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Décisions

CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 26 octobre 2009, n° 08-04640

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Milhet

Conseillers :

MM. Fourniel, Coleno

Avoués :

SCP Nidecker Prieu-Philippot Jeusset, SCP Dessart-Sorel-Dessart

Avocats :

SCP Larroque Rey Schoenacker-Rossi, SCP Goguyer Lalande & Degioanni

TGI Foix, du 5 aôut 2008

5 août 2008

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur Christian X a souhaité rénover des immeubles dont il est propriétaire <adresse>, et s'est rapproché dans ce but de Madame Y, maître d'œuvre.

Monsieur Philippe Z, entrepreneur, a engagé des travaux, mais le maître de l'ouvrage a contesté son intervention.

L'entrepreneur a estimé qu'il se heurtait à une immixtion fautive de la part de ce dernier, et a proposé la résiliation du marché en contrepartie du paiement de 3 000 euros au titre des fournitures mises en œuvre, ce qu'a refusé Monsieur X.

Après avoir obtenu en référé la désignation d'un expert, dont le rapport a été déposé le 14 février 2008, Monsieur Z a fait assigner Monsieur X au fond en paiement de la somme de 13 851,90 euros au titre des travaux exécutés, de celle de 1 327,37 euros au titre du remboursement des frais d'expertise judiciaire, de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts et de 1 500 euros pour frais irrépétibles.

Monsieur X a sollicité reconventionnellement un sursis à statuer en raison de la plainte qu'il avait déposée, ainsi qu'une expertise.

Suivant jugement en date du 5 août 2008, le Tribunal de grande instance de Foix a :

- déclaré le rapport d'expertise judiciaire dressé par monsieur M. opposable au défendeur ;

- dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer ;

- condamné Monsieur X à payer à Monsieur Z la somme de 13 851,90 euros TTC au titre des travaux exécutés sur les immeubles lui appartenant ;

- ordonné l'exécution provisoire de ce chef ;

- rejeté la demande de dommages et intérêts formée par Monsieur Z ;

- rejeté la demande reconventionnelle en expertise formée par Monsieur X ;

- condamné le défendeur à payer une somme de 1 000 euros au demandeur sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire.

Monsieur X a relevé appel de ce jugement par déclaration en date du 9 septembre 2008 dont la régularité et la recevabilité ne sont pas discutées.

Il demande à la cour de :

- débouter Monsieur Z de sa demande en paiement de la somme de 13 851,90 euros et la dire mal fondée au regard des articles 1315 du Code civil, L. 122-3 du Code de la consommation et 1er du protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ainsi que de ses demandes en dommages et intérêts complémentaires et en paiement de l'expertise M. qui lui sera déclarée inopposable ;

- accueillir sa demande reconventionnelle visant à obtenir la réparation intégrale des dommages provoqués par l'entrepreneur D. sur sa propriété et l'indemnisation de son préjudice économique et moral ;

- ordonner une expertise judiciaire complète confiée à un autre expert que monsieur M., aux frais avancés par Monsieur Z ;

- condamner Monsieur Z au paiement de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour avoir utilisé à plusieurs reprises des procédures abusives ;

- le condamner à lui remettre les clés de la maison sur laquelle il est intervenu, qu'il détient, et qui avait été remise à Madame Y au début de leur collaboration début 2005, et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

- le condamner à restituer la provision qui lui a été versée et consignée sur un compte Carpa le 2 avril 2009 ;

- surseoir à statuer sur les dépens jusqu'à l'issue de la mesure d'expertise judiciaire sollicitée ;

- dire que le recouvrement des dépens d'appel sera opéré par la SCP Nidecker-Prieu-Jeusset.

L'appelant fait valoir que Madame Y n'a jamais été chargée d'une mission de maîtrise d'œuvre ou d'architecte, qu'elle n'avait aucun mandat de charger une entreprise d'intervenir sur sa propriété, que les travaux exécutés en toute illégalité par Monsieur Z n'ont jamais été commandés par lui, que ce soit verbalement ou par écrit, et qu'aucune commande ou demande d'intervention n'a été faite par Madame Y, que le juge ne peut pas interpréter l'attitude et le comportement du maître de l'ouvrage, et que ne peut être mise à sa charge une obligation de payer une prestation de service qui n'a fait l'objet d'aucune commande préalable.

