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Décisions

CJUE, 4e ch., 10 avril 2014, n° C-247/11 P

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Areva SA, Alstom SA, T&D Holding SA, Alstom Grid SAS, Alstom Grid AG

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Bay Larsen

Avocat général :

M. Mengozzi

Juges :

MM. Lenaerts, Safjan, Malenovský, Mme Prechal (rapporteur)

Avocats :

Mes Schild, Simphal, Estellon, Derenne, Müller-Rappard, Lagrue

CJUE n° C-247/11 P

10 avril 2014

LA COUR (quatrième chambre),

1 Par leurs pourvois, Areva SA (ci-après "Areva"), Alstom SA (ci-après "Alstom"), T&D Holding SA, Alstom Grid SAS et Alstom Grid AG (ci-après, ces quatre dernières sociétés prises ensemble, les "sociétés du groupe Alstom" et, ces cinq sociétés prises ensemble, les "sociétés requérantes") demandent l'annulation de l'arrêt du Tribunal de l'Union européenne du 3 mars 2011, Areva e.a./Commission (T-117-07 et T-121-07, Rec. p. II-633, ci-après l'"arrêt attaqué"), en tant que, par cet arrêt, le Tribunal a rejeté leurs recours tendant, à titre principal, à l'annulation partielle de la décision C(2006) 6762 final de la Commission, du 24 janvier 2007, relative à une procédure d'application de l'article [81 CE] et de l'article 53 de l'accord EEE (Affaire COMP/F/38.899 - Appareillages de commutation à isolation gazeuse), dont un résumé a été publié au Journal officiel de l'Union européenne (JO 2008, C 5, p. 7, ci-après la "décision litigieuse"), et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l'amende qui leur a été infligée par ladite décision.

I - Le cadre juridique

2 L'article 23 du règlement (CE) n° 1-2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), intitulé "Amendes", prévoit :

"[...]

2. La Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d'entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence :

a) elles commettent une infraction aux dispositions de l'article [81 CE] ou [82 CE] [...]

[...]

3. Pour déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci.

[...]"

3 Aux termes de l'article 31 de ce règlement, intitulé "Contrôle de la Cour de justice" :

"La Cour de justice statue avec compétence de pleine juridiction sur les recours formés contre les décisions par lesquelles la Commission a fixé une amende ou une astreinte. Elle peut supprimer, réduire ou majorer l'amende ou l'astreinte infligée."

II - Les antécédents du litige et la décision litigieuse

4 Les faits ayant donné lieu au présent litige, tels qu'ils sont exposés aux points 1 à 35 de l'arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit.

5 Le litige porte sur une entente relative à la vente d'appareillages de commutation à isolation gazeuse (ci-après les "AIG") servant à contrôler le flux d'énergie dans un réseau électrique. Il s'agit d'un matériel électrique lourd, utilisé comme composant principal de sous-stations électriques clés en main.

6 Aux points 6 à 9 de l'arrêt attaqué, les différentes sociétés impliquées dans ce litige sont présentées comme suit :

"6 Alstom (anciennement dénommée Alsthom), une société anonyme de droit français à conseil d'administration, est la société mère d'un groupe de sociétés (ci-après le 'groupe Alstom'). Au cours de la période allant du 15 avril 1988 au 8 janvier 2004, le groupe Alstom était actif dans le domaine de la transmission et de la distribution d'électricité (ci-après le "secteur de la T & D") et, notamment, en matière d'AIG.

7 Les activités en matière d'AIG au sein du groupe Alstom ont été menées, en France, par Alsthom SA (France) jusqu'en 1989, date à laquelle celle-ci a été renommée GEC Alsthom SA, laquelle était détenue à 100 % par GEC Alsthom NV. Le 16 novembre 1992, Kléber Eylau SA a été créée et s'est vu attribuer les activités françaises en matière d'AIG par un accord qui a pris effet le 7 décembre 1992. Kléber Eylau était détenue à 99,76 % par GEC Alsthom SA et à 0,04 % par Étoile Kléber. En juin 1993, Kléber Eylau est devenue GEC Alsthom T&D SA, qui, en juin 1998, est devenue à son tour Alstom T&D SA. Cette dernière était détenue à 100 % par Alstom Holdings (France), qui était, elle-même, détenue à 100 % par Alstom.

8 À partir de janvier 1986, les activités en matière d'AIG du groupe Alstom se sont déroulées en parallèle en Suisse et en France, lorsque Sprecher Energie AG est devenue une filiale détenue à 100 % par Alsthom. En novembre 1993, Sprecher Energie est devenue GEC Alsthom T&D AG, qui, en juillet 1997, est devenue GEC Alsthom AG et, en juin 1998, Alstom AG [ci-après " Alstom (Suisse) "]. Le 22 décembre 2000, cette dernière a été rachetée par Alstom Power (Schweiz) AG. La nouvelle entité a été dénommée Alstom (Schweiz) AG. En novembre 2002, une nouvelle entité juridique a été créée au sein du groupe Alstom, à laquelle ont été cédées les activités dans le secteur de la T & D en Suisse. Initialement dénommée Alstom (Schweiz) Services AG, cette nouvelle entité a ensuite été renommée Alstom T&D AG.

9 L'ensemble des activités du groupe Alstom dans le secteur de la T & D a été cédé, le 8 janvier 2004, au groupe dont Areva, une société anonyme de droit français à directoire et à conseil de surveillance, est la société mère (ci-après le " groupe Areva "). Pour la période allant du 9 janvier au 11 mai 2004, les activités en matière d'AIG du groupe Areva ont été menées par Areva T&D SA et par Areva T&D AG, filiales détenues à 100 % par Areva T&D Holding SA [(ci-après " Areva T&D Holding ")], elle-même détenue à 100 % par Areva (ci-après, prises ensemble, les " sociétés du groupe Areva ")."

7 Le 3 mars 2004, ABB Ltd (ci-après "ABB") a signalé à la Commission l'existence d'une entente dans le secteur des AIG et a présenté une demande orale d'immunité des amendes conformément à la communication de la Commission sur l'immunité d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci-après la "communication sur la coopération"). Le 25 avril 2004, la Commission a accordé une immunité conditionnelle à ABB.

8 Sur la base des déclarations d'ABB, la Commission a entamé une enquête et a mené à l'improviste, les 11 et 12 mai 2004, des inspections, notamment dans les locaux d'Areva T&D SA. Le 20 avril 2006, la Commission a adopté une communication des griefs qui, outre à Alstom et aux sociétés du groupe Areva, a été adressée à ABB, à Fuji Electric Holdings Co. Ltd et à Fuji Electric Systems Co. Ltd, à Hitachi Ltd et à Hitachi Europe Ltd, à Japan AE Power Systems Corp., à Mitsubishi Electric System Corp., à Nuova Magrini Galileo SpA, à Schneider Electric SA, à Siemens AG, à Toshiba Corp. ainsi qu'à cinq sociétés du groupe dont VA Technologie AG était la société mère, au nombre desquelles figurait VA Technologie AG elle-même.

9 Le 24 janvier 2007, la Commission a adopté la décision litigieuse, qui a été notifiée aux 20 sociétés auxquelles la communication des griefs avait été adressée.

10 Aux points 29 à 31 de l'arrêt attaqué, les caractéristiques de l'entente en cause, telles que constatées dans la décision litigieuse, ont été résumées comme suit :

"29 Aux considérants 113 à 123 de la décision [litigieuse], la Commission a indiqué que les différentes entreprises ayant participé à l'entente avaient coordonné l'attribution des projets d'AIG à l'échelle mondiale, à l'exception de certains marchés, selon des règles convenues, afin notamment de maintenir des quotas reflétant dans une large mesure leurs parts de marché historiques estimées. Elle a précisé que l'attribution des projets d'AIG était effectuée sur la base d'un quota conjoint 'japonais' et d'un quota conjoint 'européen' qui devaient ensuite être répartis entre eux respectivement par les producteurs japonais et par les producteurs européens. Un accord signé à Vienne [(Autriche)] le 15 avril 1988 (ci-après l' " accord GQ ") établissait des règles permettant d'attribuer les projets d'AIG soit aux producteurs japonais, soit aux producteurs européens, et d'imputer leur valeur sur le quota correspondant. Par ailleurs, aux considérants 124 à 132 de la décision [litigieuse], la Commission a précisé que les différentes entreprises ayant participé à l'entente avaient conclu un arrangement non écrit [...], en vertu duquel les projets d'AIG au Japon, d'une part, et dans les pays des membres européens de l'entente, d'autre part, désignés ensemble comme les " pays constructeurs " des projets d'AIG, étaient réservés respectivement aux membres japonais et aux membres européens du cartel. Les projets d'AIG dans les "pays constructeurs" ne faisaient pas l'objet d'échanges d'informations entre les deux groupes et n'étaient pas imputés sur les quotas respectifs.

30 L'accord GQ contenait également des règles relatives à l'échange des informations nécessaires au fonctionnement du cartel entre les deux groupes de producteurs, lequel était notamment assuré par les secrétaires desdits groupes, à la manipulation des appels d'offres concernés et à la fixation de prix pour les projets d'AIG qui ne pouvaient pas être attribués. Selon les termes de son annexe 2, l'accord GQ s'appliquait au monde entier, à l'exception des États-Unis, du Canada, du Japon et de 17 pays d'Europe occidentale. En outre, en vertu [dudit arrangement non écrit], les projets d'AIG dans les pays européens autres que les "pays constructeurs" étaient également réservés au groupe européen, les producteurs japonais s'étant engagés à ne pas présenter d'offres pour les projets d'AIG en Europe.

31 Selon la Commission, la répartition des projets d'AIG entre les producteurs européens était régie par un accord également signé à Vienne, le 15 avril 1988, et intitulé " E-Group Operation Agreement for GQ-Agreement " (Accord du groupe E pour la mise en œuvre de l'accord GQ) [...]. Elle a indiqué que l'attribution des projets d'AIG en Europe suivait les mêmes règles et procédures que celles régissant l'attribution des projets d'AIG dans d'autres pays. En particulier, les projets d'AIG en Europe devaient également être notifiés, répertoriés, attribués, arrangés ou avaient reçu un niveau de prix minimal."

11 Au terme des constatations factuelles et d'appréciations juridiques, la Commission a conclu, dans la décision litigieuse, que les entreprises impliquées avaient enfreint les articles 81 CE et 53 de l'accord sur l'Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l'"accord EEE"), et leur a imposé des amendes dont le montant a été calculé en application de la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65 paragraphe 5 du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les "lignes directrices") et de la communication sur la coopération.

12 La Commission a décidé que, en application de la communication sur la coopération, il devait être fait droit à la demande d'immunité d'ABB, mais que les demandes de clémence introduites par d'autres sociétés, au nombre desquelles figurait Areva, devaient être rejetées.

13 Les articles 1er et 2 de la décision litigieuse disposent :

"Article premier

Les entreprises suivantes ont enfreint les [articles 81 CE et 53 de l'accord EEE] en participant, durant les périodes mentionnées, à un ensemble d'accords et de pratiques concertées dans le secteur des [AIG] dans l'[Espace économique européen (EEE)] :

[...][...]

b) [Alstom], du 15 avril 1988 au 8 janvier 2004 ;

c) [Areva], du 9 janvier 2004 au 11 mai 2004 ;

d) Areva T&D AG, du 22 décembre 2003 au 11 mai 2004 ;

e) Areva T&D Holding [...], du 9 janvier 2004 au 11 mai 2004 ;

f) Areva T&D SA, du 7 décembre 1992 au 11 mai 2004 ;

[...]

Article 2

Pour les infractions visées à l'article 1er, les amendes suivantes sont infligées :

[...]

b) [Alstom] : 11 475 000 euros ;

c) [Alstom], conjointement et solidairement avec Areva T&D SA : 53 550 000 euros. Sur le montant infligé à Areva T&D SA (53 550 000 euros), Areva [...], Areva T&D Holding [...] et Areva T&D AG, conjointement et solidairement avec Areva T&D SA : 25 500 000 euros ;

[...]"

14 Il ressort d'indications fournies par les sociétés requérantes que, le 7 juin 2010, Areva a cédé l'ensemble de ses activités dans le secteur de la T & D. En particulier, Alstom a repris les activités de transmission. Par la suite, Areva T&D Holding a pris le nom de T&D Holding SA, Areva T&D SA est devenue Alstom Grid SAS et Areva T&D AG est désormais connue sous le nom d'Alstom Grid AG.

