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Décisions

Cass. crim., 10 mai 1978, n° 77-91.445

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Faivre Caff

Rapporteur :

M. Sainte-Rose

Avocat général :

M. Aymond

Avocats :

Mes Martin-Martinière, Lyon-Caen

Cass. crim. n° 77-91.445

10 mai 1978

LA COUR : - Vu la connexité, joignant les pourvois ; - Vu les mémoires produits ; - Attendu qu'il ressort tant de l'arrêt attaqué que du jugement qu'il confirme dans toutes ses dispositions, qu'en 1973 et 1974, la société à responsabilité limitée Juris-assistance, dont la gérance a été assurée par X jusqu'au 1er novembre 1973, puis par Y, a fait insérer dans plusieurs journaux et à diverses reprises des annonces publicitaires portant notamment les mentions suivantes : " Vous avez des dettes. Le crédit peut résoudre certains problèmes... Mais il est cher et limité... Nous avons des solutions pour vous aider à retrouver une situation financière équilibrée. Grace à notre aide alliée à une surveillance constante, des centaines de personnes ont pu rétablir leur situation " ; qu'aux débiteurs qui sollicitaient le concours de Juris-assistance pour le règlement de leurs dettes, il était donné une " consultation concernant leurs problèmes financiers " pour le prix de 150 F, puis proposé une " convention d'assistance et de services " présentée comme obligatoire pour obtenir un accord de gestion de dettes proprement dit ; que cette convention comportait, en fait, neuf services d'assistance et de conseils, allant de " l'assistance familiale " à la " gestion simplifiée d'entreprise " y compris la " gestion de dettes-liquidation amiable " ; que la durée de ce dernier service déterminait celle de la convention qui prévoyait une rémunération suivant un tarif d'abonnement annuel de 500 et 1 200 F et ne donnait d'ailleurs droit qu'à des renseignements verbaux ; qu'enfin, était soumis à la signature des clients un " mandat-pouvoir ", distinct de la convention, par lequel ils confiaient à Juris-assistance le soin d'établir un plan de remboursement de leurs dettes et de l'exécuter moyennant le paiement de frais de gestion d'un montant de 7 % des sommes à repartir entre les créanciers ;

Attendu que les juges relèvent encore que la publicité effectuée par Juris-assistance ne faisait état que du seul service de la gestion de dettes alors que, pour en bénéficier, les clients devaient accepter tous les autres qui ne présentaient pour eux aucune utilité ; qu'en outre, le service offert, présenté comme original et économique par rapport au crédit bancaire, était, en réalité, beaucoup plus onéreux, le coûtde la convention d'assistance ayant pour résultat d'accroitre le passif des souscripteurs vis-à-vis desquels Juris-assistance s'attribuait, en fait, la qualité de créancier privilégié ; qu'il s'est d'ailleurs avéré que, dans la très grande majorité des cas, la gestion de dettes avait abouti à un échec, de nombreux clients n'ayant pas été en mesure de tenir leurs engagements ; que les juges ajoutent que, bien souvent, Juris-assistance avait négligé d'intervenir auprès des créanciers de ses clients afin d'éviter que des poursuites ne soient engagées contre ces derniers qui, aux termes du " mandat-pouvoir ", étaient pourtant fondés à attendre une telle intervention ;

Attendu que l'arrêt attaqué a prononcé la relaxe de X du chef du délit prévu et réprimé par l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 que visait la citation, au motif que les faits reprochés avaient été commis antérieurement à l'entrée en vigueur de ladite loi ; que le même arrêt a déclaré Y coupable de ce délit et a retenu X et Y dans les liens de la prévention d'escroquerie sous laquelle ils étaient également poursuivis ;

Sur le moyen unique de cassation de Y, pris de la violation par fausse application de l'article 44 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 et de l'article 405 du Code pénal ; ensemble violation des articles 593 du Code de procédure pénale et 7 de la loi du 20 avril 1810 ; erreur de qualification, insuffisance, contradiction et défaut de motifs, manque de base légale,

" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a condamné le demandeur des chefs de publicité mensongère et escroqueries ;