Il affirme que la signature de l'accord amiable du 5 mars 2006 avait pour seul objectif la remise en état de ses biens que Monsieur Z avait dégradés, et ne valide ni d'approuve les travaux réalisés sans commande, que les procès-verbaux de constat établis par la SCP R. mettent en évidence que la quasi-totalité des travaux ont été réalisés avant la signature de cet accord, et que les seuls travaux effectués postérieurement par D. ont consisté en la mise hors d'eau de la grangette, que le rapport d'expertise de Monsieur M. est incomplet et non respectueux du principe du contradictoire, qu'aucune urgence ne justifiait l'utilisation de la procédure d'assignation à jour fixe, et que son préjudice ne pourra être évalué qu'après une nouvelle mesure d'expertise judiciaire.

Monsieur Z conclut à la confirmation du jugement, sauf à condamner Monsieur X au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et dilatoire, et sollicite la condamnation de ce dernier au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, ceux d'appel pouvant être recouvrés directement par la SCP Dessart-Sorel-Dessart.

L'intimé soutient qu'il a été mandaté par Madame Y comme cela résulte notamment de son bordereau d'envoi du 27 octobre 2005 et de sa télécopie du 24 janvier 2006, qu'il est invraisemblable qu'elle n'ait pas agi sur instructions du maître de l'ouvrage, que l'article L. 122-3 du Code de la consommation est destiné exclusivement à protéger le consommateur ayant conclu à distance, et que Monsieur X ne peut pas être considéré comme un consommateur puisqu'il a contracté à des fins professionnelles, qu'en toute hypothèse il existe des dispositions contractuelles entre les parties découlant du protocole d'accord régularisé le 5 mars 2006, qu'il ne fait que réclamer son dû sur la base d'une évaluation faite par un expert judiciaire qui n'est pas sérieusement critiquée, que les opérations d'expertise se sont déroulées de manière parfaitement régulière, et qu'il ne saurait être fait droit à la demande d'expertise dont la mission proposée apparaît confuse et farfelue.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 14 septembre 2009.

Motifs de la décision

Sur la demande principale en paiement de travaux

En application de l'article 1315 du Code civil, il appartient à l'entrepreneur qui réclame paiement de ses prestations de rapporter la preuve de la commande ou à défaut de l'acceptation des travaux réalisés.

Monsieur Z reconnaît ne pas avoir reçu de commande écrite du maître de l'ouvrage et affirme être intervenu à la demande de Madame Y, qu'il pensait avoir été mandatée à cet effet par Monsieur X

Il ne résulte pas des pièces produites que Madame Y ait reçu mission d'ordonner le début des travaux, ni qu'elle ait effectivement établi un ordre de service à l'intention de Monsieur Z

Sur un bordereau d'envoi du 27 octobre 2005, adressé pour signature à l'entrepreneur de son devis rectifié, Madame Y mentionnait : " le propriétaire m'a indiqué qu'il ne ferait pour l'instant que les deux granges, l'habitation sera différée en 2006. Quand pouvez-vous démarrer les travaux ? Je suis chargée d'établir avec vous le planning. "

Selon télécopie du 24 janvier 2006, Madame Y écrivait à Monsieur Z :

- Suite à mon passage sur le chantier, je souhaiterai votre intervention sur plusieurs points avant la venue du propriétaire (peut-être ce week-end) :

- bien refermer les volets de la maison

- terminer la couverture de la grangette

- proposer un devis complémentaire pour le mur de la grangette qui s'effondre

- proposer un prix au m2 fourni posé de planches larges pour le 1er plancher de la grange.

Il résulte de ces documents que le devis de Monsieur Z était retenu sous réserve qu'il accepte les modifications proposées, que son planning relatif à l'exécution des travaux sur les deux bâtiments annexes en 2005 devait être établi avec Madame Y, que celle-ci qui était passée sur le chantier en janvier 2006 savait nécessairement que les travaux avaient commencé, et que le maître de l'ouvrage l'avait informée de son intention de se rendre prochainement sur le lieux.