III - Les recours devant le Tribunal et l'arrêt attaqué

15 Il ressort du point 50 de l'arrêt attaqué que, à l'appui de leurs conclusions en annulation, les sociétés du groupe Areva ont soulevé sept moyens que le Tribunal a résumés comme suit :

"Le premier moyen est tiré de la violation de l'obligation de motivation prévue par l'article 253 CE. Le deuxième moyen est pris, en substance, d'une violation des règles d'imputation des infractions qui découlent de l'article 81, paragraphe 1, CE et de l'article 53, paragraphe 1, de l'accord EEE ainsi que d'une violation des principes généraux de sécurité juridique et de non-rétroactivité. Le troisième moyen est tiré, en substance, d'une violation des règles d'imputation des infractions qui découlent de l'article 81, paragraphe 1, CE et de l'article 53, paragraphe 1, de l'accord EEE. Le quatrième moyen est pris, en substance, d'une violation des règles d'imputation des infractions et de solidarité pour le paiement des amendes qui découlent de l'article 81, paragraphe 1, CE et de l'article 53, paragraphe 1, de l'accord EEE, d'une violation de l'article 7 CE ainsi que d'une violation des principes généraux d'égalité de traitement et de proportionnalité, de sécurité juridique, de non-rétroactivité et de protection juridictionnelle effective. Le cinquième moyen est pris d'une violation des règles de solidarité pour le paiement des amendes qui découlent de l'article 81, paragraphe 1, CE et de l'article 53, paragraphe 1, de l'accord EEE. Le sixième moyen est tiré, en substance, d'une violation de l'article 23, paragraphe 2, sous a), du [règlement n° 1-2003], et du point 2 des [lignes directrices], d'une erreur d'appréciation ainsi que d'une violation des principes généraux d'égalité de traitement et de proportionnalité. Enfin, le septième moyen est fondé, en substance, sur une erreur d'appréciation et une violation de l'article 81 CE et de l'article 53, paragraphe 1, de l'accord EEE ainsi que de la communication sur la coopération."

16 Au point 51 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a résumé comme suit les huit moyens invoqués par Alstom à l'appui de ses conclusions :

"Le premier moyen est tiré de la violation du droit à un recours effectif. Le deuxième moyen est pris, en substance, d'une violation des règles de solidarité pour le paiement des amendes qui découlent de l'article 81 CE et de l'article 53 de l'accord EEE, d'une violation des principes généraux de sécurité juridique et d'individualisation des peines ainsi que d'une violation de l'obligation de motivation. Le troisième moyen est tiré d'une violation de l'obligation de motivation qui découle de l'article 253 CE. Le quatrième moyen est pris, à titre principal, d'une violation des règles d'imputation des infractions qui découlent de l'article 81 CE et de l'article 53 de l'accord EEE ainsi que d'une erreur de droit et, à titre subsidiaire, d'une violation de l'article 25 du règlement n° 1-2003. Le cinquième moyen est pris, en substance, d'une erreur d'appréciation, d'une violation des lignes directrices, d'une violation des principes d'égalité de traitement et de proportionnalité ainsi que d'une violation de l'obligation de motivation. Le sixième moyen est tiré, en substance, d'une violation des règles de preuve de la continuité d'une infraction qui découlent de l'article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1-2003 et de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles [81 CE] et [82 CE], tel que modifié (JO 1962, 13, p. 204), ainsi que d'une violation du principe de sécurité juridique. Le septième moyen est fondé sur une violation du principe du respect des droits de la défense et de l'article 27, paragraphe 1, du règlement n° 1-2003. Le huitième moyen est pris, en substance, d'une violation des lignes directrices et, à titre subsidiaire, d'une violation du principe de proportionnalité."

17 Au point 317 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli les moyens tirés par les requérantes d'une violation des principes de proportionnalité et d'égalité de traitement et a décidé d'annuler l'article 2, sous b) et c), de la décision litigieuse en ce qu'il impose à Alstom et aux sociétés du groupe Areva, au titre de la circonstance aggravante tirée d'un rôle de meneur de l'infraction, une majoration de 50 % du montant de base de leurs amendes, identique à celle imposée à Siemens AG.

18 Au point 323 de cet arrêt, le Tribunal a, dans l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, fixé un taux de majoration du montant de base au titre de cette circonstance aggravante de 35 % pour Alstom et Areva T&D SA ainsi que de 20 % pour Areva T&D AG, Areva et Areva T&D Holding et, sur cette base, il a réformé les amendes infligées à l'article 2, sous b) et c), de la décision litigieuse.

19 Le Tribunal a rejeté tous les autres moyens invoqués par Alstom et par les sociétés du groupe Areva.

20 Aussi, le Tribunal a-t-il, au point 2 du dispositif de l'arrêt attaqué, annulé l'article 2, sous b) et c), de la décision litigieuse et, au point 3 du dispositif de cet arrêt, fixé le montant des amendes comme suit :

"- Alstom [...] : 10 327 500 euros ;

- Alstom [...] : 48 195 000 euros, solidairement avec Areva T&D SA, 20 400 000 euros du montant dû par Areva T&D SA étant à payer, solidairement, par cette dernière et Areva T&D AG, Areva [...] et Areva T&D Holding [...]"

IV - Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

21 Par son pourvoi, Areva demande à la Cour :

- d'annuler l'arrêt attaqué ;

- dans le cas où la Cour estimerait que le litige est en état d'être définitivement jugé, à titre principal, d'annuler les articles 1er, sous c), et 2, sous c), de la décision litigieuse ; à titre subsidiaire, de réduire substantiellement l'amende qui lui a été infligée ; de condamner la Commission aux entiers dépens, y compris ceux encourus par elle devant le Tribunal ;

- dans le cas où la Cour estimerait que le litige n'est pas en état d'être définitivement jugé, de renvoyer l'affaire à une chambre du Tribunal autrement composée et de réserver les dépens.

22 Par leur pourvoi, les sociétés du groupe Alstom demandent à la Cour :

- d'annuler l'arrêt attaqué ;

- dans le cas où la Cour estimerait que le litige est en état d'être définitivement jugé, à titre principal, d'annuler les articles 1er, sous b), d), e) et f), et 2, sous b) et c), de la décision litigieuse ; à titre subsidiaire, de réduire substantiellement les amendes qui leur ont été infligées ; de condamner la Commission aux dépens, y compris ceux relatifs à la procédure devant le Tribunal ;

- dans le cas où la Cour estimerait que le litige n'est pas en état d'être définitivement jugé, de renvoyer l'affaire à une chambre du Tribunal autrement composée et de réserver les dépens.

23 Par ordonnance du président de la Cour du 20 juillet 2011, les affaires C-247-11 P et C-253-11 P ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l'arrêt.

V - Sur les pourvois

A - Résumé des moyens

24 À l'appui de son pourvoi, Areva soulève quatre moyens d'annulation dont le premier, qui est divisé en trois branches, est tiré de la violation de l'obligation de motivation incombant au Tribunal et des droits de la défense, dans le cadre de l'examen de l'exercice effectif d'une influence déterminante d'Areva sur Areva T&D SA et Areva T&D AG, pendant la période allant du 9 janvier au 11 mai 2004, en ce que le Tribunal :

- a substitué son propre raisonnement à celui de la Commission en ajoutant, a posteriori, à la décision litigieuse des motifs pour juger que la Commission avait pu correctement soutenir qu'elle n'avait pas renversé la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante ;

- a développé des arguments qui ne permettent pas de comprendre les raisons pour lesquelles il n'a pas fait droit à ses arguments visant à renverser cette présomption, et

- a imposé une preuve impossible (probatio diabolica) dans le cadre du renversement de ladite présomption et a refusé de lui donner la possibilité de se prononcer sur les nouveaux motifs ajoutés à la décision litigieuse.

25 Les trois autres moyens invoqués par Areva sont tirés, respectivement, de la violation :

- des règles relatives à la solidarité pour le paiement des amendes ayant pour conséquence une violation des principes de sécurité juridique et d'individualisation des peines, en ce que le Tribunal n'a pas sanctionné la Commission pour avoir créé une solidarité de fait entre Areva et Alstom, deux sociétés qui n'auraient jamais formé, ensemble, une unité économique commune ;

- des règles relatives à la délégation des pouvoirs de la Commission, de l'obligation de motivation incombant au Tribunal, du principe d'individualisation des peines et des sanctions, en ce que le Tribunal n'a pas sanctionné la Commission pour ne pas avoir tranché, dans la décision litigieuse, la question de la contribution respective à l'amende d'Alstom, d'une part, et d'Areva, d'autre part, et d'avoir ainsi implicitement délégué la solution de cette question au juge national ou à un arbitre, alors qu'une telle décision relèverait du pouvoir discrétionnaire de sanction qui revient à la Commission et qui ne saurait être délégué, et

- des principes de proportionnalité et d'égalité de traitement, en ce que le Tribunal a approuvé l'amende infligée solidairement à Areva pour une infraction d'une durée de quatre mois, dont le montant représenterait environ la moitié de celui de l'amende qu'Alstom doit payer solidairement pour une infraction d'une durée de douze ans ou le double de celui de l'amende qu'Alstom doit payer seule pour sa participation directe à l'entente en cause pendant une période de quatre ans, sans que cela soit justifié par une différence significative de la taille des sociétés ou par la gravité de l'infraction pendant la période litigieuse.

26 Les sociétés du groupe Alstom soulèvent cinq moyens d'annulation à l'appui de leur pourvoi, dont certains sont subdivisés en plusieurs branches, lesquels sont tirés, respectivement, de la violation :

- de l'obligation de motivation, en ce que le Tribunal a jugé, d'une part, que la Commission a motivé à suffisance de droit sa conclusion par laquelle elle a admis la responsabilité conjointe et solidaire d'Alstom avec Areva T&D SA et Areva T&D AG, fondée sur le fait qu'Alstom n'aurait pas renversé la présomption d'exercice d'une influence déterminante sur ses filiales, alors que la Commission n'a pas répondu aux éléments fournis par Alstom en vue de renverser cette présomption (première branche), et, d'autre part, que la Commission pouvait à bon droit ne pas fournir de motifs sur les raisons pour lesquelles deux sociétés ne formant pas une entité économique au jour de l'adoption d'une décision peuvent se voir infliger solidairement une amende (seconde branche) ;

- de l'obligation de motivation incombant au Tribunal, en ce que ce dernier :

- a substitué son propre raisonnement à celui de la Commission, en ajoutant a posteriori à la décision contestée des motifs qui ne s'y trouvaient pas (trois premières branches), et

- n'a pas répondu à suffisance de droit à l'argument soulevé par la requérante, selon lequel deux sociétés qui ne formaient pas une unité économique au jour de l'adoption de la décision de la Commission ne peuvent se voir infliger solidairement une amende (quatrième branche) ;

- de l'article 101 TFUE et des principes du droit à un procès équitable et de la présomption d'innocence, consacrés aux articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et garantis par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, en ce que le Tribunal :

- dans le cadre de l'application de la présomption d'exercice d'une influence déterminante, a retenu une définition de l'exercice d'une telle influence d'une société mère sur sa filiale sans aucun rapport avec un comportement effectif sur le marché en cause et, partant, a donné un caractère irréfragable à cette présomption, et

- a commis des erreurs de droit dans la détermination de l'exercice effectif d'une influence déterminante d'Areva T&D Holding sur Areva T&D SA et Areva T&D AG pendant la période du 9 janvier au 11 mai 2004 ;

- de la notion de solidarité, en ce que le Tribunal :

- a jugé que la notion de solidarité détermine les quotes-parts des contributions respectives des sociétés auxquelles est infligée solidairement une amende, et

- n'a pas sanctionné la délégation par la Commission de son pouvoir de déterminer la responsabilité de chacune des entreprises sanctionnées et a ainsi violé les principes de sécurité juridique et d'individualisation des peines ainsi que l'article 13 TUE ;

- par le Tribunal de son obligation de répondre aux moyens développés, en tant qu'il s'est mépris sur la portée du moyen tiré de la violation du droit à un recours effectif et à une protection juridictionnelle et a, par conséquent, répondu non pas au moyen invoqué, mais à un autre moyen, qui n'avait pas été soulevé.

B - Examen des moyens

1. Sur les moyens relatifs à l'imputabilité du comportement infractionnel de filiales à leurs sociétés mères

a) Sur le premier moyen invoqué par les sociétés du groupe Alstom, tiré de la violation de l'obligation de motivation incombant à la Commission

i) Sur la première branche du premier moyen invoqué par les sociétés du groupe Alstom

- Argumentation des parties

27 Par la première branche de leur premier moyen, qui porte sur les points 90 à 99 de l'arrêt attaqué, les sociétés du groupe Alstom reprochent au Tribunal de ne pas avoir sanctionné la Commission pour avoir violé l'obligation de motivation qui lui incombait. En particulier, la Commission n'aurait pas répondu aux arguments soulevés par Alstom aux paragraphes 90 à 150 de sa réponse à la communication des griefs et étayés par des documents annexés à cette réponse, qui visaient à renverser la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante. Ces éléments seraient de nature à démontrer que, malgré la présomption d'exercice d'une influence déterminante d'Alstom sur ses filiales détenues à 100 % de leur capital, celles-ci déterminaient, à l'époque de l'infraction, leur comportement sur le marché de façon autonome par rapport à leur société mère.

28 Les sociétés du groupe Alstom soutiennent en outre que le Tribunal a dénaturé la décision litigieuse, notamment au point 95 de l'arrêt attaqué, puisque les considérants 345 à 347 de cette dernière ne synthétiseraient aucunement les paragraphes 90 à 150 de la réponse à la communication des griefs.

