Cass. com., 11 mars 2014, n° 13-11.114
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Simexpa Primadour (SARL)
Défendeur :
Enbata fruits (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
Mme Riffault-Silk
Avocat général :
Mme Batut
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, Soltner
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau, 5 novembre 2012), que la marque d'agrumes espagnols Rosita créée par la société Ismael Gimeno a été distribuée en France, à partir de 1974, par la société Fresimex, qui employait M. Martinez dans son service commercial ; qu'en 1999, la société Ismael Gimeno a concédé la licence d'exploitation de sa marque à la société Frutas Alberique qui a maintenu la commercialisation des agrumes par la société Simexpa Sofrutex venue entre-temps aux droits de la société Fresimex, et aux droits de laquelle vient la société Simexpa Primadour; que, devenu directeur commercial de cette société, M. Martinez a démissionné de ses fonctions le 28 juin 2006 avec un préavis de trois mois et a créé le 31 août 2006 la société Enbata fruits en partenariat avec la société Frutas Alberique pour commercialiser des agrumes dont ceux de la marque Rosita ; que, la société Frutas Alberique ayant cessé à l'automne 2006 toute livraison d'agrumes dont ceux de la marque Rosita à la société Simexpa Primadour, celle-ci a obtenu sa condamnation pour rupture brutale des relations commerciales par arrêt du 27 octobre 2009, puis, le 3 mai 2010, a assigné la société Enbata fruits en responsabilité pour concurrence déloyale ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Simexpa fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande alors, selon le moyen : 1°) que constitue un acte de concurrence déloyale le fait pour une société nouvellement créée de se rendre complice de la rupture abusive, par l'un de ses associés, de relations commerciales établies avec un concurrent ; qu'en l'espèce, la société Simexpa Primadour faisait valoir que dans un précédent arrêt du 27 octobre 2009, la cour d'appel de Pau avait jugé que la société Frutas Alberique avait commis une faute en rompant sans préavis, au mois de septembre 2006, le contrat de distribution d'agrumes de marque Rosita qui la liait à la société Simexpa Primadour, contrat qui avait été concomitamment repris par la société nouvellement créée Enbata fruits, au sein de laquelle s'étaient associés la société Frutas Alberique, M. Martinez, directeur commercial démissionnaire de la société Simexpa Primadour, et la société Lion Finor, l'un des plus gros clients de la société Simexpa Primadour ; que cette dernière soulignait que l'arrêt du 27 octobre 2009 avait estimé que cette rupture s'inscrivait "dans le cadre d'un projet mûrement réfléchi de constitution d'une société concurrente [la société Enbata fruits] concrétisé par la démission, dès la fin du mois de juin 2006, de M. Martinez, interlocuteur privilégié de la marque Rosita auprès des circuits de distribution français, ce qui a contraint la société Simexpa Primadour, déstabilisée par la décision de son fournisseur, officialisée en période préparatoire", la société Simexpa Primadour en déduisant que la société Enbata fruits "a[vait] eu un comportement fautif (...) en étant complice de la déloyauté du fournisseur Frutas Alberique" ; que pour rejeter les demandes indemnitaires de la société Simexpa Primadour, la cour d'appel a relevé que la société Frutas Alberique était libre de rompre ses relations commerciales avec la société Simexpa Primadour, l'arrêt du 27 octobre 2009 n'ayant sanctionné que le caractère brutal de cette rupture, et que la société Enbata fruits avait pu conclure un nouveau contrat avec le précédent fournisseur de la société Simexpa Primadour; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, s'il ne résultait pas des circonstances de la création et du début d'activité de la société Enbata fruits que cette dernière s'était rendue complice de la rupture brutale par son associée, la société Frutas Alberique, du contrat de commissionnaire dont la société Simexpa Primadour était titulaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 2°) que constitue un acte de concurrence déloyale le fait pour une société de se rendre complice de la violation par le salarié d'une entreprise concurrente de son obligation de loyauté et de fidélité à l'égard de cette dernière, en particulier en profitant d'actes de prospection ou de démarchage de clients et fournisseurs effectués par ce dernier avant l'expiration de son contrat de travail ou du délai de préavis ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que M. Martinez avait créé la société Enbata fruits le 31 août 2006, soit avant le terme de son préavis qui expirait le 30 septembre 2006, en s'associant notamment avec la société Frutas Alberique, principal fournisseur de son employeur, ainsi qu'avec la société Lion Finor, l'un de ses plus gros clients; qu'après avoir retenu que "M. José Martinez restait tenu d'une obligation de fidélité et de loyauté envers son employeur jusqu'à la fin du délai de préavis, soit le 30 septembre 2006", la cour d'appel a toutefois considéré que la société Simexpa Primadour ne rapportait pas la preuve d'actes déloyaux de la part de M. Martinez, dont aurait profité la société Enbata fruits, dans la mesure où la constitution de la société Enbata fruits ne constituait qu'un acte préparatoire à une future activité concurrente, laquelle n'aurait effectivement débuté qu'à partir du mois d'octobre 2006 ; qu'en statuant de la sorte, quand il résultait de ses propres constatations