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Décisions

Cass. crim., 18 mars 2014, n° 13-82.466

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Rapporteur :

M. Roth

Avocat général :

M. Caby

Avocats :

Me Spinosi, SCP Ghestin

Aix-en-Provence, 5e ch., du 12 mars 2013

12 mars 2013

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par Mme Annie X, contre l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 5e chambre, en date du 12 mars 2013, qui, pour abus de faiblesse, l'a condamnée à vingt-six mois d'emprisonnement, à une interdiction professionnelle, et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, 111-3, 111-4, 223-15-2 du Code pénal, préliminaire, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

" en ce que la cour d'appel a déclaré Mme X coupable d'abus frauduleux de l'état de faiblesse de MM. Y et Z " ;

" aux motifs que l'article 223-15-2 du Code pénal réprime notamment l'abus frauduleux de faiblesse commis en direction d'une personne en état de sujétion psychologique résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement destinées à la conduire à un acte qui lui est gravement préjudiciable ; que Mme X, quoiqu'elle s'en défende, a bien commis un tel délit, de septembre à novembre 2007, au détriment de M. Y, jeune étudiant boursier de 18 ans aux ressources modestes, alors loin de sa famille, isolé, désespéré et en mal d'amour, qui lui a remis en deux mois et en plusieurs versements rapprochés, par chèques ou mandats cash, la somme totale de 5 025 euros après l'avoir contactée téléphoniquement, ayant vu son site sur Internet, afin qu'elle débloque sa situation amoureuse, résultat auquel elle s'était engagée mais qui ne pouvait être, selon elle, atteint qu'ensuite du versement en sa faveur d'importantes sommes d'argent ; que la prévenue ne pouvait que connaître l'état de vulnérabilité de M. Y qui la consultait justement en raison de la détresse amoureuse dont il souffrait et auquel elle a tenu des propos lui faisant croire qu'elle détenait, par des procédés divinatoires éprouvés de longue tradition familiale, des informations relatives à la vie privée de la personne dont il souhaitait ardemment le retour et qu'elle maîtrisait, d'expérience transgénérationnelle, les moyens et techniques occultes dont la mise en œuvre allait, à coup sûr, ramener auprès de lui cet être aimé au terme d'un délai d'une semaine à un mois après qu'elle ait " travaillé " que les photos de ce dernier qu'elle avait demandées ; qu'elle a su entretenir l'espoir de M. Y qu'elle a régulièrement appelé par téléphone et avec lequel elle a parlé pendant des dizaines d'heures, nouant avec lui une relation qu'elle a dit avoir souhaitée " amicale ", comme avec tous ses " clients ", et elle a ainsi sciemment créé avec lui un lien de dépendance et de sujétion lui faisant miroiter à chaque fois l'imminence de la réussite afin de lui soutirer toujours plus d'argent par la manipulation mentale et l'effraction psychologique et par des pressions graves et réitérées ; qu'elle n'hésitait pas en effet à menacer M. Y du déchaînement possible contre lui et sa famille des " forces occultes " qu'elle disait avoir mises en mouvement au moyen d'ingrédients coûteux acquis au Maroc " en cas d'interruption du processus engagé " de façon à multiplier les substantielles remises de fonds qu'elle n'a pas cessé d'extorquer à sa jeune proie allant même jusqu'à le menacer de révéler à l'être aimé " les subterfuges " auxquels il avait eu recours si d'aventure une plainte devait être déposée à son encontre ; que la prévenue a ainsi usé de techniques propres à altérer le jugement de M. Y auquel elle a offert ses " services " animée par la fausse intention affichée de lui venir en aide ayant parfaitement perçu la détresse de ce jeune homme dont elle a frauduleusement abusé, ce dont, aveuglé par son désarroi et ses folles espérances, il ne s'est aperçu qu'après qu'elle lui ait soutiré, en plusieurs versements, la somme de 5 025 euros et qu'il ait eu la force de s'affranchir du lien de dépendance qu'elle avait créé, savamment entretenu et qu'elle voulait durable ; que de tels agissements ont été gravement préjudiciables au jeune homme qui n'avait plus les moyens de régler son loyer et justifie avoir eu de nombreuses absences scolaires courant octobre et décembre 2007 ; que Mme X a agi exactement de même avec M. Z qui s'est défait entre ses mains de la somme de 282 610 euros de février 2009 à octobre 2009 ; que cet homme, né le 5 octobre 1949, et bénéficiaire d'un récent héritage, désespéré par le départ de sa femme qu'il aimait, est tombée sous la domination de la prévenue dont