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Décisions

Cass. crim., 13 mars 1979, n° 78-92.341

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Malaval

Rapporteur :

M. Monzein

Avocat général :

M. Dullin

Avocats :

Mes Fortunet, Coutard

Cass. crim. n° 78-92.341

13 mars 1979

LA COUR : - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1er, alinéa 2, du Code de procédure pénale, L. 411-11 du Code du travail et 44 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, d'orientation du commerce et de l'artisanat, ensemble violation de l'article 593 du Code de procédure pénale pour défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale,

"en ce que l'arrêt attaqué déclare les syndicats de producteurs de boissons recevables à exercer les droits réservés à la partie civile et en particulier celui de mettre en mouvement l'action publique, à raison de faits prétendument constitutifs du délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur ;

"alors que l'infraction à un texte n'ayant pas pour objet la protection de l'intérêt collectif d'une profession ne peut porter préjudice, même indirectement, à cet intérêt, que l'article 44 susvisé de la loi du 27 décembre 1973 a pour objet la défense des consommateurs et non la protection, directe ou indirecte, de l'intérêt collectif des producteurs de boissons, de sorte que les syndicats susmentionnés étaient irrecevables à exercer les droits réservés à la partie civile à raison du délit prévu par ledit article 44" ;

Attendu que, pour déclarer recevables les constitutions de parties civiles de l'Union nationale des producteurs de jus de fruits et de légumes, de nectars et de boissons aux fruits de la métropole et d'outre-mer, ainsi que du syndicat national des boissons rafraîchissantes, l'arrêt relève que ces deux syndicats ont pour mission de défendre les intérêts professionnels et que, du fait des agissements délictueux du prévenu, un préjudice a été porté à l'intérêt collectif de la profession ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a, sans encourir les griefs du moyen, justifié sur ce point sa décision ;

Attendu en effet que l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 prohibant et réprimant la publicité de nature à induire en erreur constitue l'une des dispositions spécialement édictées dans le chapitre III du titre III de cette loi en vue de "l'amélioration des conditions de la concurrence" ; que dès lors, la violation de l'interdiction ainsi sanctionnée constitue, en elle-même, une atteinte aux conditions normales de la concurrence de nature à porter préjudice à l'ensemble de la profession qui respecte les obligations légales ; que par suite, l'action civile, qui n'est pas réservée aux seules associations de défense des intérêts des consommateurs visées par l'article 46 de la loi précitée, peut être exercée par un syndicat conformément à l'article 11 du livre III du Code du travail, lorsque, comme en l'espèce, est constatée une atteinte à l'intérêt collectif de la profession intéressée ;

Sur les deuxième et troisième moyens de cassation, réunis et pris :

- le deuxième de la violation par fausse application de l'article 44-1 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, d'orientation du commerce et de l'artisanat, ensemble violation de l'article 593 du Code de procédure pénale pour défaut, contradiction et insuffisance de motifs, défaut de réponse, manque de base légale et dénaturation des documents de la cause,

"en ce que l'arrêt attaqué déclare que X a mis en œuvre une publicité fausse ou de nature à induire en erreur, aux motifs essentiels que l'"entreprise publicitaire" menée au profit de la boisson "tang" devrait être tenue pour mensongère dans sa globalité, son idée force étant d'insinuer que "tang", produit de synthèse chimique, pourrait être du fruit pur transformé physiquement, insinuation qui résulterait : d'une part, de la suggestion, faite par la présentation des sachets de "Tang" que cette boisson contiendrait de l'orange, du pamplemousse ou du citron, en plus ou moins grande proportion, et ce, au moyen de l'image d'une écorce d'agrume et de feuilles ainsi que de l'emploi de l'expression "préparation... pour boisson au goût de (fruits pressés)", ladite suggestion n'étant pas corrigée par l'indication portée en petits caractères et sur un seul côté des sachets de la composition du produit, indication dont la lecture demanderait un effort d'attention très soutenu ; de deuxième part, de l'apposition d'affiches intitulées "Orange ou Tang" et répétant le slogan "le goût de l'orange pressée" ; de troisième part, d'annonces publiées dans la presse spécialisée et présentant "Tang" comme une innovation technologique comparable au café soluble, annonces qui, par l'emploi des mots "boissons fruitées" auraient tendu à persuader les lecteurs que "Tang" était du fruit lyophilisé, et ce, sans qu'il y ait lieu, pour apprécier le caractère éventuellement trompeur desdites annonces, de tenir compte de ce que les journaux les contenant étaient destinés à des professionnels de la distribution ; et enfin, d'un film publicitaire télévisé dont les dialogues comportent la phrase : "je croyais vraiment boire du jus d'orange", insuffisamment explicite pour dissiper la confusion entretenue par les autres média ;