29 La Commission conclut au rejet des arguments invoqués par les sociétés du groupe Alstom.

- Appréciation de la Cour

30 Il convient de rappeler, à titre liminaire, qu'une infraction aux règles de concurrence commise par une filiale peut être imputée à la société mère notamment lorsque, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (voir, notamment arrêts du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C-97-08 P, Rec. p. I-8237, point 58, ainsi que du 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., C-628-10 P et C-14-11 P, non encore publié au Recueil, point 43).

31 En effet, dans une telle situation, la société mère et sa filiale faisant partie d'une même unité économique et formant ainsi une seule entreprise au sens de l'article 81 CE, la Commission peut adresser une décision infligeant des amendes à la société mère sans qu'il soit requis d'établir l'implication personnelle de cette dernière dans l'infraction (voir arrêts précités Akzo Nobel e.a./Commission, point 59, ainsi que Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., point 44).

32 Dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de concurrence de l'Union, la Cour a précisé que, d'une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d'autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une telle influence (arrêt Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., précité, point 46 ainsi que jurisprudence citée).

33 Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d'une filiale est détenue par sa société mère pour qu'il puisse être présumé que cette dernière exerce effectivement une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale. La Commission sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme tenue solidairement au paiement de l'amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n'apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (arrêts précités Akzo Nobel e.a./Commission, point 61, ainsi que Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., point 47).

34 En outre, lorsqu'une décision d'application des règles de l'Union en matière du droit de la concurrence concerne une pluralité de destinataires et porte sur l'imputabilité de l'infraction, elle doit comporter une motivation suffisante à l'égard de chacun de ses destinataires, particulièrement de ceux d'entre eux qui, aux termes de cette décision, doivent supporter la charge de cette infraction. Ainsi, à l'égard d'une société mère tenue pour responsable du comportement infractionnel de sa filiale, une telle décision doit, en principe, contenir un exposé des motifs de nature à justifier l'imputabilité de l'infraction à cette société (arrêt Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., précité, point 75).

35 S'agissant en particulier d'une décision de la Commission qui s'appuie de manière exclusive, à l'égard de certains destinataires, sur la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante, il y a lieu de constater que la Commission est en tout état de cause - sous peine de rendre cette présomption, dans les faits, irréfragable - tenue d'exposer de manière adéquate à ces destinataires les raisons pour lesquelles les éléments de fait et de droit invoqués n'ont pas suffi à renverser ladite présomption (arrêt du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C-521-09 P, Rec. p. I-8947, point 153).

36 Toutefois, la Commission n'est nullement tenue de se fonder exclusivement sur ladite présomption. En effet, rien n'empêche cette institution d'établir l'exercice effectif, par une société mère, d'une influence déterminante sur sa filiale par d'autres éléments de preuve ou par une combinaison de tels éléments avec ladite présomption (arrêt Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., précité, point 49).

37 En l'espèce, ainsi que le Tribunal l'a constaté au point 91 de l'arrêt attaqué, il ressort de la décision litigieuse, en particulier des considérants 335, 348 à 356 et 358 de celle-ci, que, afin de retenir la responsabilité d'Alstom pour les infractions commises par ses filiales qu'elle détenait à 100 % de leur capital, la Commission ne s'est finalement pas appuyée de manière exclusive sur la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante, mais qu'elle s'est plutôt fondée sur une méthode dite de la "double base" combinant cette présomption avec d'autres éléments de preuve, en l'occurrence des éléments factuels produits au cours de la procédure administrative, venant confirmer ladite présomption (voir, par analogie, arrêt Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., précité, point 50).

38 Ainsi que l'a relevé M. l'avocat général aux points 25 et 26 de ses conclusions, il apparaît, au vu de ces considérations explicitées dans la décision litigieuse, qu'il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir fourni une motivation circonstanciée, conforme aux exigences découlant de la jurisprudence, en ce qui concerne l'imputabilité à Alstom de la responsabilité de l'infraction en cause.

39 En effet, une telle motivation répond à l'objectif visé par l'obligation de motivation d'une décision individuelle consistant, outre à permettre un contrôle judiciaire, à fournir à l'intéressé une indication suffisante pour savoir si cette décision est éventuellement entachée d'un vice permettant d'en contester la validité (voir, par analogie, arrêt du 8 mai 2013, ENI/Commission, C-508-11 P, non encore publié au Recueil, point 71).

40 S'agissant en particulier des éléments invoqués par Alstom aux paragraphes 90 à 150 de sa réponse à la communication des griefs pour renverser la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante, si, dans la décision litigieuse, la Commission ne semble pas avoir abordé un par un tous ces éléments, elle a toutefois fourni à l'intéressé une indication suffisante lui permettant de savoir si cette décision est bien fondée ou si elle est éventuellement entachée d'un vice permettant d'en contester la validité et pour permettre au Tribunal d'exercer son contrôle sur la légalité de ladite décision (voir en ce sens, notamment, arrêts du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189-02 P, C-202-02 P, C-205-02 P à C-208-02 P et C-213-02 P, Rec. p. I-5425, point 462, ainsi que ENI/Commission, précité, point 72).

41 Ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 28 de ses conclusions, force est de constater que, dans le cadre de la motivation circonstanciée de l'imputabilité à Alstom de la responsabilité de l'infraction en cause, selon la méthode comportant une double base, telle qu'exposée dans la décision litigieuse, la Commission a notamment effectué une appréciation globale des arguments invoqués par Alstom aux paragraphes 90 à 150 de sa réponse à la communication des griefs, pour autant que ceux-ci étaient susceptibles d'être pertinents aux fins du renversement de la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante.

42 S'agissant d'une décision, telle que la décision litigieuse, qui, ainsi qu'il a déjà été relevé au point 37 du présent arrêt, fonde l'imputabilité à la société mère d'une infraction commise par sa filiale sur une méthode comportant une double base, combinant la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante avec des éléments de preuve exposés de manière détaillée dans cette décision, une telle appréciation globale est en principe conforme au degré de motivation incombant à la Commission, dès lors qu'elle est de nature à permettre à la société mère de connaître les raisons pour lesquelles la Commission a décidé de lui imputer la responsabilité de l'infraction commise par sa filiale.

43 Les sociétés du groupe Alstom n'ont d'ailleurs pas explicité dans quelle mesure la motivation prétendument défectueuse de la décision litigieuse les aurait empêchés de défendre utilement leurs droits devant le Tribunal ou aurait empêché ce dernier d'exercer son contrôle. Au contraire, l'examen détaillé effectué par le Tribunal, aux points 93 à 97 de l'arrêt attaqué, des arguments d'Alstom visant à renverser la présomption d'influence déterminante démontre plutôt qu'Alstom a pu défendre utilement ses droits devant le Tribunal et que ce dernier a été en mesure d'exercer son contrôle (voir, par analogie, ordonnances du 7 février 2012, Total et Elf Aquitaine/Commission, C-421-11 P, point 57, et du 13 septembre 2012, Total et Elf Aquitaine/Commission, C-495-11 P, point 50).

44 En outre, s'agissant du niveau de la motivation requise, il convient de relever d'emblée que, à la différence de la situation en cause dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission (C-521-09 P, Rec. p. I-8947), qu'invoquent les sociétés du groupe Alstom, celles-ci ne se trouvaient pas, en l'espèce, confrontées à la première décision de la Commission dans laquelle cette dernière, tout en modifiant son approche habituelle, s'est appuyée sur la seule présomption d'une influence déterminante exercée sur la filiale par la société mère pour imputer l'infraction à cette dernière (voir, par analogie, ordonnance du 7 février 2012, Total et Elf Aquitaine/Commission, précitée, point 58).

45 Enfin, contrairement à ce que soutiennent les sociétés du groupe Alstom, rien ne s'opposait à ce que, dans le cadre de l'examen de l'imputabilité à Alstom de l'infraction commise par ses filiales, la Commission se fonde, ainsi qu'il ressort du point 97 de l'arrêt attaqué, notamment sur des éléments fournis par des tiers, en l'occurrence par les sociétés du groupe Areva.

46 Il s'ensuit que la première branche du premier moyen invoqué par les sociétés du groupe Alstom doit être rejetée.

ii) Sur la seconde branche du premier moyen invoqué par les sociétés du groupe Alstom

47 Par la seconde branche de leur premier moyen, qui vise le point 200 de l'arrêt attaqué, les sociétés du groupe Alstom reprochent au Tribunal de ne pas avoir censuré la Commission pour ne pas avoir spécifiquement motivé le fait qu'elle avait infligé à Alstom et à Areva T&D SA solidairement le paiement d'une amende, alors que celles-ci ne constituaient plus une entreprise au moment de l'adoption de la décision litigieuse.

48 Cette seconde branche doit être écartée.

49 En effet, il est de jurisprudence constante que, si le comportement infractionnel d'une filiale peut être imputé à la société mère de celle-ci, il peut être considéré que ces sociétés font partie, pendant la période d'infraction, d'une même unité économique et qu'elles forment ainsi une seule entreprise, au sens du droit de la concurrence de l'Union. Dans ces conditions, il est, par la suite, loisible à la Commission de tenir la société mère solidairement responsable du comportement infractionnel de sa filiale pendant ladite période et, par conséquent, du paiement de l'amende infligée à cette dernière (voir en ce sens, notamment, arrêt Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., précité, points 44 et 47 ainsi que jurisprudence citée).

50 Au vu de ce principe bien établi, le Tribunal a jugé à bon droit, au point 200 de l'arrêt attaqué, que, par la décision litigieuse, la Commission pouvait considérer que le seul fait que, au moment de l'adoption de la décision de la Commission constatant l'infraction, la filiale ayant commis l'infraction et la société mère à laquelle cette infraction pouvait être imputée ne faisaient plus partie de la même unité économique et, partant, d'une seule entreprise au sens de l'article 81CE, ne saurait faire obstacle à ce que la Commission fasse usage de la faculté d'infliger une amende devant être payée solidairement par ces sociétés, de sorte qu'une motivation spécifique sur ce point n'était pas requise.

51 Dans ces conditions, dès lors qu'il découle de l'examen de la première branche du premier moyen invoqué par les sociétés du groupe Alstom que la décision litigieuse est motivée à suffisance de droit en ce qu'Alstom a pu connaître les raisons ayant conduit la Commission à lui imputer le comportement infractionnel de ses filiales et que le Tribunal a pu exercer son contrôle, il ne saurait être reproché au Tribunal de ne pas avoir sanctionné la Commission pour ne pas avoir fourni une motivation spécifique sur la question de l'infliction d'une amende devant être payée solidairement à des sociétés ne formant plus une même entreprise.

52 Il en va a fortiori ainsi, dès lors que, comme l'a relevé en substance M. l'avocat général aux points 39 et 40 de ses conclusions, l'infliction d'une telle amende à des sociétés ne faisant plus partie de la même entreprise au moment de l'adoption de la décision de la Commission ne se distingue pas de la pratique antérieure de la Commission, de sorte que le niveau de la motivation requise peut être moindre.

53 Il s'ensuit que la seconde branche du premier moyen invoqué par les sociétés du groupe Alstom et, par conséquent, ce premier moyen dans son intégralité doit être rejeté.

b) Sur le premier moyen invoqué par Areva et le deuxième moyen soulevé par les sociétés du groupe Alstom, tirés de la violation de l'obligation de motivation incombant au Tribunal

54 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation d'un arrêt doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement du Tribunal, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la décision prise et à la Cour d'exercer son contrôle juridictionnel (voir, notamment, arrêt ENI/Commission, précité, point 74).

55 L'obligation de motivation n'impose toutefois pas au Tribunal de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les points du raisonnement développés par les parties au litige. La motivation peut donc être implicite à condition qu'elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n'a pas fait droit à leurs arguments et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle (voir, notamment, arrêt du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C-439-11 P, non encore publié au Recueil, point 82).

56 En outre, dans le cadre du contrôle de la légalité, visé à l'article 263 TFUE, le juge de l'Union ne peut, en toute hypothèse, substituer sa propre motivation à celle de l'auteur de l'acte attaqué (voir, notamment, arrêt du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission, C-73-11 P, non encore publié au Recueil, point 89 et jurisprudence citée).

57 Toutefois, il ne saurait être reproché au Tribunal d'avoir substitué sa propre motivation, quant à l'imputabilité à une société mère de l'infraction commise par sa filiale, à celle de la Commission, si les motifs de l'arrêt en cause concernent des éléments invoqués par les requérants devant le Tribunal, visant à renverser la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante, que le Tribunal est tenu d'examiner dans le cadre du contrôle de la légalité de la décision litigieuse (voir, en ce sens, ordonnances précitées du 7 février 2012, Total et Elf Aquitaine/Commission, point 65, et du 13 septembre 2012, Total et Elf Aquitaine/Commission, point 60).

i) Sur la première branche du deuxième moyen invoqué par les sociétés du groupe Alstom

58 Par la première branche de leur deuxième moyen, les sociétés du groupe Alstom reprochent au Tribunal d'avoir substitué, aux points 102 à 110 de l'arrêt attaqué, sa propre motivation à celle de la Commission. Auxdits points, le Tribunal aurait examiné les éléments avancés par Alstom aux paragraphes 90 à 150 de sa réponse à la communication des griefs qui visaient à renverser la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante, s'agissant de la période allant du 7 décembre 1992 au 8 janvier 2004. Toutefois, la décision litigieuse ne comporterait aucune appréciation de ces éléments, de sorte que le Tribunal aurait ainsi ajouté une telle appréciation aux motifs de la décision litigieuse.

