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Décisions

CA Bordeaux, premier président, 8 avril 2014, n° 12-07272

BORDEAUX

Ordonnance

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Bougon

TGI Bordeaux, JLD, du 7 déc. 2012

7 décembre 2012

Le Directeur régional de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte pour la suite de la décision) obtient du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Bordeaux, le 7 décembre 2012, une ordonnance l'autorisant à faire procéder dans les locaux de diverses enseignes, ci-après citées, les visites et saisies prévues à l'article L. 450-4 du Code de commerce afin de rechercher la preuve d'agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par les articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 442-5 du Code de commerce et susceptibles d'être relevées dans le réseau de distribution des produits de la gamme grand public de la marque X, ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée. Les entreprises concernées sont : A SA, la SAS B, C SA et D SAS.

En exécution de cette ordonnance, des visites et saisies ont été effectuées le 20 décembre 2012 au sein des locaux de la société B.

La société B, sur le fondement de dispositions des articles L. 450-1, L. 450-2, L. 450-4, L. 462-7, R. 450-1 et R. 450-2 du Code de commerce, 56 du Code de procédure pénale, 55 de la Constitution et 6, 8 et 13 de la Convention européenne des Droits de l'Homme poursuit :

a) à titre principal, la nullité des opérations de visite et la restitution des documents irrégulièrement saisis ;

b) à titre subsidiaire, la nullité des opérations de visites et saisies réalisées sur support informatique et la restitution des documents informatiques saisies ;

c) en tout état de cause, la nullité des opérations de visite et saisies qui ont conduit à saisir des documents sur support papier et informatique n'ayant aucun rapport avec l'objet de l'enquête, la nullité des opérations de visite et saisies qui ont conduit à saisir des documents sur support papier et informatique protégés par la confidentialité des correspondances entre un avocat et son client et en conséquence la restitution des documents hors champ ou protégés.

A l'appui de son recours, la société B fait valoir :

1.- sur l'irrégularité procédant de la saisie massive des fichiers informatiques.

Elle rappelle qu'en application des dispositions de l'article L. 450-2 du Code de commerce, éclairé par les dispositions de l'article 56 du Code de procédure pénale, les saisies sont soumises à un principe de proportionnalité (adéquation de la mesure, stricte nécessité de la mesure et proportionnalité de la mesure).

La société B reproche à l'Administration :

- d'avoir saisi de très nombreux documents informatiques (documents et messageries) dans les bureaux de plusieurs de ses salariés (5 000 documents et 20 000 courriers électroniques), parmi lesquels des documents sans rapport avec l'objet de l'enquête et elle entend faire juger que l'Administration perpétue illégalement ces pratiques pour la fausse raison qu'il ne lui serait pas possible d'extraire des données d'une boîte mèl sans en affecter l'authenticité et l'intégrité alors qu'il existe sur le marché des logiciels, plus performants que celui utilisé par l'Administration, qui permettent des extractions sélectives ;

- de ne pas avoir communiqué les mots-clefs qu'elle a utilisés pour procéder aux extractions des données sur les disques durs de ses employés ;

- d'avoir emporté un disque dur contenant 2 800 fichiers, non effacés, dont elle n'a pas eu copie, qui n'ont pas été inventoriés et qui n'ont pas été retenus dans le périmètre de la saisie, violant ainsi les droits de la défense ;

2.- Sur la saisie de documents protégés par le secret des correspondances d'une personne avec son avocat.

Elle reproche à l'Administration d'avoir emporté des documents couverts par le secret professionnel, comme des consultations émanant de ses avocats. Elle fait valoir que la saisie de documents de cette nature est impossible pour constituer une violation du secret professionnel, que la restitution des documents litigieux ne peut constituer une réparation adéquate et elle demande la restitution de l'ensemble des documents illégalement saisis (sic).

3.- Sur les saisies hors champ.

Elle voudrait également obtenir la restitution des documents sans rapport avec l'enquête menée par l'Administration tels que ceux listés dans sa pièce n° 20 et notamment un échange d'e-mail entre divers salariés B (pièce 22 et 20 modifiée de l'Administration) qui ne concerne pas la gamme grand public mais seulement la gamme professionnelle.

