CJUE, 3e ch., 30 avril 2014, n° C-390/12
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Pfleger, Autoart as, Mladen Vucicevic, Maroxx Software GmbH, Hans-Jörg Zehetner
Défendeur :
Gouvernement néerlandais, Gouvernement polonais, Gouvernement portugais, Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Ileic
Avocat général :
Mme Sharpston
Juges :
MM. Fernlund, Caoimh, Jaraiunas, Mme Toader (rapporteur)
Avocats :
Mes Rabl, Auer, Wennig, Maschke, Ruth, Vlaemminck
LA COUR (troisième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 56 TFUE ainsi que des articles 15 à 17, 47 et 50 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après la "Charte").
2 Cette demande a été présentée dans le cadre de litiges introduits par M. Pfleger, Autoart as (ci-après "Autoart"), M. Vucicevic, Maroxx Software GmbH (ci-après "Maroxx") et M. Zehetner au sujet de sanctions administratives prononcées à leur encontre en raison de l'exploitation de machines à sous sans autorisation.
Le cadre juridique autrichien
La loi fédérale sur les jeux de hasard
3 La loi fédérale du 28 novembre 1989 sur les jeux de hasard (Glücksspielgesetz, BGBl. 620/1989), dans sa version applicable aux litiges au principal (ci-après le "GSpG"), dispose à son article 2, intitulé "Loteries":
"(1) Les loteries sont des jeux de hasard
1. qui sont mis en œuvre, organisés, offerts ou mis à disposition par un entrepreneur
2. par lesquels des joueurs ou d'autres personnes versent une prestation en argent (mise) dans le cadre de la participation au jeu et
3. auxquels l'entrepreneur, des joueurs ou d'autres personnes font escompter une prestation en argent (gain).
(2) Est entrepreneur la personne qui, de manière indépendante, exerce une activité durable pour percevoir des recettes provenant de l'organisation de jeux de hasard, même si cette activité n'est pas destinée à percevoir un gain. Lorsque plusieurs personnes, en passant un accord entre elles, offrent dans un certain lieu des prestations partielles pour organiser des jeux de hasard avec des prestations en argent au sens du paragraphe 1, points 2 et 3, ci-dessus, toutes les personnes qui participent directement à l'organisation du jeu de hasard sont considérées comme entrepreneurs, même celles qui n'ont pas l'intention de percevoir des recettes et celles qui se limitent à participer à la mise en œuvre, à l'organisation ou à l'offre du jeu de hasard.
(3) Il existe une loterie par machine à sous lorsque la décision relative à l'issue du jeu est prise non pas de manière centrale, mais par un dispositif mécanique ou électronique qui se trouve dans la machine à sous elle-même. [...]
(4) Les loteries interdites sont des loteries pour lesquelles aucune concession ou autorisation n'a été donnée sur le fondement de la présente loi fédérale et qui ne sont pas exclues du monopole de l'État fédéral sur les jeux de hasard prévu à l'article 4."
4 En vertu de l'article 3 du GSpG, intitulé "Monopole des jeux de hasard", le droit d'organiser des jeux de hasard est réservé à l'État fédéral.
5 Toutefois, en vertu de l'article 5 du GSpG, les loteries par machines à sous sont régies par le droit des Länder. En outre, cet article prévoit que chacun des neuf Länder peut transférer par concession à un tiers le droit d'organiser des loteries par machines à sous, dans le respect par les intervenants des exigences minimales en matière d'ordre public qui y sont fixées et dans le respect des mesures d'accompagnement particulières en matière de protection des joueurs. De telles loteries, dites "petit jeu de hasard", peuvent être organisées soit dans des salles de machines à sous, avec un minimum de dix et un maximum de 50 machines à sous, une mise maximale de 10 euros et un gain maximal de 10 000 euros par jeu, soit sous forme d'une mise à disposition séparée de machines à sous, avec un maximum de trois machines à sous, une mise maximale de 1 euro et un gain maximal de 1 000 euros par jeu, le nombre d'autorisations d'exploitation de machines à sous pour une durée maximale de quinze ans ne pouvant dépasser trois par Land.