59 Cette argumentation est fondée sur la prémisse selon laquelle, dans la décision litigieuse, la Commission n'aurait pas dûment examiné les éléments invoqués par Alstom aux paragraphes 90 à 150 de sa réponse à la communication des griefs.

60 Or, ainsi qu'il ressort de l'examen du premier moyen soulevé par les sociétés du groupe Alstom, cette prémisse ne saurait être retenue, dès lors qu'il a été constaté au point 42 du présent arrêt que la décision litigieuse comporte une motivation suffisante sur la question de l'imputabilité à Alstom de l'infraction commise par ses filiales, incluant une prise de position globale sur les éléments avancés par Alstom aux paragraphes 90 à 150 de sa réponse à la communication des griefs.

61 Ainsi qu'il ressort du point 57 du présent arrêt, il ne saurait en outre être reproché au Tribunal d'avoir développé, aux points 102 à 110 de l'arrêt attaqué, la motivation relative auxdits paragraphes 90 à 150, telle que figurant dans la décision litigieuse, dès lors que, auxdits points de l'arrêt attaqué, le Tribunal s'est limité à examiner plus en détail les arguments et les éléments de preuve présentés par Alstom au cours de la procédure administrative.

62 Il s'ensuit que la première branche du deuxième moyen soulevé par les sociétés du groupe Alstom doit être rejetée.

ii) Sur le premier moyen invoqué par Areva et la deuxième branche du deuxième moyen soulevé par les sociétés du groupe Alstom

- Argumentation des parties

63 Par son premier moyen, qui vise les points 144 à 152 de l'arrêt attaqué, Areva reproche au Tribunal d'avoir méconnu l'obligation de motivation incombant au Tribunal ainsi que les droits de la défense.

64 Tout d'abord, au point 150 de l'arrêt attaqué, le Tribunal aurait substitué son propre raisonnement à celui de la Commission, en ajoutant à la décision litigieuse deux éléments nouveaux pour écarter les allégations selon lesquelles, pour la période allant du 9 janvier 2004 au 11 mai 2004, Areva et Areva T&D Holding ne disposaient pas d'une expérience suffisante du secteur de la T & D pour leur permettre d'exercer effectivement une influence déterminante sur le comportement d'Areva T&D SA et d'Areva T&D AG (ci-après, ensemble, les "filiales T & D").

65 Ces éléments nouveaux seraient constitués de l'affirmation selon laquelle il ne pouvait être exclu qu'Areva et Areva T&D Holding aient pu acquérir une connaissance du secteur de la T & D au cours de la période se situant entre la conclusion de l'accord de vente par Alstom des filiales T & D, au mois de septembre 2003, et la cession effective de ces filiales, le 8 janvier 2004, ainsi que de l'affirmation selon laquelle il ne pouvait pas non plus être exclu que le recrutement d'un nouveau dirigeant pour ces filiales, à l'extérieur du groupe, ait permis à Areva de se doter d'une expertise de ce secteur.

66 Ensuite, les considérations énoncées par le Tribunal ne permettraient pas de comprendre les raisons pour lesquelles celui-ci n'a pas retenu les arguments invoqués par Areva. Ainsi, l'arrêt attaqué serait entaché d'un vice de motivation.

67 Enfin, le Tribunal aurait également violé les droits de la défense, dont bénéficiait Areva. En se fondant sur des éléments qui constitueraient en réalité des suppositions ou des scénarios hypothétiques, le Tribunal aurait rendu la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante irréfragable et aurait imposé à Areva une probatio diabolica dans le cadre de la démonstration de l'absence d'exercice effectif d'une influence déterminante de sa part sur les filiales T & D, en exigeant qu'elle apporte la preuve négative de l'absence d'interférence dans le comportement de ces dernières. Le Tribunal n'aurait pas donné à Areva la possibilité de se prononcer sur ces deux éléments nouveaux ajoutés à la décision litigieuse.

68 Par la deuxième branche de leur deuxième moyen, les sociétés du groupe Alstom reprochent au Tribunal d'avoir violé son obligation de motivation en soulevant essentiellement le même grief que celui avancé par Areva dans le cadre de son premier moyen.

69 La Commission réfute ces arguments. En particulier, elle fait valoir que le moyen invoqué par Areva est irrecevable, dès lors que, par celui-ci, cette dernière critique en réalité l'appréciation des éléments de preuve à laquelle s'est livré le Tribunal.

- Appréciation de la Cour

70 Il convient de rejeter, en premier lieu, comme irrecevable l'argumentation, soulevée par Areva pour la première fois au stade de sa réplique, par laquelle celle-ci reproche au Tribunal de ne pas avoir sanctionné la Commission pour avoir manqué à son obligation de motivation dans le cadre de l'analyse de l'exercice effectif par Areva d'une influence déterminante sur les filiales T & D.

71 Cette argumentation est foncièrement différente des arguments articulés par Areva dans son pourvoi, lesquels ne concernent que l'obligation de motivation incombant au Tribunal.

72 Il y a lieu de constater que ladite argumentation constitue, en vertu de la règle figurant aux articles 127 et 190 du règlement de procédure, un moyen nouveau, développé en cours d'instance, qui doit être rejeté comme étant irrecevable, dès lors qu'il ne se fonde pas sur des éléments de droit ou de fait s'étant révélés pendant la procédure devant la Cour (voir, notamment, arrêt du 19 décembre 2013, Siemens e.a./Commission, C-239-11 P, C-489-11 P et C-498-11 P, point 371 ainsi que jurisprudence citée).

73 Il convient, en deuxième lieu, d'examiner, au regard des éléments de jurisprudence rappelés aux points 54 à 57 du présent arrêt, l'argument invoqué par Areva et les sociétés du groupe Alstom, selon lequel, au point 150 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a ajouté à la motivation de la décision litigieuse deux éléments prétendument nouveaux, dont il est fait état au point 64 du présent arrêt.

74 À cet égard, il y a lieu d'examiner le point 150 de l'arrêt attaqué dans le cadre du raisonnement tenu par le Tribunal aux points 144 à 152 de cet arrêt en réponse au troisième moyen du recours, par lequel les sociétés du groupe Areva soutenaient devant le Tribunal que les sociétés mères Areva et Areva T&D Holding ne disposaient pas d'une expérience suffisante du secteur de la T & D pour leur permettre d'exercer effectivement une influence déterminante sur le comportement des filiales T & D.

75 Or, ainsi que l'a également relevé en substance M. l'avocat général aux points 65 à 71 de ses conclusions, un tel examen révèle que, au point 150 de l'arrêt attaqué, le Tribunal n'a aucunement ajouté deux éléments nouveaux à la motivation de la décision litigieuse, en substituant ainsi sa motivation à celle figurant dans la décision litigieuse, mais s'est limité, dans le cadre du contrôle de la légalité de cette décision, à répondre de manière détaillée à des arguments soulevés devant lui, visant à renverser la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante, motif pris de ce que l'infraction reprochée ne pouvait être imputée aux sociétés mères Areva et Areva T&D Holding, dès lors que celles-ci ne disposaient pas d'une expérience suffisante du secteur de la T & D.

76 En troisième lieu, il convient de rejeter l'argument d'Areva, selon lequel le raisonnement suivi par le Tribunal en ce qui concerne ces deux prétendus éléments nouveaux ajoutés à la décision litigieuse ne lui permettrait pas de comprendre en quoi ces éléments pourraient justifier le constat d'un exercice effectif d'une influence déterminante.

77 À cet égard, il suffit de relever que, ainsi qu'il découle du point 75 du présent arrêt, les deux éléments visés par Areva ne fondent pas le constat de l'exercice effectif d'une influence déterminante, mais constituent simplement des arguments que le Tribunal a développés en réponse à l'argumentation, invoquée par les sociétés du groupe Areva dans la procédure administrative et par la suite devant le Tribunal, selon laquelle les sociétés mères dudit groupe n'étaient pas en mesure d'exercer effectivement une influence déterminante sur les filiales concernées, en raison de leur manque d'expérience dans le secteur de la T & D.

78 En quatrième lieu, il convient de rejeter l'argumentation tirée par Areva d'une violation des droits de la défense, en ce que celle-ci n'aurait pas pu prendre position sur ces deux prétendus éléments nouveaux. En effet, les droits de la défense n'ont en aucun cas pas pu être violés, dès lors qu'il découle du point 75 du présent arrêt que lesdits éléments ont été développés par le Tribunal en réponse à des arguments soulevés par les sociétés du groupe Areva elles-mêmes.

79 En cinquième lieu, doit être également rejeté comme non fondé l'argument d'Areva selon lequel les droits de la défense auraient été violés, dès lors que le Tribunal lui aurait imposé une probatio diabolica, ayant consisté à l'obliger à apporter une preuve négative de l'absence d'interférence de sa part dans le comportement de ses filiales.

80 En effet, l'approche adoptée par le Tribunal à l'égard des éléments apportés par les sociétés du groupe Areva aux fins de renverser la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante ne relève pas, prise dans son ensemble, de la probatio diabolica. Il découle de la jurisprudence qu'il appartient à des entités souhaitant renverser ladite présomption d'apporter tout élément relatif aux liens économiques, organisationnels et juridiques unissant la filiale en question à la société mère et qu'elles considèrent comme étant de nature à démontrer qu'elles ne constituaient pas une entité économique unique (arrêt Elf Aquitaine/Commission, précité, point 65).

81 Le fait qu'il soit difficile d'apporter la preuve contraire nécessaire pour renverser une présomption n'implique pas, par lui-même, que celle-ci soit en fait irréfragable, surtout lorsque les entités à l'encontre desquelles cette présomption opère sont les mieux à même de rechercher cette preuve dans leur propre sphère d'activités (arrêt Elf Aquitaine/Commission, précité, point 70).

82 Eu égard à tout ce qui précède, le premier moyen invoqué par Areva et la deuxième branche du deuxième moyen soulevé par les sociétés du groupe Alstom doivent être rejetés.

iii) Sur la quatrième branche du deuxième moyen invoqué par les sociétés du groupe Alstom

83 Par la quatrième branche de leur deuxième moyen, les sociétés du groupe Alstom reprochent au Tribunal d'avoir entaché l'arrêt attaqué d'un double défaut de motivation, en ce que le point 206 de cet arrêt ne permettrait pas de connaître les motifs pour lesquels, d'une part, la Commission pouvait, sans motiver la décision litigieuse à cet égard, infliger des amendes à des sujets de droit qui ne constituaient plus une unité économique au moment de l'adoption de la décision litigieuse et, d'autre part, la jurisprudence qu'elles avaient citée n'était pas pertinente.

84 À cet égard, compte tenu des considérations figurant aux points 49 et 50 du présent arrêt, il suffit de constater que le Tribunal n'a commis aucune erreur de droit en jugeant, au point 200 de l'arrêt attaqué, qu'il ne pouvait être reproché à la Commission de ne pas avoir spécialement motivé l'amende devant être payée solidairement, infligée à Alstom et à Areva T&D SA, au regard du fait que ces sociétés ne formaient plus une entité économique unique au jour de l'adoption de la décision litigieuse, et, au point 206 de cet arrêt, qu'il ne ressort pas de la jurisprudence que seules pourraient se voir infliger une amende devant être payée solidairement des sociétés qui forment une unité économique au jour de l'adoption de la décision qui inflige cette amende.

85 Partant, la quatrième branche du deuxième moyen invoqué par les sociétés du groupe Alstom doit être écartée.

86 Il en découle que le premier moyen invoqué par Areva ainsi que le deuxième moyen soulevé par les sociétés du groupe Alstom, à l'exception de la troisième branche de ce dernier moyen, laquelle sera examinée ultérieurement, doivent être rejetés.

c) Sur le troisième moyen invoqué par les sociétés du groupe Alstom, tiré de la violation de l'article 101 TFUE, notamment des règles relatives à l'imputation de l'infraction ainsi que des principes du droit à un procès équitable et de la présomption d'innocence

i) Sur la première branche du troisième moyen soulevé par les sociétés du groupe Alstom

87 Par la première branche de leur troisième moyen, les sociétés du groupe Alstom reprochent au Tribunal d'avoir retenu, dans le cadre de l'application de la présomption d'exercice d'une influence déterminante, telle qu'effectuée aux points 84 à 110 de l'arrêt attaqué, une définition de l'exercice d'une influence déterminante d'une société mère sur sa filiale sans aucun rapport avec un comportement effectif sur le marché en cause et, partant, d'avoir donné un caractère irréfragable à cette présomption.

88 Elles soutiennent en particulier que le Tribunal, en ayant déduit l'exercice effectif d'une influence déterminante de la simple existence de liens organisationnels, économiques et juridiques entre la société mère et l'une de ses filiales, et non pas de faits précis liés à tel ou tel comportement réel sur le marché en cause, aurait dépassé les limites du raisonnable en imposant à Alstom une probatio diabolica, dès lors que cette société ne pourrait renverser la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante qu'en niant l'existence desdits liens et, partant, sa propre existence.

