CA Bordeaux, premier président, 8 avril 2014, n° 12-07273
BORDEAUX
Ordonnance
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Bougon
Le Directeur régional de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte pour la suite de la décision) obtient du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Bordeaux, le 7 décembre 2012, une ordonnance l'autorisant à faire procéder dans les locaux de diverses enseignes, ci-après citées, les visites et saisies prévues à l'article L. 450-4 du Code de commerce afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par les articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 442-5 du Code de commerce susceptibles d'être relevées dans le réseau de distribution de produits de marque X pour les produits de la gamme grand public, ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée. Les entreprises concernées sont : A SA, la SAS B, C SA et D SAS.
En exécution de cette ordonnance, des visites et saisies ont été effectuées le 20 décembre 2012 au sein des locaux de la société D.
La société D, relève appel de cette ordonnance et, parallèlement, forme un recours contre les opérations de visite et saisies pratiquées dans ses locaux, le 20 décembre 2012, par l'Administration.
Elle fait valoir :
A.- Sur l'appel de l'ordonnance du 7 décembre 2012 du juge de la détention autorisant visite et saisies dans ses locaux ;
1.- qu'en raison de l'ampleur du dossier et du fait que la requête était accompagnée d'une ordonnance pré-rédigée, le juge de la liberté n'a pas pu effectuer un contrôle, in concreto, du bien fondé de la requête de la Direccte déposée seulement le 3 décembre 2012 ;
2.- que les documents annexés à la requête par la Direccte ne permettaient pas d'établir l'existence d'indices de nature à présumer qu'elle aurait accepté, ou à tout le moins mis en œuvre de manière régulière, des recommandations de prix de la société B ;
3.- que les 9 catalogues D obtenus par la Direccte d'Ile-de-France ne font pas partie du champ de l'enquête ayant conduit aux opérations de visite et saisies et sont donc irrégulièrement utilisés dans le cadre de la présente procédure et qu'il convient d'en ordonner la restitution tout en interdisant à la Direccte de les utiliser dans le cadre de l'enquête ;
4.- que l'ordonnance, qui se dispense de constater tout indice d'entente entre D et B, ne pouvait ordonner les visites et saisies litigieuses.
En conséquence, elle demande, l'annulation de l'ordonnance déférée, la restitution des documents saisis, voudrait qu'il soit fait interdiction à la Direccte d'utiliser les dits documents et sollicite 10 000 euro pour frais irrépétibles.
B.- Sur le recours dirigées contre les mesures de visite et saisies ;
1.- que les inventaires des documents, fichiers informatiques et messageries électroniques saisis, établis par la Direccte sont insuffisants et irréguliers ;
2.- que les saisies informatiques effectuées par la Direccte sont disproportionnées au regard du champ de l'enquête et ne lui permettent pas d'exercer utilement sa défense ;
3.- que le procès-verbal de visite et saisie, établi le 20 décembre 2012, prend acte du caractère illicite des saisies informatiques ;
En conséquence, prononcer l'annulation de la saisie des documents informatiques, fichiers informatiques et messageries électroniques du scellé 1, annexe 3 et du scellé 2, annexe 4 et ordonner leur restitution ;
En tout état de cause, prononcer la restitution des 78 documents hors champ et des 19 documents illisibles ;
Enfin, elle sollicite 10 000 euro pour frais irrépétibles.
La Direccte, pour sa part, fait valoir :
A.- Sur l'ordonnance du 7 décembre 2012 portant autorisation de visite et saisie ;
1.- que l'absence de contrôle effectif du bien fondé de la requête est une simple pétition de principe car, ni du fait que l'ordonnance a été pré-rédigée, ni du délai qui sépare le dépôt de la requête de la signature de l'ordonnance, il n'est possible d'induire que le juge n'a pas exercé son contrôle ;
2.- que les pièces annexées à la requête mettaient en évidence les indices permettant de mettre en cause la société D (les 7 relevés de prix chez D identiques aux prix conseillés 2010 - les 1 509 relevés de prix effectués en 2011 auprès de 299 points de vente - les relevés de prix de catalogues diffusés par D - les déclarations des distributeurs qui mettent indirectement D en cause - les catalogues D qui ont été régulièrement recueillis en application des dispositions de l'article L. 450-3 du Code de commerce).
