Livv
Décisions

CA Colmar, 3e ch. civ., 13 juillet 1993, n° 2064-91

COLMAR

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Debriel (époux), Conseil des quinze Immobilier (SARL)

Défendeur :

Voglet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Waltz (faisant fonction)

Conseillers :

MM. Schmitt, Dietenbeck

Avocats :

Mes Riegert, Jost & Associés, Bloch & Associés

T. , du 25 mars 1991

25 mars 1991

Selon contrat du 21 décembre 1975, Madame Mathilde Voglet a donné en location à Monsieur et Madame Debriel un logement sis au 1er étage de la maison n° 6a, rue Richard Brunck moyennant un loyer mensuel initial commun, concernant des locaux non soumis à la loi du 1er septembre 1948.

Le 29 décembre 1987, un nouveau contrat de bail a été signé entre les parties portant sur les mémos locaux mais prévoyant l'application de la loi du 1er septembre 1948 et fixant le loyer mensuel à 2 550 F en fonction de la catégorie du local et de la surface corrigée.

Une somme de 31 123,49 F a par ailleurs été reversée aux époux Debriel au titre d'une application rétroactive de la loi du 1er septembre 1948 aux loyers perçus avant le 29 décembre 1987, ces derniers se trouvant de ce fait minorés.

Ultérieurement, Madame Mathilde Voglet a assigné les époux Debriel et la SARL Conseil des quinze Immobilier devant le Tribna1 d'instance de Strasbourg aux fins d'annulation du bail du 29 décembre 1987 en faisant valoir que c'est à la suite d'une erreur sur la loi applicable qu'elle a accepté, sur la demande des époux Debriel et sous la menace d'une procédure judiciaire, de modifier le bail consenti initialement à ces derniers.

Madame Voglet étant décédée, son fils Gérald Voglet a repris l'instance :

Par jugement en date du 25 mars 1991, le tribunal a prononcé la nullité du contrat de bail conclu entre les parties le 29 décembre 1987, condamné solidairement Monsieur et Madame Debriel à payer à Monsieur Voglet la somme mensuelle de 3 448,98 F au titre du loyer courant à compter du 1er juillet 1988 augmentée le 1er juillet 1989 avec intérêts légaux à compter des échéances de février 1993, dit que la révision du loyer s'effectuera sur la base de la variation de l'indice INSEE du prix de la construction et a sursis pour le surplus en invitant le demandeur à produire un décompte.

Monsieur et Madame Debriel ont interjeté appel de ce jugement :

Ils font valoir au soutien de leur appel :

Que même si par impossible la loi de 1948 n'était pas applicable, le bail de 1987 n'en serait pas nul pour autant ;

Que le bailleur et le preneur sont en droit d'appliquer la loi de 1948 à une location qui y échapperait en l'absence de convention expresse ;

Que le caractère d'ordre public de cette loi ne s'oppose pas à ce qu'elle soit étendue à des locations susceptibles d'y échapper ;

Que la signature du contrat a été précédée d'un long et abondant échange de correspondance, Monsieur Voglet étant conseillé par Monsieur Maessner, expert ;

Que c'est bien le bailleur qui avait pris l'initiative de l'application de la loi de 1948 et que par la suite, il est revenu sur sa décision, avant la ratification du bail et qu'il avait donc conscience des deux législations étaient susceptibles de s'appliquer et de leurs conséquences que sa signature a été donnée après mûre réflexion et recherches de conseil ;

Qu'en admettant pour les besoins du raisonnement que le bailleur ait commis une erreur sur l'application de la loi de 1946, il ne pouvait s'agir que d'une erreur de droit et non sur les qualités substantielles de l'objet;

Que la loi de 1948 est applicable aux relations entre les parties

Que les déclarations des témoins quant à l'utilisation des lieux comme bureaux sont contestés ; que le logement du premier étage qu'ils occupent a toujours servi d'habitation ; que leur séquestre et leur réquisition de 1945 à 1948 n'étaient qu'une parenthèse dont le bailleur ne peut profiter

Ils concluent :

"Déclarer les époux Debriel recevables et bien fondés en leur appel, Infirmer le jugement dont appel,

Déclarer Monsieur Voglet mal fondé en ses fins et conclusions,

L'en débouter,

Le condamner à payer aux époux Debriel une somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC,

Le condamner aux dépens de 1ère instance et d'appel."