89 À cet égard, il convient de constater, tout d'abord, que, contrairement aux allégations des sociétés du groupe Alstom, le Tribunal n'a pas déduit l'exercice effectif d'une influence déterminante de la simple existence de liens organisationnels, économiques et juridiques entre la société mère et l'une de ses filiales.

90 En effet, au point 103 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que les documents produits par Alstom au cours de la procédure administrative attestaient le fait que la direction du groupe Alstom, placée sous la responsabilité d'Alstom, participait à la définition de la ligne d'action sur le marché, s'agissant du secteur de la T & D, du groupe Alstom et de ses différentes branches d'activités, et qu'elle contrôlait en permanence le suivi de cette ligne d'action par ce secteur et ses différentes branches d'activités.

91 Ensuite, ainsi que l'a soutenu à bon droit la Commission, celle-ci ne saurait être tenue de démontrer que, dans une situation dans laquelle la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante a vocation à être applicable, le cas échéant en l'intégrant dans l'application d'une méthode de double base telle qu'utilisée en l'espèce, la société mère a effectivement fait usage des liens organisationnels, économiques et juridiques caractérisant sa relation avec ses filiales dans le cadre de faits précis liés à tel ou tel comportement réel sur le marché en cause, dès lors qu'une telle obligation reviendrait à priver cette présomption de son utilité.

92 Par ailleurs, ainsi qu'il découle des points 80 et 81 du présent arrêt, il ne saurait être reproché au Tribunal d'avoir appliqué, dans les faits, une version irréfragable de cette présomption en imposant une probatio diabolica à Alstom quant aux éléments avancés par cette dernière pour renverser ladite présomption.

93 Enfin, s'agissant de la compatibilité de la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante avec les principes du droit à un procès équitable et de la présomption d'innocence, la Cour a déjà jugé que cette présomption est proportionnée au but légitime poursuivi et, partant, demeure dans des limites acceptables, dès lors qu'elle vise notamment à ménager un équilibre entre, d'une part, l'importance de l'objectif consistant à réprimer les comportements contraires aux règles de la concurrence, en particulier à l'article 81 CE, et à en prévenir le renouvellement et, d'autre part, les exigences de certains principes généraux du droit de l'Union, tels que, notamment, les principes de présomption d'innocence, de personnalisation des peines et de sécurité juridique ainsi que les droits de la défense, y compris le principe d'égalité des armes. C'est notamment pour cette raison qu'elle est réfragable (voir en ce sens, notamment, arrêts ENI/Commission, précité, point 50, et du 18 juillet 2013, Schindler Holding e.a./Commission, C-501-11 P, non encore publié au Recueil, points 107 et 108).

94 Partant, la première branche du troisième moyen soulevé par les sociétés du groupe Alstom doit être écartée.

ii) Sur la seconde branche du troisième moyen invoqué par les sociétés du groupe Alstom

95 Par la seconde branche de leur troisième moyen, les sociétés du groupe Alstom reprochent au Tribunal d'avoir commis des erreurs de droit en confirmant, aux points 144 à 152 de l'arrêt attaqué, la décision litigieuse en tant qu'elle constate l'exercice effectif d'une influence déterminante d'Areva T&D Holding sur Areva T&D SA et Areva T&D AG pendant la période allant du 9 janvier au 11 mai 2004. Pour justifier l'appréciation de la Commission, le Tribunal se serait fondé, au point 150 de cet arrêt, sur les deux éléments déjà critiqués par Areva dans le cadre de son premier moyen, lesquels sont visés au point 65 du présent arrêt.

96 À cet égard, il y a lieu de constater que les arguments invoqués dans ce contexte par les sociétés du groupe Alstom recoupent largement ceux dirigés par Areva, dans le cadre de son premier moyen, contre les mêmes points de l'arrêt attaqué.

97 Or, ces arguments ont déjà été rejetés par la Cour, au point 77 du présent arrêt, dans le cadre de la réponse au premier moyen invoqué par Areva, de laquelle il ressort que le Tribunal, lors de l'examen d'un ensemble d'arguments invoqués par Areva aux fins de renverser la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante, a analysé les arguments avancés par Areva et a considéré, dans des termes nuancés et prudents, que ceux-ci n'étaient pas de nature à pouvoir démontrer l'absence d'un exercice effectif d'une influence déterminante.

98 En procédant ainsi, le Tribunal, comme il a été dit aux points 80, 81 et 92 du présent arrêt, n'a nullement imposé à Alstom une probatio diabolica rendant la présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante irréfragable.

99 En outre, l'argumentation d'Alstom, en ce qu'elle fait également grief au Tribunal de s'être livré à une appréciation factuelle incorrecte de ces deux éléments sans démontrer une quelconque dénaturation de ceux-ci, est irrecevable.

100 Il s'ensuit que, la seconde branche du troisième moyen invoqué par les sociétés du groupe Alstom ne pouvant pas non plus prospérer, ce troisième moyen doit être rejeté dans son intégralité.

2. Sur les moyens relatifs à l'application des règles en matière de solidarité pour le paiement des amendes

101 Areva, dans le cadre de ses deuxième et troisième moyens, et les sociétés du groupe Alstom, dans le cadre, d'une part, de la troisième branche de leur deuxième moyen et, d'autre part, de leur quatrième moyen, invoquent plusieurs erreurs de droit découlant de l'interprétation et de l'application par le Tribunal des règles en matière de solidarité pour le paiement des amendes infligées par la Commission à différentes personnes morales tenues solidairement responsables en raison du fait qu'elles font partie d'une même entreprise ayant été reconnue coupable d'avoir commis une infraction aux règles du droit de la concurrence de l'Union.

102 Un premier groupe d'arguments ainsi invoqués par les sociétés requérantes concerne la solidarité dite "de fait" pour le paiement de l'amende qu'aurait imposée la Commission à Areva et à Alstom en leur qualité de sociétés mères successives de filiales ayant commis des infractions au droit de la concurrence, que le Tribunal aurait omis de sanctionner, alors qu'elle serait contraire, en particulier, aux principes de sécurité juridique et d'individualisation des peines.

103 Un second groupe d'arguments, tirés par lesdites requérantes d'une violation des mêmes principes ainsi que de l'article 7 CE et de l'obligation de motivation, vise certaines des considérations figurant dans l'arrêt attaqué, concernant le rapport interne de solidarité, à savoir un ensemble de principes énoncés par le Tribunal qui régiraient la détermination des quotes-parts de l'amende devant être supportées par les codébiteurs solidaires dans leur relation interne, une fois la Commission désintéressée par suite du paiement de l'intégralité de l'amende par un ou plusieurs de ces codébiteurs.

a) Sur les arguments relatifs à la solidarité de fait imposée aux sociétés mères Areva et Alstom

i) Argumentation des parties

104 Les sociétés requérantes reprochent au Tribunal d'avoir méconnu les principes de sécurité juridique et d'individualisation des peines en ce qu'il n'aurait pas remis en cause l'application des règles en matière de solidarité pour le paiement des amendes, telle qu'effectuée par la Commission, dès lors que celle-ci aurait imposé une solidarité de fait à Alstom et à Areva, deux sociétés mères successives de filiales ayant commis des infractions aux règles de concurrence de l'Union, alors que ces sociétés mères n'auraient jamais constitué une unité économique entre elles.

105 Areva ajoute que le Tribunal a lui-même également méconnu lesdits principes en infligeant, dans le cadre de l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, des amendes réformées ayant aussi pour effet d'engendrer une solidarité de fait.

106 Les sociétés du groupe Alstom soutiennent que cette solidarité de fait découle, d'une part, du fait que le montant de 25 500 000 euros, réduit à 20 400 000 euros par le Tribunal, infligé solidairement à Areva et aux filiales T & D, est entièrement englobé dans le montant de 53 550 000 euros, réduit à 48 195 000 euros par le Tribunal, infligé solidairement à Alstom et à son ancienne filiale Areva T&D SA, et, d'autre part, du fait que la somme des montants maximaux pour lesquels les sociétés mères successives sont tenues responsables dépasse le montant devant être payé par la filiale.

107 Cette technique de détermination de l'amende dite "en cascade" aurait en effet comme conséquence l'instauration d'une solidarité de fait entre Alstom et Areva, dès lors que le montant effectivement recouvré par la Commission auprès d'une société mère aurait une incidence directe sur le montant pouvant être réclamé par la Commission auprès de l'autre société mère, alors que ces sociétés n'ont jamais fait partie d'une même entreprise, au sens des règles du droit de la concurrence de l'Union. En outre, une telle technique ne permettrait pas aux sociétés mères en cause de connaître, sans ambiguïté, le montant exact de l'amende que chacune d'elles devra acquitter.

108 Dans l'arrêt du 13 septembre 2010, Trioplast Industrier/Commission (T-40-06, Rec. p. II-4893), le Tribunal aurait confirmé, dans un contexte de succession de sociétés mères de filiales ayant commis des infractions au droit de la concurrence identique, pour l'essentiel, aux présentes affaires, qu'une telle technique de détermination du rapport externe de solidarité est contraire au principe d'individualisation des peines et des sanctions.

109 La Commission considère, à titre principal, que les moyens invoqués par les sociétés requérantes sont nouveaux et donc irrecevables en tant qu'ils visent à reprocher au Tribunal de ne pas avoir sanctionné la Commission pour avoir instauré une solidarité de fait entre les sociétés mères Areva et Alstom. Il s'agirait de moyens que lesdites sociétés auraient omis de soulever en première instance alors qu'elles auraient pu le faire. Les moyens relatifs aux règles en matière de solidarité invoquées devant le Tribunal n'auraient concerné que la solidarité réelle ou solidarité "de jure" entre Areva T&D SA et chacune de ses sociétés mères successives Alstom et Areva, telle que définie dans la décision litigieuse.

110 Sur le fond, la Commission soutient, à titre subsidiaire, que la cession d'Areva T&D SA pendant la période d'infraction en cause entraîne une double solidarité de cette filiale avec chacune de ses sociétés mères successives. Toutefois, si la méthode retenue en l'espèce pour définir la solidarité implique un possible chevauchement des montants exigibles d'Areva et d'Alstom, il n'en résulterait pas que ces sociétés seraient solidairement responsables de jure. En effet, du point de vue juridique, seule importerait la responsabilité solidaire de chaque société mère avec la filiale transférée.

111 En outre, dans les cas où une filiale est tenue solidairement responsable avec ses sociétés mères successives, il ne serait nullement contraire au droit de l'Union de calculer l'amende due par celles-ci sur la base d'un montant de départ entier, qui est identique au montant de départ infligé à la filiale. Contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, au point 74 de l'arrêt Trioplast Industrier/Commission, précité, le Tribunal aurait confirmé la légalité de cette méthode, laquelle serait d'ailleurs plus avantageuse pour les sociétés mères en cause que d'autres méthodes envisageables dans de tels cas.

ii) Appréciation de la Cour

- Sur la recevabilité

112 La Commission soulève une exception d'irrecevabilité à l'encontre des arguments tirés par les sociétés requérantes de la solidarité de fait qu'aurait imposée la Commission entre les sociétés mères Areva et Alstom, en faisant valoir que, dans leur requête de première instance, les sociétés requérantes n'avaient pas soulevé de tels arguments. En première instance, celles-ci se seraient bornées à critiquer la solidarité de jure entre Areva T&D SA et chacune des sociétés mères successives de celle-ci. Partant, il s'agirait de nouveaux moyens qui sont irrecevables dans le cadre d'un pourvoi.

113 À cet égard, il ressort d'une jurisprudence constante que permettre à une partie de soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu'elle n'a pas soulevé devant le Tribunal reviendrait à lui permettre de saisir la Cour d'un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Dans le cadre d'un pourvoi, la compétence de la Cour est, en principe, limitée à l'examen de l'appréciation par le Tribunal des moyens qui ont été débattus devant lui (voir, notamment, arrêt Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission, précité, point 111).

114 Toutefois, un argument qui n'a pas été soulevé en première instance ne constitue pas un moyen nouveau qui est irrecevable au stade du pourvoi s'il ne constitue que l'ampliation d'une argumentation déjà développée dans le cadre d'un moyen présenté dans la requête devant le Tribunal (voir en ce sens, notamment, arrêt Siemens e.a./Commission, précité, point 287).

115 Ainsi que l'a en substance relevé M. l'avocat général aux points 117 à 120 de ses conclusions, il y a lieu de constater que, dans sa requête de première instance, Alstom avait soulevé, dans le cadre de son deuxième moyen, tiré de la violation des règles en matière de solidarité pour le paiement des amendes découlant, notamment, des principes de sécurité juridique et d'individualisation des peines, une argumentation critiquant explicitement la technique de détermination de l'amende, consistant à englober le montant de l'amende auquel est solidairement tenu Areva avec ses anciennes filiales de la T & D dans celui dont Alstom est tenu solidairement responsable avec Areva T&D SA.

