CA Bordeaux, premier président, 8 avril 2014, n° 12-07271
BORDEAUX
Ordonnance
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Bougon
Le Directeur régional de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte ou l'Administrations pour la suite de la décision), sur le fondement des dispositions de l'article, obtient du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Bordeaux, le 7 décembre 2012, une ordonnance l'autorisant à faire procéder dans les locaux de diverses enseignes, ci-après citées, les visites et saisies prévues à l'article L. 450-4 du Code de commerce afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par les articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 442-5 du Code de commerce susceptibles d'être relevées dans le réseau de distribution de produits de marque X pour les produits de la gamme grand public, ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée. Les entreprises concernées sont : A SA, la SAS B, C SA et D SAS.
La SA C relève appel de cette décision et forme un recours sur le fondement des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce sur le déroulement des opérations de visite et saisies pratiquées à son siège.
Elle entend faire juger :
A.- Sur l'appel de l'ordonnance autorisant la visite et saisies :
1.- que l'ordonnance a été prononcée dans des conditions contraires aux exigences de l'article 6.1 de la CEDH, en l'absence d'un contrôle juridictionnel effectif et impartial de la requête de la Direccte et en conséquence elle poursuit l'annulation l'ordonnance déférée ;
2.- que les indices rapportées par la Direccte ne laissent apparaître aucun soupçon légitime permettant d'impliquer directement la SA C et en conséquence infirmer l'ordonnance déférée ;
3.- que l'ordonnance déférée doit être infirmée qui a autorisé des recherches prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce et dire que les opérations de visite et saisies sont cantonnées aux seuls agissements prohibées par les articles L. 420-2 et 1 et L. 442-5 du Code de commerce.
B.- Sur le recours à l'encontre des opérations de visite et de saisies dans ses locaux le 20 décembre 2012.
1.- La nullité de la saisie des scellés n° 5 à 7
La société C entend faire valoir que l'inventaire effectué ne permet pas au juge du contrôle de s'assurer de la cohérence entre les données informatiques saisies et l'étendue de l'autorisation obtenue. Elle explique que seuls 19 fichiers des scellés n° 5 à 7 contiennent une référence à B et que les intitulés des autres, 98 % des fichiers saisis, ne permettent pas d'identifier clairement les données qu'ils contiennent ; que l'inventaire des fichiers électroniques est incomplets pour ne pas détailler le contenu des messageries électroniques saisis et que 26 fichiers sont illisibles. Elle estime que la seule mesure réparatrice possible est l'annulation de tous les fichiers des scellés concernés.
2.- La nullité des messageries électroniques gravées sur les scellés 5 et 7.
La société C explique que la Direccte n'est pas fondée à se prévaloir du caractère prétendument insécable des messageries électroniques pour justifier des saisies indifférenciées qu'elle a pratiquées sur trois messageries Outlook de M. 1 et qu'en procédant comme elle l'a fait, la Direccte a violé les principes fondamentaux en la matière.
Elle souligne que ces opérations ont été effectuées en l'absence de circonstances particulières susceptibles de justifier ces saisies indifférenciées et qu'il n'est pas établi qu'une saisie sélective était impossible.
Par ailleurs, elle reproche à la Direccte d'avoir saisi sans aucune discrimination et notamment des correspondances couvertes par le secret des correspondances attaché à la profession de conseil en propriété commerciale.
Elle estime qu'il n'y a pas d'autre réparation adéquate possible que la nullité de la saisie des messageries électroniques.
3.- subsidiairement, elle voudrait qu'il soit enjoint à la Direccte, avant dire droit, de procéder à l'identification des données informatiques des scellés n° 5 et 7 qui entrent effectivement dans le champ de l'ordonnance rendue le 7 décembre 2012 par le juge des libertés et de la détention.
Elle sollicite les sommes de 15 000 euro et 30 000 euro pour frais irrépétibles et poursuit la condamnation du directeur régionale de la Direccte aux entiers dépens de l'instance.