3.- qu'au titre des indices, l'Administration relève que la diffusion de ses tarifs par le fabricant et le taux de suivi du prix conseillé par la société D de 99,09 % sur 11 relevés de prix concernant 4 références constituent des présomptions relatives à deux des trois branches du faisceau d'indices requis par l'autorité de la concurrence et les juridictions judiciaires en matière d'entente verticale sur les prix, permettant de caractériser l'entente entre fournisseur et distributeur et que le choix de l'Administration de poursuivre la société D a été guidé par sa capacité de s'affranchir du comportement de ses fournisseurs et donc par le fait que c'est au sein d'entreprises comme D qu'elle avait le plus de chance de trouver les éléments constitutifs des pratiques prohibées suspectées.
B.- Sur les opérations de visite et saisies du 20 décembre 2012 ;
1.- que l'inventaire qui dénombre et regroupe les documents sous une appellation qui permet leur identification est suffisant, que chaque messagerie constitue un fichier unique et que les inventaires effectués sont conformes à la jurisprudence en la matière et permettent de retrouver simplement les fichiers recherchés ;
2.- que les investigations de l'Administration n'ont concerné que six bureaux, que les enquêteurs n'ont sollicité que les messageries de quatre personnes et que sur les 220 000 documents analysés seuls 1 640 documents ont été retenus, soit moins de 1 % ; qu'elle n'a pas à suivre la procédure des enquêteurs communautaires qui ne connaît pas le contrôle juridictionnel du droit interne et qui doit y suppléer ; qu'elle n'a pas à communiquer les mots clefs permettant la fouille des documents ; qu'elle propose la restitution des documents illisibles et des 78 fichiers Excel hors champ, ce qui n'est pas nature à affecter la validité de la saisie.
3.- que la société D a été mise en mesure de prendre connaissances des éléments appréhendés avant qu'ils ne soient saisis car elle a reçu une copie des fichiers sélectionnés avant leur placement sous scellé.
Sur ce :
A.- L'appel dirigé contre l'ordonnance du 7 décembre 2012 autorisant visite et saisies dans les locaux de la société D.
1.- Les vérifications opérées par le juge.
La société D, qui est débitrice de preuve, en considération des seuls " faits de l'espèce " (ampleur du dossier et le délai de trois jours entre le dépôt de la requête et la signature de l'ordonnance rédigée), ne démontre pas que le juge des libertés n'a pas vérifié le bien-fondé de la requête. Ce moyen manque en fait.
2.- L'implication de la société D.
L'appelante entend faire valoir que les justificatifs versés à l'appui de la requête, s'ils pouvaient permettre de suspecter la volonté du fournisseur d'imposer des prix de revente ne permettaient pas d'en inférer l'existence d'une entente au sens des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Pourtant, comme elle l'explique, à l'appui de sa requête, l'Administration apportait la démonstration de l'implication de la société D par :
- les relevés de prix 2010 (pièce 16), effectués notamment chez D, qui établissent une quasi-identité des prix pratiqués par les distributeurs par rapport aux prix conseillés par le fournisseur ;
- les relevés catalogues, y compris ceux de D (à cet égard, il importe peu que ces catalogues aient été obtenus par l'Administration à l'occasion d'autres investigations dès lors qu'il apparaît que l'origine de ces documents est licite), qui montrent la quasi-identité des prix pratiqués par les différentes enseignes, dont la société D ;
- les déclarations des distributeurs qui attestent de la généralité de la pratique des prix conseillés entre B et ses différents distributeurs, même si elles ne mettent pas directement en cause la société D ;
- le tableau synoptique des relevés de prix France entière 2011 qui fait ressortir, toutes enseignes confondues dont D (129 prix pratiqués relevés dans 23 établissements), un taux de suivi des prix conseillés supérieur à 95 % ;
- l'existence d'une pratique promotionnelle de la société B avec retour des tickets de caisse qui permet de suspecter une surveillance des prix pratiqués par les distributeurs ;
3.- La présomption d'entente et l'élection de la société D.