116 Partant, si Alstom n'a pas expressément soulevé, en première instance, de griefs dirigés contre la création d'une solidarité "de fait" par la Commission, force est de constater qu'elle a spécifiquement critiqué, sur la base du même fondement juridique que celui soulevé dans le pourvoi, la technique à l'origine d'une telle solidarité. Par conséquent, l'argumentation tirée par Alstom de cette solidarité de fait ne constitue pas un moyen nouveau, irrecevable au stade du pourvoi, dès lors qu'elle ne constitue que l'ampliation d'une argumentation déjà développée dans le cadre d'un moyen présenté dans la requête devant le Tribunal.

117 S'agissant d'Areva, il y a lieu de constater que, devant le Tribunal, celle-ci a invoqué un moyen tiré de la violation des règles en matière de solidarité, découlant du principe de sécurité juridique, lequel coïncide en partie avec le fondement du moyen présenté dans le cadre du pourvoi et critiquant la solidarité de fait. Si ce moyen soulevé en première instance ne visait, en tant que tel, que la solidarité de jure entre Areva T&D SA et Alstom, il n'en demeure pas moins que, dans le cadre de celui-ci, Areva avait évoqué des questions relatives à la double solidarité imposée à Areva T&D SA avec chacune de ses sociétés mères successives.

118 Par ailleurs, ainsi que l'a fait valoir Areva, le Tribunal, dans l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, a infligé une amende en utilisant la même méthode de détermination "en cascade" de celle-ci. Il s'ensuit que le Tribunal s'est ainsi fondé sur cette méthode, de sorte que l'argument tiré de la solidarité de fait découlant de l'application de ladite méthode trouve son origine dans l'arrêt attaqué et que son bien-fondé peut être critiqué dans le cadre du pourvoi (voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 2014, Commission/Siemens Österreich e.a. et Siemens Transmission & Distribution e.a./Commission, C-231-11 P à C-233-11 P, non encore publié au Recueil, point 102 et jurisprudence citée).

119 Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission.

- Sur le fond

120 Il ressort de la jurisprudence que, lorsque plusieurs personnes juridiques peuvent être tenues pour personnellement responsables de la participation à une infraction aux règles du droit de la concurrence de l'Union, en raison de leur appartenance à une seule et même entreprise à laquelle cette infraction peut être reprochée, la Commission dispose, en vertu de l'article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1-2003, du pouvoir de leur infliger solidairement une amende (voir, en ce sens, arrêt Commission/Siemens Österreich e.a. et Siemens Transmission & Distribution e.a./Commission, précité, points 39 à 51).

121 Toutefois, lorsqu'elle décide d'exercer ce pouvoir de sanction, la Commission ne saurait déterminer librement le rapport extérieur de solidarité et en particulier le montant de l'amende dont elle peut exiger le paiement intégral de chacun des codébiteurs solidaires (voir, en ce sens, arrêt Commission/Siemens Österreich e.a. et Siemens Transmission & Distribution e.a./Commission, précité, points 52 et 54).

122 En effet, la notion du droit de l'Union de solidarité pour le paiement de l'amende n'étant qu'une manifestation d'un effet de plein droit de la notion d'entreprise, la détermination du montant de l'amende au paiement intégral duquel chacun des codébiteurs solidaires peut être tenu par la Commission procède de l'application, dans un cas d'espèce, de cette notion d'entreprise (voir, en ce sens, arrêt Commission/Siemens Österreich e.a. et Siemens Transmission & Distribution e.a./Commission, précité, points 51 et 57).

123 À cet égard, il y a lieu de rappeler que le choix des auteurs des traités a été d'utiliser la notion d'entreprise pour désigner l'auteur d'une infraction au droit de la concurrence, susceptible d'être sanctionné en application des articles 81 CE et 82 CE, et non d'autres notions telles que celles de société ou de personne morale (arrêt Commission/Siemens Österreich e.a. et Siemens Transmission & Distribution e.a./Commission, précité, point 42).

124 C'est d'ailleurs cette même notion d'entreprise que le législateur de l'Union a retenu à l'article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1-2003 pour définir l'entité à laquelle la Commission peut infliger une amende pour sanctionner une infraction aux règles du droit de la concurrence de l'Union.

125 Selon une jurisprudence constante, la notion d'"entreprise", au sens du droit de la concurrence de l'Union, désigne toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. Cette notion doit être comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, cette unité est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (voir, notamment, arrêt Commission/Siemens Österreich e.a. et Siemens Transmission & Distribution e.a./Commission, précité, point 43).

126 En outre, dans le cadre de la détermination de la relation externe de solidarité, à savoir le rapport entre la Commission et les différentes personnes constituant l'entreprise, qui peuvent être appelées à payer l'intégralité de l'amende infligée à cette entreprise, certaines contraintes s'imposent à la Commission.

127 Ainsi, celle-ci est tenue de respecter le principe d'individualisation des peines et des sanctions qui exige que, conformément à l'article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1-2003, le montant de l'amende devant être payée solidairement soit déterminé en fonction de la gravité de l'infraction individuellement reprochée à l'entreprise concernée et de la durée de celle-ci (arrêt Commission/Siemens Österreich e.a. et Siemens Transmission & Distribution e.a./Commission, précité, point 52).

128 Dans ce même cadre, la Commission doit également respecter le principe de sécurité juridique qui exige que tout acte adopté par les institutions de l'Union soit clair et précis, afin de permettre aux personnes concernées de connaître avec exactitude les droits et les obligations qui en découlent et de prendre leurs dispositions en conséquence (voir en ce sens, notamment, arrêt du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., C-201-09 P et C-216-09 P, Rec. p. I-2239, point 68).

129 En l'occurrence, force est de constater que la méthode choisie par la Commission et confirmée par le Tribunal pour définir la solidarité entre Areva T&D SA, en sa qualité de filiale, et ses sociétés mères successives Alstom et Areva, consistant à englober le montant de l'amende dû solidairement par Areva et les sociétés du groupe Areva, dont faisait partie cette filiale, dans celui dû solidairement par Alstom et ladite filiale, si elle n'établit pas, en tant que telle, un lien formel de solidarité entre lesdites sociétés mères, est néanmoins susceptible, en réalité, de produire les mêmes effets que ceux découlant d'un tel lien.

130 En effet, une telle détermination du rapport externe de solidarité est susceptible d'avoir pour conséquence d'obliger l'une des sociétés mères, dans un premier temps, de payer à la Commission la totalité des amendes dues par les sociétés mères successives de la filiale ayant commis une infraction au droit de la concurrence, alors que les sociétés mères en cause n'ont jamais fait partie d'une seule et même entreprise au sens du droit de concurrence de l'Union. Dans un second temps, une fois la Commission désintéressée par suite du paiement intégral des amendes, ladite société mère serait tenue d'exiger, le cas échéant dans le cadre d'une action récursoire engagée devant une juridiction nationale, que l'autre société mère lui rembourse ces amendes à concurrence de la quote-part de ces dernières pour laquelle celle-ci est responsable, s'exposant ainsi au risque d'une éventuelle insolvabilité de cette autre société mère.

131 Or, une telle configuration de la solidarité est contraire au principe d'individualisation des peines et des sanctions, rappelé au point 127 du présent arrêt. En effet, celle-ci permet à la Commission d'exiger que l'une des sociétés mères paie une amende sanctionnant des infractions qui sont reprochées, pour une autre partie de la période d'infraction, à une entreprise dont elle n'a jamais fait partie, en l'occurrence celle dont fait partie l'autre société mère, et non à concurrence de la quote-part de la responsabilité solidaire de l'entreprise dont elle faisait partie lors de la commission de l'infraction par cette entreprise.

132 En outre, si l'instrument de la solidarité permet à la Commission de réduire le risque d'une éventuelle insolvabilité de l'une des sociétés faisant partie d'une même entreprise, ce qui participe aux objectifs d'efficacité de son action et de dissuasion dans le domaine de la répression des infractions au droit de la concurrence (arrêt Commission/Siemens Österreich e.a. et Siemens Transmission & Distribution e.a./Commission, précité, point 59), cet instrument ne saurait être utilisé de manière à faire supporter le risque de l'insolvabilité d'une société à une autre société, alors que celles-ci n'ont jamais fait partie d'une même entreprise.

133 Lorsque la Commission entend condamner solidairement une filiale ayant commis une infraction avec chacune de ses sociétés mères avec lesquelles elle a successivement formé une entreprise distincte au cours de la période d'infraction, ce principe exige que cette institution fixe séparément, pour chacune des entreprises en cause, le montant de l'amende devant être payé solidairement par les sociétés qui en font partie, en fonction de la gravité de l'infraction individuellement reprochée à chaque entreprise concernée et de la durée de celle-ci.

134 Certes, il ne découle pas du principe d'individualisation des peines et des sanctions que, dans une telle configuration de solidarité, chaque société doive pouvoir déduire de la décision qui lui inflige une amende à payer solidairement avec une ou plusieurs autres sociétés la quote-part qu'elle devra supporter dans sa relation avec ses codébiteurs solidaires, une fois la Commission désintéressée (arrêt Commission/Siemens Österreich e.a. et Siemens Transmission & Distribution e.a./Commission, précité, point 66).

135 En revanche, ce principe exige, sur le plan de la relation externe de solidarité, que, dans une telle configuration de solidarité, chaque société mère successive doive pouvoir déduire d'une telle décision la quote-part de sa responsabilité solidaire pour le paiement de l'amende correspondant à la partie de l'amende de la filiale pouvant lui être imputée et que la Commission peut réclamer d'elle.

136 À cet égard, il y a également lieu de constater que la somme totale des montants de l'amende pour lesquels Areva et Alstom ont été solidairement tenues responsables, à savoir, respectivement le montant de 25 500 000 euros, réduit à 20 400 000 euros par le Tribunal, et le montant de 53 550 000 euros, réduit à 48 195 000 euros par celui-ci, dépasse le montant de l'amende infligée auxdites sociétés solidairement avec la filiale Areva T&D SA, à savoir celui de 53 550 000 euros, réduit à 48 195 000 euros par le Tribunal.

137 Or, dans une situation telle que celle de l'espèce, la responsabilité d'Areva et d'Alstom, en tant que sociétés mères, pour l'infraction commise, est entièrement dérivée de celle d'une filiale qui leur a successivement appartenu (voir, par analogie, arrêt du 22 janvier 2013, Commission/Tomkins, C-286-11 P, non encore publié au Recueil, points 43 et 49).

138 Il en découle que la somme totale des montants auxquels les sociétés mères sont condamnées ne peut excéder le montant auquel est condamnée cette filiale.

139 En outre, dans la mesure où la détermination de la solidarité, telle qu'elle a été effectuée dans la décision litigieuse et confirmée par l'arrêt attaqué, ne permet pas aux sociétés mères en cause de connaître avec exactitude le montant de l'amende qu'elles doivent acquitter au regard de la période au titre de laquelle elles sont tenues solidairement responsables de l'infraction avec leur filiale, une violation du principe de sécurité juridique doit également être constatée.

140 Cette insécurité juridique ne saurait être palliée par une règle de responsabilité à quotes-parts égales applicable par défaut, telle que celle consacrée par le Tribunal au point 215 de l'arrêt attaqué, en vertu de laquelle, en l'absence de toute constatation, dans la décision de la Commission infligeant à plusieurs sociétés une amende devant être payée solidairement, selon laquelle, au sein de l'entreprise, certaines sociétés seraient davantage responsables que d'autres de la participation de ladite entreprise à l'entente pendant une période donnée, il y a lieu de supposer qu'elles ont une responsabilité égale et, partant, qu'elles doivent supporter une quote-part égale des montants qui leur ont été infligés solidairement.

141 En effet, le droit de l'Union ne prescrit pas une telle règle (arrêt Commission/Siemens Österreich e.a. et Siemens Transmission & Distribution e.a./Commission, précité, points 70 et 71). Par ailleurs, cette règle ne vise, en tout état de cause, que la répartition interne de l'amende entre codébiteurs, une fois la Commission désintéressée, et non la détermination, sur le plan externe de la solidarité, des montants respectifs que la Commission peut réclamer aux personnes juridiques ayant fait partie de chacune des entreprises qui se sont succédé au cours de la période d'infraction.

142 Enfin, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 141 de ses conclusions, l'argument de la Commission selon lequel celle-ci pouvait calculer l'amende pour la filiale ayant commis l'infraction et ses sociétés mères successives en se fondant sur le seul montant de départ retenu pour la filiale n'est pas de nature à remettre en cause la conclusion selon laquelle la définition de la solidarité retenue par la Commission et confirmée par le Tribunal constitue une violation des principes de sécurité juridique et d'individualisation des peines et des sanctions.

b) Sur les arguments relatifs à la répartition interne de l'amende entre codébiteurs solidaires

i) Argumentation des parties

143 En premier lieu, les sociétés requérantes reprochent au Tribunal d'avoir enfreint les principes de sécurité juridique et d'individualisation des peines et des sanctions en jugeant, au point 215 de l'arrêt attaqué, que, compte tenu de la règle de responsabilité à quotes-parts égales applicable par défaut, mentionnée au point 140 du présent arrêt, chacune des sociétés sanctionnées pouvait déduire de la décision litigieuse la quote-part de l'amende qu'elle devait supporter dans la relation interne avec les autres codébiteurs solidaires, une telle règle applicable par défaut étant contraire à la notion de solidarité, telle qu'elle est prévue par le droit de l'Union.