6 L'article 52 du GSpG, intitulé "Dispositions sur les sanctions administratives", prévoit:
"(1) Commet une infraction administrative et est passible d'une amende infligée par l'autorité administrative d'un montant pouvant aller jusqu'à 22 000 euros:
1. quiconque, aux fins d'une participation à partir du territoire national, met en œuvre, organise ou met à disposition en tant qu'entrepreneur des loteries interdites au sens de l'article 2, paragraphe 4, ou participe à celles-ci en tant qu'entrepreneur au sens de l'article 2, paragraphe 2;
[...]
(2) Si, dans le contexte de la participation à des loteries, des joueurs ou d'autres personnes versent des prestations de plus de 10 euros pour un jeu, celles-ci ne sont pas considérées comme des montants minimes et, par conséquent, l'éventuelle responsabilité qui résulte de la présente loi fédérale est subsidiaire par rapport à celle qui résulte de l'article 168 du code pénal [(Strafgesetzbuch)].
(3) Si des infractions administratives au sens du paragraphe 1 ci-dessus ne sont pas commises sur le territoire national, elles sont considérées comme ayant été commises dans le lieu à partir duquel la participation sur le territoire national est effectuée.
(4) La participation à des loteries électroniques pour lesquelles aucune concession n'a été accordée par le ministre fédéral des Finances est sanctionnée lorsque les mises nécessaires ont été versées à partir du territoire national. La violation de cette interdiction est sanctionnée, si elle est commise intentionnellement, par une amende pouvant aller jusqu'à 7 500 euros et, dans les autres cas, par une amende pouvant aller jusqu'à 1 500 euros.
[...]"
7 Conformément aux articles 53, 54 et 56a du GSpG, cette compétence de l'administration pour prononcer des sanctions s'accompagne de larges prérogatives en matière de mesures de sûreté destinées à prévenir d'autres violations du monopole des jeux de hasard au sens de l'article 3 du GSpG. Ces prérogatives consistent en la saisie provisoire ou définitive des machines à sous et des autres objets de l'intervention, en leur confiscation puis en leur destruction et en la fermeture de l'établissement dans lequel ces machines ont été mises à la disposition du public, ainsi qu'il est prévu respectivement aux articles 53, paragraphes 1 et 2, 54, paragraphes 1 et 3, et 56a du GSpG.
Le code pénal
8 En plus de sanctions administratives susceptibles d'être prononcées en vertu du GSpG, l'organisation de jeux de hasard à des fins lucratives par une personne non titulaire d'une concession est également passible de poursuites pénales en Autriche. Est punissable, aux termes de l'article 168, paragraphe 1, du code pénal "quiconque organise un jeu formellement prohibé ou dont l'issue favorable ou défavorable dépend exclusivement ou principalement du hasard ou quiconque favorise une réunion en vue de l'organisation d'un tel jeu afin de tirer un avantage pécuniaire de cette organisation ou de cette réunion ou de procurer un tel avantage à un tiers". Les sanctions prévues sont une peine de prison pouvant aller jusqu'à six mois ou jusqu'à 360 jours-amende. En vertu de l'article 168, paragraphe 2, de ce code, est passible de ces mêmes sanctions "quiconque participe à un tel jeu à titre d'entrepreneur".
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
9 Il ressort de la décision de renvoi ainsi que du dossier dont la Cour dispose que, à l'origine de la présente demande de décision préjudicielle, se trouvent quatre litiges pendants devant la juridiction de renvoi ayant en commun le fait que, à la suite de contrôles effectués dans différents lieux en Haute-Autriche, des machines à sous exploitées sans autorisation et qui auraient donc servi à l'organisation de jeux de hasard interdits en vertu du GSpG ont été saisies à titre provisoire.
10 Dans le cadre de la première procédure au principal, le 29 mars 2012, des agents exécutifs de la police financière ont effectué un contrôle dans l'établissement "Cash-Point", situé à Perg (Autriche), et, à la suite de ce contrôle, six machines à sous ne disposant pas d'autorisation administrative ont été provisoirement saisies. Le 12 juin 2012, la Bezirkshauptmannschaft (autorité administrative cantonale) de Perg a adopté des décisions confirmant la saisie provisoire à l'encontre de M. Pfleger, en tant qu'organisateur de jeux de hasard illicites, et d'Autoart, établie en République tchèque, en tant que propriétaire présumée des appareils saisis.
