CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 7 mai 2014, n° 14-00254
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Keroler (Sté)
Défendeur :
Carrefour Marchandises Internationales (Sté), Interdis (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Charlon
Conseillers :
Mmes Louys, Graff-Daudret
Avocats :
Mes Guidoux, de Lammerville
ELEMENTS DU LITIGE :
La société Keroler était un fournisseur du groupe Carrefour en produits de pâtisserie depuis 2005.
Le 26 mai 2010 ce groupe, représenté par la société Carrefour Marchandises Internationales et la société Interdis, a rompu totalement cette relation commerciale avec un préavis de dix mois.
Le 14 novembre 2008 les parties avaient formalisé ces relations par un contrat de fournitures dont l'article 23 stipulait qu' "avant toute action contentieuse, les parties chercheront, de bonne foi, à régler à l'amiable leurs différends relatifs à la validité, l'exécution et à l'interprétation du contrat. Les parties devront se réunir afin de confronter leurs points de vue et effectuer toutes constatations utiles pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose. Les parties s'efforceront de trouver un accord amiable dans un délai de 30 jours à compter de la notification par l'une d'elle de la nécessité d'un accord amiable" et qu' "à défaut d'accord amiable, les parties conviennent de soumettre leur différend sous l'égide du Centre de Médiation et d'Arbitrage de la Chambre de Commerce et d'industrie de Paris. Le parties organiseront la médiation selon le règlement de médiation en vigueur" et elles "entendent conférer à cette procédure (...) une pleine force contractuelle. De commune volonté des parties, l'action en justice engagée par l'une d'elle en inobservation de cette procédure sera irrecevable" et "qu'en cas d'échec de la médiation, tout différend né du présent contrat sera soumis aux tribunaux français".
Le 9 novembre 2011 la société Keroler a saisi le Tribunal de commerce de Paris de demandes en paiement de diverses sommes en se fondant sur les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, mais par jugement du 16 décembre 2013 cette juridiction a déclaré irrecevables les prétentions de la société Keroler en retenant que le contrat de fournitures conclu le 14 novembre 2008 prévoyait une clause selon laquelle les parties, avant toute action contentieuse et à défaut d'accord amiable, devaient soumettre leur différend au centre de médiation et d'arbitrage de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, à défaut de quoi l'action en justice engagée par l'une d'elle sera irrecevable, médiation qui n'a pas été mise en œuvre en l'espèce.
Le tribunal de commerce a en outre condamné la société Keroler aux dépens et au paiement de la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile à chacune des défenderesses.
Le 23 décembre 2013 la société Keroler a formé un contredit contre cette décision et elle demande devant la cour :
- de dire son contredit recevable et bien-fondé,
- d'infirmer le jugement du 16 décembre 2013,
- de dire que la clause de médiation préalable prévue au contrat ne pouvait faire échec aux règles de compétences impératives applicables aux différends relatifs aux dispositions de l'article L. 442-6, 5° du Code de commerce,
- de dire que le Tribunal de commerce de Paris était seul compétent pour statuer sur les demandes présentées par la société Keroler au visa de cet article,
- de renvoyer le litige devant le Tribunal de commerce de Paris,
- de condamner in solidum la société Carrefour Marchandises Internationales et la société Interdis à payer à la société Keroler la somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- de les condamner in solidum aux dépens.
Par conclusions écrites reprises et complétées oralement, la société Keroler fait valoir que le Tribunal de commerce de Paris est seul compétent pour connaître des demandes indemnitaires formées en application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et qu'en outre la clause stipulée dans la convention des parties ne s'appliquait qu'aux litiges de nature contractuelle, alors que l'action en indemnisation fondée sur la rupture brutale des relations commerciales établies est de nature délictuelle.
La société Keroler ajoute que, parallèlement à son contredit, elle a interjeté appel le 8 janvier 2014 contre le jugement du 16 décembre 2013.
Par conclusions écrites reprises et complétées oralement, les sociétés Carrefour Marchandises Internationales et Interdis demandent à la cour de constater que le Tribunal de commerce de Paris s'est prononcé sur une fin de non-recevoir et que la voie de recours était l'appel et non le contredit, lequel est donc irrecevable.