Monsieur Voglet réplique :

que la loi du 1er septembre 1948 ne s'applique pas ;

qu'il s'agissait d'une maison sinistrée et réparée sur dommage de guerre et que l'article 3 de la loi du 1er septembre 1948 assimile aux logements construits ou achevés postérieurement au 1er septembre 1948, les locaux utilisés avant le 1er juin 1948 à d'autres fins que l'habitation et qui ont été postérieurement affectés à cet usage que tel est le cas en l'espèce ainsi que cela résulte des attestations produites et de l'enquête diligentée par le premier juge ; que l'impartialité des témoins ne saurait être mise en doute ;

que peu importe d'une prétendue mise sous séquestre ou réquisition des lieux en 1944 ;

que l'incident de 1986 au sujet de l'augmentation annuelle de loyer n'a pas de rapport avec l'objet du litige ;

que Monsieur Maessner, expert, n'est pas un homme de loi et n'est intervenu que dans le cadre de la mission qui lui avait été conférée ;

Elle conclut :

"Rejeter l'appel des époux Debriel,

Confirmer le jugement du Tribunal d'instance de Strasbourg du 25 mars 1991 dans toutes ses dispositions ;

Déclarer l'arrêt à intervenir commun à la SARL Conseil des quinze Immobilier ;

Condamner les appelants en tous les frais et dépens ;

Les condamner en outre pour l'instance d'appel à payer è Monsieur Voglet la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC."

La SARL Conseil des quinze fait valoir :

que déjà avant 1987 dont avant son intervention la location posait des problèmes ;

que lors de sa prise de fonction, aucun dossier ne lui e été remis et que pour sortir du blocage constaté, elle a confié à un nouvel expert Monsieur Maessmer le soin d'établir le prix du loyer, les parties étant opposées quant à la surface corrigée ;

que l'expert s dit que le bail était soumis à la loi de 1948 et qu'une transaction est intervenue entre les parties ;

qu'il ne lui a jamais été indiqué que l'immeuble aurait subi des dommages de guerre ;

qu'aucun reproche ne saurait lui être fait ;

Elle conclut :

"Déclarer l'appel recevable et statuer ce que de droit ;

Sur appel incident :

Condamner M. Oérald Voglet à verser à la SARL Conseil des quinze Immobilier, à titre de dommages-intérêts la somme de 5 000 F augmenté des intérêts de droit à compter du jour de l'arrêt à intervenir,

Le condamner à verser è la SARL Conseil des quinze Immobilier la somme de 5 930 F en application de l'article 70G du NCPC ;

Le condamner aux entiers frais et dépens."

Monsieur Voglet répond :

que la correspondance produite démontre que c'est avec la société Conseil des quinze et non pas avec le Cabinet Faessel que les problèmes qui séparaient les parties ont été discutés ;

qu'il est inexact de dire que les parties se seraient apposées chacune sa propre surface corrigée depuis des années alors que les locataires payaient un loyer non soumis à la loi de 1948 ;

que ce n'est pas en confiant è Monsieur Maessner, expert, par lettre du 16 novembre 1987 la mission d'établir un décompte de surface corrigée que le problème pouvait être réglé quant à l'application ou non de la loi de 1948 ;

que les faits que les parties ne se sont pas, lors de la location, référé à cette loi, aurait dû attirer l'attention du gérant ;

que le décompte du prix du loyer du 23 mars 1974 ne porte aucune signature ;

Il conclut :

"Rejeter les conclusions de l'appelée en déclaration d'arrêt commun du 2 janvier 1992 ;

La condamner en tous les frais et dépens."