"alors que, d'autre part, l'arrêt attaqué dénature la mention "au goût de (fruits) pressés" portée sur les sachets susmentionnés, laquelle implique nécessairement et évidemment que le produit considéré n'est pas du fruit pressé, fausse du même coup la signification de l'image figurant sur lesdits sachets, au-dessous de la mention précitée, dénature l'indication de la composition du produit sur les mêmes sachets en affirmant que sa lecture demande en effort d'attention très soutenu, et au surplus, laisse sans réponse le moyen invoqué dans les conclusions des exposants d'après lequel "Tang" contient effectivement du zeste d'agrume, ce qui légitimait l'emploi de l'image critiquée ;

"que, de deuxième part, l'arrêt dénature les affiches susvisées dont l'intitulé, en très gros caractères "orange ou Tang ?" implique lui aussi nécessairement et évidemment que "Tang" n'est pas de l'orange ;

"que, de troisième part, le caractère éventuellement trompeur de la publicité devant s'apprécier en la personne des destinataires de cette publicité, la cour d'appel qui a refusé de rechercher si les professionnels de la distribution auxquels s'adressaient les annonces n'a pas donné de base légale à sa décision à cet égard, l'affirmation de l'arrêt attaqué suivant laquelle ces annonces auraient tendu à persuader les lecteurs que "Tang" était du fruit lyophilisé étant, en outre, contredite par les constatations du même arrêt relatives au sens de l'expression "boisson fruitée" et à la teneur des annonces critiquées ;

"et enfin, que l'arrêt attaqué dénature, dans le dialogue du film publicitaire précité, la phrase "je croyais vraiment boire de l'orange", phrase qui, elle aussi, implique nécessairement et évidemment que "Tang" n'est pas de l'orange" ;

- le troisième de la violation de l'article 44-1 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, d'orientation du commerce et de l'artisanat, ensemble violation de l'article 593 du Code de procédure pénale, pour défaut, contradiction et insuffisance de motifs, manque de base légale,

"en ce que l'arrêt attaqué, pour déclarer X convaincu du délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur, énonce :

"d'une part, que la mauvaise foi ne serait pas un élément constitutif dudit délit ;

"d'autre part, que, surabondamment, la mauvaise foi des exposants découlerait des constatations de cet arrêt relatives au caractère trompeur de la publicité litigieuse, les premiers juges ayant à tort déduit la bonne foi des exposants, notamment du fait que ceux-ci avaient consulté un spécialiste avant le lancement de l'opération publicitaire critiquée et des énonciations du dossier d'information remis à la presse par lesdits exposants, aux motifs que ceux-ci auraient dû consulter le Bureau de Vérification de la Publicité et que le dossier susmentionné était lacunaire ;

"alors que, d'une part, la publicité fausse ou de nature à induire en erreur constitue un délit intentionnel ;

"et que, d'autre part, les constatations de l'arrêt attaqué relatives au caractère trompeur de la publicité litigieuse, de même que les motifs pour lesquels cet arrêt réfute la motivation du jugement de première instance en ce qui concerne la bonne foi des exposants, sont contradictoires et inopérants en raison de leur insuffisance à justifier la décision de la cour d'appel sur ce point"