11 Dans le cadre de la deuxième procédure au principal, le 8 mars 2012, des agents exécutifs de la police financière ont effectué un contrôle dans l'établissement SJ-Bet Sportbar, situé à Wels (Autriche) et, à la suite de ce contrôle, huit machines à sous ne disposant pas d'autorisation administrative ont été provisoirement saisies. Le 4 juillet 2012, la Bundespolizeidirektion (direction de la police fédérale) de Wels a adopté à l'encontre de M. Vucicevic, un ressortissant serbe, propriétaire présumé de deux des huit appareils saisis, une décision confirmant la saisie provisoire.
12 Dans le cadre de la troisième procédure au principal, le 30 novembre 2010, des agents exécutifs de la police financière ont effectué un contrôle dans une station-service de Regau (Autriche) et, à la suite de ce contrôle, deux machines à sous ne disposant pas d'autorisation administrative et appartenant à Maroxx, société de droit autrichien, ont été provisoirement saisies. Le 16 décembre 2010, la Bezirkshauptmannschaft de Vöcklabruck a adopté à l'encontre de Mme Baumeister, une ressortissante allemande, exploitante de ladite station-service et entrepreneur au sens du GSpG, une décision confirmant la saisie provisoire. La juridiction de renvoi a rejeté comme tardif le recours de Mme Baumeister contre cette décision. Par décision du 31 mai 2012, la Bezirkshauptmannschaft de Vöcklabruck a également ordonné la confiscation des deux appareils saisis.
13 Dans le cadre de la quatrième procédure au principal, le 13 novembre 2010, des agents exécutifs de la police financière ont effectué un contrôle dans une station-service d'Enns (Autriche) et, à la suite dudit contrôle, trois machines à sous ne disposant pas d'autorisation administrative ont été provisoirement saisies. Une décision confirmant la saisie a été adoptée par la Bezirkshauptmannschaft de Vöcklabruck à l'encontre de la propriétaire des appareils, Maroxx.
14 Par décision du 3 juillet 2012, ladite autorité a infligé à l'exploitant de la station-service, M. Zehetner, un ressortissant autrichien, une amende de 1 000 euros pouvant être commuée en une peine d'emprisonnement de quinze heures en cas de non-paiement et, par cette même décision, a infligé à la propriétaire et bailleresse des appareils, Maroxx, une amende de 10 000 euros, pouvant être remplacée par une peine d'emprisonnement de 152 heures.
15 Toutes ces décisions ont fait l'objet de recours introduits auprès de la juridiction de renvoi.
16 Selon cette juridiction, les autorités autrichiennes n'ont pas démontré, au sens de l'arrêt Dickinger et Ömer (C-347/09, EU:C:2011:582), que la criminalité et/ou l'assuétude au jeu constituaient effectivement, au cours de la période en cause, un problème considérable. Ces autorités n'auraient pas non plus démontré que la lutte contre la criminalité et la protection des joueurs, et non une simple maximisation des recettes de l'État, constituaient l'objectif véritable du régime de monopole des jeux de hasard. Elle considère également que des "dépenses publicitaires colossales" sont effectuées dans le cadre d'une campagne "agressive", de sorte que la politique commerciale des titulaires de ce monopole n'est pas limitée à une expansion contrôlée accompagnée d'une publicité mesurée.
17 La juridiction de renvoi considère ainsi que le régime légal analysé en l'espèce, examiné dans son ensemble, n'est pas de nature à garantir la cohérence exigée par la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, arrêt Carmen Media Group, C-46-08, EU:C:2010:505, points 69 et 71) et que, dès lors, il n'est pas compatible avec la libre prestation des services garantie par l'article 56 TFUE.
18 Si la Cour devait toutefois considérer que l'article 56 TFUE et les articles 15 à 17 de la Charte ne s'opposent pas, pour les raisons exposées précédemment, à une telle réglementation nationale, la juridiction de renvoi cherche à savoir si, en tout état de cause, l'article 56 TFUE et les articles 15 à 17, 47 et 50 de la Charte ne s'opposent pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle la notion d'entrepreneur, en tant que personne potentiellement punissable en cas d'exploitation de machines à sous sans autorisation, est définie de manière très large et caractérisée, en l'absence de dispositions législatives claires, par l'imprévisibilité de l'application de sanctions administratives et pénales.
