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Décisions

CA Rouen, 1re ch. civ., 20 juin 2012, n° 11-03122

ROUEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Ecurie Eric Lemaitre (EARL)

Défendeur :

Leblanc

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gallais

Conseillers :

Mmes Boisselet, Vinot

Avoués :

SCP Colin Voinchet Radiguet Enault, SCP Lejeune Marchand Gray Scolan

Avocats :

Mes Enault, Le Pasteur, Gray, Le Prieur

TGI Evreux, du 11 mars 2011

11 mars 2011

Le 18 septembre 2008, Michel Leblanc a acheté à l'EARL Ecurie Eric Lemaître (ci-après l'écurie) un hongre de trot de 4 ans nommé 'Réactif Atout' moyennant un prix de 12 660 euro. Considérant que le cheval présentait des lésions lui interdisant de courir, Michel Leblanc a assigné le 6 novembre 2009 l'écurie devant le tribunal de grande d'instance d'Evreux, en résiliation de la vente et en réparation des préjudices subis.

Par jugement du 11 mars 2011 au motif d'une part que le cheval présente des lésions d'ostéopathie synoviale intervertébrale depuis une durée indéterminable décelées par l'acheteur dans les 5 mois suivant la délivrance de l'animal, donc présumées existantes lors de la vente en vertu de l'article L. 211-7 du Code de la consommation, et d'autre part que la preuve d'une visite avant achat tout comme celle afférente au contenu d'un quelconque rapport vétérinaire y faisant référence, fait défaut, et qu'ainsi, la preuve du défaut de conformité est suffisamment rapportée, le Tribunal de grande instance d'Evreux a :

- prononcé la résolution de la vente,

- condamné l'écurie à rembourser à Michel Leblanc le prix de vente de12 660 euro outre la somme de 5 548,07 euro à titre de dommages et intérêts, lesquelles sommes porteront intérêt au taux légal à compter du présent jugement,

- ordonné la restitution du cheval,

- condamné l'écurie à verser à Michel Leblanc une indemnité de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes et dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Le 20 juin 2011, l'écurie en a relevé appel.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 3 février 2012, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, elle fait valoir pour l'essentiel que :

- l'article L. 211-3 du Code de la consommation ne peut être invoqué par Michel Leblanc qui est, bien qu'à la retraite, un professionnel en matière équine et de courses hippiques, et il incombait à ce dernier de démontrer l'existence d'un vice caché au jour de la vente,

- l'existence d'un vice caché au jour de la vente n'est pas démontrée par l'acquéreur qui a sciemment dissimulé le rapport de la visite vétérinaire avant achat et omis de rapporter les deux séries de tests et entraînements ainsi que les compétitions auxquelles le cheval a participé avant et après la vente et qui ne révélaient aucune anomalie,

- la constatation de lésions 5 mois après la vente est insuffisante pour établir leur existence au moment de la vente,

- par ailleurs Michel Leblanc, comme son entraîneur, à l'issue du compte rendu médical du 18 février 2009, ont souhaité qu'aucun soin médical ne soit prodigué au cheval,

- la demande en annulation de la vente pour dol ne peut être valablement soutenue, l'existence de soins antérieurs à la vente pour des prétendues lésions n'étant pas établie,

- la demande d'expertise ne saurait non plus prospérer, une telle mesure ne pouvant avoir le moindre résultat probant trois ans après la vente d'un cheval qui est au vert.