il a connu les coordonnées dans une annonce du journal " Paru Vendu " où elle était présentée comme " Exceptionnel ! Christina voyante medium du coeur. Grande spécialiste de la magie de l'amour " laquelle, dès le premier appel téléphonique, lui a laissé croire qu'elle détenait, par un procédé divinatoire des informations relatives à la vie privée de la personne dont il souhaitait le retour puis qu'elle était à même de débloquer sa situation amoureuse d'ici à un mois au Maroc qu'elle devait financer, chaque opération de rituel magique revenant entre 6 000 et 8 000 euros et elle lui avait affirmé qu'il y avait urgence à les accomplir ; que M. Z a fait une vingtaine de voyages jusqu'à Marseille pour lui remettre, outre des chèques, des milliers d'euros à plusieurs reprises et en espèces à sa demande, ainsi que des parfums de marque ; qu'en grande souffrance morale, il n'a pris conscience que tardivement de la supercherie dont il était victime et dont il ne s'est pas aperçu pendant neuf mois aveuglé par les espoirs fous qu'il nourrissait de voir la femme aimée revenir vers lui et alors que son jugement était obscurci par l'aide morale prétendue de la prévenue et par les manipulations psychologiques graves et réitérées dont elle usait à son endroit pour maintenir ses espoirs et ainsi le garder à sa merci pour mieux le plumer sur la durée, insistant notamment sur la nécessité de finir le travail avec les esprits afin que de mauvais événements ne se produisent pas ; qu'il était ainsi psychologiquement dépendant de la prévenue qui a déclaré qu'il était tellement mal que tous les soirs, il avait besoin d'elle, ce qui atteste de l'emprise qu'elle a su mettre en place ; que M. Z s'est fait ainsi extorquer la majeure partie de son patrimoine ; que le Dr A a écrit le 27 février 2012 que " M. Z a présenté des troubles majeurs du sommeil altérant la vigilance diurne et engendrant un état d'asthénie intense. Il nous a fait part depuis 2008 de problèmes affectifs récurrents avec sentiments d'échec et d'incapacité. Cet ensemble a concouru à installer chez lui un état facilitant toute suggestibilité à son encontre. Il a fallu prescrire fin 2011 une thérapeutique anti-dépressive " ; que l'abus frauduleux de faiblesse reproché à la prévenue est ainsi caractérisé au préjudice de M. Z ; que la prévenue, qui a dit avoir interrompu ses études en classe de quatrième, se présente comme voyante para-psychothérapeute, déterminée et résolue, et se définit comme un chef d'entreprise très performant travaillant d'arrache-pied, sûre de ses talents divinatoires et de ses compétences surnaturelles qui lui viendraient de sa grand-mère ; qu'elle produit un avis d'impôt sur le revenu de 55 000 euros pour l'année 2011 ; qu'elle sera sanctionnée par une peine de vingt-six mois d'emprisonnement car ses agissements sont très graves comme commis, sous couvert de soutien moral à des êtres en détresse qu'elle a déclarés avoir vus dans un état " lamentable " pour l'un et " déplorable " pour l'autre, par une prédatrice au préjudice de deux hommes vulnérables, un jeune et un moins jeune, qu'elle a soumis à une emprise redoutable par ruse et par des techniques de manipulation psychologique et d'assujettissement dont elle a une parfaite maîtrise et qu'elle a déployées pour les dépouiller méthodiquement et avec un soin méticuleux ; qu'il est observé qu'elle a menacé ces deux proies du pire et de la colère des forces invisibles quand elles ont recouvré une parcelle de libre arbitre leur permettant d'échapper à sa domination et de mettre fin à son inacceptable racket facilité par Internet où, ayant prévu sa reconversion, elle apparaît désormais comme une spécialiste du coaching pour VIP ; qu'elle doit donc purger une peine de prison ferme, au regard des motifs qui précèdent dans un but de protection de la société où elle est un danger public et, ainsi, afin que soient mise hors de sa portée d'autres proies potentielles alors qu'elle fait métier de l'exploitation de la misère humaine et est en quête frénétique de gains exorbitants ; que son interdiction professionnelle sera portée à cinq années ;

" 1°) alors que le délit d'abus de faiblesse se caractérise par l'abus frauduleux d'un état d'ignorance ou d'une situation de faiblesse ; qu'au regard du principe d'interprétation stricte de la loi pénale, cette qualification n'est donc pas susceptible de s'appliquer à une voyante ayant été consultée par des personnes sous le coup d'un dépit amoureux mais se trouvant par ailleurs en pleine possession de leurs moyens ; qu'en déclarant néanmoins la demanderesse de cette infraction, la cour d'appel a violé la loi ;