Monsieur Z n'établit pas avoir accepté les rectifications apportées à son devis, ni avoir fait connaître et approuver son planning.

Madame Y a adressé à Monsieur X le 23 décembre 2005 un acte d'engagement auquel étaient annexés les devis de Monsieur Z, puis le 18 janvier 2006 un exemplaire du CCAP et de l'acte d'engagement de cet entrepreneur, pour signature, ainsi que son attestation d'assurance, en précisant : " comme vous me le rappelez dans votre mail du 26 décembre 2005, les travaux doivent être achevés le 30 avril 2006. L'entreprise D. est donc chargée de terminer le plus rapidement possible le couvert pour que le travail à l'intérieur soit facilité et la prise de cotes définitives possible. "

Aucune version de ces documents signée du maître de l'ouvrage n'est produite.

Lors d'une rencontre sur le site avec le maître de l'ouvrage le 4 février 2006 en présence de Madame Y, l'entrepreneur a déclaré qu'il avait commencé les travaux à la demande de celle-ci, de fin novembre au 23 décembre 2005, et que pendant cette période trois réunions de chantier avaient eu lieu entre son entreprise et l'urbaniste, qui était parfois assistée de l'architecte de son cabinet.

Madame Y a refusé de signer le compte rendu de cette réunion, cependant il ressort de l'ensemble des éléments ci-dessus évoqués qu'elle avait connaissance de l'intervention de Monsieur Z sur le chantier, et compte tenu de ce contexte celui-ci a pu considérer, certes avec une certaine imprudence, qu'elle était mandatée par le maître de l'ouvrage pour débuter le chantier avant une régularisation écrite du contrat.

En tout état de cause les messages échangés en février 2006 et la signature par l'entreprise et le maître de l'ouvrage en date du 5 mars 2006 d'un document intitulé "accord amiable" démontrent que Monsieur X a accepté les travaux engagés antérieurement à cette date puisqu'il a organisé de façon précise et détaillée avec Monsieur Z leur poursuite et leur achèvement, sans demander la remise des lieux dans leur état initial, et sans émettre de critique ou de réserve sur la qualité de ces travaux.

L'appelant ne peut donc valablement soutenir que cet accord du 5 mars 2006 avait pour objet la remise en état de ses biens que Monsieur Z aurait dégradés.

Les courriers électroniques adressés par le maître de l'ouvrage à l'entrepreneur en juin, juillet et septembre 2006 ne contiennent aucune remarque sur les travaux initiés par Monsieur Z

Le tribunal a estimé à juste titre que Monsieur Z rapportait la preuve de l'existence d'une obligation de paiement du maître de l'ouvrage à son égard.

L'article L. 122-3 du Code de la consommation, disposant que la fourniture de biens ou de services sans commande préalable du consommateur est interdite lorsqu'elle fait l'objet d'une demande de paiement, concerne la fourniture d'un service assortie d'une demande simultanée de paiement, n'est pas applicable au cas d'espèce, dès lors que la seule facture produite est datée du 7 février 2006 pour des travaux faits en novembre et décembre 2005.

L'expert judiciaire Monsieur M. a évalué le montant des travaux réalisés par Monsieur Z à la somme totale de 13 851,90 euros TTC.

Monsieur X reproche à l'expert d'avoir violé le principe du contradictoire en déposant son rapport dans un délai de 20 jours, après avoir refusé de recevoir la moindre explication et le moindre document de sa part.

Or la lecture du rapport d'expertise fait apparaître que l'expert a régulièrement convoqué les parties le 11 janvier 2008 pour une réunion prévue sur les lieux le 24 janvier suivant, et qu'à cette date Monsieur X et son conseil étaient absents, alors que le conseil de Monsieur Z était présent.

L'appelant n'établit pas avoir sollicité de l'expert le report de cette réunion à une autre date, et il ne justifie pas lui avoir adressé un dire ni des documents que ce dernier aurait refusé d'examiner.

La mission impartie à Monsieur M. par le juge des référés ne prescrivait pas l'établissement d'un pré-rapport, de sorte qu'aucune irrégularité ne peut être retenue à ce titre.