L'Administration voudrait que les opérations de visite et de saisies réalisées le 20 décembre 2012 soient déclarées régulières, à l'exception de la saisie de 16 fichiers protégées par le secret des correspondances entre l'avocat et son client qu'elle restituera à première demande de la SA B.

Sur la critique relative à la saisie globale des messageries, l'Administration explique :

- que les saisies n'ont pas été indifférenciées et massives puisqu'elles ont été réalisées à partir des messageries et zones personnelles de cinq salariés de l'entreprise et que la totalité des documents contenus dans ces dossiers n'ont pas été saisis ;

- puis après avoir détaillé les procédés techniques utilisés et les raisons de la saisie globale des messageries du fait de leur caractère non sécable (procédé validé par la cour de cassation), et avoir expliqué qu'il n'appartient pas au juge de prononcer sur la méthode utilisée par l'Administration pour procéder à ses opérations de saisie mais bien seulement de vérifier la régularité des saisies au vu des documents établis à cet occasion ;

- que la jurisprudence, constante à cet égard, précise qu'elle n'a pas à communiquer les mots-clefs à partir desquels son logiciel explore les ordinateurs visités et que la mission du juge se limite à déterminer si les documents saisis se sont pas étrangers au but de l'autorisation accordée ;

- que, contrairement à ce que soutient la société B, les 2 800 documents restés sur le disque dur " tampon " n'ont pas été saisis par l'Administration, s'agissant de documents analysés par le logiciel EnCase comme étant sans rapport avec le champ de l'ordonnance ;

- qu'elle est prête à restituer les documents saisis hors champ.

Le Ministère public conclut dans le même sens que l'Administration.

Sur ce :

Les critiques de la société B ne concernent en réalité que les saisies informatiques opérées par l'Administration

Sur la violation du principe de la proportionnalité et la saisie massive et indifférenciées de documents.

La société B ne peut en considération du seul nombre de documents saisis reprocher à l'Administration une saisie massive de documents alors que, comme le souligne l'Administration, les saisies sont ciblées pour ne concerner que les ordinateurs de cinq de ses collaborateurs sur un site qui en comporte plusieurs centaines.

La société B prétend que l'Administration ne serait pas obligée de saisir l'intégralité des messageries au motif qu'elles seraient insécables puisque il existerait des logiciels performants qui permettraient de pallier cette difficulté. Mais, comme l'explique la Direccte, la Cour de cassation a eu l'occasion de rappeler dans ses arrêts du 11 janvier 2012 (pourvois 10-88.194 et 10-88.197) qu'il n'appartient pas au juge de prononcer sur les modalités des saisies informatiques mais bien seulement de vérifier la régularité des opérations. Par ailleurs, en raison de son caractère insécable, la Cour de cassation reconnaît à l'Administration la possibilité de saisir l'intégralité d'une messagerie.

Au cas d'espèce, les saisies portent sur les documents inventoriés dans le procès-verbal signé par les parties le 20 décembre 2012 qui énumère l'ensemble des documents saisis et l'identification des fichiers concernés (nom, empreinte numérique, chemin d'accès et taille). Dès lors que la société B ne conteste pas que les messageries litigieuses contiennent, au moins pour partie, des courriels et documents qui entrent dans le champ de l'enquête, les saisies opérées par la Direccte sont proportionnées.

Sur la violation des droits de la défense et la non-communication des mots-clefs choisis pour explorer les données informatiques.

La société B reproche à l'Administration de ne pas faire connaître les mots-clés utilisés pour procéder à la sélection des documents saisis, ce qui la priverait, tout comme le juge du contrôle, de la possibilité pour elle d'exercer son droit de regard et pour le juge d'effectuer le contrôle de la proportionnalité de la saisie. Elle ajoute que l'inadéquation des mots de passe choisis ressort de la multitude des documents saisis hors du champ de l'enquête. L'Administration de son côté invoque le secret professionnel et la protection de ses sources.