L'écurie demande donc à la cour de :

- dire que les dispositions du Code de la consommation ne sont pas applicables à la vente,

- dire non établie l'existence d'un vice caché au jour de la vente,

- débouter Michel Leblanc de ses demandes et le condamner à lui verser les sommes de :

- 5 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- 4 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonner l'exécution provisoire et condamner Michel Leblanc aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 2 février 2012, aux termes desquelles il est fait expressément référence pour l'exposé complet des moyens, Michel Leblanc fait valoir que :

- la jurisprudence procède à une distinction entre l'acheteur consommateur et l'acheteur professionnel, et il était, avant sa retraite, dirigeant d'une société d'informatique et d'électronique et non un professionnel en matière équine,

- les problèmes évoqués par le Docteur Tourtoulou démontrent que le cheval était lors de la vente inexploitable pour une carrière de course, donc impropre à sa destination alors connue du vendeur, ce que confirme le professeur Denoix (du CIRALE), caractérisant de ce fait l'existence d'un vice caché,

- l'antériorité des lésions est avérée d'autant plus que ces dernières trouvent leur origine dans un problème de tendons déjà présent lors de la croissance du poulain,

- les traitements prodigués au cheval pour parvenir à le faire qualifier malgré les lésions dont il souffrait sont révélatrices de la parfaite connaissance par l'écurie de cet état de fait, caractérisant ainsi le dol par réticence,

- à titre subsidiaire, il entend solliciter une expertise pour prouver l'antériorité des lésions par rapport à la vente.

Michel Leblanc conclut ainsi à la confirmation du jugement du 11 mars 2011 et subsidiairement demande à la cour d'ordonner une expertise afin de déterminer l'antériorité des lésions par rapport à la vente. Il réclame à l'écurie la somme de 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 avril 2012.

Sur quoi LA COUR :

Les données factuelles :

Réactif Atout, né en 2005 et ayant subi avec succès l'épreuve de qualification requise de tout trotteur en juillet 2008, a été acquis par Michel Leblanc le 18 septembre 2008 après deux tests effectués par l'entraîneur du vendeur en présence de l'acquéreur et de l'entraîneur de ce dernier, Stéphane Etienne. Michel Leblanc a souscrit au profit dudit entraîneur une déclaration de location de carrière de course pour le cheval le 22 septembre 2008. Le cheval a couru une seule fois le 30 novembre 2008 et a été classé 5ème, ce qui, selon l'acquéreur, n'est pas significatif compte tenu du nombre réduit de partants et de la nécessité d'avoir un nombre minimal de chevaux classés. La location a été résiliée le 10 mars 2009, le cheval étant déclaré sorti provisoirement de l'entraînement à la même date. Le lendemain, Michel Leblanc a adressé sa première demande d'annulation de la vente à l'écurie.

Le cheval a fait l'objet d'un premier examen à la clinique vétérinaire équine de Livet par le Docteur Tourtoulou le 18 février 2009, selon lequel il présentait des lésions évoluées et anciennes d'ostéopathie synoviale intervertébrale en région cervicale basse, invalidantes et rendant en l'état le cheval inexploitable pour une carrière de course. Aucun traitement n'a été mis en œuvre. Le Docteur Tourtoulou a précisé à la demande de l'écurie que, lors de cet examen, il lui avait été indiqué que le cheval avait fait l'objet d'une visite vétérinaire d'achat, visite qui n'a pas été davantage établie. Il a encore certifié, le 1er décembre 2010 et toujours à la demande de l'écurie, que les lésions cervicales qu'il avait constatées lors de son examen du 18 février 2009 ne pouvaient être datées précisément.

Un second examen a été effectué le 25 novembre 2011 à l'annexe de l'école vétérinaire d'Alfort, le CIRALE, par le professeur Denoix. Il a confirmé les lésions cervicales, qu'il a considérées comme antérieures à la vente, mais surtout a mis en évidence un défaut de suspension sévère des boulets postérieurs, surtout à gauche, où il l'a qualifié d'ancien, constituant la cause du handicap majeur du cheval et excluant tout entraînement, conséquence d'une laxité tendineuse déjà présente lors de la croissance du poulain. Lors de cet examen, le cheval, après une période de repos de trois ans, avait été remis au travail depuis un mois et présentait une surcharge pondérale.

