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Décisions

Cass. crim., 4 mars 2014, n° 13-81.583

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Rapporteur :

Mme Vannier

Avocat général :

M. Desportes

Avocats :

SCP Delaporte, Briard, Trichet

Montpellier, du 7 février 2013

7 février 2013

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par M. François X, M. Vincent X, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier, chambre correctionnelle, en date du 7 février 2013, qui, pour falsification de denrées alimentaires et mise en vente, les a condamnés chacun à 10 000 euros d'amende ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu le mémoire produit commun aux demandeurs ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 213-3, du Code de la consommation, 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, préliminaire, 427, 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble les principes fondamentaux des droits de la défense et du respect du contradictoire ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré MM. François et Vincent X coupable de falsification de denrées et de vente de produits falsifiés ;

"aux motifs propres qu'il est constant et non discuté que des réunions professionnelles ou avec l'administration sur la question de la désalcoolisation par osmose inverse ont eu lieu en 2004 et 2005 et que de même des courriers ont été échangés, sans aboutir, dans les relations avec l'administration ou les organes représentatifs, à l'élaboration d'un protocole fonctionnel avant la fin 2005 ; que sur ce sujet, les prévenus ne contestent pas avoir une connaissance suffisante de la réglementation applicable à ce procédé, alors que ce processus était déjà utilisé au niveau des activités du domaine ; qu'en définitive le protocole expérimental individuel exigible a été accordé le 4 décembre 2005 ; que M. X admet d'ailleurs ne pas l'avoir respecté tout en faisant valoir qu'il disposait d'un an pour être en ordre ; qu'il fait aussi valoir qu'à partir de 2006 après l'achat du matériel adéquat (colonne de distillation), la situation était en ordre et aboutissait à un contrôle favorable le 18 octobre 2006 ; que les prévenus reconnaissent avoir utilisé le procédé hors protocole expérimental autorisé mais contestent de manière constante l'utilisation d'un procédé assimilable au mouillage par addition d'eau exogène à un moût de raisin avant fermentation ou dans le vin ; qu'une expertise, à partir de prélèvements provenant d'un lot découvert en Gironde, a toutefois été ordonnée dans des conditions procédurales non discutées lors de l'instruction ; que les conclusions de l'expert sont formelles et aboutissent pour les experts à confirmer les premiers résultats des analyses faites à la requête de l'administration : " 4° les résultats obtenus par les deux laboratoires sont identiques et révèlent des valeurs du rapport isotopique 180/160 très anormales qui peuvent traduire un apport significatif d'eau exogène. 5° la totalité des résultats observés (reconstitution de la procédure de désalcoolisation revendiquée par X) montre que les techniques d'osmose inverse et de distillation directe ou des perméats qui peuvent être appliqués n'entraînent jamais de modification significative du rapport isotopique 180/160. 6° l'ensemble des observations réalisées par les experts permettent de formuler l'hypothèse que les vins litigieux ont été traités par osmose inverse avec obtention d'un perméat contenant essentiellement de l'eau et de l'alcool et d'un retentât constitué des autres composants du vin partiellement concentrés. Le perméat qui aurait dû être utilisé pour éliminer l'alcool avant d'être réintégré au retentât, a été éliminé et le vin reconstitué par addition d'eau exogène. Ce processus explique les valeurs de rapport isotopique 180/160 trouvées dans les vins. A noter que le volume final de produit n'est cependant pas augmenté comme cela est le cas lors d'un mouillage direct sur le vin. Il convient aussi de noter que l'analyse du vin désalcoolisé "plume rosé" réalisée postérieurement