La Cour de cassation a eu l'occasion de valider le refus opposé par l'Administration à la communication des critères de sélection des documents finalement saisis. Au cas d'espèce, la société B ne peut se contenter d'une pétition de principe. Elle a une connaissance exhaustive des documents saisis et le double des fichiers informatiques saisis. Elle est donc en capacité de démontrer que les documents hors champ sont aussi nombreux qu'elle le prétend, ce qu'elle ne fait pas. La connaissance des mots de passe choisis ne lui serait à cet égard d'aucun secours. Enfin, toujours parce qu'elle a une exacte connaissance des documents saisis, les droits de la défense de la société B sont justement préservés.

La " saisie " des documents non consignés à l'inventaire.

Il ressort du procès-verbal de saisie, ce que nul ne discute, que l'Administration a demandé et obtenu du responsable informatique de la société B la mise à sa disposition, sur un disque dur externe, qu'elle avait apporté à cet effet et qui a été spécialement formaté, des archives de messagerie, sous forme de fichiers .pst, ainsi que la copie des zones usagers stockés sur les serveurs de la société de cinq des agents de la société B, MM. 1 et 2, Mme 3 et MM. 4 et 5. Une fois la copie faite, le disque dur externe a été exploré par le logiciel de l'Administration à l'aide de différents mots-clés. Les fichiers et documents sélectionnés ont été gravés sur DVD vierges, non réinscriptibles, et l'Administration ainsi que la société visité ont gardé chacune un exemplaire des DVD contenant les saisies numériques.

Il est constant que 8 335 documents ont été copiés sur le disque dur externe, que les DVD contiennent 5 523 documents sélectionnés et que l'Administration a quitté les lieux emportant avec elle son disque dur externe qui contenait les 8 335 documents dont les 2 800 qui n'ont pas été saisis.

Il aurait sans doute été souhaitable qu'une fois les opérations de saisie effectuées, les parties nettoient le disque dur externe, mais elles n'y ont manifestement pas pensé. Ce fait qui est constitutif d'une maladresse, commune aux parties, n'est toutefois pas de nature à affecter les opérations autorisées par l'ordonnance du 7 décembre 2012, puisqu'aussi bien les documents saisis dans le cadre de cette procédure sont ceux, et uniquement ceux, listés au procès-verbal et dans le DVD dont chacune des parties a gardé un exemplaire.

La saisie des documents protégés par le secret de la correspondance entre une personne et son avocat.

Il est constant que parmi les correspondances saisies certaines sont protégées par le secret de la correspondance entre un avocat et son client. La société B voudrait, semble-t-il, que cette circonstance affecte d'illégalité l'ensemble des saisies effectuées. L'Administration s'offre de restituer la totalité de ces correspondances protégées. L'existence de ces documents particuliers parmi les saisies opérées n'est pas de nature à affecter l'intégralité des opérations effectuées en exécution de l'ordonnance du 7 décembre 2012 et leur restitution constitue un mode de réparation suffisant.

La saisie des documents hors champ de l'enquête.

Là encore, la Direccte accepte de restituer les 106 documents réclamés par la société B dont elle convient qu'ils ne font pas partie du champ de l'enquête définie comme les pratiques susceptibles d'être relevées dans le réseau de distribution de la marque X pour les produits de la gamme grand public.

Par ces motifs : Vu l'ordonnance du 7 décembre 2012, Vu le procès-verbal de saisie du 20 décembre 2012 et le DVD d'inventaire remis à la société B le 20 décembre 2012, Ouï le Ministère public en ses conclusions, Prononçons l'annulation de 16 fichiers informatiques protégés par le secret des correspondances entre un client et son avocat et disons que l'Administration restituera par destruction lesdits fichiers, Invitons l'Administration à restituer par destruction, comme étant hors champ de l'enquête, les 106 fichiers listés par la société B dans la pièce n° 20 annexée à ses conclusions, Pour le surplus, validons les opérations de visite et saisies autorisées par l'ordonnance susvisée et pratiquées le 20 décembre 2012 dans les locaux de la SA B, Laissons à la SA B la charge des dépens de l'instance.