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Décisions

CA Bordeaux, premier président, 8 avril 2014, n° 12-07197

BORDEAUX

Ordonnance

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Bougon

TGI Bordeaux, JLD, du 7 déc. 2012

7 décembre 2012

Le Directeur régional de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (la Direccte ou l'Administration pour la suite de la décision) obtient du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Bordeaux, le 7 décembre 2012, une ordonnance l'autorisant à faire procéder dans les locaux de diverses enseignes, ci-après citées, les visites et saisies prévues à l'article L. 450-4 du Code de commerce afin de rechercher la preuve d'agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par les articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 442-5 du Code de commerce et susceptibles d'être relevées dans le réseau de distribution des produits de la gamme grand public de la marque X, ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée. Les entreprises concernées sont : A SA, la SAS B, C SA et D SAS.

En exécution de cette ordonnance, des visites et saisies ont été effectuées le 20 décembre 2012 au sein des locaux de la société B.

La société B, au visa des articles L. 450-1, L. 450-2, L. 450-4, L. 462-7, R. 450-1 et R. 450-2 du Code de commerce, 55 de la constitution et 6, 8 et 13 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, au terme de ses conclusions récapitulatives (13 novembre 2013) poursuit :

a) à titre principal, la nullité de l'ordonnance du 7 décembre du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande de Bordeaux ayant autorisé les visites et saisies dans ses locaux et partant la nullité des opérations de visites et saisies subséquentes ;

b) à titre subsidiaire, la nullité de l'ordonnance du 7 décembre 2012 du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Bordeaux ayant autorisé les visites et saisies dans ses locaux en ce qu'elle a autorisé les investigations sur l'ensemble des produits de la gamme grand public X et en conséquences la nullité des opérations de visites et saisies subséquentes ;

c) en conséquence, elle demande dans la première hypothèse, la restitution de l'ensemble des documents irrégulièrement saisis et dans la deuxième hypothèse, la restitution des documents étrangers aux nettoyeurs haute pression.

A l'appui de son recours, la société B fait valoir :

1.- que le juge des libertés et de la détention a autorisé des investigations qui excèdent le champ des présomptions établies par la requête.

La société B reproche au juge des libertés :

* d'avoir autorisé l'Administration à effectuer ses recherches sur l'ensemble de la gamme des produits grand public X alors que la lecture de la requête et l'examen des pièces versées à son appui ne concernaient exclusivement que les nettoyeurs haute pression ;

* d'avoir utilisé des procès-verbaux sans lien avec l'objet des investigations qui concernaient les produits grand public de la marque X (procès-verbaux d'audition de distributeurs s'adressant à une clientèle professionnelle recueillis dans une enquête sans rapport avec la présente affaire).

2.- que le juge des libertés n'a pas caractérisé le faisceau d'indices lui permettant d'autoriser les visites et saisies litigieuses.

La société B fait observer que la pratique de prix indicatifs ou conseillés est licite, que le taux de suivi retenu par l'ordonnance critiquée (97,4 %) est contestable pour être établi au vu de tarifs conseillés 2011 non justifiés, ou reconstitués à partir d'hypothèses non vérifiées, ou encore par des comparaisons sans pertinence entre des prix de vente sur Internet et des prix de vente relevés dans un point de vente physique et que l'Administration n'apporte aucunement la preuve que la société B exercerait une quelconque police des prix. Enfin, elle indique que ne relève que de la pure spéculation la présentation tronquée que l'Administration fait de sa politique de prix.

La Direccte, qui conclut au débouté de la société B, entend faire déclarer régulière l'ordonnance déférée.

Elle justifie le recours à la procédure de visite et saisies de l'article L. 450-4 du Code de commerce par le caractère nécessairement dissimulé des pratiques anticoncurrentielles et parce que les documents, dont elle avait besoin pour étayer ses soupçons, ne sont pas de ceux qui sont communicables sur simple demande. Elle précise que l'enquête, qui a été commencée dans le cadre des dispositions de l'article L. 450-3, maintenant que les saisies ont été réalisées, se poursuivra dans le cadre des mêmes dispositions, notamment pour les auditions sur les documents saisis.

Pour répondre à l'argumentation de la société B, elle fait essentiellement valoir:

1.- sur l'absence de vérifications personnelles par le juge des libertés et le périmètre de l'autorisation de visite et saisie donnée à la Direccte ;

- que, contrairement à ce qu'affirme la société B, il ressort de l'audition de M. 1 (pièce 14, annexe II de la requête) que les pratiques de prix figés de la société B ne concernaient pas seulement les nettoyeurs haute pression mais bien toute la gamme de produits grand public, que le tarif joint à la requête (pièce 15 annexe 27) concerne également des aspirateurs, des pompes et des systèmes d'arrosage, ce qui justifie suffisamment que les investigations ne soient pas limitées aux pratiques relatives aux seuls nettoyeurs haute pression ;

- que l'Administration était parfaitement en droit d'utiliser des documents recueillis dans le cadre d'une autre enquête et que le juge des libertés pouvait les utiliser dès lors qu'il était en mesure de vérifier, comme au cas de l'espèce, le caractère apparemment licite des documents produits (recueillis dans le cadre d'une enquête réalisée sur le fondement des dispositions de l'article L. 450-3 du Code de commerce) ;

- que dès lors qu'il ressort des déclarations litigieuses que la clientèle des revendeurs concernés s'étend aux particuliers, et donc au grand public ou aux consommateurs, le juge des libertés était bien fondé à les prendre en considération pour motiver sa décision.

2.- sur l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles.

La Direccte précise que son enquête vise à mettre en évidence des pratiques d'entente, d'abus de position dominante ou encore de prix imposés et que le juge des libertés pour fonder son ordonnance devait caractériser, au moyen des éléments apportés par l'Administration, l'existence de fortes présomptions de pratiques anticoncurrentielles relatives aux prix de vente des produits X proposés aux consommateurs. Elle estime que l'ordonnance est suffisamment motivée qui caractérise :

- le fait que le prix de vente au détail souhaité par le fournisseur était connu des distributeurs,

- les prix conseillés sont significativement suivis par les distributeurs (taux de suivi très largement supérieur à 80 %),

- qu'une police ou un mécanisme de surveillance des prix a été mis en place par le fournisseur.

Enfin, elle précise qu'elle n'a pas à apporter la preuve des pratiques anticoncurrentielles suspectées et il n'appartient pas au juge des libertés de démontrer l'existence de telles pratiques mais seulement de vérifier l'existence de présomptions graves et concordantes permettant de suspecter leur existence.

Le Ministère public conclut dans le même sens que l'Administration.

Sur ce :

La Direccte soupçonnant l'existence de la part d'un certain nombre de sociétés, dont la société B, de pratiques anticoncurrentielles et estimant que les pouvoirs d'investigation que lui confèrent les dispositions de l'article L. 450-3 du Code de commerce étaient insuffisants pour mettre en évidence ces pratiques a décidé de solliciter du juge des libertés de Bordeaux l'autorisation de visite et de saisies de l'article L. 450-4 du Code de commerce.

Il est de jurisprudence constante que le juge, par sa signature au bas du document, s'est approprié les motifs et le dispositif de l'ordonnance qui a été rédigée pour lui par l'Administration qui lui a présenté requête.

La société B reproche à l'ordonnance déférée d'élargir sans justification le périmètre des visites et saisies, mesures éminemment attentatoires aux libertés, à l'ensemble des produits grand public de la marque X alors que seuls étaient visés par la requête de l'Administration les nettoyeurs haute pression et ce faisant d'avoir contrevenu au bien-fondé mais également au principe de proportionnalité des mesures ordonnées. Par ailleurs, elle entend faire juger que les éléments retenus pour justifier des mesures de visite et de saisies ne sont pas suffisamment probants.

1- Sur la proportionnalité de la mesure ordonnée.

Pour autoriser, comme il l'a fait, visites et saisies concernant les produits de la gamme grand public de la marque X, sans exclusive ou sans limitation aux seuls nettoyeurs haute pression, le juge des libertés de Bordeaux a suffisamment motivé sa décision en reprenant les termes de l'audition de M. 1 (page 8 de son ordonnance, annexe 2 de la requête) qui, expliquant la politique tarifaire de la société B, ne distingue pas entre les nettoyeurs haute pression et les autres produits de la marque pour parler de " l'outillage " ou " du matériel " et après avoir visé le tarif grand public 2011 annexe 27 dont l'examen, même sommaire, ne pouvait que le conduire à constater que la société B commercialise, à côté des nettoyeurs haute pression éponymes, de l'outillage et des matériels divers d'arrosage et de piscine. Par voie de conséquence, même si les exemples choisis par l'Administration pour étayer sa requête sont relatifs à des nettoyeurs haute pression, produit phare de la marque, le juge des libertés pouvait, sans atteinte au principe de proportionnalité, autoriser l'Administration à s'intéresser à l'ensemble des matériels grand public mis dans le commerce par la société B.

Par ailleurs, il n'était pas interdit à la Direccte d'utiliser à l'appui de sa requête, comme en l'espèce, des procès-verbaux recueillis dans le cadre d'enquêtes fondées sur les dispositions de l'article L. 450-3 du Code de commerce, ni au juge de les utiliser dans son ordonnance, dès lors que ces documents, identifiés comme tels (annexes 2 et 7) sont en apparence parfaitement réguliers. Enfin, les déclarations litigieuses entrent bien dans le champ de l'enquête puisque E et la SA F commercialisent les produits X non seulement auprès de professionnels, mais vendent également aux particuliers (.../...nous avons une activité de vente à destinations des professionnels et des particuliers [de plus en plus nombreux], E - .../... la clientèle de la société est constituée à 50 % d'agriculteurs et à 50 % de particuliers, écrit Mme 2 rapportant les propos de 3, responsable de la SA F).

2.- Sur les présomptions de pratiques anticoncurrentielles.

Les parties s'accordent sur la nature des indices permettant de présumer l'existence de pratiques dont la preuve est recherchée (prix de vente au détail souhaités par le fournisseur et connus du distributeur, application significative par le distributeur du prix souhaité et police ou surveillance des prix pratiqués par le fournisseur) et sur la nature des pratiques anticoncurrentielles que l'Administration pourrait le cas échéant mettre en évidence (entente, abus de position dominante ou prix imposés par le fournisseur).

Par ailleurs, la société B estime que le juge n'a pas pu trouver dans les pièces annexées à la requête des documents suffisamment probants pour caractériser les différents indices au sens des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce.

* le prix de vente au détail souhaité par le fournisseur et connu du distributeur.

L'existence de prix indicatifs ou conseillés n'est pas sérieusement contestée ce que le juge a pu vérifier par la production des dits tarifs. Leur diffusion auprès des fournisseurs n'est pas contestée et par ailleurs confirmée par les responsables de E. Si cette pratique est licite et ne constitue pas une " présomption " elle est suffisante pour caractériser un premier " indice ". Le juge devait le constater.

* l'application significative par le distributeur du prix conseillé.

La société B explique que le tarif 2011 est inopérant car il ne serait pas le sien mais un document interne à la société G. Mais, ce document était bien celui diffusé aux distributeurs (cf. audition responsables CGO - les tarifs d'achat, taux de remise et conditions générales de vente des fournisseurs G sont disponibles en ligne sur le site de la G.../...) et la société B ne démontre pas que son tarif était différent de celui exploité par l'Administration. Par conséquent son argument manque en fait.

Quant au différentiel entre le prix conseillé et le prix relevé par l'Administration, cette dernière prétend qu'il s'explique par la réintégration de la TVA. La société B semble affirmer, sans toutefois le démontrer (page 13 de ses conclusions), que l'Administration aurait ajouté de la TVA sur des prix TTC (!). Alors que le juge recherche des indices et non des preuves, la discussion de la société B sur les lacunes dans les tarifs concernant certaines références ne sont pas de nature, à ce stade de la procédure, à remettre en cause l'intérêt des rapprochements effectués par l'Administration. De la même façon, la discussion sur le fait de savoir s'il était ou non pertinent d'intégrer dans le prix de vente par Internet le coût de livraison, pour le comparer à des prix de vente magasin sans livraison, est peut-être une question qui sera débattue au fond mais, au stade de l'autorisation, s'agissant de matériels grand public qui entrent dans le coffre d'une voiture, cette comparaison apparaît suffisamment raisonnable et censée pour emporter la conviction d'un juge de la liberté normalement vigilant.

Après vérification par simples sondages de la méthodologie de travail de l'Administration, en se référant, page 5, 7 et 8 de son ordonnance, aux tableaux de synthèses établis par la Direccte à partir des tarifs 2010 et 2011 (G), des catalogues fournisseurs et des relevés de prix effectués, le juge a mis en évidence un taux de suivi moyen de 97,94 % caractérisant ainsi le deuxième indice de sa démonstration.

* la police ou la surveillance des prix.

Il est possible, et il s'agira peut-être un jour d'un débat de fond, que le fait pour la société B de conserver la maîtrise de sa politique promotionnelle et d'exiger du consommateur désirant bénéficier de ces offres de retourner leur ticket de caisse soit dénué de la moindre intention de contrôler les prix pratiqués par le distributeur, mais il n'en reste pas moins qu'au yeux du juge de la liberté, cette façon de procéder peut parfaitement constituer un indice de surveillance des prix effectivement pratiqués. Le fait que la gestion de ces offres promotionnelles soit confiée à une société tierce ne prive pas la société mandante de la possibilité d'exercer un contrôle à cet égard. L'existence d'un troisième indice est bien établie.

En conséquence de ce qui précède, la décision déférée sera purement et simplement confirmée.

Par ces motifs : Ouï le Ministère public en ses conclusions, Déclarons le recours recevable en la forme, Le disons non fondé, Confirmons l'ordonnance déférée, Condamnons la société B aux entiers dépens de l'instance.