144 En deuxième lieu, les sociétés requérantes soutiennent que, en se fondant sur la règle de responsabilité à quotes-parts égales, le Tribunal a commis une erreur de droit en constatant au point 236 de l'arrêt attaqué que la Commission n'avait pas délégué à un juge national ou à un arbitre le pouvoir de déterminer leur contribution respective au paiement de l'amende. En effet, lorsque la Commission s'abstient de déterminer la quote-part de chaque codébiteur, elle délèguerait implicitement ce pouvoir à un tiers, à savoir un juge national ou un arbitre, cela en violation de l'article 7 CE.

145 En troisième lieu, les sociétés requérantes soutiennent que, en rejetant leurs arguments tirés de la violation du principe de sécurité juridique et de la délégation illicite de pouvoirs sur le fondement de la règle de responsabilité à quotes-parts égales, le Tribunal a violé son obligation de motivation, dès lors que, ce faisant, il a modifié le contenu de la décision litigieuse en y ajoutant des motifs, qui sont d'ailleurs contraires à la volonté de la Commission.

146 La Commission estime que le moyen tiré d'une délégation illicite de pouvoirs est nouveau et, partant, irrecevable, et qu'il est en tout état de cause non fondé, dès lors qu'il repose sur la prémisse erronée selon laquelle la Commission disposerait du pouvoir de déterminer les quotes-parts des codébiteurs solidaires dans leur relation interne, alors que son pouvoir de sanction ne concerne que la relation externe de solidarité. En revanche, elle partage en substance la critique dirigée contre la règle de responsabilité à quotes-parts égales, telle qu'énoncée par le Tribunal au point 215 de l'arrêt attaqué, mais demande à la Cour de procéder à une substitution de motifs, afin d'écarter les griefs tirés de la violation des principes de sécurité juridique et d'individualisation des peines et des sanctions.

ii) Appréciation de la Cour

147 À titre liminaire, il y a lieu d'écarter l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission à l'encontre de l'argumentation tirée par les sociétés du groupe Alstom d'une délégation illicite du pouvoir de sanction.

148 En effet, étant donné qu'une partie doit pouvoir contester tous les motifs d'un arrêt qui lui font grief, chaque partie peut, lorsque le Tribunal a joint deux affaires et a rendu un arrêt unique qui répond à l'ensemble des moyens présentés par les parties à la procédure devant lui, critiquer les raisonnements relatifs à des moyens qui, devant le Tribunal, étaient soulevés par la seule requérante dans l'autre affaire jointe, dès lors que ces raisonnements lui font grief (arrêt du 11 juillet 2013, Team Relocations e.a./Commission, C-444-11 P, point 34).

149 Sur le fond, s'agissant en premier lieu des arguments des sociétés requérantes, dirigés contre les points 215 et 236 de l'arrêt attaqué, il y a lieu de constater que ceux-ci sont fondés sur la prémisse, exposée au point 214 de cet arrêt, selon laquelle la compétence dont dispose la Commission, en vertu de l'article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1-2003, pour infliger une amende devant être payée solidairement par plusieurs personnes juridiques faisant partie d'une seule entreprise inclut le pouvoir exclusif de déterminer les quotes-parts de l'amende que les codébiteurs solidaires devront supporter dans leur relation interne par suite du paiement intégral de l'amende conduisant au désintéressement de la Commission.

150 Or, en retenant cette prémisse, le Tribunal a commis une erreur de droit.

151 En effet, le pouvoir de sanction dont dispose la Commission se limite à la détermination du montant de l'amende dont les personnes juridiques faisant partie d'une même entreprise sont solidairement tenues à son égard, soit la relation externe de solidarité, mais ne s'étend pas à celui de déterminer la quote-part de ce montant devant être supportée par les codébiteurs solidaires dans le cadre de la relation interne de solidarité (arrêt Commission/Siemens Österreich e.a. et Siemens Transmission & Distribution e.a./Commission, précité, point 58).

152 En revanche, en l'absence de fixation par voie contractuelle des quotes-parts des codébiteurs d'une amende infligée solidairement, il incombe aux juridictions nationales de déterminer, dans le respect du droit de l'Union, ces quotes-parts, en appliquant le droit national (arrêt Commission/Siemens Österreich e.a. et Siemens Transmission & Distribution e.a./Commission, précité, point 62).

153 Il en découle que le Tribunal a commis une erreur de droit en ayant jugé, en substance, au point 215 de l'arrêt attaqué que, en l'absence de toute constatation, dans la décision de la Commission infligeant à plusieurs sociétés une amende devant être payée solidairement, selon laquelle, au sein de l'entreprise, certaines sociétés étaient davantage responsables que d'autres de la participation de ladite entreprise à l'entente pendant une période donnée, il y avait lieu de supposer qu'elles avaient une responsabilité égale et, partant, devaient supporter une quote-part égale des montants qui leur avaient été infligés solidairement (arrêt Commission/Siemens Österreich e.a. et Siemens Transmission & Distribution e.a./Commission, précité, point 69).

154 Il s'ensuit également que le Tribunal ne pouvait se fonder sur une telle règle de responsabilité à quotes-parts égales, applicable par défaut, pour conclure, aux points 216 et 236 de l'arrêt attaqué, respectivement, que les sociétés sanctionnées pouvaient connaître, sans ambiguïtés, les possibles conséquences financières de l'infliction de l'amende devant être payée solidairement et que la Commission n'avait pas délégué son pouvoir de sanction à un juge national ou à un arbitre.

155 Toutefois, il y a lieu de rappeler que, si les motifs d'un arrêt du Tribunal révèlent une violation du droit de l'Union, mais que le dispositif de celui-ci apparaît fondé pour d'autres motifs de droit, une telle violation n'est pas de nature à entraîner l'annulation de cet arrêt et qu'il y a lieu de procéder à une substitution de motifs (voir en ce sens, notamment, arrêt du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission, C-120-06 P et C-121-06 P, Rec. p. I-6513, point 187 et jurisprudence citée).

156 Or, eu égard à ce qui précède, il apparaît que, auxdits points 216 et 236, le Tribunal a manifestement conclu à bon droit au rejet des arguments tirés respectivement d'une violation du principe de sécurité juridique et d'une délégation illicite du pouvoir de la Commission.

157 En effet, d'une part, la Commission ne disposant pas du pouvoir de procéder à la répartition interne du montant d'une amende infligée solidairement, il ne saurait être exigé que chaque société doive pouvoir déduire de la décision qui lui impose une amende devant être payée solidairement avec une ou plusieurs autres sociétés la quote-part qu'elle devra supporter dans sa relation avec ses codébiteurs solidaires, une fois la Commission désintéressée (arrêt Commission/Siemens Österreich e.a. et Siemens Transmission & Distribution e.a./Commission, précité, point 66). Cette quote-part devra, en l'absence de règlement contractuel, être déterminée par une juridiction nationale. Partant, l'absence de détermination de cette quote-part dans la décision de la Commission infligeant solidairement une amende ne saurait, en elle-même, constituer une violation du principe de sécurité juridique.

158 D'autre part, dès lors que le pouvoir de procéder à la répartition interne du montant d'une amende devant être payée solidairement revient à une juridiction nationale ou à un arbitre et non à la Commission, il ne saurait en aucun cas être reproché à cette dernière d'avoir illicitement délégué un tel pouvoir en n'ayant pas déterminé, dans la décision litigieuse, les quotes-parts des codébiteurs solidaires dans le cadre de leur relation interne.

159 Il résulte de ces considérations que les moyens ainsi invoqués sont, en tout état de cause, manifestement non fondés et qu'il y a lieu, pour les motifs de droit énoncés aux points 157 et 158 du présent arrêt qui doivent être substitués à ceux retenus par le Tribunal aux points 216 et 236 de l'arrêt attaqué, de rejeter les pourvois sur ce point.

160 En second et dernier lieu, il convient également de rejeter l'argument tiré de la violation de l'obligation de motivation qu'aurait commise le Tribunal. Il ne saurait en effet être reproché au Tribunal d'avoir substitué sa propre motivation à celle de la décision litigieuse. En effet, dans le cadre de son contrôle de la légalité de cette décision, le Tribunal était parfaitement en droit d'écarter les moyens en cause en se fondant sur des motifs tels que celui consacrant la règle de responsabilité à quotes-parts égales, applicable par défaut, même si, au fond, ce motif s'est révélé erroné en droit.

161 Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que les deuxième et troisième moyens invoqués par Areva ainsi que la troisième branche du deuxième moyen et le quatrième moyen soulevés par les sociétés du groupe Alstom sont fondés en tant qu'ils reprochent à la Commission et au Tribunal d'avoir imposé une solidarité de fait entre Areva et Alstom et d'avoir ainsi enfreint les règles en matière de solidarité pour le paiement des amendes, découlant des principes de sécurité juridique et d'individualisation des peines et des sanctions.

3. Sur le quatrième moyen invoqué par Areva, tiré d'une violation des principes de proportionnalité et d'égalité de traitement dans la détermination de l'amende qui lui a été infligée

i) Argumentation des parties

162 Areva soutient que le Tribunal, dans l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, aurait dû apprécier si le montant de l'amende infligée solidairement à Areva était proportionné à la gravité et à la durée de l'infraction et s'il était conforme au principe d'égalité de traitement. En application de ces principes, le Tribunal aurait dû diminuer le montant maximal de l'amende pour lequel Areva a été tenue solidairement responsable.

163 La violation du principe de proportionnalité invoquée découlerait du fait qu'Areva a été condamnée à payer solidairement, pour une infraction d'une durée de quatre mois seulement, une somme représentant environ la moitié de la somme qu'Alstom doit payer solidairement pour une infraction d'une durée de douze ans ou environ le double de l'amende qu'Alstom doit payer seule pour sa participation directe à l'entente en cause pendant une période de quatre ans.

164 Le principe d'égalité de traitement aurait également été méconnu, dès lors que le Tribunal a confirmé la décision litigieuse malgré le fait que, par celle-ci, la Commission a, compte tenu de la durée de la participation à l'infraction en cause, sanctionné Areva beaucoup plus sévèrement que l'a été Alstom, alors que cette dernière était l'une des sociétés fondatrices de ladite entente, que la durée totale de sa participation à celle-ci a été 47 fois supérieure à celle d'Areva et que le chiffre d'affaires d'Alstom était supérieur à celui d'Areva.

165 La Commission soutient que ce moyen est irrecevable, dès lors, notamment, qu'il n'a pas été invoqué par Areva en première instance et qu'il ne constitue pas non plus un moyen d'ordre public que le Tribunal aurait dû soulever d'office. Sur le fond, elle fait valoir que la détermination de l'amende infligée à Areva ne saurait être critiquée, dès lors, notamment, qu'elle a été calculée en application des lignes directrices.

ii) Appréciation de la Cour

166 À titre liminaire, s'agissant de la recevabilité du présent moyen, il y a lieu de constater, ainsi que l'a également relevé M. l'avocat général au point 189 de ses conclusions, que, dans leur requête de première instance, les sociétés du groupe Areva n'ont soulevé aucun moyen, tiré de la violation des principes de proportionnalité et d'égalité de traitement, par lequel elles auraient fait valoir l'illégalité du montant de l'amende imposée à Areva en raison de la violation de ces principes. S'il est vrai que, dans leur requête, lesdites sociétés ont allégué une violation des principes d'égalité de traitement et de proportionnalité, cette argumentation visait une question tout autre, à savoir la condamnation solidaire des sociétés Alstom et Areva T&D SA.

167 Il s'agit donc d'un moyen nouveau qui, conformément à la jurisprudence rappelée au point 113 du présent arrêt, est irrecevable dans le cadre d'un pourvoi devant la Cour.

168 Par ailleurs, ainsi que l'a également relevé M. l'avocat général au point 191 de ses conclusions, la rétrocession d'Areva T&D SA à Alstom, si elle est intervenue entre l'introduction du recours de première instance et celle du pourvoi, ne constitue pas un élément de fait nouveau pouvant justifier que ce moyen soit considéré comme recevable, dès lors que celui-ci n'est pas fondé sur cet élément.

169 Toutefois, le quatrième moyen invoqué par Areva est recevable en tant que, par ce moyen, celle-ci reproche au Tribunal de ne pas avoir examiné, dans le cadre de l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, l'illégalité de l'amende qui lui a été infligée solidairement, notamment avec Areva T&D SA, en raison d'une prétendue violation des principes de proportionnalité et d'égalité de traitement ou d'avoir commis une erreur de droit dans le cadre de cet exercice.

170 En effet, ainsi qu'il a été rappelé au point 118 du présent arrêt, un moyen qui trouve son origine dans l'arrêt attaqué peut être invoqué dans le cadre d'un pourvoi.