19 C'est dans ces conditions que l'Unabhängiger Verwaltungssenat des Landes Oberösterreich a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) Le principe de proportionnalité qui découle des articles 56 TFUE et 15 à 17 de la Charte s'oppose-il à une réglementation nationale telle que celle qui résulte des dispositions pertinentes dans les affaires au principal, figurant aux articles 3 à 5, 14 et 21 du GSpG, qui soumettent l'organisation des jeux de hasard par des machines à sous à la condition (assortie de sanctions et de mesures de saisie) d'une autorisation préalable, les autorisations en cause n'étant disponibles qu'en nombre limité, alors que, jusqu'à présent, l'État n'a semble-t-il jamais démontré au cours d'une procédure pénale ou administrative que la criminalité et/ou l'assuétude allant de pair avec les jeux de hasard constituent effectivement un problème considérable auquel il peut être remédié non pas par une expansion contrôlée des activités de jeu autorisées à de nombreux prestataires individuels, mais seulement par l'expansion contrôlée du titulaire d'un monopole (ou d'un très faible nombre de prestataires en oligopole), accompagnée d'une simple publicité mesurée?
2) Pour le cas où la première question appelle une réponse négative, le principe de proportionnalité qui découle des articles 56 TFUE et 15 à 17 de la Charte s'oppose-t-il à une réglementation nationale telle que celle qui figure aux articles 52 à 54 et 56a du GSpG ainsi qu'à l'article 168 du code pénal, qui aboutit, par des notions légales imprécises, à instaurer une répression presque sans failles qui vise des formes diverses de personnes (établies, le cas échéant, dans d'autres États membres), dont la participation n'est que très lointaine (par exemple de simples distributeurs, bailleurs ou loueurs de machines à sous)?
3) Dans le cas où la deuxième question appelle également une réponse négative, les exigences démocratiques de l'État de droit, qui sont manifestement à la base de l'article 16 de la Charte, les exigence d'équité et d'efficience qui ressortent de l'article 47 de la Charte, l'obligation de transparence qui découle de l'article 56 TFUE, le droit à ne pas être poursuivi ou puni pénalement deux fois pour une même infraction consacré à l'article 50 de la Charte s'opposent-ils à une réglementation nationale telle que celle qui figure aux articles 52 à 54 et 56a du GSpG ainsi qu'à l'article 168 du code pénal, sachant que, en l'absence de disposition législative claire, la délimitation réciproque de ces dispositions est difficilement prévisible et déterminable a priori pour le citoyen et ne peut être faite qu'au cas par cas, au moyen d'une procédure formelle fastidieuse, et que d'importantes différences en matière de compétence (de l'autorité administrative ou juridictionnelle), de prérogatives d'intervention, de stigmatisation qui les accompagne et de statut procédural (par exemple, s'agissant du renversement de la charge de la preuve) sont fondées sur lesdites dispositions?
4) Dans le cas où l'une des trois premières questions appelle une réponse affirmative, l'article 56 TFUE, les articles 15 à 17 de la Charte ou l'article 50 de celle-ci s'opposent-ils à ce que des personnes qui entretiennent un rapport de proximité avec une machine à sous (visé à l'article 2, paragraphes 1, point 1, et 2, du GSpG) soient sanctionnées, et s'opposent-ils à une saisie ou à une confiscation de ces appareils et/ou à la fermeture complète de l'entreprise des personnes en cause?"
Sur les questions préjudicielles
Sur la compétence de la Cour
20 Le gouvernement autrichien soulève l'incompétence de la Cour en considérant que les questions posées concernent une situation purement interne et ne présentent aucun lien avec le droit de l'Union étant donné que, en l'occurrence, un élément transfrontalier ne peut pas être identifié.
21 À cet égard, il est vrai que, en ce qui concerne l'interprétation de l'article 56 TFUE, si tous les éléments d'un litige sont cantonnés à l'intérieur d'un seul État membre, il y a lieu de vérifier si la Cour est compétente pour se prononcer sur cette dernière disposition (voir, en ce sens, arrêt Duomo Gpa e.a., C-357-10 à C-359-10, EU:C:2012:283, point 25 ainsi que jurisprudence citée).