à celle des vins litigieux montre une valeur de rapport isotopique 180/160 plus normale laissant penser que M. X a par la suite utilisé une procédure de désalcoolisation introduisant la distillation des perméats avant leur réintégration " ; qu'ainsi les prévenus, au visa de leurs écritures, ne sauraient aujourd'hui venir de manière pertinente contester, la validité des prélèvements effectués, la régularité des opérations d'expertise, alors même que : - d'une part que l'un des experts a été régulièrement nommé par les prévenus et que les affirmations contraires produites ne sont appuyées que par des interprétations nécessairement subjectives de documents à caractère général ; qu'or, les prévenus avaient en effet toutes possibilités d'y procéder, ce qui n'apparaît pas au titre de la procédure et apparaît tardif aujourd'hui, concernant l'essentiel constitué par une contestation méthodologique apparaissant pour le moins inopportune en l'état de l'adoption de cette méthodologie par l'expert qu'ils ont eux-mêmes fait désigner ; qu'en tout état de cause, aucune contre-expertise n'a été sollicité, aucune demande de nullité n'a été déposée ; - d'autre part, quant à la régularité des prélèvements effectués par une autre direction, que celle-ci n'est discutée que sur la question géographique alors que cette administration d'Etat ne saurait se voir interdire d'opérer des prélèvements dans d'autres régions que celle de production et que de plus aucun élément n'est cité permettant de mettre en doute la régularité formelle de ces prélèvements ; que par ailleurs, le fait de prétendre avoir été victime d'une " véritable chasse à l'homme " de la part des enquêteurs de l'administration qui reviendrait en dehors d'un cadre démontré de harcèlement ce qui n'est pas prétendu, à considérer que ceux-ci pourraient en réalité vouloir se situer au-delà de toutes vérifications ou contrôles correctement effectués ; que ces affirmations seront écartées en ce qu'elles constituent des allégations non étayées et non maîtrisées quant à l'expression " volonté de nuire " d'ailleurs éventuellement reprochable ; que sur ce point, s'il est exact que des articles de presse ont pu être diffusés il est constant que MM. François X et Vincent X dans ce cadre se sont manifestés auprès des organes en cause puisque d'autres articles ont été ainsi produits dans des organes spécialisés ; qu'enfin, il devra être retenu que contrairement aux prétentions des prévenus, il ne leur est pas reproché d'avoir utilisé un procédé non autorisé pour frauder le client sur le contenu du produit, mais d'avoir cumulativement lors de l'utilisation de ce procédé (désalcoolisation par osmose inverse) dans un cadre non autorisé, procédé à l'introduction d'eau exogène, procédé interdit par l'article 42 du règlement communautaire 1493-1999 ; que dès lors c'est à juste titre que le premier juge a retenu les prévenus dans les liens de la prévention ; que par ailleurs il convient de préciser, ce qui n'est pas visé à la prévention que contrairement aux affirmations superfétatoires des prévenus, les produits en cause ne sont pas constitués de "boissons à base de vin sans alcool" comme prétendu mais de bouteilles portant l'étiquetage : "vin de pays des Coteaux du Libron muscat sec 2003", "vin de table de France blanc Plume de Colombette chardonnay vin partiellement désalcoolisé" "vin de table de France rosé Plume de Colombette vin partiellement désalcoolisé" ; qu'enfin s'agissant de l'observation des prévenus relative à leur militantisme en faveur de la désalcoolisation, cette prétention qui illustre le contexte du débat n'est cependant pas de nature à modifier la teneur de celui-ci constitué par la vente ou l'exposition à la vente de vins traités dans les conditions rappelées ci-dessus avec l'apport d'une eau exogène, ce qui apparaît éloigné de la discussion longuement instauré dans les pages 27 à 44 des conclusions exposées ; que dans ces conditions et par la reprise des motifs non contraires des premiers juges, il y aura lieu de confirmer le jugement déféré sur la culpabilité ;