" aux motifs que, sur le délit de publicité mensongère, il est certain que le bien-fondé de l'inculpation doit être apprécié en fonction du très faible esprit critique, de la crédulité et du manque d'information de la masse des consommateurs et utilisateurs se trouvant, de surcroit, dans une situation financière difficile, prêts à accepter les propositions d'aide les plus chimériques, dans l'espoir de redresser cette situation et parfaitement incapables de comprendre le sens et la portée pratique des contrats offerts à leur signature ; que c'est précisément cette catégorie de consommateurs que le législateur a entendu protéger au premier chef ; que la publicité incriminée offrait le seul service de la gestion de dettes, alors qu'en réalité, ce service n'était accordé qu'aux postulants acceptant d'adhérer à plusieurs autres, qui ne présentaient pour eux aucune utilité ; que le coût des services de Juris-assistance aurait été plus onéreux que celui du crédit bancaire ; que ces caractéristiques tombent, sans aucun doute, sous le coup de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973, qui interdit toute publicité comportant des " allégations, indications ou présentations " de nature à induire en erreur, lorsqu'elles portent sur les prix des services qui en font l'objet les " résultats qui peuvent être attendus de leur utilisation ", " la portée des engagements pris par l'annonceur " ; qu'il ne doit pas être omis que, parmi ces résultats, les clients de Juris-assistance étaient fondés à compter sur une prise de contacts immédiatement efficaces avec leurs créanciers, afin de leur éviter des poursuites de la part de ces derniers, tout au moins dans la mesure où ils respecteraient eux-mêmes les engagements pris ; que ce résultat n'a pas été atteint dans neuf cas, sur les quatorze examinés dans la présente procédure " ; que, sur le délit d'escroquerie, " les premiers juges ont fait une exacte analyse des contrats pratiqués par Juris-assistance et constaté, à bon droit, que la " convention d'assistance " et le " mandat-pouvoir " constituaient deux conventions distinctes ; que la première n'obligeait réellement Juris-assistance à aucune fourniture de prestations en contre-partie des sommes reçues ; qu'en faisant croire à l'obligation d'y adhérer, après avoir conditionné les futurs clients par la publicité, les prévenus ont commis les manœuvres frauduleuses ayant abouti à la signature des conventions d'assistance et à des remises de fonds ; qu'en matière de gestion des dettes d'autrui, la bonne foi du gestionnaire, la sincérité des contrats et la réalité des services rendus en contrepartie de la rémunération demandée, doivent être exigées d'une manière particulièrement stricte ; que le gestionnaire est rigoureusement tenu de ne prêter son concours onéreux aux débiteurs que lorsqu'il est certain d'être en mesure de leur apporter une aide effective pour la solution de leurs problèmes financiers ; que cette aide était promise sans réserve dans la publicité de Juris-assistance, qui contenait une assurance formelle de résultat ; que, si elle s'avère impossible ou illusoire, pour quelque motif que ce soit, le gestionnaire engage sa responsabilité pénale, en demandant ou en acceptant une rémunération qui n'est, dès lors, pas due ;

" alors, d'une part, que, s'agissant du délit de publicité mensongère, on ne voit pas quelles sont les " allégations, indications ou présentation " de nature à induire en erreur les clients de Juris-assistance, ni comment ceux-ci ont été trompés sur la portée des engagements pris ; qu'en signant la convention d'assistance à laquelle ils adhéraient, les clients bénéficiaient de services réels et importants, puisqu'ils étaient assurés des conseils de spécialistes dans toutes les circonstances de leur vie professionnelle, sociale ou familiale ; qu'ils pouvaient être renseignés sur toutes questions juridiques, fiscales, administratives ou réglementaires et qu'il n'y a pas d'exemple que ces conseils juridiques puissent être gratuits ; qu'il est incontestable que le service de la gestion de dettes et le mandat-pouvoir ne représentaient pas deux contrats distincts, le second n'ayant pour but que de concrétiser le premier comme le reconnait le jugement et contrairement à la thèse du Ministère public ; qu'aucun mensonge ne peut être retenu dans le texte de la publicité incriminée et qu'en condamnant le demandeur, en application de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973, les juges du fond ont commis une erreur de qualification, qui ne peut manquer d'entrainer la cassation de l'arrêt attaqué ;