Les documents remis à l'expert par les autres parties lui ont en toute hypothèse permis d'avoir connaissance de la position du maître de l'ouvrage qu'il a manifestement prise en compte.

Le dépôt du rapport 20 jours après la réunion sur les lieux s'explique par le peu de complexité technique des investigations à effectuer, et l'absence du maître de l'ouvrage aux opérations, sans qu'il puisse en être déduit un manquement au respect du principe du contradictoire.

En conséquence le rapport d'expertise est opposable à Monsieur X, et l'analyse expertale ainsi que son estimation des travaux effectués ne sont contestées par aucun élément technique contraire.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné Monsieur X au paiement de la somme de 13 851,90 euros TTC.

Sur la demande reconventionnelle de Monsieur X

Monsieur X sollicite une nouvelle expertise judiciaire.

Selon l'article 146 du Code de procédure civile, une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour la prouver.

En aucun cas une telle mesure ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve.

En l'espèce l'appelant sollicite tout comme en première instance la désignation d'un nouvel expert en proposant de confier à ce technicien une mission très large consistant pour partie (points a à d), à analyser des documents dont il disposait lorsque l'expert M. a réalisé ses opérations, et qu'il lui appartenait donc de soumettre à ce technicien en temps utile.

Il évoque la recherche de désordres, malfaçons et non conformités affectant des travaux dont l'inachèvement n'est pas contesté, sans produire de commencement de preuve objectif de l'existence de tels défauts, les procès-verbaux de constats d'huissier dressés à sa demande ne présentant aucun caractère probant de réels désordres qui pourraient être imputables à l'entrepreneur intimé.

Le chiffrage des travaux réalisés par Monsieur Z a déjà été effectué par l'expert M., ainsi que celui des travaux non réalisés, et la demande tendant à voir chiffrer des travaux de remise en l'état antérieur apparaît dépourvue d'utilité dès lors que l'exécution de tels travaux n'a pas été sollicitée.

Monsieur X est par ailleurs parfaitement en mesure de faire chiffrer le coût de l'intervention d'un maître d'œuvre pour faire effectuer des travaux de remise en état initial, et une mesure d'instruction sur ce point n'apparaît pas nécessaire.

La recherche des responsabilités quant à la décision d'exécuter les travaux sans commande du maître de l'ouvrage est sans intérêt au regard de ce qui a déjà été établi et de l'absence de mise en cause dans la procédure au fond de Madame Y

Enfin l'appelant ne verse aux débats aucun élément concret de nature à étayer ses allégations quant à l'existence des préjudices moral et financier qu'il invoque.

Sa demande d'expertise, qui n'a pour but que de pallier sa carence dans l'administration de la preuve, a été à bon droit rejetée.

Sur les autres demandes

Par de justes motifs que la cour fait siens, les premiers juges ont rejeté la demande de dommages et intérêts présentée par Monsieur Z

La demande principale de Monsieur Z étant accueillie, Monsieur X ne peut prétendre à des dommages et intérêts pour procédures abusives, et à la restitution de la somme consignée le 2 avril 2009.

Monsieur X sollicite en cause d'appel la condamnation de Monsieur Z sous astreinte à lui remettre la clé de la maison sur laquelle il est intervenu, clé qui avait été remise à Madame Y début 2005.

Or il n'est pas démontré par les pièces produites que cette clé est en possession de Monsieur Z

Monsieur X sera donc débouté de ce chef de demande.

L'indemnité allouée au demandeur sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile sera maintenue, et une somme complémentaire de 1 200 euros sera octroyée à l'intimé au titre des frais non compris dans les dépens de la présente procédure.

Sur les dépens

Monsieur X qui succombe a été justement condamné aux dépens, y compris les frais d'expertise judiciaire.

Il supportera les dépens de l'instance d'appel qu'il a initiée à tort.

Par ces motifs, LA COUR, En la forme, déclare l'appel régulier, Au fond, confirme le jugement, Y ajoutant, Condamne Monsieur X à payer à Monsieur Z la somme de 1 200 euros au titre des frais non compris dans les dépens de la présente procédure, Rejette toutes autres demandes, Condamne Monsieur X aux dépens de l'instance d'appel, qui seront recouvrés par la SCP Dessart-Sorel-Dessart.