22 Toutefois, ainsi qu'il résulte de la décision de renvoi, le 12 juin 2012, l'autorité administrative cantonale de Perg a adopté des décisions confirmant la saisie provisoire y compris à l'encontre d'Autoart, en tant que propriétaire présumée des appareils saisis.
23 L'existence d'Autoart, établie en République tchèque, dans le cadre des litiges au principal démontre ainsi que, en tout état de cause, ces litiges ne concernent pas une situation purement interne.
24 Par conséquent, il y a lieu de considérer que la Cour est compétente pour répondre aux questions posées.
Sur la recevabilité
25 Le gouvernement autrichien estime également que la demande de décision préjudicielle doit être rejetée comme irrecevable, dès lors que la décision de renvoi n'expose pas de manière suffisante le cadre factuel pour permettre à la Cour de fournir une réponse utile.
26 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l'interprétation du droit de l'Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu'il définit sous sa responsabilité, et dont il n'appartient pas à la Cour de vérifier l'exactitude, bénéficient d'une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n'est possible que s'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation sollicitée du droit de l'Union n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt Melki et Abdeli, C-188-10 et C-189-10, EU:C:2010:363, point 27 ainsi que jurisprudence citée).
27 Il résulte également d'une jurisprudence constante que la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l'Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s'insèrent les questions qu'il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. La décision de renvoi doit en outre indiquer les raisons précises qui ont conduit le juge national à s'interroger sur l'interprétation du droit de l'Union et à estimer nécessaire de poser une question préjudicielle à la Cour (arrêt Mulders, C-548-11, EU:C:2013:249, point 28 et jurisprudence citée).
28 Or, en l'occurrence, la décision de renvoi décrit de manière suffisante le cadre juridique et factuel des litiges au principal et les indications fournies par cette juridiction permettent de déterminer la portée des questions posées.
29 Dans ces conditions, la demande de décision préjudicielle doit être considérée comme recevable.
Sur l'applicabilité de la Charte
30 Les gouvernements autrichien, belge, néerlandais et polonais considèrent que la Charte n'est pas applicable dans le cadre des litiges au principal dès lors que, dans le domaine non harmonisé des jeux de hasard, les réglementations nationales concernant ce domaine ne représentent pas une mise en œuvre du droit de l'Union au sens de l'article 51, paragraphe 1, de la Charte.
31 À cet égard, il convient de rappeler que le champ d'application de la Charte, pour ce qui est de l'action des États membres, est défini à l'article 51, paragraphe 1, de celle-ci, aux termes duquel les dispositions de la Charte s'adressent aux États membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union (arrêt Åkerberg Fransson, C-617-10, EU:C:2013:105, point 17).
32 Cet article de la Charte confirme ainsi la jurisprudence de la Cour relative à la mesure dans laquelle l'action des États membres doit se conformer aux exigences découlant des droits fondamentaux garantis dans l'ordre juridique de l'Union (arrêt Åkerberg Fransson, EU:C:2013:105, point 18).
33 En effet, il résulte, en substance, de la jurisprudence constante de la Cour que les droits fondamentaux garantis dans l'ordre juridique de l'Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l'Union, mais pas en dehors de telles situations. C'est dans cette mesure que la Cour a déjà rappelé qu'elle ne peut apprécier, au regard de la Charte, une réglementation nationale qui ne se situe pas dans le cadre du droit de l'Union. En revanche, dès lors qu'une telle réglementation entre dans le champ d'application de ce droit, la Cour, saisie à titre préjudiciel, doit fournir tous les éléments d'interprétation nécessaires à l'appréciation, par la juridiction nationale, de la conformité de cette réglementation avec les droits fondamentaux dont elle assure le respect (arrêt Åkerberg Fransson, EU:C:2013:105, point 19).
34 Les droits fondamentaux garantis par la Charte devant, par conséquent, être respectés lorsqu'une réglementation nationale entre dans le champ d'application du droit de l'Union, il ne saurait exister de cas de figure qui relèvent ainsi du droit de l'Union sans que lesdits droits fondamentaux trouvent à s'appliquer. L'applicabilité du droit de l'Union implique celle des droits fondamentaux garantis par la Charte (arrêt Åkerberg Fransson, EU:C:2013:105, point 21).