" et alors, d'autre part, qu'en ce qui concerne la prévention d'escroquerie, elle n'est nullement caractérisée ; que le demandeur n'a jamais fait naître chez ses clients l'espérance fallacieuse d'un succès ou d'un évènement chimérique ; que, par une contradiction manifeste, l'arrêt attaqué lui-même reconnait, de même que le jugement de première instance, qu'une partie des clients a atteint le résultat escompté et promis et que, si les autres ont subi un échec, c'est parce qu'ils ont interrompu leurs versements, Juris-assistance se trouvant ainsi dans l'impossibilité de régler leurs dettes ; que les taux retenus par les juges du fond ont été multipliés par trois et qu'en conséquence, le coûtdu crédit bancaire était bien plus élevé que les sommes demandées par Juris-assistance ;

" alors qu'enfin, le demandeur faisait état, à juste titre, de lettres de remerciements et de félicitations de nombreux clients satisfaits ; d'une enquête du service régional de police judiciaire de Strasbourg qui, agissant sur réquisitions du Procureur de la République, le SRPJ ayant minutieusement étudié le mécanisme des opérations de Juris-assistance et ayant conclu à leur régularité et à leur efficacité, ainsi que la caution qui lui avait été donnée par le bureau de vérification de la publicité (BVP) ; qu'en conséquence, le délit d'escroquerie ne pouvait être imputé au demandeur et que cette nouvelle erreur de qualification justifie derechef la censure de la cour de cassation " ;

Sur le premier moyen de cassation de X, pris de la violation des articles 405 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale,

" en ce que l'arrêt attaqué a condamné X pour escroquerie ;

" aux motifs que la " convention d'assistance " et le " mandat-pouvoir " constituaient deux conventions distinctes, la première n'obligeant réellement " Juris-assistance " à aucune fourniture de prestation en contrepartie des sommes reçues ; qu'en faisant croire à l'obligation d'y adhérer, après avoir " conditionné " les futurs clients par la publicité, les prévenus ont commis les manœuvres frauduleuses ayant abouti à la signature des conventions d'assistance et à des remises de fonds ; qu'il est à peine nécessaire de souligner qu'en matière de gestion des dettes d'autrui, la bonne foi du gestionnaire, la sincérité des contrats et la réalité des services rendus en contrepartie de la rémunération demandée, doivent être exigées d'une manière particulièrement stricte ; que le gestionnaire est rigoureusement tenu de ne prêter son concours onéreux aux débiteurs que lorsqu'il est certain d'être en mesure de leur apporter une aide effective pour la solution de leurs problèmes financiers ; que cette aide était promise sans réserve dans la publicité de Juris-assistance qui contenait une assurance formelle de résultat ; que si elle s'avère impossible ou illusoire, pour quelque motif que ce soit, le gestionnaire engage sa responsabilité pénale en demandant ou en acceptant une rémunération qui n'est, dès lors, pas due ;

" alors, d'une part, que ces motifs ne caractérisent pas les faits qui constitueraient des manœuvres frauduleuses ;

" alors, d'autre part, qu'ils n'énoncent pas en quoi consistaient les " fausses entreprises, le pouvoir ou le crédit imaginaire " dont X aurait persuadé ses clients, ni " le succès ou l'accident ou l'évènement chimérique " dont il aurait, chez elles, fait naître " l'espérance ou la crainte " ;

" alors, d'une troisième part, que l'arrêt attaqué n'a pas constaté que les actes imputés au prévenu ont déterminé la remise de deniers par les clients ;

" et alors, enfin, que l'arrêt s'est abstenu de rechercher quels faits étaient imputables à X et lesquels l'étaient à Y, entachant ainsi les motifs de sa décision d'ambiguïté et d'insuffisance " ;

La seconde branche du moyen unique de Y et le premier moyen de X étant réunis ; - Attendu que pour retenir la culpabilité de Y et de X du chef d'escroquerie et statuer en conséquence sur les intérêts civils, les juges du fond énoncent " qu'en employant une publicité mensongère, largement diffusée proposant des solutions économiques pour rétablir une situation financière critique, " les prévenus " en faisant croire au caractère obligatoire de l'adhésion à un contrat d'assistance... onéreux et sans contrepartie, ont obtenu de leurs clients la signature de contrats et la remise de fonds " ; que les juges précisent que les manœuvres frauduleuses utilisées par les gérants successifs de Juris-assistance " en faisant naître chez leurs clients l'espérance d'un évènement chimérique ont été la cause déterminante de la remise de sommes d'argent " ;