Par écrit du 27 mars 1992, les époux Debriel font encore valoir que les témoins entendus en première instance n'ont relaté qu'une demie-vérité qu'en 1944, l'immeuble entier a été mis sous séquestre que par ailleurs, en juillet 1945, l'immeuble a été réquisitionné au profit du conseil britannique qui y a installé son logement et ses bureaux que les témoins ont affirmé que les bureaux étaient au premier étage (logement Debriel) que le rez-de-chaussée servait d'habitation au conseil qu'ils n'ont toutefois relaté que leurs impressions qu'en réalité, à la date du 1er juin l948, ce premier étage serait d'habitation au vice-conseil resté sur place ; que le dossier de réquisition entre les nains de la Ville de Strasbourg est de nature à l'établir ;

Ils concluent encore :

"Ordonner la mesure d'instruction sollicitée du conseiller de la mise en état ;

En outre, allouer aux époux Debriel leurs conclusions du 3.9.1991 ;

Débouter M. Voglet de ses fins et conclusions."

Monsieur Voglet répond :

que la lettre de la Ville de Strasbourg n'apporte aucune lumière sur la présente affaire ;

que lui-même produit une lettre des archives de la ville confirmant que selon les éléments en possession de ce service, le consulat britannique a occupé le rez-de-chaussée pour l'habitation du Consul et le premier étage pour les bureaux ;

que ce courrier confirme également que le Consulat a emménagé 5 Avenue de la Paix, début de l'année 1949 que le Consulat soit ou non entré dans les lieux à la suite d'une réquisition est sans rapport avec le litige ;

Sur quoi LA COUR,

Vu la procédure et les pièces :

Attendu que l'appel régulièrement interjeté par les époux Debriel dans les formes et délais légaux est recevable qu'il en est de même en ce qui concerne l'appel incident de la SARL Conseil des quinze Immobilier;

Attendu que par des motifs pertinents que la cour adopte, le premier juge a fait une juste appréciation en droit et en fait des circonstances et éléments de la cause ;

Attendu que les appelants ne font valoir devant la cour aucun argument dc nature à entrainer l'infirmation de la décision entreprise ;

Attendu que leur requête aux fins d'obtenir un renseignement officiel auprès des archives de la ville de Strasbourg ne saurait prospérer ; que d'une part, il importe peu que les lieux aient été occupés par le Consulat Britannique suite ou non à une mise sous séquestre ; que d'autre part, le demandeur et intimé produit lui-même une lettre des archives de la ville de Strasbourg confirmant que selon les éléments en possession de ce service le Consulat Britannique a occupé le rez-de-chaussée pour l'habitation du consul et le premier étage pour les bureaux et qu'il résulte tant de la production de l'annuaire téléphonique de l'époque que de plusieurs témoignages que le Consulat n'a emménagé 5 avenue de la Paix que début 1949 ;

Attendu que les attestations des témoins Roger Chas et Joseph Herter, lequel est un ancien employé du Consulat de Grande Bretagne ont confirmé de manière claire, précise et formelle que le premier étage était utilisé à usage de bureau en 1948 ; que Monsieur Robert Frey et Francis Dolosy entendus comme témoins per le tribunal d'instance ont confirmé cette même situation ;

Attendu qu'aucun des témoins n'a fait état d'une habitation nu premier étage de l'immeuble d'un vice-consul Monsieur Sutton qu'aucun indice en ce sens ne résultat du dossier et des pièces produites, les témoins ayant tous attestés de l'occupation du premier étage par les bureaux que Madame le Proconsul du Consulat Britannique à Strasbourg a elle-même attesté par écrit du 15 mars 1990 que le 6A rue René Richard Burch était occupé de 1945 à 1949 par les bureaux du Consulat et ensuite par le vice-consul à titre privé de location ;

Attendu qu'il est donc d'ores et déjà clairement établi que les locaux litigieux étaient utilisés avant le 1er juin 1948 comme bureaux donc à d'autres fins que l'habitation, de telle sorte que l'offre de preuve des appelants ne saurait prospérer ;