A ce stade de la procédure, l'Administration n'avait pas à rapporter la preuve de l'entente, mais bien seulement celle des indices permettant de suspecter des pratiques anticoncurrentielles au sens des dispositions de l'article L. 420-1. Or, la démonstration du suivi à plus de 95 % par les distributeurs du prix de vente conseillé par la société B permet de présumer l'existence d'une entente entre chacun des distributeurs et leur fournisseur. Ces indices étaient réunis à l'encontre de la société D dont le taux de suivi du prix conseillé tutoyait les 100 %. Le choix de poursuivre les investigations dans cette enseigne plutôt que dans telle autre appartient à l'Administration qui, on le conçoit aisément, n'est pas en mesure de mobiliser un personnel suffisant pour opérer simultanément dans toutes les enseignes concernées par ses enquêtes préliminaires.
En considération de ces éléments, le juge des libertés pouvait se convaincre de l'existence concernant les produits X de présomptions graves et concordantes de pratiques anticoncurrentielles et de l'implication de la société D justifiant l'autorisation de visite et de saisies ordonnées le 7 décembre 2012.
B.- Le recours contre les opérations de visite et de saisies du 20 décembre 2012.
1- L'inventaire.
La société D reproche à l'Administration de ne pas avoir inventorié en annexe tous les documents saisis. Ce faisant, la société Brico dépôt introduit une confusion, qui en réalité n'existe pas, entre inventaire des saisies et inventaires des scellés. L'inventaire des documents saisis figure sous forme d'un tableau en avant-dernière page du procès-verbal de visite et saisie qui identifie le contenu de quatre scellés (deux scellés informatiques 1 & 2 et deux scellés papier 3 & 4) et, au procès-verbal de visite et saisies, sont annexés cinq documents dont les inventaires des scellés 1 et 2 (annexes 3 et 4).
1°) l'organigramme fonctionnel de la société D (cf. page 2/7 du pv de visite) ;
2°) le mandat de représentation conféré par Mme 1 (cf. page 2/7 du pv de visite) ;
3°) l'inventaire informatique du scellé 1 (cf. page 4/7 du pv de visite) ;
4°) l'inventaire informatique du scellé 2 (cf. page 5/7 du pv de visite) ;
5°) la déclaration des consorts 1 et 2 (cf. page 7/7 du pv de visite).
Aussi, contrairement à ce que prétend la société D, le procès-verbal est particulièrement clair à cet égard et se suffit à lui-même.
La société D prétend également que l'inventaire ne lui permettrait pas de prendre connaissance des documents informatiques saisis. Toutefois, comme elle le rappelle elle-même, ont été inventoriés comme saisies, les messageries de quatre de ses collaborateurs (les boîtes électroniques de ses conclusions p. 5/24) et les données saisies sur le serveur à partir du poste de M. 3, constituant le scellé 2 dont l'inventaire se trouve à l'annexe 4, et il lui a été remis avant la clôture du procès-verbal de saisie une copie des documents saisis (cf. page 7/7 du pv de visite ... A leur demande, nous avons communiqué à Mme 1, occupant des lieux et M. 2, représentant de l'occupant des lieux, copie de l'ensemble des documents.).
Aussi, contrairement à ce qu'elle prétend et à l'encontre de l'attestation de ses préposés (annexe 5 du pv de visite et de saisie), la société D a bien été à même de prendre connaissance des documents saisis.
