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Décisions

Cass. soc., 5 mars 2014, n° 12-27.050

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Bellion (Epoux)

Défendeur :

Total raffinage marketing (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vallée

Rapporteur :

M. David

Avocats :

SCP Boré, Salve de Bruneton, SCP Piwnica, Molinié

Nancy, ch. soc., du 29 août 2012

29 août 2012

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par contrat du 1er décembre 1983, la société Total raffinage distribution, aux droits de laquelle se trouve la société Total raffinage marketing, a confié l'exploitation d'une station-service à la société Bellion ; que cette dernière a mis fin au contrat le 1er mars 1985 ; que M. et Mme Bellion cogérants de cette société, ont saisi la juridiction prud'homale en revendiquant le bénéfice de l'article L. 781-1 du Code du travail, alors applicable, devenu les articles L. 7321-2 et suivants du même code, pour obtenir le paiement par la société Total raffinage marketing de diverses sommes à titre de rappel de salaires, d'indemnités et de dommages-intérêts, ainsi que leur immatriculation au régime général de la sécurité sociale ;

Sur le premier moyen : - Attendu que M. et Mme Bellion font grief à l'arrêt de déclarer prescrites leurs demandes en paiement de créances de nature salariale, alors, selon le moyen : 1°) que toute personne a le droit de jouir de conditions de travail justes et favorables lui assurant notamment " la rémunération qui procure au minimum à tous les travailleurs... un salaire équitable et une rémunération égale pour un travail de valeur égale... le repos, les loisirs, la limitation raisonnable de la durée du travail et les congés payés périodiques, ainsi que la rémunération des jours fériés " ; que méconnaît ce droit à des conditions de travail justes et à la perception de la rémunération y afférente la loi nationale qui édicte une prescription quinquennale de ces rémunérations à compter de leur échéance, sans considération d'une éventuelle renonciation du travailleur à les percevoir, des conventions conclues entre les parties, ni du comportement du bénéficiaire de la prestation de travail ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 6 et 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 ; 2°) que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil ; que n'est pas de nature à assurer l'effectivité de ce droit la législation nationale qui édicte une prescription quinquennale de l'action en paiement des créances afférentes à la reconnaissance d'un statut protecteur, privant ainsi de facto le bénéficiaire de ce statut de la possibilité de faire utilement valoir ces droits devant un tribunal ; que n'assure pas davantage le respect de ces droits fondamentaux l'unique réserve d'une impossibilité absolue d'agir ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 6 § 1er et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; 3°) que toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens et que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ; qu'en appliquant au bénéfice de la société Total une prescription ayant pour effet de priver les époux Bellion des rémunérations constituant la contrepartie de l'activité déployée pour son compte, acquises à mesure de l'exécution de leur prestation de travail, la cour d'appel leur a infligé une privation d'un droit de créance disproportionnée avec l'objectif légal de sécurité juridique et a, partant, porté une atteinte excessive et injustifiée au droit de ces travailleurs au respect de leurs biens, en violation de l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; 4°) qu'en appliquant à des travailleurs n'ayant jamais été reconnus comme ses salariés par la compagnie pétrolière mais devant, pour bénéficier des dispositions légales et conventionnelles applicables dans cette entreprise, faire judiciairement reconnaître leur droit au bénéfice du statut réservé aux gérants de succursales, une prescription destinée à éteindre les créances périodiques de salariés régulièrement tenus informés de leurs droits par la délivrance, notamment, d'un bulletin de salaire mensuel, la cour d'appel a édicté entre les différents travailleurs concourant à l'activité de la compagnie pétrolière une différence de traitement injustifiée, en violation de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; 5°) qu'en énonçant que " même si la jurisprudence qui s'est développée à partir de ce texte, devenu l'article L. 7321-2 du Code du travail, était encore peu développée en 1985, ils étaient en mesure de faire valoir qu'ils se trouvaient dans une situation de dépendance économique au sens du même texte, et de revendiquer le bénéfice de la protection due aux salariés avec toutes les conséquences qui en découlent " ce dont il résultait que ces gérants de station-service devaient connaître pendant le délai d'écoulement de la prescription, entièrement acquise en mars 2000, cinq ans après la rupture, l'inefficacité de l'interposition entre eux et la compagnie pétrolière, à l'initiative de cette dernière, d'une personne morale seule titulaire des droits et obligations issus des contrats de gérance, interprétation non seulement imprévisible mais directement contraire au droit positif applicable pendant l'exécution de la relation de travail, la cour d'appel a violé derechef les textes susvisés ;