Attendu par ailleurs que selon l'article 1110 du Code civil, l'erreur est une cause de nullité du contrat lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet ; que l'erreur de droit peut être cause de nullité en application de l'article 1110 du Code civil si elle a provoqué une erreur de fait portant sur l'objet de la convention ; qu'il y a notamment erreur sur la substance quand le consentement de l'une des parties a été déterminée par l'idée fausse que cette partie avait de la nature de ses droits quant à l'objet loué ;

qu'en l'espèce, le bail consenti le 29 décembre 1987 par Madame Voglet dans la croyance que la loi du 1er septembre 1948 était applicable, alors que ce n'était pas le cas, repose sur une erreur substantielle de la chose louée de nature à vicier son consentement ;

que le premier juge a par conséquent à bon droit prononcé la nullité de ce bail ;

Attendu que l'erreur de la bailleresse sur la législation applicable ne saurait être sérieusement contestée par les appelants ; que les experts chargés de déterminer le loyer technique ne sont pas des hommes de loi et n'étaient chargés que de calculer la surface corrigée selon la loi de 1946 et non de dire si cette loi s'appliquait ou non aux lieux loués de telle sorte que si Madame Voglet peut effectivement être considérée comme ayant été renseignée sur les conséquences de l'application de l'une ou l'autre législation, elle ne l'avait pas été pour autant sur la loi réellement applicable aux lieux loués qu'elle n'a, à aucun moment, manifesté sa volonté de soumettre à la loi de 1948 les lieux loués bien que sachant que celle-ci ne s'appliquait pas qu'il résulte au contraire tant du dossier que des pièces produites que l'application de cette législation n'était que la conséquence de son erreur ;

Quant à la mise en cause de la SARL Conseil des quinze Immobilier :

Attendu qu'un tiers peut être mis en cause aux fins de condamnation par toute partie qui est en droit d'agir contre lui à titre principal qu'il peut également être mis en cause par la partie qui y a intérêt afin de lui rendre commun le jugement à intervenir ; que dans ce deuxième cas, a mise en cause a pour seul effet de lui rendre la chose jugée opposable ;

Attendu que devant le premier juge, la SARL Conseil des quinze Immobilier a été uniquement appelée en déclaration de jugement commun en tant que chargée de la gestion de l'appartement litigieux, "toutes réserves étant faites au sujet des dommages causés... par son attitude" ;

Attendu que devant la cour, l'intimé qui conclut à la confirmation du jugement entrepris, demande que l'arrêt à intervenir soit déclaré commun à la SARL Conseil des quinze Immobilier ;

Attendu que l'intérêt de l'intimé à mettre en cause la SARL Conseil des quinze Immobilier tant devant le premier juge qu'en appel, est certain dans la mesure où elle avait été chargée par Madame Voglet de la gestion de l'immeuble et l'était toujours lorsqu'a été conclu le bail litigieux que le demande de dommages et intérêts dirigée par elle contre l'intimé ne saurait prospérer, aucune faute n'étant établie à son encontre ;

que le litige pouvant éventuellement exister suite aux faits de l'espèce entre la SARL susvisée et Monsieur Voglet est hors débats, ni les appelants ni les intimés ne l'ayant mise en cause aux fins de condamnation ;

Quant aux dépens :

Attendu que les appelants qui succombent en leurs prétentions en appel seront condamnés aux entiers dépens d'appel y compris ceux relatifs à la demande de déclaration en jugement commun dirigée contre la SARL Conseil des quinze Immobilier rendue nécessaire suite à l'appel interjeté par les époux Debriel ;

Attendu que l'équité ne commande pas que l'intimé soit condamné à payer à la SARL Conseil des quinze Immobilier une comme quelconque au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

que l'équité commande par contre qu'il soit fait application de cet article en faveur de l'intimé à qui les appelants doivent être condamnés à verser la somme de 3 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

que la propre demande de ce chef présentée par les appelants ne saurait prospérer ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré, Déclare recevable en la forme tant l'appel principal des époux Debriel que l'appel incident de la SARL Conseil des quinze Immobilier; Les dit mal fondés et les rejette.