Elles demandent de condamner la société Keroler aux dépens et au paiement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Carrefour Marchandises Internationales et la société Interdis estiment en effet que la clause de conciliation prévue au contrat constitue une fin de non-recevoir, puisqu'elle ne prive pas le juge étatique, en l'occurrence le Tribunal de commerce de Paris, de sa compétence, mais impose aux parties une procédure de conciliation et de médiation qui doit être un préalable à la saisine du juge, de sorte que la société Keroler ne pouvait attaquer la décision du premier juge que par la voie de l'appel.
Subsidiairement, la société Carrefour Marchandises Internationales et la société Interdis prétendent que la clause contractuelle est applicable à un litige fondé sur l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce, la nature délictuelle de l'action ne faisant pas échec à l'application de la clause de conciliation et de médiation qui est suffisamment large pour inclure de tels litiges.
Sur quoi LA COUR,
Considérant que la clause de conciliation et de médiation prévue au contrat du 14 novembre 2008, à supposer qu'elle soit jugée suffisamment large et compréhensive pour s'appliquer dans le cadre d'une action fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, impose aux parties de respecter des modes alternatifs de règlement des conflits nés entre elles ;
Que cette disposition contractuelle, qui fait la loi des parties, ne porte aucunement atteinte aux règles de compétence légales et ne prohibe pas la saisine ultérieure d'un juge (contrairement à ce qui advient en cas de clause compromissoire qui, prévoyant un arbitrage, exclut la saisine d'un quelconque juge étatique), puisqu'elle institue seulement des modalités de règlement amiable des différends, préalablement à tout engagement d'une action devant la juridiction judiciaire qui est compétente en vertu des règles d'ordre public de l'article L. 442-6, III, alinéa 5 du Code de commerce et de l'article D. 442-3 et son annexe 4-2-1 ;
Considérant que, dès lors, en déclarant irrecevables les demandes de la société Keroler au motif qu'elle n'avait pas saisi le centre de médiation désigné par la clause, le tribunal de commerce, dont la compétence ratione materiae et ratione loci n'a au demeurant jamais été contestée par les sociétés défenderesses, n'a fait que trancher une fin de non-recevoir et non une exception d'incompétence, ce qui interdisait à la société Keroler d'utiliser la voie du contredit pour contester la décision du 16 décembre 2013, seule la voie de l'appel étant ouverte ;
Considérant que l'article 91 du Code de procédure civile prévoit que lorsque la cour estime que la décision qui lui est déférée par la voie du contredit devait l'être par celle de l'appel, elle n'en demeure pas moins saisie ; que l'affaire est alors instruite et jugée selon les règles applicables à l'appel des décisions rendues par la juridiction dont émane le jugement frappé de contredit ; que si, selon ces règles, les parties sont tenues de constituer avocat, l'appel est d'office déclaré irrecevable si celui qui a formé le contredit n'a pas constitué avocat dans le mois de l'avis donné aux parties par le greffier ;
Considérant que la société Keroler, sans doute peu convaincue de la pertinence de son propre contredit, a d'ores et déjà constitué avocat et interjeté appel du jugement du Tribunal de commerce de Paris ;
Qu'il n'est donc pas nécessaire de mettre en œuvre la procédure de l'article 91 et qu'il convient seulement de déclarer irrecevable le contredit ;
Par ces motifs : Dit que la cour d'appel, saisie par la voie du contredit contre le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 16 décembre 2013, ne pouvait l'être que par la voie de l'appel ; Constate que la société Keroler a constitué avocat et interjeté appel de cette décision le 8 janvier 2014 ; Déclare en conséquence irrecevable le contredit de la société Keroler et dit qu'il n'y a pas lieu de mettre en œuvre la procédure prévue à l'article 91 du Code de procédure civile ; Vu les articles 88 et 700 du Code de procédure civile : Condamne la société Keroler aux frais du contredit ; Laisse à sa charge ses frais irrépétibles ; La condamne à payer à la société Carrefour Marchandises Internationales et la société Interdis la somme de 5 000 euros en remboursement de ses frais de procédure.