35 À cet égard, la Cour a déjà jugé que, lorsqu'un État membre invoque des raisons impérieuses d'intérêt général pour justifier une réglementation qui est de nature à entraver l'exercice de la libre prestation des services, cette justification, prévue par le droit de l'Union, doit être interprétée à la lumière des principes généraux du droit de l'Union et notamment des droits fondamentaux désormais garantis par la Charte. Ainsi, la réglementation nationale en cause ne pourra bénéficier des exceptions prévues que si elle est conforme aux droits fondamentaux dont la Cour assure le respect (voir, en ce sens, arrêt ERT, C-260-89, EU:C:1991:254, point 43).
36 Ainsi qu'il résulte de cette jurisprudence, lorsqu'il s'avère qu'une réglementation nationale est de nature à entraver l'exercice de l'une ou de plusieurs libertés fondamentales garanties par le traité, elle ne peut bénéficier des exceptions prévues par le droit de l'Union pour justifier cette entrave que dans la mesure où cela est conforme aux droits fondamentaux dont la Cour assure le respect. Cette obligation de conformité aux droits fondamentaux relève à l'évidence du champ d'application du droit de l'Union et, en conséquence, de celui de la Charte. L'emploi, par un État membre, d'exceptions prévues par le droit de l'Union pour justifier une entrave à une liberté fondamentale garantie par le traité doit, dès lors, être considéré, ainsi que Mme l'avocat général l'a relevé au point 46 de ses conclusions, comme "mettant en œuvre le droit de l'Union", au sens de l'article 51, paragraphe 1, de la Charte.
37 C'est à la lumière de ces principes qu'il convient de répondre aux présentes questions préjudicielles.
Sur le fond
Sur la première question
38 Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si les articles 56 TFUE et 15 à 17 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal.
- Examen au titre de l'article 56 TFUE
39 Une réglementation d'un État membre, telle que celle en cause au principal, qui interdit l'exploitation de machines à sous en l'absence d'une autorisation préalable des autorités administratives, constitue une restriction à la libre prestation des services garantie par l'article 56 TFUE (voir en ce sens, notamment, arrêt Placanica e.a., C-338-04, C-359-04 et C-360-04, EU:C:2007:133, point 42).
40 Il convient toutefois d'apprécier si une telle restriction peut être admise au titre des mesures dérogatoires, pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique, expressément prévues aux articles 51 TFUE et 52 TFUE, applicables également en matière de libre prestation des services en vertu de l'article 62 TFUE, ou justifiée, conformément à la jurisprudence de la Cour, par des raisons impérieuses d'intérêt général (arrêt Garkalns, C-470-11, EU:C:2012:505, point 35 et jurisprudence citée).
41 Selon une jurisprudence constante de la Cour, les restrictions aux activités des jeux de hasard peuvent être justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général, telles que la protection des consommateurs et la prévention de la fraude et de l'incitation des citoyens à une dépense excessive liée au jeu (voir, en ce sens, arrêt Carmen Media Group, EU:C:2010:505, point 55 et jurisprudence citée).
42 En l'occurrence, s'agissant des objectifs déclarés comme étant poursuivis par la réglementation autrichienne en cause au principal, à savoir la protection des joueurs, en limitant l'offre de jeux de hasard et la lutte contre la criminalité liée à ces jeux en les canalisant dans le cadre d'une expansion contrôlée, il y a lieu de rappeler qu'ils sont parmi ceux reconnus par la jurisprudence de la Cour comme étant de nature à justifier des restrictions aux libertés fondamentales dans le secteur des jeux de hasard (voir, en ce sens, arrêt Costa et Cifone, C-72-10 et C-77-10, EU:C:2012:80, point 61 ainsi que jurisprudence citée).
43 Par ailleurs, il convient de rappeler que les restrictions imposées par les États membres doivent satisfaire aux conditions de proportionnalité et de non-discrimination les concernant, telles que dégagées par la jurisprudence de la Cour. Ainsi, une législation nationale n'est propre à garantir la réalisation de l'objectif invoqué que si elle répond véritablement au souci de l'atteindre d'une manière cohérente et systématique (voir, en ce sens, arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, C-42-07, EU:C:2009:519, points 59 à 61 ainsi que jurisprudence citée).