171 À cet égard, il convient de rappeler que, outre le contrôle de légalité prévu par le traité FUE, le Tribunal dispose d'une compétence de pleine juridiction qui lui est reconnue, conformément à l'article 261 TFUE, par l'article 31 du règlement n° 1-2003, et qui l'habilite à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l'amende ou l'astreinte infligée (voir, notamment, arrêts Siemens e.a./Commission, précité, point 334, et du 19 décembre 2013, Koninklijke Wegenbouw Stevin/Commission, C-586-12 P, point 32 et jurisprudence citée).

172 Toutefois, la Cour a également souligné que l'exercice de cette compétence de pleine juridiction n'équivaut pas à un contrôle d'office et que la procédure devant les juridictions de l'Union est contradictoire. À l'exception des moyens d'ordre public que le juge est tenu de soulever d'office, c'est à la partie requérante qu'il appartient de soulever des moyens à l'encontre de la décision attaquée et d'apporter des éléments de preuve à l'appui de ces moyens (arrêt Siemens e.a./Commission, précité, point 335).

173 La Cour a en outre indiqué que cette exigence de nature procédurale ne va pas à l'encontre de la règle selon laquelle, s'agissant d'infractions aux règles de la concurrence, c'est à la Commission qu'il appartient d'apporter la preuve des infractions qu'elle constate et d'établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l'existence des faits constitutifs d'une telle infraction. Ce qui est en effet demandé à un requérant dans le cadre d'un recours juridictionnel, c'est d'identifier les éléments contestés de la décision attaquée, de formuler des griefs à cet égard et d'apporter des preuves, qui peuvent être constituées d'indices sérieux, tendant à démontrer que ses griefs sont fondés (arrêt Siemens e.a./Commission, précité, point 336).

174 Or, il n'apparaît pas que, dans l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, tel qu'opéré aux points 318 à 323 de l'arrêt attaqué, le Tribunal ait méconnu ces principes.

175 En effet, auxdits points, le Tribunal, à la suite de la constatation, au point 317 de cet arrêt, du bien-fondé des moyens des requérantes, tirés des principes de proportionnalité et d'égalité de traitement, en ce que la Commission avait imposé à Alstom et aux sociétés du groupe Areva, au titre de la circonstance aggravante tirée d'un rôle de meneur de l'infraction, une majoration de 50 % du montant de base de leurs amendes identique à celle imposée à Siemens, a réformé les amendes infligées solidairement à Alstom et à Areva en réduisant cette majoration respectivement à 35 % et à 20 %.

176 Or, dans ce contexte précis, le Tribunal ne devait pas, dans l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, examiner d'office d'autres griefs pouvant éventuellement être soulevés à l'encontre du montant de l'amende infligée à Areva en raison de la violation des principes de proportionnalité et d'égalité de traitement, tels que ceux présentés par Areva dans le cadre de son pourvoi.

177 Enfin, il ressort d'une jurisprudence bien établie qu'il n'appartient pas à la Cour, lorsqu'elle se prononce sur des questions de droit dans le cadre d'un pourvoi, de substituer, pour des motifs d'équité, son appréciation à celle du Tribunal statuant, dans l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, sur le montant des amendes infligées à des entreprises en raison de la violation, par celles-ci, du droit de l'Union. Ainsi, ce n'est que dans la mesure où la Cour estimerait que le niveau de la sanction est non seulement inapproprié, mais également excessif, au point d'être disproportionné, qu'il y aurait lieu de constater une erreur de droit commise par le Tribunal, en raison du caractère inapproprié du montant d'une amende (arrêt du 30 mai 2013, Quinn Barlo e.a./Commission, C- 70-12 P, point 57).

178 À cet égard, s'agissant du caractère prétendument inapproprié du montant de l'amende infligée à Areva, en raison du fait que la participation de cette dernière à l'infraction en cause a été de courte durée, il n'apparaît pas que le montant de l'amende solidairement infligée à Areva soit excessif, au point d'être disproportionné.

179 En effet, ainsi que l'a fait valoir la Commission, ce montant a été calculé en application de la méthodologie exposée dans les lignes directrices. Dans ce cadre, il est constant que la circonstance que la participation d'Areva à l'entente en cause a été de courte durée a été traduite dans le fait que le montant de départ de l'amende n'a pas été majoré au titre de la durée de l'infraction, alors que, s'agissant d'Alstom, le montant de départ a été majoré de 155 % en raison d'une participation à cette entente d'une durée totale de 15 ans et 8 mois.

180 Toutefois, le fait que la participation d'Areva à ladite infraction a été de courte durée n'enlève rien à la gravité de l'infraction reprochée à Areva, telle que reflétée dans le calcul de l'amende, en particulier dans la détermination du montant de départ.

181 Or, conformément à l'article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1-2003, le montant de l'amende doit être déterminé en fonction de la gravité de l'infraction individuellement reprochée à l'entreprise concernée et de la durée de celle-ci (arrêt Commission/Siemens Österreich e.a. et Siemens Transmission & Distribution e.a./Commission, précité, point 52).

182 Dans ces conditions, il convient de rejeter le quatrième moyen du pourvoi d'Areva.

4. Sur le cinquième moyen invoqué par Alstom, tiré de la violation du droit à un recours effectif

i) Argumentation des parties

183 Par son cinquième moyen, les sociétés du groupe Alstom soutiennent que, aux points 223 à 230 de l'arrêt attaqué, le Tribunal s'est mépris sur la portée du premier moyen, tiré par Alstom de la violation du droit à un recours effectif et à une protection juridictionnelle, et n'a pas, par conséquent, répondu à ce moyen.

184 Auxdits points, le Tribunal se serait prononcé sur l'exigence d'un contrôle juridictionnel et plus particulièrement sur le fait qu'Alstom et Areva T&D SA avaient bien bénéficié du droit de soumettre la décision litigieuse à un contrôle juridictionnel par l'exercice effectif de voies de recours. Or, le premier moyen soulevé par Areva devant le Tribunal aurait porté sur la liberté de choisir d'introduire un recours, laquelle aurait été limitée par l'effet de la condamnation solidaire d'Alstom et d'Areva T&D SA.

185 La Commission fait valoir que, aux points 223 à 230 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a répondu de manière adéquate à l'argumentation soulevée par les sociétés du groupe Alstom en première instance.

ii) Appréciation de la Cour

186 Contrairement à ce que soutiennent les sociétés du groupe Alstom, il ressort de la lecture des points 223 à 230 de l'arrêt attaqué que le Tribunal a répondu de manière adéquate au moyen invoqué par Alstom, tiré d'une violation du droit à un recours effectif, et ne s'est, dans ce cadre, aucunement mépris sur la portée de l'argumentation développée par celle-ci.

187 En effet, après avoir rappelé la jurisprudence pertinente aux points 224 à 227 dudit arrêt, le Tribunal a considéré à bon droit, au point 228 du même arrêt, que la condamnation solidaire d'Alstom et d'Areva T&D SA par la Commission n'avait pas porté atteinte au droit de chacune de ces sociétés, en tant que destinataire de la décision attaquée, de soumettre cette dernière à un contrôle juridictionnel par l'exercice effectif de voies de recours garanties par le droit de l'Union.

188 Les sociétés du groupe Alstom soutiennent que le Tribunal ne s'est pas prononcé sur les restrictions à la liberté de choisir d'introduire un recours, qui découleraient de l'infliction d'une amende solidairement à Alstom et à Areva T&D SA. Ainsi, si Areva T&D SA introduisait un recours, Alstom devait faire de même, afin d'éviter de devoir payer l'intégralité de l'amende infligée, alors que, si Areva T&D SA n'introduisait pas de recours, cette dernière devait payer cette amende et un recours d'Alstom ne pouvait plus avoir d'effet sur le montant total de ladite amende.

189 À cet égard, il convient de constater que ces contraintes ne sont que la conséquence inéluctable de l'infliction, à Alstom et à Areva T&D SA, d'une amende devant être payée solidairement par ces sociétés. Si une telle conséquence peut certainement avoir eu un impact sur la stratégie des codébiteurs solidaires, elle n'a entraîné, en tant que telle, aucune violation du droit à un recours effectif. En effet, chaque codébiteur a conservé le droit et la possibilité d'introduire un recours, dont tant Alstom qu'Areva T&D SA ont d'ailleurs fait usage, ainsi que l'a également constaté le Tribunal au point 228 de l'arrêt attaqué.

190 Il s'ensuit que le cinquième moyen des sociétés du groupe Alstom doit être rejeté.

191 Il résulte de l'examen de l'ensemble des moyens invoqués par les sociétés requérantes que, d'une part, les deuxième et troisième moyens soulevés par Areva ainsi que la troisième branche du deuxième moyen et le quatrième moyen présentés par les sociétés du groupe Alstom doivent être accueillis, en tant qu'ils font grief à la Commission et au Tribunal d'avoir imposé une solidarité de fait entre Areva et Alstom et d'avoir ainsi enfreint les règles en matière de solidarité pour le paiement des amendes découlant des principes de sécurité juridique et d'individualisation des peines et des sanctions, et que, d'autre part, les pourvois doivent être rejetés pour le surplus.

192 Il en découle, tout d'abord, que le point 3, second tiret, du dispositif de l'arrêt attaqué doit être annulé.

193 Ensuite, le litige étant en état d'être jugé, au sens de l'article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l'Union européenne, il y a lieu de statuer définitivement sur celui-ci.

194 À cet égard, il doit être constaté que la détermination de la solidarité, telle qu'opérée à l'article 2, sous c), de la décision litigieuse, est identique à celle retenue par le Tribunal, après exercice par celui-ci de sa compétence de pleine juridiction et réduction des montants de l'amende, au point 3, second tiret, du dispositif de l'arrêt attaqué.

195 Partant, l'annulation de l'article 2, sous c), de la décision litigieuse ayant été demandée en première instance par les sociétés requérantes, il y a lieu d'annuler cette disposition pour les mêmes motifs que ceux ayant conduit à l'annulation du point 3, second tiret, du dispositif de l'arrêt attaqué, lesquels sont énoncés aux points 129 à 142 du présent arrêt.

196 Enfin, en vertu de la compétence de pleine juridiction qui lui est reconnue, conformément à l'article 261 TFUE, par l'article 31 du règlement n° 1-2003, la Cour considère qu'il sera fait une juste application des règles en matière de solidarité en déterminant les montants des amendes selon une méthode qui, contrairement à celle retenue par la Commission et le Tribunal, respecte, quant à elle, les règles en matière de solidarité pour le paiement des amendes découlant des principes de sécurité juridique et d'individualisation des peines et des sanctions.

197 Il s'ensuit que, eu égard à ce qui a été dit au point 138 du présent arrêt et compte tenu des nouvelles dénominations de certaines des sociétés en cause, dont il est fait état au point 14 du présent arrêt, une amende d'un montant de 27 795 000 euros doit être infligée à Alstom, solidairement avec Alstom Grid SAS, et une amende d'un montant de 20 400 000 euros doit être infligée à Areva, à T&D Holding et à Alstom Grid AG, solidairement avec Alstom Grid SAS.

VI - Sur les dépens

198 Aux termes de l'article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

199 Aux termes de l'article 138, paragraphe 1, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens.

200 Aux termes de l'article 138, paragraphe 3, dudit règlement, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. En vertu de cette même disposition, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l'espèce, la Cour peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l'autre partie.

201 Les pourvois d'Areva et des sociétés du groupe Alstom étant accueillis en partie, il convient de condamner la Commission à supporter, outre ses propres dépens afférents tant à la procédure de première instance qu'aux pourvois, un cinquième des dépens d'Areva et des sociétés du groupe Alstom afférents à la procédure de première instance et aux pourvois. Areva et les sociétés du groupe Alstom supporteront quatre cinquièmes de leurs propres dépens afférents à la procédure de première instance et aux pourvois.

Par ces motifs, LA COUR (quatrième chambre) déclare et arrête :

1) Le point 3, second tiret, du dispositif de l'arrêt du Tribunal de l'Union européenne du 3 mars 2011, Areva e.a./Commission (T-117-07 et T-121-07), est annulé.

2) L'article 2, sous c), de la décision C(2006) 6762 final de la Commission, du 24 janvier 2007, relative à une procédure d'application de l'article [81 CE] et de l'article 53 de l'accord EEE (Affaire COMP/F/38.899 - Appareillages de commutation à isolation gazeuse), est annulé.

3) Pour les infractions constatées à l'article 1er, sous b) à f), de la décision C(2006) 6762 final, une amende de 27 795 000 euros est infligée à Alstom SA, solidairement avec Alstom Grid SAS, et une amende de 20 400 000 euros est infligée à Areva SA, à T&D Holding SA et à Alstom Grid AG, solidairement avec Alstom Grid SAS.

4) Les pourvois sont rejetés pour le surplus.

5) La Commission européenne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens relatifs tant à la procédure de première instance qu'aux pourvois, un cinquième des dépens exposés par Areva SA, Alstom SA, T&D Holding SA, Alstom Grid SAS et Alstom Grid AG afférents à la procédure de première instance et aux pourvois.

6) Areva SA, Alstom SA, T&D Holding SA, Alstom Grid SAS et Alstom Grid AG supportent quatre cinquièmes de leurs propres dépens afférents à la procédure de première instance et aux pourvois.