que M. Martinez, avant le terme de son préavis, s'était associé avec le principal fournisseur et l'un des principaux clients de son employeur, ce dont il résultait qu'il s'était nécessairement rapproché de ces derniers à une époque à laquelle il était encore tenu d'une obligation de fidélité et de loyauté à l'égard de la société Simexpa Primadour, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 3°) qu'engagent la responsabilité de leur auteur les agissements qui ont eu pour effet de désorganiser le fonctionnement d'une entreprise concurrente ; qu'en l'espèce, la société Simexpa Primadour faisait valoir que la société Enbata fruits avait profondément désorganisé son fonctionnement en débauchant M. Martinez, qui avait été son directeur commercial chargé de la prospection de la clientèle pendant de nombreuses années, en reprenant le contrat de commissionnaire dont était auparavant titulaire la société Simexpa Primadour auprès de la société Frutas Alberique, qui l'avait brutalement résilié en septembre 2006, et en commençant volontairement son activité au début de la campagne 2006/2007, entraînant ainsi inéluctablement de lourdes pertes de clientèle pour la société Simexpa Primadour qui n'avait pu faire face à la défection subite de son principal fournisseur ; que pour rejeter les demandes indemnitaires de la société Simexpa Primadour , la cour d'appel s'est contentée de retenir que la société Enbata fruits était libre d'exercer une activité concurrente de la société Simexpa Primadour et en particulier d'embaucher d'anciens salariés de cette dernière, et que la preuve d'actes ou de manœuvres déloyales qu'aurait commis la société Enbata fruits n'était pas rapportée ; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si l'embauche par la société Enbata fruits de M. Martinez, en ce qu'elle était intervenue très peu de temps avant le début de la campagne 2006/2007, et s'était s'accompagnée de la reprise par cette société du contrat de distribution dont bénéficiait la société Simexpa Primadour, n'avait pas nécessairement entraîné une désorganisation de cette dernière, ce qui la rendait répréhensible même en l'absence de manœuvres déloyales, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu'après avoir exactement énoncé que la création, par un ancien salarié, d'une entreprise concurrente de celle dans laquelle il était auparavant employé n'est pas constitutive d'actes de concurrence illicite ou déloyale, dès lors que cette création n'était pas interdite par une clause contractuelle et qu'elle n'a pas été accompagnée de pratiques illicites de débauchage de personnel ou de détournement de clientèle, que le salarié peut préparer sa future activité concurrente à condition que cette concurrence ne soit effective qu'après l'expiration du contrat de travail, et que le seul déplacement de clientèle vers une entreprise concurrente ne constitue pas un acte de concurrence déloyale en l'absence de manœuvres ou procédés déloyaux, l'arrêt retient, d'abord, que la société Enbata fruits a été constituée le 31 août 2006 à une date où les relations commerciales entre la société Simexpa Primadour et la société Frutas Alberique étaient déjà rompues, ensuite, que la société Simexpa Primadour n'établit ni que la société Enbata fruits aurait entrepris son activité avant le 1er octobre 2001, soit à l'issue du préavis de M. Martinez, ni que ce dernier se serait livré à des manœuvres déloyales dont la société Enbata fruits aurait tiré profit; qu'ayant par ces énonciations et constatations fait ressortir que la société Enbata fruits n'avait pas commis de faute, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen : - Attendu que la société Simexpa Primadour fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la société Enbata fruits une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive alors, selon le moyen, qu'une partie ne peut être condamnée à payer des dommages-et-intérêts pour procédure abusive qu'à la condition d'avoir commis une faute ayant fait dégénérer en abus l'exercice de son droit d'agir en justice ; qu'en l'espèce, pour condamner la société Simexpa Primadour à verser à la société Enbata fruits la somme de 5 000 euros à titre de dommages-et-intérêts pour procédure abusive, la cour d'appel, par motifs propres et adoptés, a retenu que cette dernière avait attendu trois ans après les faits pour engager une action en concurrence déloyale, qu'elle ne produisait aucun élément de preuve à l'appui de ses demandes et qu'elle se fondait essentiellement sur la rupture des relations commerciales qu'elle avait entretenues avec la société Frutas Alberique, qui avait déjà fait l'objet d'une décision de justice; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à caractériser une faute de la société Simexpa Primadour faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice, la cour d'appel a violé les articles 1382 du Code civil et 32-1 du Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que l'action de la société Simexpa Primadour était abusive en ce que cette dernière ne produisait aucun élément de preuve à l'appui de ses demandes, qu'elle avait attendu trois ans pour agir et que sa demande se fondait essentiellement sur la rupture des relations commerciales entretenues avec la société Frutas Alberique, associée de la société Enbata fruits, laquelle avait déjà fait l'objet d'une décision de justice, la cour d'appel, qui a caractérisé les circonstances faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice de la société Simexpa Primadour, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.