44 La seule circonstance qu'un État membre a choisi un système de protection différent de celui adopté par un autre État membre ne saurait avoir d'incidence sur l'appréciation de la proportionnalité des dispositions prises en la matière. Celles-ci doivent seulement être appréciées au regard des objectifs poursuivis par les autorités compétentes de l'État membre concerné et du niveau de protection qu'elles entendent assurer (arrêt HIT et HIT LARIX, C-176-11, EU:C:2012:454, point 25 ainsi que jurisprudence citée).
45 En effet, dans le domaine particulier de l'organisation des jeux de hasard, les autorités nationales bénéficient d'un pouvoir d'appréciation suffisant pour déterminer les exigences que comporte la protection du consommateur et de l'ordre social et, pour autant que les conditions établies par la jurisprudence de la Cour sont par ailleurs respectées, il appartient à chaque État membre d'apprécier si, dans le contexte des buts légitimes qu'il poursuit, il est nécessaire d'interdire totalement ou partiellement des activités relevant des jeux et des paris ou seulement de les restreindre et de prévoir à cet effet des modalités de contrôle plus ou moins strictes (voir, en ce sens, arrêts Stoß e.a., C-316-07, C-358-07 à C-360-07, C-409-07 et C-410-07, EU:C:2010:504, point 76, ainsi que Carmen Media Group, EU:C:2010:505, point 46).
46 En outre, il est constant que, à la différence de l'instauration d'une concurrence libre et non faussée au sein d'un marché traditionnel, l'application d'une telle concurrence dans le marché très spécifique des jeux de hasard, c'est-à-dire entre plusieurs opérateurs qui seraient autorisés à exploiter les mêmes jeux de hasard, est susceptible d'entraîner un effet préjudiciable, lié au fait que ces opérateurs seraient enclins à rivaliser d'inventivité pour rendre leur offre plus attrayante que celle de leurs concurrents et, de cette manière, à augmenter les dépenses des consommateurs liées au jeu ainsi que les risques d'assuétude au jeu de ces derniers (arrêt Stanleybet International e.a., C-186-11 et C-209-11, EU:C:2013:33, point 45).
47 Toutefois, l'identification des objectifs effectivement poursuivis par la réglementation nationale relève, dans le cadre d'une affaire dont est saisie la Cour au titre de l'article 267 TFUE, de la compétence de la juridiction de renvoi (voir, en ce sens, arrêt Dickinger et Ömer, EU:C:2011:582, point 51).
48 De plus, il incombe également à la juridiction de renvoi, tout en tenant compte des indications fournies par la Cour, de vérifier si les restrictions imposées par l'État membre concerné satisfont aux conditions qui ressortent de la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne leur proportionnalité (voir arrêt Dickinger et Ömer, EU:C:2011:582, point 50).
49 En particulier il lui incombe de s'assurer, notamment au vu des modalités concrètes d'application de la réglementation restrictive concernée, que celle-ci répond véritablement au souci de réduire les occasions de jeu, de limiter les activités dans ce domaine et de combattre la criminalité liée à ces jeux d'une manière cohérente et systématique (voir arrêt Dickinger et Ömer, EU:C:2011:582, points 50 et 56).
50 À cet égard, la Cour a déjà jugé que c'est à l'État membre cherchant à se prévaloir d'un objectif propre à légitimer l'entrave à la liberté de prestation des services qu'il incombe de fournir à la juridiction appelée à se prononcer sur cette question tous les éléments de nature à permettre à celle-ci de s'assurer que ladite mesure satisfait bien aux exigences découlant du principe de proportionnalité (voir arrêt Dickinger et Ömer, EU:C:2011:582, point 54 ainsi que jurisprudence citée).
51 Toutefois, il ne saurait être déduit de cette jurisprudence qu'un État membre se trouverait privé de la possibilité d'établir qu'une mesure interne restrictive satisfait à de telles exigences, au seul motif que ledit État membre n'est pas en mesure de produire des études qui auraient servi de base à l'adoption de la réglementation en cause (voir, en ce sens, arrêt Stoß e.a., EU:C:2010:504, point 72).
