pâtes", a commandé auprès de la SARL Conceptica une unité de fabrication de pâtes fraîches moyennant un prix de 11 804,52 euro TTC ; trois chèques ont été remis au titre de l'acompte de 1 932 euro payable à la commande, le solde étant dû à la livraison.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 décembre 2009, M. Legros a souhaité annuler la commande en raison du refus de sa banque de lui octroyer un prêt. Invoquant les conditions générales de vente, la SARL Conceptica l'a "mis en demeure de livraison" par courrier du 7 décembre 2009, en lui adressant une facture pro forma.
Ce courrier ainsi que la mise en demeure du 22 décembre 2009 sont demeurés infructueux, les chèques d'acompte sont revenus impayés avec le motif d'opposition "perte". M. Legros a renouvelé le 29 janvier 2010 sa volonté d'annulation de la vente du fait du refus de sa banque de lui octroyer un crédit.
Par acte du 28 janvier 2010, la SARL Conceptica a fait assigner M. Legros devant le Tribunal de commerce de Toulouse en paiement notamment du solde de prix de 9 870 euro et de dommages-intérêts de 1 480,50 euro. M. Legros s'y est opposé et a demandé l'annulation de la vente pour manœuvres dolosives et absence de cause.
Par jugement du 25 janvier 2011, le tribunal a :
- prononcé la nullité du contrat, débouté la SARL Conceptica de ses prétentions et M. Legros de sa demande en dommages-intérêts, et condamné la SARL Conceptica à payer à M. Legros une indemnité de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SARL Conceptica a interjeté appel du jugement le 2 février 2011.
Elle a déposé ses dernières conclusions le 26 juin 2012.
M. Legros a déposé ses conclusions le 7 juin 2011.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 26 juin 2012.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Au terme de ses conclusions écrites précitées auxquelles il est fait expressément référence pour plus ample exposé des moyens, la SARL Conceptica sollicite, au visa des articles 1116 du Code civil, 564 et 565 du Code de procédure civile, L. 131-35 alinéa 2 du Code monétaire et financier, la réformation du jugement, la condamnation de M. Legros au paiement de la somme de 11 804,52 euro avec intérêts au taux légal à compter du 22 décembre 2009, de celle de 1 770 euro à titre de dommages-intérêts contractuellement prévus, 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, demandant qu'il soit pris acte de son engagement de livrer le matériel en contrepartie du règlement du prix majoré des intérêts.
La SARL Conceptica fait valoir que :
- les prétendus mensonges qui lui sont imputés, tenant tant au financement de l'appareil qu'aux conditions d'exercice de l'activité de fabrication de pâtes fraîches, relatives à l'immatriculation au registre des métiers et au respect de règles d'hygiène ne sont pas établis,
- le véritable motif de l'annulation est le refus de financement, dont l'acquéreur reconnaissait faire son affaire personnelle aux termes des conditions de vente dont il était parfaitement informé,
- en sa qualité de professionnel vendeur de pâtes fraîches, M. Legros est présumé remplir les conditions d'hygiène relatives au stockage de ces produits, la machine vendue répondant quant à elle aux contraintes d'hygiène dont elle relève,
- sa demande en paiement du montant de l'acompte n'est pas nouvelle en ce qu'elle tend aux mêmes fins que celles de première instance, et que le motif d'opposition est non fondé,
- la vente du 2 décembre 2009, contenant un accord sur la chose et le prix, est parfaite, et la résistance abusive de M. Legros justifie l'application de la clause pénale contractuelle.
Au terme de ses conclusions écrites précitées auxquelles il est fait expressément référence pour plus ample exposé des moyens, M. Legros sollicite, au visa des articles 1116, 1131 et 1152 du Code civil :
- au principal la confirmation du jugement, et l'octroi d'une somme de 2 000 euro de dommages-intérêts pour procédure abusive, ainsi que d'une indemnité de 1 500 euro en remboursement de ses frais de défense,
- subsidiairement, la suppression ou la réduction de la clause pénale.