Mais attendu, d'abord, que M. et Mme Bellion n'ayant pas été dans l'impossibilité d'agir en requalification de ces contrats, lesquels ne présentaient pas de caractère frauduleux, et ne justifiant pas d'une cause juridiquement admise de suspension du délai de prescription, c'est sans méconnaître les dispositions des instruments internationaux visés par les trois premières et la dernière branches du moyen que la cour d'appel a appliqué la règle légale prévoyant une prescription quinquennale des actions en justice relatives à des créances de nature salariale ;

Attendu, ensuite, que la prescription quinquennale s'appliquant à l'ensemble des demandes de nature salariale, la cour d'appel a à bon droit exclu toute discrimination ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le deuxième moyen : - Vu l'article L. 781-1, devenu les articles L. 7321-1, L. 7321-2, L. 7321-3 et L. 7321-4 du Code du travail ; - Attendu que pour débouter M. et Mme Bellion de leurs demandes d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que la relation contractuelle avec la société Total a été rompue à l'initiative de la société Bellion ;

Qu'en se déterminant ainsi, alors que les règles gouvernant la rupture du contrat de travail sont applicables à la rupture de la relation de travail entre un gérant de succursale et l'entreprise fournissant les marchandises distribuées, et qu'il lui appartenait de dire à qui la rupture du contrat de travail était imputable et d'en tirer les conséquences juridiques à l'égard des gérants de succursale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Sur le troisième moyen : - Vu les articles L. 7321-2 et L. 7321-3 du Code du travail, ensemble l'article L. 311-2 du Code de la sécurité sociale ; - Attendu que pour rejeter les demandes de M. et Mme Bellion tendant à ce que la société Total raffinage marketing soit condamnée à procéder à leur immatriculation au régime général de la sécurité sociale, l'arrêt retient que M. et Mme Bellion ne dénient pas leur qualité de gérants majoritaires de la société Bellion et l'obligation où ils se trouvaient en cette qualité de cotiser au régime social des indépendants ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans constater l'existence d'une affiliation antérieure régulière au régime des travailleurs non-salariés faisant obstacle à l'immatriculation rétroactive de M. et Mme Bellion au régime général de la sécurité sociale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Et sur le quatrième moyen : - Vu les articles L. 4121-1 du Code du travail, 330, 601 et 604 de la convention collective des industries du pétrole du 3 septembre 1985 ; - Attendu, selon le premier de ces textes, que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ; que, selon le deuxième, il est tenu compte de tous les impératifs propres à assurer la santé et la sécurité des travailleurs ; que, selon le troisième, les salariés employés à des opérations nécessitant la mise en œuvre de produits susceptibles d'occasionner des maladies professionnelles et dans des conditions d'emploi où ces produits sont nocifs, seront l'objet d'une surveillance médicale particulièrement attentive ; que, selon le dernier de ces textes, pour les travaux où le personnel est exposé aux vapeurs, poussières, fumées ou émanations nocives, la direction fournira des effets de protection efficaces (masques, scaphandres) et des vêtements spéciaux (blouses, combinaisons, tabliers, gants, bottes, lunettes, etc.) ;

Attendu que pour débouter M. et Mme Bellion de leur demande de dommages-intérêts pour exposition à des substances dangereuses, l'arrêt retient qu'ils ne démontrent pas, alors que l'exploitation de la station-service a cessé en 1985, avoir contracté une maladie ou subi un préjudice physique résultant de leur exposition à des agents nocifs ;

Qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants tirés de l'absence de maladie professionnelle ou de troubles de santé du travailleur, alors qu'elle avait constaté que les intéressés avaient été exposés à l'inhalation de vapeurs toxiques sans surveillance médicale, ni protection, ce dont il résultait que la société Total raffinage marketing avait commis un manquement à son obligation de sécurité de résultat causant nécessairement un préjudice au travailleur, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de M. et Mme Bellion tendant à ce que la société Total raffinage marketing soit condamnée à procéder à leur inscription au régime général de la sécurité sociale pour la période de relations contractuelles et les déboute de leurs demandes de dommages-intérêts pour exposition à des substances dangereuses, d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 29 août 2012, entre les parties, par la Cour d'appel de Nancy ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Metz.