52 Il s'ensuit que la juridiction nationale doit effectuer une appréciation globale des circonstances entourant l'adoption et la mise en œuvre d'une réglementation restrictive, telle que celle en cause au principal.
53 En l'occurrence, la juridiction de renvoi considère que les autorités nationales n'ont pas démontré que la criminalité et/ou l'assuétude au jeu constituaient effectivement, au cours de la période en cause, un problème considérable.
54 Cette juridiction semble en outre estimer que l'objectif véritable du régime restrictif en cause est non pas la lutte contre la criminalité et la protection des joueurs, mais une simple maximisation des recettes de l'État, alors que, ainsi que la Cour l'a déjà jugé, le seul objectif de maximiser les recettes du Trésor public ne saurait permettre une telle restriction à la libre prestation des services (voir arrêt Dickinger et Ömer, EU:C:2011:582, point 55). Ce régime apparaîtrait, en tout état de cause, disproportionné, n'étant pas apte à garantir la cohérence exigée par la jurisprudence de la Cour et allant au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs déclarés comme étant poursuivis.
55 Si cette appréciation devait en définitive être consacrée par la juridiction de renvoi, il lui incomberait de conclure que le régime en cause au principal est incompatible avec le droit de l'Union.
56 Eu égard à l'ensemble de ces considérations, il y a lieu de répondre à la première question que l'article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, dès lors que cette réglementation ne poursuit pas réellement l'objectif de la protection des joueurs ou de la lutte contre la criminalité et ne répond pas véritablement au souci de réduire les occasions de jeu ou de combattre la criminalité liée à ces jeux d'une manière cohérente et systématique.
- Examen au titre des articles 15 à 17 de la Charte
57 Une réglementation nationale restrictive au titre de l'article 56 TFUE, telle que celle en cause au principal, est également susceptible de restreindre la liberté professionnelle, la liberté d'entreprise et le droit de propriété consacrés aux articles 15 à 17 de la Charte.
58 En vertu de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte, pour qu'une telle restriction soit admissible elle doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. En outre, dans le respect du principe de proportionnalité, elle ne peut être apportée que si elle est nécessaire et répond effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d'autrui.
59 Or, ainsi que Mme l'avocat général l'a relevé aux points 63 à 70 de ses conclusions, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, une restriction non justifiée ou disproportionnée à la libre prestation des services au titre de l'article 56 TFUE n'est pas non plus admissible en vertu dudit article 52, paragraphe 1, par rapport aux articles 15 à 17 de la Charte.
60 Il s'ensuit que, en l'occurrence, un examen de la restriction représentée par la réglementation nationale en cause au principal au titre de l'article 56 TFUE couvre également les éventuelles restrictions de l'exercice des droits et des libertés prévus aux articles 15 à 17 de la Charte de sorte qu'un examen séparé à ce titre n'est pas nécessaire.
Sur les deuxième et troisième questions
61 Les deuxième et troisième questions ont été adressées à la Cour uniquement dans l'hypothèse où la réponse à la première question serait négative.
62 Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n'y a pas lieu de répondre aux deuxième et troisième questions posées.
Sur la quatrième question
63 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 56 TFUE et 15 à 17 et 50 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à des sanctions, telles que celles prévues par la réglementation nationale en cause au principal, qui incluent la confiscation et la destruction des machines à sous ainsi que la fermeture de l'établissement dans lequel ces machines ont été mises à la disposition du public.
64 Or, dans le contexte des affaires au principal, il convient de souligner que, lorsqu'un régime restrictif a été mis en place en matière de jeux de hasard et que ce régime est incompatible avec l'article 56 TFUE, la violation dudit régime par un opérateur économique ne peut pas faire l'objet de sanctions (voir, en ce sens, arrêts Placanica e.a., EU:C:2007:133, points 63 et 69, ainsi que Dickinger et Ömer, EU:C:2011:582, point 43).
Sur les dépens
65 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs, LA COUR (troisième chambre) dit pour droit:
L'article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, dès lors que cette réglementation ne poursuit pas réellement l'objectif de la protection des joueurs ou de la lutte contre la criminalité et ne répond pas véritablement au souci de réduire les occasions de jeu ou de combattre la criminalité liée à ces jeux d'une manière cohérente et systématique.