La Direccte conclut au débouté des demandes présentées par la SA C et poursuit la confirmation de la décision déférée. Elle voudrait que l'appelante soit condamnée aux entiers dépens de l'instance. En réponse à l'argumentation développée par la SA C, elle fait valoir :
A.- Sur l'appel de l'ordonnance autorisant la visite et saisies :
1.- une absence de violation des dispositions de l'article 6.1 de la CEDH,
- que la pré-rédaction de l'ordonnance n'est pas interdite, le juge étant réputé être l'auteur des motifs et du dispositif de l'ordonnance qu'il a rendue et signée ;
- que l'appelant ne démontre pas qu'entre le jour du dépôt de la requête et le jour de sa signature (trois jours) le juge n'a pas eu matériellement le temps de vérifier, au vu des pièces annexées, le bien-fondé de la requête ;
- que la prétendue erreur matérielle que la SA C a cru déceler dans la requête et l'ordonnance et qui n'aurait pas été relevée par le JLD n'existe pas ;
2.- la confirmation de l'ordonnance qui a autorisé des opérations de visite et saisie dans les locaux de la SA C
- que, contrairement à ce qu'elle prétend, la SA C est bien personnellement concernée par les pratiques incriminées puisqu'il résulte des annexes soumises au contrôle du juge que 30 % de ses établissements ont été visités, qu'il a été également procédé à des constations sur ses sites de vente en ligne et sur ses publicités et qu'il a été observé que dans tous les cas elle suivait le prix conseillé par le fabricant ;
- qu'il existe des présomptions d'entente entre le fabricant et son distributeur car les pièces versées aux débats permettent de mettre en évidence l'accord de volonté dès lors :
a) que les prix de vente au détail souhaités par le fournisseur sont connus du distributeur, ce que reconnaît le distributeur qui n'ignorait rien du prix public conseillé
b) que les prix souhaités par le fournisseur et connus du distributeur sont significativement appliqués par le distributeur alors que pour la SA C le taux de suivi est de 99,50 %
- qu'il n'est pas nécessaire de mettre en évidence une police des prix ou simplement une surveillance des prix pour caractériser l'accord de volonté mais qu'au cas d'espèce, cette surveillance existait également car le consommateur qui désirait bénéficier des offres de remboursement (annexées à la requête) devait retourner le ticket de caisse au fournisseur, à la société B.
3.- la confirmation de l'ordonnance lorsqu'elle vise la SA C au titre de l'article L. 420-1 du Code de commerce, car l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles suffit à justifier les opérations de visite et de saisie et qu'il n'est pas nécessaire de démontrer leur existence ; qu'au cas d'espèce, ces présomptions résultent à suffire :
- du suivi par le distributeur du prix conseillé par le fournisseur,
- des déclarations des vendeurs de plusieurs enseignes qui attestent d'un manque de latitude au niveau de la détermination des prix,
- de la pratique des marges arrières,
- des pratiques promotionnelles de la société B qui peuvent constituer un moyen de surveillance des prix,
- de la puissance d'achat de certains distributeurs, comme la société C.
B.- sur le recours à l'encontre des opérations de visite et de saisies dans ses locaux le 20 décembre 2012.
1.- La conformité de l'inventaire.
La Direccte fait valoir :
- qu'on ne peut lui reprocher le caractère non explicite de certains noms de fichiers saisis, l'inventaire reproduisant ceux appréhendés dans l'entreprise. Pour le surplus, elle rappelle qu'en application de la jurisprudence de la Cour de cassation sur ce point il appartient aux parties d'établir que les fichiers saisis entrent ou n'entrent pas dans les prévisions de l'ordonnance ;
- que les fichiers de messagerie sont insécables et que les saisies des messageries ont été effectuées après que les enquêteurs se soient assurés qu'elles contenaient des documents entrant dans le champ de l'enquête ;
- que dresser l'inventaire ne consiste pas énumérer chaque document, mais à les dénombrer et à les regrouper sous une appellation qui permet leur identification ;
- que la société C, qui a une copie intégrale des fichiers saisis, a une parfaite connaissance des données appréhendées par l'Administration.
2.- La validité des saisies informatiques.
L'Administration fait valoir :
- qu'elle procède à la saisie de l'intégralité des messageries pour en garantir l'authenticité après s'être assurée qu'elle contenait des éléments entrant dans le champ de l'enquête par l'utilisation de mots clefs qu'elle n'a pas à communiquer ;
- que la Cour de cassation confirme régulièrement le caractère insécable des messageries électroniques ;
- que la société C ne peut extrapoler aux professions réglementées (comme le conseil en propriété commercial) le régime de protection du secret de la correspondance entre l'avocat et son client. Elle précise que le "secret des affaires" ne lui est pas opposable.