Il réplique pour l'essentiel que :
- les mensonges du représentant de la SARL Conceptica sur les conséquences d'un refus de financement et sur les conditions à remplir pour l'utilisation de la machine en terme d'inscription et d'hygiène, sont établis et constituent des manœuvres dolosives l'ayant incité à contracter,
- en toute hypothèse, la cause l'ayant déterminé à contracter, à savoir l'absence de conditions tenant à une inscription ou à des règles d'hygiène particulières, s'est avérée fausse, ce qui justifie l'annulation du contrat,
- la demande en paiement de l'acompte est irrecevable car nouvelle, et ne relève que du juge des référés, compétent pour connaître des demandes de mainlevée d'opposition aux chèques, les manœuvres dolosives ayant enfin pour effet de constituer une utilisation frauduleuse des chèques, motif valable d'opposition,
- l'attitude de la SARL Conceptica justifie l'octroi de dommages-intérêts.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- sur le dol
Le dol se définit comme des manœuvres, un mensonge ou un silence ayant sciemment engendré une erreur déterminante du consentement d'un contractant.
Il ne se présume pas, et doit être prouvé. S'agissant d'un fait juridique, la preuve peut être rapportée par tous moyens.
Le premier élément produit par M. Legros est l'attestation de Mme Bournas, qui explique sa présence dans les lieux le 2 décembre par l'entretien d'embauche qu'elle devait passer et qui indique avoir entendu le représentant dire à M. Legros que l'inscription au Répertoire des métiers n'était pas nécessaire pour la fabrication des pâtes, pas plus qu'il ne fallait avoir un laboratoire, et enfin qu'il annulerait la vente si M. Legros n'obtenait pas de crédit, le témoin précisant "le représentant pouvait placer la machine dans un autre commerce."
Le fait que Mme Bournas soit devenue salariée de M. Legros n'a pas pour effet de priver son témoignage de valeur probante. Les précisions qu'elle fournit sur l'explication donnée par le représentant pour justifier l'annulation en cas de défaut de financement présentent un caractère spontané qui rend ce témoignage tout à fait crédible et fiable. Le fait rapporté constitue un mensonge.
De plus, alors que M. Legros produit des éléments de la part de la Chambre de commerce dont il relève attestant de la nécessité pour lui d'être inscrit au Répertoire des métiers, et également la réglementation européenne directement applicable (règlements) qui prescrit des normes d'hygiène spécifiques pour les locaux où sont préparés, traités et transformés des denrées alimentaires, plus contraignantes que celles auquel M. Legros est soumis en sa qualité de vendeur de denrées alimentaires, la SARL Conceptica ne rapporte nullement la preuve :
- soit de ce que l'acquisition du matériel de fabrication de pâtes n'entraînait pas ces obligations pour M. Legros,
- soit de ce qu'elle avait informé M. Legros des contraintes, notamment en termes d'hygiène, générées par cette acquisition.
Il importe peu que celui-ci n'ait pas visé ces motifs lorsqu'il a annulé sa commande dès le lendemain. En effet, il n'a eu confirmation de ces éléments que plus tard. Pour autant, il s'agissait de contraintes nouvelles, directement liées à l'acquisition, que la SARL Conceptica connaissait en tant que professionnel et a dissimulées à Monsieur Legros pour l'inciter à contracter alors qu'il en aurait été dissuadé s'il les avait connues, et que la SARL Conceptica, présente sur les lieux d'exploitation, constatait ne pas être remplies.
Ainsi, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu que les manœuvres dolosives étaient établies, et ont annulé le contrat de vente en déboutant la SARL Conceptica de toutes ses demandes.
La demande formulée en appel par la SARL Conceptica tendant au paiement de l'acompte, si elle est recevable car découlant directement de sa demande en exécution du contrat, est non fondée du fait de l'annulation du contrat.
En l'absence d'abus caractérisé de la part de la SARL Conceptica dans l'exercice de son droit d'appel, la demande en dommages-intérêts de M. Legros est rejetée.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement déféré. Y ajoutant, Déboute M. Jean-Marie Legros de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive. Déclare recevable la demande en paiement de l'acompte par la SARL Conceptica, mais au fond l'en déboute. En équité, condamne la SARL Conceptica à payer à M. Jean-Marie Legros la somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la SARL Conceptica au paiement des dépens dont distraction par application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.