"et aux motifs adoptés que " le rapport d'expertise en date du 24 mars 2009 déposé par les deux experts judiciaires commis par le juge d'instruction et fondé sur l'analyse des échantillons de vins saisis par deux laboratoires distincts et sur l'expérimentation avec le soutien de l'INRA, retient qu'il y a eu ajout d'eau exogène dans les vins mis en vente par la SCEA Domaine de la Colombette et objets des vins examinés, et ce au cours du processus de désalcoolisation opéré ; que la matérialité des faits reprochés est ainsi avérée, les deux prévenus contestant encore à l'audience les conclusions de ce rapport mais n'apportant au soutien de leurs affirmations pas le moindre élément de preuve contraire ; que les deux prévenus étant co-gérants de la SCEA, leur culpabilité du chef de ces infractions est parfaitement caractérisée ;

"1°) alors que la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en retenant que les conclusions de l'expertise étaient " formelles " et aboutissaient à confirmer les analyses faites à la requête de l'administration et concluant à un mouillage par addition d'eau exogène, quand il ressortait de ses propres constatations que les experts avaient conclu que " l'ensemble des observations réalisées ¿ permettent de formuler l'hypothèse que les vins litigieux ont été traités par osmose inverse avec obtention d'un perméat contenant essentiellement de l'eau et de l'alcool et d'un retentât constitué des autres composants du vin partiellement concentrés et que le perméat a été éliminé et le vin reconstitué par addition d'eau exogène ", ce dont il résultait qu'ils avaient émis une simple hypothèse, la cour d'appel s'est contredite ;

"2°) alors, en outre, qu'en se fondant sur un rapport d'expertise qui ne formulait qu'une hypothèse, la cour d'appel qui s'est déterminée par un motif hypothétique, n'a pas légalement justifié sa décision ;

"3°) alors, en toute hypothèse, que la défense constitue pour toute personne un droit fondamental et son exercice effectif exige que soit assuré l'accès de chacun à l'ensemble des éléments sur lesquels le juge fonde sa conviction ; qu'en se fondant sur une expertise se référant à une banque de données que les prévenus n'avaient pas été mis à même de consulter, qui n'était pas annexée au rapport d'expertise et dont la production aux débats d'appel était expressément sollicitée par les prévenus, la cour d'appel a méconnu les textes et le principe susvisés ;

"4°) alors au surplus que le prévenu peut toujours discuter la valeur probante des pièces de la procédure d'instruction devant les juridictions de jugement ; qu'en jugeant tardive la contestation par les prévenus de la méthodologie adoptée par les experts, la cour d'appel, qui a refusé aux prévenus toute discussion sur la valeur probante de l'expertise quand il lui appartenait d'en apprécier la valeur probante au regard des contestations élevées par les prévenus, a méconnu les textes susvisés ;

"5°) alors qu'au demeurant, il appartient au juge répressif de répondre aux conclusions des parties remettant en cause les déductions et affirmations des techniciens ; qu'en l'espèce, les prévenus soutenaient, dans leurs conclusions d'appel, que, se fondant sur une base de données non versée aux débats, les experts avaient pris pour référence des vins de la région du millésime 2003 lorsque cette année était l'année de la canicule, donc de la sécheresse, et que l'irrigation des vignobles du domaine de la Colombette, phénomène complètement atypique à l'époque dans la région, ne pouvait qu'avoir eu des conséquences importantes sur le rapport isotopique des vins litigieux ; qu'en omettant de répondre à ce chef péremptoire des conclusions de MM. X tiré de la nécessité de prendre en considération, dans la comparaison des rapports isotopiques des vins litigieux avec ceux de la base de données utilisée, la spécificité du domaine de la Colombette précurseur en 2003 en matière d'irrigation et la particularité de l'année 2003 exceptionnellement sèche, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;

"6°) alors, enfin, que les prévenus soutenaient également que dans l'hypothèse où ils auraient remplacé l'eau issue du vin par de l'eau exogène, il y aurait eu une baisse importante de l'acidité volatile puisque l'eau exogène ne contient pas d'acide acétique ; qu'ils précisaient que les résultats des essais effectués par l'administration sur les échantillons prélevés en 2005 sur les vins du domaine de la Colombette révélaient des valeurs d'acidité normales et que l'échantillon du vin le plus désalcoolisé était même celui qui présentait le taux d'acidité volatile le plus haut, alors précisément que, dans l'hypothèse d'un remplacement de l'eau contenue dans le perméat par de l'eau exogène, les vins les plus désalcoolisés auraient dû avoir les taux d'acidité volatile les plus bas ; qu'en omettant de répondre au chef péremptoire des conclusions de MM. X tiré de l'absence d'acidité volatile de l'eau exogène et de ses conséquences sur les taux d'acidité volatile qui auraient dû être constatés dans l'hypothèse d'une reconstitution des vins par addition d'eau exogène, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés" ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, qui n'était pas saisie d'une demande d'annulation de l'expertise, a, sans insuffisance ni contradiction, et sans méconnaître les principes et le texte conventionnel visés au moyen, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré les prévenus coupables ;

D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette les pourvois.