3.- Les fichiers illisibles.
La Direccte propose, comme satisfactoire, la restitution par destruction des fichiers déclarés illisibles par la société C qu'elle n'est pas non plus arrivée à lire.
4.- L'effet de l'annulation de saisies de fichiers.
La Direccte explique que l'annulation de saisies de documents protégés ou de documents hors champ n'affecte pas la validité de l'ensemble des saisies.
5.- L'injonction demandée.
Elle précise qu'il appartient, le cas échéant à la société C d'identifier les documents dont elle demande la restitution ou l'annulation des documents qui seraient protégés ou qui n'entreraient pas dans le champ de l'ordonnance du 7 décembre 2012.
En définitive, la Direccte conclut à la confirmation de l'ordonnance déférée et au débouté des contestations de la société C sur les opérations de visite et de saisies et à sa condamnation aux entiers dépens de l'instance.
Le Ministère public conclut dans le même sens que l'Administration.
SUR CE :
A.- Sur l'appel de l'ordonnance autorisant la visite et saisies :
1.- L'ordonnance du juge de la détention confrontée aux exigences de l'article 6.1 de la CEDH.
La société C en convient, en signant l'ordonnance pré-rédigée, le juge s'en approprie les motifs et le dispositif. Par ailleurs, les simples supputations de la société C sur l'impossibilité dans laquelle le juge se serait trouvé, pressé par le temps et ses lourdes charges habituelles, d'examiner la pertinence de la requête, sont inopérantes. La société C voudrait pour preuve de l'absence de contrôle par le juge des documents soumis à son examen une erreur matérielle qu'elle aurait décelée dans la requête et qui aurait été reprise dans l'ordonnance. L'Administration explique qu'il ne s'agit pas d'une erreur mais seulement d'une lecture erronée par la société C du tableau de synthèse qui figure à la page 7 de sa requête. Le taux de suivi de 0 % pour la référence NHP K 2300 + T50 signifie qu'en raison des écarts considérables entre le prix conseillé et les prix de vente relevés, le prix conseillé n'est pas suivi. Aussi, la société C succombe-t-elle sur ce premier moyen.
2.- L'implication de la SA C.
Il ressort de la requête et des pièces qui l'accompagnent que toutes les enseignes vendant du matériel X (1 509 relevés de prix sur toute la France dans de nombreux points de vente 299 et de nombreuses enseignes, 60 catalogues publicitaires épluchés concernant les enseignes spécialisées en matière de bricolage) suivent d'une façon significative les prix conseillés par le fournisseur (taux de suivi entre 96 et 100 %) ;
Par ailleurs, l'Administration démontre que 35 points de vente C ont fait l'objet de relevés de prix et que six de ses catalogues ont été examinés et que le taux de suivi du prix conseillé est particulièrement important. L'implication de la société C est par conséquent suffisamment établie.
3.- L'ordonnance du juge de la détention et les dispositions des articles L. 420-1 du Code L. 420-2 et 1 et L. 442-5 du Code de commerce.
Les pratiques anticoncurrentielles présumées sont de trois ordres (l'entente, l'abus de position dominante ou la pratique des prix imposés). L'Administration a présenté au juge des indices permettant d'impliquer la société C dans ces pratiques anticoncurrentielles et notamment l'entente. En effet, les documents soumis à l'examen du juge des libertés mettent en évidence que la société B diffusait auprès de ses distributeurs un tarif prix conseillés (auditions 2 et 3), que toutes les enseignes, et donc C, suivent le tarif conseillé d'une façon quasi systématique, et en tout cas avec un taux moyen de 97,94 %, dans les points de vente physique et de 100 % pour les produits annoncés sur catalogue, et que par l'intermédiaire de la gestion des promotions avec retour des tickets de caisse, la société B pouvait exercer une surveillance des prix pratiqués par ses distributeurs.
L'Administration, pour des raisons qui lui sont propres et que le juge n'a pas à contrôler, peut vouloir cibler telle entreprise plutôt que telle autre. Au cas d'espèce, dès lors que la société C est bien concernée comme il a été expliqué plus haut et qu'il existe des indices sérieux et concordants permettant de suspecter des pratiques anticoncurrentielles et notamment une entente avec la société B, c'est à bon droit que le juge des libertés a autorisé visite et saisies dans les locaux de la société C.
B.- sur le recours à l'encontre des opérations de visite et de saisies dans ses locaux le 20 décembre 2012.
1.- La conformité de l'inventaire.
Il n'appartient pas au juge de vérifier si chacun des documents saisis entre ou non dans le champ de l'ordonnance du juge des libertés. Chacune des parties ayant en main un exemplaire des documents saisis, il lui incombe, le cas échéant, de soumettre à l'arbitrage du juge la pertinence de la saisie de tel ou tel document qu'il devra spécifiquement identifier. Par voie de conséquence, il importe peu que l'inventaire ne permet pas à la seule lecture de l'intitulé de chacun des documents saisis, dont d'ailleurs l'Administration prétend sans être démentie qu'il s'agit de l'intitulé original des pièces inventoriés, de vérifier si le fichier ou le document saisi entre ou non dans les prévisions de l'ordonnance du 7 décembre 2012.
2.- La validité des saisies informatiques.
La société C ne peut prétendre que les saisies informatiques pratiquées ont été massives et indifférenciées alors que seul l'ordinateur de l'un de ses collaborateurs a fait l'objet d'une perquisition et que la saisie n'a porté que sur 0,32 % du contenu de la machine. Par ailleurs, la Cour de cassation reconnaît que, pour des raisons techniques, qu'il n'appartient pas au juge du contrôle de discuter, les messageries sont insécables et que, par voie de conséquence, la saisie de la totalité de la messagerie s'impose dès lors qu'il a été constaté que pour partie elle contient des fichiers ou documents qui entrent dans le champ de l'autorisation donnée par le juge des libertés. Dès lors que la société C ne prétend pas, à l'encontre des explications de l'Administration, que l'une ou l'autre des messageries saisies serait dans son intégralité hors champ, la saisie des trois messageries par l'Administration n'est pas critiquable.
3.- Les fichiers illisibles.
L'Administration convient que 26 fichiers saisis sont illisibles. Elle en propose la restitution par destruction. Il conviendra d'ordonner cette mesure qui est de nature à assurer la société C que ces fichiers ne pourront pas être utilisés.
4.- Les saisies portant sur des correspondances couvertes par le secret des correspondances attachées à la profession de conseil en propriété commerciale.
La société C explique qu'ont été saisies des correspondances échangées entre ses conseils en propriété commerciale et son salarié qui seraient protégés par le secret des correspondances entre un client et son avocat.
Mais, comme le soutient l'Administration, la protection qui s'attache à ces correspondances est le secret des affaires qui, dans les limites des articles L. 463-4 et R. 463-13 à R. 463-15 du Code de commerce, n'est pas opposable à l'Administration et en tous cas ne peut donner lieu à une annulation des pièces saisies. Aussi, la société C ne peut-elle prétendre à l'annulation pour la saisie de ces correspondances.
5.- L'injonction d'identification des pièces saisies.
La SA C a en sa possession une copie de l'intégralité des pièces saisies. Si elle entend contester le bien fondé de la saisie par l'Administration d'un document, il lui appartient de le désigner et d'expliquer en quoi il devrait être distrait de la saisie (document protégé ou document hors champ). Il n'y a donc pas enjoindre à l'Administration de justifier du bien fondé de la saisie de chacun des documents saisis. La société C sera déboutée de sa demande d'injonction.
6.- Les mesures accessoires.
La SA C qui succombe sera déboutée de sa demande pour frais irrépétibles et supportera la charge des dépens de l'instance.
Par ces motifs : Ouï le Ministère public en ses conclusions, Vu l'ordonnance du juge de la liberté et de la détention du Tribunal de grande instance de Bordeaux du 7 décembre 2012, Vu le procès-verbal de saisie du 20 décembre 2012 et les inventaires des documents saisis, A.- sur l'appel de l'ordonnance sus-visée, Disons l'appel de la SA C recevable en la forme mais non fondé, Confirmons l'ordonnance déférée, B.- sur le recours formé à l'encontre des opérations de visite et de saisies du 20 décembre 2012, Ordonnons la restitution par destructions des fichiers illisibles saisis, listés page 8 et 9/24 des conclusions n° 2 de la SA C, Pour le surplus déboutons la SA C de ses demandes fins et conclusions, La condamnons aux entiers dépens.