Aucune pièce n'établit la matérialité de traitements médicaux qui auraient été administrés au cheval avant la vente.

Sur l'applicabilité du Code de la consommation :

Michel Leblanc, par ailleurs retraité d'une activité professionnelle dans un tout autre domaine, exerce une activité considérée sur le plan fiscal comme celle d'éleveur sans sol depuis 2001 et est titulaire à ce titre d'un identifiant SIRET depuis la même année au titre de l'activité principale d'élevage de chevaux et autres équidés. On trouve ses produits sur les champs de course notamment en 2009 et 2010. Il a souscrit au titre de 2008 et des années suivantes une déclaration fiscale 2035 au titre de cette activité, qualifiée fiscalement de professionnelle, qui a généré au titre de 2010 un déficit déductible de 122 704 euro, constaté sous la rubrique 'revenus non commerciaux professionnels' de sa déclaration au titre des revenus pour 2010. Le déficit déductible déclaré en 2008, soit correspondant à l'exercice 2007, a été de 28 435 euro, et, au titre de l'exercice 2008, de 59 815 euro. Des déclarations de TVA ont été régulièrement souscrites pour les trois exercices considérés (2008, 2009 et 2010). Il est propriétaire associé ou exclusif de chevaux qui courent régulièrement et ont des gains importants, et ce depuis au moins 2003. On trouve trace de transactions par Michel Leblanc aux ventes de Deauville en 2003 et 2007. Réactif Atout a lui-même été loué en vue d'une carrière de course. De tels éléments excluent que l'activité exercée par Michel Leblanc au moment de la vente ait constitué un simple loisir. Au contraire, ne serait-ce qu'en raison de la défiscalisation en résultant pour l'intéressé, la preuve est faite qu'elle constituait bel et bien pour lui une activité économique incompatible avec la qualité de consommateur au sens du Code de la consommation.

La demande de Michel Leblanc ne peut donc être examinée que sur le fondement de la garantie des vices cachés entre deux professionnels.

Sur l'existence d'un vice caché antérieur à la vente :

Le débat ne porte pas sur l'existence des pathologies relevées, qui n'est pas contestée, mais sur leur présence lors de la vente, soit en septembre 2008. Or force est de constater que la stratégie choisie par Michel Leblanc, consistant à occulter sa qualité de professionnel, l'a conduit à ne pas solliciter de mesure d'expertise lors de l'engagement de la procédure ou au préalable, de sorte que l'état du cheval, à la date à laquelle le litige s'est noué, c'est à dire en mars 2009, n'a pu être établi contradictoirement. L'écurie n'a pas non plus estimé utile de solliciter cette mesure. De même, Michel Leblanc affirme ne pas avoir fait procéder à une visite vétérinaire d'achat, ce qui est contesté par l'écurie qui se fonde sur les commémoratifs rapportés par le Docteur Tourtoulou, et qui paraît en contradiction à la fois avec la prudence la plus élémentaire au regard du prix d'achat du cheval, et avec le soin avec lequel Michel Le blanc a procédé à cet achat, puisqu'il a fait procéder à un test en présence de son entraîneur auquel il était présent. Un cheval étant un être vivant dont l'état peut se modifier de façon radicale en fonction du travail qu'on lui demande et des soins qu'on lui apporte, spécialement s'il est entraîné en vue de courses, l'expertise tardivement sollicitée par Michel Leblanc au terme de près de trois ans de procédure, pendant lesquels le cheval, mis au pré puis remis au travail un mois avant son examen par le CIRALE, est resté en sa possession, n'est pas susceptible d'apporter d'éléments d'une fiabilité suffisante et l'écurie s'y oppose à juste titre. La Cour sera donc conduite à rejeter la demande d'expertise et à trancher le litige au seul vu des éléments produits.

La pathologie des boulets postérieurs, conduisant le cheval à se blesser par abrasion avec la piste, n'a été constatée qu'en novembre 2011 par le CIRALE, alors que le cheval remis au travail depuis peu était en surpoids. Le Docteur Tourtoulou n'a rien constaté de tel alors pourtant qu'il relate de façon détaillée l'examen du cheval en mouvement auquel il a procédé, relevant notamment des tests locomoteurs dynamiques satisfaisants, ce qui exclut toute déficience des membres postérieurs, et a également examiné ces derniers attentivement, puisqu'il note une pathologie bénigne de leurs canons. L'explication fournie par le Professeur Denoix, selon laquelle cette pathologie est imputable à une laxité tendineuse déjà présente chez le poulain est d'ordre scientifique et ne peut être interprétée comme décrivant un vice latent lors de la vente. Les efforts demandés aux articulations d'un cheval astreint à une entraînement de course ne peuvent en outre être sans conséquence sur une fragilité tendineuse excessive de ses membres. Or il est constant que le cheval a été entraîné d'abord en vue de sa qualification par l'écurie, puis en vue de l'épreuve du 30 novembre 2008 sans que cette difficulté apparaisse. L'antériorité de cette pathologie par rapport à la vente n'est donc pas suffisamment établie.

En ce qui concerne les lésions cervicales, le CIRALE a observé qu'elles ne sont pas responsables du handicap majeur du cheval. Contrairement au docteur Tourtoulou, qui avait indiqué ne pas pouvoir les dater, il les considère comme antérieures à la vente. Néanmoins, cette dernière affirmation, contredite par un autre praticien et formulée a posteriori trois ans après la vente, alors que le cheval a été entraîné jusqu'au 30 novembre 2008, date à laquelle il a couru, ne constitue pas non plus une preuve suffisante de l'antériorité de ces lésions par rapport à la vente. De même, un travail intense tel qu'un entraînement en vue d'épreuves de trot n'a pu être sans conséquence sur l'état physique du cheval, de sorte qu'une cause étrangère desdites lésions, et qui serait liée au travail mis en œuvre après la vente et jusqu'au 30 novembre 2008 ne peut être exclue.

Enfin, l'hypothèse émise par Michel Leblanc, selon laquelle la qualification du cheval n'aurait pu être obtenue qu'à la suite de traitements mis en œuvre de façon occulte et destinés à permettre un entraînement malgré ses déficiences physiques et à dissimuler ces dernières à son acquéreur, n'est étayée par aucun élément objectif.

Ainsi, faute de preuve suffisante de l'antériorité des diverses pathologies présentées par Réactif Atout à son acquisition par Michel Leblanc, et étant en outre observé que l'achat d'un cheval de courses porte en lui-même, toujours en raison des sollicitations intenses résultant de cet usage et des risques qui y sont associés, un certain aléa sur le maintien de l'aptitude physique de l'animal, Michel Leblanc sera débouté de ses demandes tendant à la résolution de la vente tant sur le fondement de la garantie des vices cachés que sur celui du dol.

Sur les autres demandes :

Michel Leblanc étant débouté de sa demande en résolution de la vente le sera également de ses demandes indemnitaires annexes.

L'écurie ne caractérise aucun préjudice autre que celui d'avoir eu à se défendre en justice qui a vocation à être réparé par l'application de l'article 700 du Code de procédure civile. L'équité conduit à lui allouer la somme de 1 500 euro à ce titre.

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau sur le tout, Déclare Michel Leblanc irrecevable en ses demandes fondées sur les articles L. 211-3 à L. 211-7 du Code de la consommation, Rejette la demande d'expertise, Déboute Michel Leblanc de ses demandes sur le fondement des articles 1116 et 1641 du Code civil, Déboute l'Ecurie Eric Lemaître de sa demande de dommages et intérêts, Condamne Michel Leblanc à payer à l'Ecurie Eric Lemaître la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Le condamne aux dépens de première instance et d'appel, Dit qu'ils pourront faire l'objet d'un recouvrement direct.