Attendu qu'en cet état et abstraction faite de tous autres motifs surabondants voire erronés, la cour d'appel n'a en rien méconnu les dispositions de l'article 405 du Code pénal ; qu'il se déduit, en effet, de l'arrêt attaqué que la publicité effectuée dans la presse a été la première manœuvres employée par les prévenus et que ceux-ci, gérants d'une société ayant une activité de conseil juridique de nature à inspirer confiance ont, par ailleurs, abusé de leur qualité pour donner force et crédit à des allégations mensongères ayant pour but de susciter, chez leurs dupes, l'espérance d'un évènement d'autant plus chimérique que, loin de permettre le rétablissement d'une situation bien souvent compromise, le recours à Juris-assistance contribuait, en réalité, à aggraver celle-ci ; qu'au surplus, bien qu'elle ait eu une existence réelle et légale, la société Juris-assistance qui n'apportait pas une aide véritable, à des insolvables dont elle acceptait pourtant la clientèle constituait, de ce fait, une entreprise fausse en certaines de ses composantes essentielles ; qu'il suit de là que l'arrêt attaqué a, sans encourir les griefs allégués au moyen, justifié sa décision ; qu'ainsi, les moyens réunis doivent être écartés ;

Et sur la première branche du moyen unique de Y ; - Attendu qu'en l'état des faits ci-dessus relatés et dont elle a déduit que la publicité incriminée comportait des allégations et des indications de nature à induire en erreur le public sur le prix des services offerts, les résultats attendus de leur utilisation et la portée des engagements pris, la cour d'appel a, contrairement aux affirmations du moyen, caractérisé en tous ses éléments le délit prévu par l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 dont Y a été reconnu coupable ;

Attendu qu'en statuant ainsi, l'arrêt, qui a aussi déclaré Y coupable d'escroquerie, n'encourt pas le reproche d'avoir retenu le même fait sous deux qualifications différentes ; qu'en effet, d'après les énonciations des juges du fond, la publicité incriminée, d'une part, a effectivement induit en erreur des personnes endettées, ainsi victimes de manœuvres frauduleuses constitutives de l'escroquerie, d'autre part, était de nature à induire en erreur le public, d'une façon générale, indépendamment de tout préjudice ; qu'il en résulte que cette publicité de nature à induire en erreur que dénonçaient les associations habilitées à se constituer parties civiles par la loi du 27 décembre 1973, et l'escroquerie au préjudice d'une personne déterminée, constituaient deux délits matériellement distincts et caractérisés, de surcroit, par des éléments différents, la mauvaise foi du prévenu n'étant plus exigée par les dispositions de ladite loi qui ont remplacé celles de l'article 5 de la loi du 2 juillet 1963 ; d'où il suit que le moyen pris en sa première branche doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation de X, pris de la violation des articles 4 et 51 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, méconnaissance du principe nulla poena sine lege, défaut de motifs et manque de base légale,

" en ce que l'arrêt attaqué ordonne la publication du jugement dans cinq journaux aux frais de Y ;

" alors que la publication d'un jugement de condamnation constituant une peine complémentaire portant atteinte à l'honneur est, aux termes de l'article 51 du Code pénal, soumis au principe de la légalité des peines et ne pouvait être appliqué en l'espèce indistinctement à Y et X (même si les frais ne sont à la charge que du premier), dans la mesure ou seul Y l'encourt pour le délit de publicité mensongère en vertu de l'article 44-II de la loi du 27 décembre 1973, tandis que l'article 405 du Code pénal, dont il a été fait application à X, ne le prévoit pas " ;

Attendu que lorsque la peine complémentaire de la publication de la décision de justice a été prononcée en application de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973, qui rend ladite publication obligatoire, il n'importe que des coprévenus aient été poursuivis pour des faits distincts de ceux incriminés par ce texte ; que si la publication est seulement ordonnée par extraits comme en l'espèce, il appartient, aux termes de l'article 710 du Code de procédure pénale, à la juridiction qui a rendu la décision de statuer sur les éventuels incidents d'exécution de la peine par elle prononcée ; d'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette les pourvois.