Les inventaires informatiques doivent permettre de dénombrer et d'identifier les documents saisis. La société D prétend que les inventaires des saisies des documents informatiques ne sont pas conformes aux obligations légales. S'agissant de l'inventaire des messageries électroniques, quand on aura précisé que les messageries saisies, du fait de leur caractère insécable, sont appréhendées dans leur intégralité (il s'agit d'un seul fichier), l'inventaire consiste simplement à les identifier en donnant le chemin d'accès informatique qui permet de les retrouver. Quant à l'inventaire des fichiers informatiques saisis chez M. 3, il est contenu sur un DVD, annexe 4 du pv de visite et de saisie, dont la société D a reçu un exemplaire. La société D prétend que la dispersion des données recueillies sur 4 DVD rend la recherche impossible et s'étonne de retrouver des messageries dans le scellé n° 2. L'Administration fait valoir que pour faciliter les recherches il convient de remettre le contenu des DVD sur un seul disque dur et d'activer la fonction recherche et qu'elle n'a jamais prétendu qu'il n'y avait pas de messagerie parmi les fichiers saisis dans le bureau. Dès lors que la société D n'établit pas que la manipulation proposée qui consiste à rassembler le contenu des DVD sur un disque dur externe pour faciliter la recherche des fichiers ne fonctionne pas, elle ne peut prétendre à quelque irrégularité que ce soit de ce chef. Par ailleurs, la présence de messageries dans le scellé n° 2 ne serait anormale que si dans l'inventaire correspondant ces fichiers n'étaient pas répertoriés, ce que ne prétend pas la société D. Par voie de conséquence, la société D, qui a reçu une copie dématérialisée des fichiers saisis et des inventaires a une connaissance exhaustive de la nature des documents appréhendés.
2.- le caractère disproportionné des saisies.
La société D reproche à l'Administration une saisie massive et disproportionnée de documents. Une fois posé que les messageries constituent des fichiers insécables, si l'on considère le nombre limité de bureaux et d'ordinateurs visités (6), le nombre d'ordinateurs effectivement fouillés (4), le nombre de fichiers finalement retenus (1640/plus de 222 000 examinés) et les fichiers après analyse qui sont, soit illisibles (19), soit hors champ (78), la sélection opérée par l'Administration à l'aide des mots-clefs dont elle n'a d'ailleurs pas à rendre compte, apparaît sélective et mesurée.
3.- l'illégalité de la saisie.
Mme 1 et M. 2 ont fait annexer au procès-verbal une déclaration selon laquelle ils n'ont pas pris connaissance des scellés fermés. Mais, alors qu'il ressort du procès-verbal de saisie, ce que ne contestent pas les intéressés, qu'il leur a été remis avant leur placement sous scellés des copies des disques contenant les fichiers saisis, les intéressés ont bien été mis en capacité de prendre connaissance des scellés fermés.
4.- le sort des fichiers hors champ.
Les fichiers hors champ et illisibles seront restitués par destruction.
Par ces motifs : Vu l'ordonnance du juge de la liberté et de la détention de Bordeaux autorisant visite et saisie dans les locaux de la société D, Vu le procès-verbal de visite et saisie du 20 décembre 2012, Le Ministère public entendu en ses conclusions, Déclarons recevables l'appel de l'ordonnance du 7 décembre 2012 et le recours formé à l'encontre du procès-verbal de visite et de saisie du 20 décembre 2012, A.- déclarons régulière l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Bordeaux et déboutons la société D de ses demandes, B.- déclarons régulières et valides les opérations de saisies pratiquées par la Direccte dans les locaux de la société D le 20 décembre 2012 en exécution de l'ordonnance sus-visée, Invitons la Direccte à restituer à la société D, par destruction, les 78 fichiers Excel du scellé 2 cote 1 et les 19 fichiers illisibles du scellé 2 cote 23 ainsi que des messageries illisibles listées dans ses conclusions par la société D page 15/24 in fine et 16/24 haut de page, Disons n'y avoir lieu à frais irrépétibles, Condamnons la société D aux entiers dépens.