Attendu que, pour caractériser l'infraction à l'article 44 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, reprochée au prévenu, les juges du fond notent que la publicité mise en œuvre par la société "General Foods France", dont Louis X est le président-directeur général, a été réalisée par des moyens variés qu'ils précisent et analysent ; qu'elle était axée sur la présentation d'une poudre, dénommée "Tang", fabriquée par ladite société, qui l'offrait au public grâce à une publicité spécialement choisie pour amener le client éventuel à penser faussement qu'il se trouvait en présence d'un produit naturel extrait des agrumes ;

Attendu que l'arrêt constate que les consommateurs, réels ou potentiels, ont été effectivement induits en erreur par la publicité incriminée ; qu'ils ont cru que la poudre "Tang" était un produit reconstituant le jus de fruit fraîchement pressé, alors qu'elle est constituée par un mélange sophistiqué de substances chimiques et ne contient en réalité "aucune molécule venant de la pulpe ou du jus du fruit", les "huiles extraites de l'écorce", qui entrent pour une très faible proportion dans sa composition et qui "lui donnent une partie de son goût" ne représentent que 1% du produit ;

Attendu que, tout en relevant, d'ailleurs surabondamment, qu'en l'espèce, la mauvaise foi du prévenu est établie, la cour d'appel a énoncé à bon droit que la mauvaise foi n'était pas un élément constitutif du délit poursuivi ;

Attendu que par ces énonciations et constatations, exemptes d'insuffisance, la cour d'appel a, sans violer les textes visés aux moyens, donné une base légale à sa décision ; qu'ainsi les deux moyens réunis ne peuvent être accueillis ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 44-I et II, alinéa 3 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, d'orientation du commerce et de l'artisanat, ensemble violation de l'article 593 du Code de procédure pénale pour défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale,

"en ce que l'arrêt attaqué qui dit et juge que "General Foods France" a "mis en œuvre... une publicité comportant, par textes, par images et représentations graphiques, les allégations, indications et présentations de nature à induire en erreur sur la nature, la composition, les qualités substantielles et la teneur en principes utiles de son produit vendu sous la marque "Tang", ordonne la cessation, dans le mois de son prononcé, de toute "publicité comportant l'allégation que "Tang" est au goût d'un fruit frais ou fraîchement pressé" la représentation sous quelque forme que ce soit d'un fruit quelconque ou comportant l'indication que "Tang" est une "boisson fruitée" ou enfin, utilisant le mot "soluble" par référence à un produit naturel lyophilisé tel que le café" ;

"alors que la "cessation de la publicité" au sens de l'article 44-II, alinéa 3 susvisé, s'entend nécessairement de la cessation des actes pouvant constituer le délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur, que lesdits actes consistent exclusivement dans l'émission du message publicitaire et non dans la situation résultant de cette émission, et que, dès lors, l'arrêt attaqué, qui ne spécifie pas les actes d'émission de messages publicitaires imputés à X et qui doivent cesser dans le mois de son prononcé, ne comporte pas de motifs suffisants pour donner, à cet égard, une base légale à sa décision" ;

Attendu que, par application des dispositions de l'article 44-II, alinéa 3, de la loi du 27 décembre 1973, l'arrêt a interdit au prévenu de faire, sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit, toute publicité comportant l'allégation que "Tang" est "au goût du fruit frais" ou "au goût du fruit fraîchement pressé", toute publicité utilisant le mot "soluble" par référence à un produit lyophilisé tel que le café, enfin, toute publicité présentant un fruit avec la légende explicative que Tang "est une boisson fruitée" ;

Que par ces énonciations, claires et précises, visant l'interdiction prononcée dans le cadre du texte précité, la cour d'appel a, sans insuffisance, justifié sa décision ; qu'ainsi, le moyen ne saurait être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette les pourvois.