" 2°) alors que l'état de sujétion psychologique ou physique doit, en vertu de l'article 223-15-2 du Code pénal, résulter de l'exercice, par l'auteur, de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer le jugement ; qu'il ressort des termes de l'arrêt attaqué que l'état de désespoir amoureux dans lequel se trouvaient MM. Y et Z, et qui les a conduit à entrer en contact avec la demanderesse, préexistait à leur rencontre ; qu'il en résulte que cet état de sujétion psychologique ne peut être considéré comme étant la conséquence des agissements de Mme X de sorte que les éléments du délit ne sont pas caractérisés ;

" 3°) alors qu'enfin, en vertu de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial ; que cet élément du procès équitable fait obstacle à ce que les juges s'expriment en des termes injurieux ; qu'en qualifiant la demanderesse de " danger public " et de " prédatrice " ayant soumis deux hommes " à une emprise redoutable " par des techniques " dont elle a une parfaite maîtrise et qu'elle a déployées pour les dépouiller méthodiquement et avec un soin méticuleux ", et en exprimant la volonté que " soient mise hors de sa portée d'autres proies potentielles alors qu'elle fait métier de l'exploitation de la misère humaine et est en quête frénétique de gains exorbitants ", la cour d'appel s'est prononcée par des termes manifestement incompatibles avec l'exigence conventionnelle d'impartialité " ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré la prévenue coupable ; d'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-24 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

" en ce que la cour d'appel a condamné Mme X à vingt-six mois d'emprisonnement ferme et à une interdiction d'exercer la profession de voyante-para-psychothérapeute pendant une durée de cinq ans ;

" aux motifs que la prévenue, qui a dit avoir interrompu ses études en classe de quatrième, se présente comme voyante para-psychothérapeute, déterminée et résolue, et se définit comme un chef d'entreprise très performant travaillant d'arrache-pied, sûre de ses talents divinatoires et de ses compétences surnaturelles qui lui viendraient de sa grand-mère ; qu'elle produit un avis d'impôt sur le revenu de 55 000 euros pour l'année 2011 ; qu'elle sera sanctionnée par une peine de vingt-six mois d'emprisonnement car ses agissements sont très graves comme commis, sous couvert de soutien moral à des êtres en détresse qu'elle a déclarés avoir vus dans un état " lamentable " pour l'un et " déplorable " pour l'autre, par une prédatrice au préjudice de deux hommes vulnérables, un jeune et un moins jeune, qu'elle a soumis à une emprise redoutable par ruse et par des techniques de manipulation psychologique et d'assujettissement dont elle a une parfaite maîtrise et qu'elle a déployées pour les dépouiller méthodiquement et avec un soin méticuleux ; qu'il est observé qu'elle a menacé ces deux proies du pire et de la colère des forces invisibles quand elles ont recouvré une parcelle de libre arbitre leur permettant d'échapper à sa domination et de mettre fin à son inacceptable racket facilité par Internet où, ayant prévu sa reconversion, elle apparaît désormais comme une spécialiste du coaching pour VIP ; qu'elle doit donc purger une peine de prison ferme, au regard des motifs qui précèdent dans un but de protection de la société où elle est un danger public et, ainsi, afin que soient mise hors de sa portée d'autres proies potentielles alors qu'elle fait métier de l'exploitation de la misère humaine et est en quête frénétique de gains exorbitants ; que son interdiction professionnelle sera portée à cinq années ;

" alors que, en matière correctionnelle, en dehors des condamnations en récidive légale prononcées en application de l'article 132-19-1 du Code pénal, une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; qu'en se bornant, pour condamner Mme X, sans aucun antécédent judiciaire, à faire état de la gravité des faits, à la qualifier de " prédatrice " et à exprimer la volonté de la mettre " hors de portée d'autres proies potentielles ", sans justifier que toute autre sanction eût été inadéquate, la cour d'appel a méconnu l'article 132-24 du Code pénal " ;

Attendu que pour condamner Mme X à deux années d'emprisonnement, les juges retiennent qu'elle doit purger une peine de prison ferme, dans un but de protection de la société, afin que soit mises hors de sa portée d'autres victimes ;

Attendu que par ces motifs, d'où il se déduit que toute autre sanction que l'emprisonnement est manifestement inadéquate, la cour d'appel a justifié sa décision au regard des dispositions de l'article 132-24 du Code pénal ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi.