CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 30 avril 2014, n° 12-15119
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Dimo Loches (SAS)
Défendeur :
Crepieux, Michel (ès qual.), Maisons Huet et Robin (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bartholin
Conseillers :
Mme Blum, M. Byk
Avocats :
Mes Olivier, Baudry, Autier, Prunier, Couturier, Renard
EXPOSE DU LITIGE
Faits et procédure :
Le 19 mars 1987, la SARL Maisons Huet et Robin a confié en location-gérance la partie de son fonds de commerce exploité à Sainte Maure de Touraine à la SAS Dimo Loches.
Ce contrat d'une durée initiale de 7 ans a fait l'objet d'un renouvellement et d'une refonte le 18 juillet 2003 pour la période du 1er juillet 2003 au 30 juin 2010, comportant droit de renouvellement par tacite reconduction et résiliation moyennant un préavis de six mois. Un droit de préférence était institué au profit du locataire-gérant en cas de cession de fonds de commerce.
Par lettre recommandée du 21 décembre 2009, la SARL Maisons Huet et Robin a notifié à la SAS Dimo Loches sa décision de mettre fin au contrat de location-gérance à effet du 30 juin 2010. C'est dans ces circonstances que la SAS Dimo Loches estimant que la SARL Maisons Huet et Robin n'avait respecté ni les usages professionnels concernant le délai de préavis ni son droit de préférence, et les parties n'ayant pu se rapprocher, le litige est né et a été porté devant le Tribunal de commerce de Paris qui par jugement en date du 28 juin 2012 a :
- condamné Me Franck Michel, membre de la Selarl Michel Miroite Gorins et Dehayes, ès qualités de mandataire ad hoc de la société Maisons Huet et Robin à rembourser à la société Dimo Loches la somme de 3 367,78 ,
- condamné la société Dimo Loches à payer à Me Franck Michel, membre de la Selarl Michel Miroite Gorins et Dehayes, ès qualités de mandataire ad hoc de la société Maisons Huet et Robin la somme de 3 368,78 en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonné la compensation des deux condamnations ci-dessus,
- ordonné d'office l'exécution provisoire du présent jugement,
- débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires,
- condamné la société Dimo Loches aux entiers dépens de la présente instance.
La SAS Dimo Loches a relevé appel du jugement, et par ses dernières conclusions du 27 janvier 2014, demande à la cour de :
Infirmer le jugement en ce qu'il a :
Condamné Me Franck Michel, membre de la Selarl Michel Miroite Gorins et Dehayes, ès qualités de mandataire ad hoc de la société Maisons Huet et Robin à rembourser à la société Dimo Loches la somme de 3 367,78 ,
Condamné la société Dimo Loches à payer à Maître Franck Michel, membre de la Selarl Michel Miroite Gorins et Dehayes, ès qualités de mandataire ad hoc de la société Maisons Huet et Robin, la somme de 3 368,78 en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Ordonné la compensation des deux condamnations ci-dessus,
Ordonné d'office l'exécution provisoire du présent jugement,
Débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires,
Condamné la société Dimo Loches aux entiers dépens de la présente instance.
Statuant à nouveau :
Constater qu'en ne proposant pas à la société Dimo Loches la cession du fonds de commerce ayant fait l'objet de la convention de location-gérance conclue entre les parties et de ce fait en privant la société Dimo Loches de son droit au bail, la société Maisons Huet et Robin a engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de la concluante,
Constater qu'en décidant de rompre les relations commerciales établies entre les parties, en laissant à la société Dimo Loches une durée de préavis parfaitement insuffisante pour réorganiser valablement son activité, la société Maisons Huet et Robin a gravement engagé sa responsabilité délictuelle à l'égard de la concluante,
En conséquence,
Condamner solidairement la société Maisons Huet et Robin, représentée pour les besoins de la présente instance par Me Franck Michel, nommé mandataire ad hoc par ordonnance rendue par M. le Président du Tribunal de commerce de Tours en date du 16 mars 2011, et Mme Creprieux Christine à verser à la société Dimo loches une somme de 63 750 avec intérêts à courir sur cette somme à compter du 5 août 2010, date de la mise en demeure,
Condamner solidairement la société Maisons Huet et Robin, représentée pour les besoins de la présente instance par Me Franck Michel, nommé mandataire ad hoc par ordonnance rendue par Monsieur le Président du Tribunal de commerce de Tours en date du 16 mars 2011, et Mme Crepieux Christine à payer à la société Dimo Loches une somme de 11 000 par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamner solidairement la société Maisons Huet et Robin, représentée pour les besoins de la présente instance par Maître Franck Michel, nommé mandataire ad hoc par ordonnance rendue par Monsieur le Président du Tribunal de commerce de Tours en date du 16 mars 2011, et Mme Crepieux Christine aux entiers dépens de première instance et d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Mme Crepieux, par ses dernières conclusions du 9 décembre 2013, demande à la cour de :
Dire et juger la société Dimo Loches irrecevable en tous cas, mal fondée en son appel, En conséquence, confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 28 juin 2012, en ce qu'il a débouté la société Dimo Loches de ses demandes dirigées à l'encontre de Mme Christine Crepieux prise en sa qualité de liquidateur de la société Maisons Huet et Robin Condamner la société Dimo Loches à lui verser une somme de 2 500 à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et une indemnité de 10 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;
Dire que Mme Crepieux ès qualités sera déchargée de toute contribution aux frais et honoraires dus au mandataire ad hoc de la société Dimo Loches ;
Condamner la partie appelante aux dépens d'instance et d'appel ;
La SARL Huet et Robin, par ses dernières conclusions du 6 décembre 2013, demande à la cour de :
Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la SAS Dimo Loches : sur la rupture brutale des relations commerciales, sur la demande liée à la reconnaissance de responsabilité contractuelle de la SARL Huet et Robin, pour non-respect du droit de préférence dans l'éventualité d'une cession de fonds de commerce ;
Débouter la SAS Dimo Loches de l'ensemble de ses conclusions, demandes et fins Infirmer au surplus ;
Condamner la SAS Dimo Loches à verser à la SARL Maisons Huet et robin représentée par Me Michel ès qualités de mandataire ad hoc, les sommes de : 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, 8 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, les entiers dépens ;
MOYENS
La société Dimo Loches fait valoir que le fait pour tout commerçant de rompre brutalement une relation commerciale établie engage la responsabilité délictuelle de son auteur, qu'il importe peu dès lors que les parties soient liées par un contrat, la partie ayant subi la rupture n'étant pas tenue de soulever la nullité de la clause prévoyant la durée du préavis ou encore l'illicéité du contrat, que le respect de stipulations contractuelles n'exonère donc pas l'auteur de la rupture de sa responsabilité, qu'il convient pour apprécier le caractère suffisant du préavis de tenir compte de la durée des relations et des usages, qu'en l'espèce, le respect du délai de préavis s'impose indépendamment de l'état de dépendance économique dont la société Maisons Huet et Robin souligne l'absence, que le préavis est manifestement insuffisant en raison de la longueur des relations, de la forte "saisonnalité" du négoce de vêtements, de l'existence de la clause de concurrence empêchant tout rétablissement dont elle n'était pas déliée bien que le bailleur du fonds invoque la faculté de se réinstaller dans la même commune et la diminution significative des ventes pendant la période concernée du préavis ; Elle invoque que si elle n'a pas produit les bilans comptables, ils sont visibles sur infogreffe et ne sont de peu d'utilité dans la mesure où elle exploite cinq magasins et que les chiffres d'affaires n'étant pas ventilés pour chaque boutique, que l'attestation de son expert-comptable la société Fiducial expertise permet de connaître la marge brute réalisée dans la boutique considérée, que tenant compte de celle-ci, elle aurait pu réclamer à partir de la marge brute moyenne des trois dernières années une somme de 174 045 , qu'elle limite compte tenu, notamment de la liquidation de son stock, à la somme de 63 750 .
La société Maisons Huet et Robin et Mme Crepieux ès qualités font valoir que le contrat de location-gérance prévoit une durée de préavis de rupture du contrat réduite à 6 mois, que la rupture intervenue dans ce délai n'est ni abusive ni brutale, le préavis de 6 mois ayant été respecté, que la décision prise par la société Maisons Huet et Robin ne saurait donc entraîner sa responsabilité puisqu'elle est conforme aux stipulations contractuelles et aux prévisions que le co-contractant pouvait lui-même établir, que le locataire-gérant ne se trouvait pas dans une situation de dépendance économique à l'égard de la société Maisons Huet et Robin, que le locataire-gérant pouvait continuer l'exercice de son activité dans les divers établissements qu'il possède malgré la rupture du contrat de location-gérance ou encore se réinstaller, la Maisons Huet et Robin pouvant aisément la délier de son obligation de non-concurrence dans la mesure où elle cessait son activité, qu'il ne justifie d'ailleurs pas du préjudice qu'il invoque en ne produisant pas aux débats ses comptes sociaux. Mme Crepieux souligne de son côté que sa responsabilité ès qualités de liquidateur de la société ne saurait être engagée aux motifs qu'elle n'aurait pas inscrit au passif de la société la créance de la société Dimo Loches alors que cette créance n'étant ni certaine ni liquide et encore moins exigible, elle n'a commis aucune faute en ne l'intégrant pas dans les comptes sociaux, qu'au surplus, l'assignation n'a été délivrée que le 3 mai 2011 soit cinq mois après la radiation de la société du registre du commerce et qu'aucune procédure n'était donc en cours lors de la clôture des comptes, que la société Maisons Huet et Robin n'était pas davantage en cessation de paiement du fait de cette créance non exigible, qu'en toute hypothèse le préjudice de la société Dimo Loches ne constitue qu'une perte de chance de pouvoir être réglée, qu'il est cependant établi que le passif était largement supérieur à l'actif ne permettant pas le règlement des créances déclarées.
Le contrat de location-gérance qui a pris effet entre les parties le 1er juillet 2003 était prévu pour une durée de dix années se terminant le 30 juin 2010, renouvelable ensuite par tacite reconduction, sauf décision de l'une ou l'autre partie d'y mettre fin par lettre recommandée avec accusé de réception au moins six mois à l'avance, le preneur pouvant en outre mettre fin à tout moment au cours des sept premières années de location moyennant un préavis de neuf mois adressé au bailleur par lettre recommandée avec accusé de réception.
Il n'est pas contesté que la SARL Huet et Robin a mis fin au contrat de location-gérance en conformité avec les termes du contrat de location-gérance, soit par lettre recommandée délivrée six mois à l'avance. Le respect des stipulations contractuelles ne prive cependant pas d'examiner si compte tenu de la nature et de la durée des relations contractuelles, la responsabilité de la société bailleresse est engagée au regard des dispositions de l'article L. 442-6 I du Code de commerce.
Les parties s'accordent à reconnaître qu'il ne peut y avoir de référence en la matière à une préconisation concernant la durée minimum de préavis en cas de rupture de relations commerciales établies, en l'absence d'un accord professionnel dans le domaine considéré qui est celui du négoce de textiles.
Il n'est pas sérieusement contesté par ailleurs que le contrat de location-gérance n'entraînait aucune dépendance économique de la société Dimo Loches par rapport à son co-contractant la société Maisons Huet et Robin ; la société Maisons Huet et Robin et Mme Crepieux exposent en effet à cet égard sans être sérieusement contredites sur ce point que la société Dimo Loches exploite dans un rayon proche géographiquement cinq autres magasins où elle diffuse ses propres produits sous sa propre marque Vedimo et selon ses propres moyens commerciaux. Elle avait ainsi la faculté de vendre tout ou partie du stock qu'elle avait constitué dans ses autres magasins.
La société Dimo Loches souligne cependant à juste titre que compte tenu de la durée des relations contractuelles qui ont débuté en 1987, un préavis de six mois était insuffisant pour lui permettre d'envisager une faculté de reconversion alors que le bail avait été résilié auprès des bailleresses en même temps que la résiliation du contrat de location-gérance et que celles-ci n'ont ensuite formé dans ce délai aucune offre de contracter un nouveau bail avec la société Dimo Loches;
Si le procès-verbal de délibération du conseil municipal du 7 septembre 2009 laisse apparaître que les locaux qu'exploitait la société Dimo Loches allaient être libérés et que la résiliation du contrat de location-gérance avec la société Maisons Huet et Robin était donc prévisible, bien qu'aucun autre document ne le fasse apparaître, puisqu'il est mentionné que la Poste est intéressée par la reprise de ces locaux, l'attestation du maire de la commune fait quant à elle état de contacts pris avec les dirigeant de la société Dimo Loches pour trouver une solution de remplacement sur place et indique que d'abord intéressés par les propositions de locaux qui lui ont été faites, les dirigeants de Dimo Loches ont décliné toute proposition en septembre 2010 ; ce témoignage révèle en conséquence qu'un délai de réflexion de neuf mois a été nécessaire à la société Dimo Loches à compter de la notification de la lettre de résiliation pour convenir ou non d'une solution de remplacement.
Il y a lieu de préciser à cet égard que la société Maisons Huet et Robin n'avait pas dispensé expressément la société Dimo Loches de l'exécution de la clause de non-concurrence contenue dans le contrat de location-gérance et qu'une telle dispense ne pouvait être considérée comme implicite au moins jusqu'à la publication de la liquidation de la société.
Il s'y ajoute que compte tenu du caractère saisonnier du commerce considéré, l'écoulement des stocks, même s'il a été facilité par l'existence de cinq autres magasins de même type, nécessite en présence de relations longues et continues une période de prévenance supérieure à celle convenue et mise en œuvre, d'autant qu'il s'agit d'un secteur marqué par la crise économique.
Pour ces raisons, la durée du préavis aurait dû être raisonnablement de neuf mois ; que s'agissant d'apprécier le préjudice financier subi, la société Dimo Loches n'a produit aucun document comptable, justifiant sa carence à cet égard par le fait que les résultats n'y sont pas ventilés par établissement ; elle verse aux débats des attestations de son expert-comptable la société Fiducial expertise indiquant d'une part que la société a subi une perte du chiffre d'affaires entre 2010 et 2011 du fait de la fermeture du magasin de Ste Maure et d'autre part que le résultat financier avant impôt pour la boutique concernée de Ste Maure de Touraine était de 42 463 arrondie à 42 500 en 2009, concluant que la marge sur coûts directs du magasin peut être évaluée pour une période de dix-huit mois à 63 750 environ (sic) ;
Or les documents comptables que la société Maisons Huet et Robin produit tels que publiés par la société Dimo Loches au greffe du tribunal de commerce laissent apparaître que les résultats comptables de la société se sont détériorés pour l'ensemble des magasins dès 2008, le résultat d'exploitation étant de -17 000 en 2008 et de -35 000 en 2009 de sorte que les difficultés de la société ne sont pas liées à la fermeture du magasin de Ste Maure ; à tenir néanmoins pour fiable l'attestation de son expert-comptable faisant apparaître le résultat financier de la boutique concernée avant impôt, bien qu'elle soit rédigée avec la plus grande prudence, la société Dimo Loches ne peut prétendre qu'à l'indemnisation du reliquat de préavis dont elle n'a pu bénéficier soit 42 500/12 x 3 = 10 625 .
La responsabilité de Mme Crepieux au motif qu'elle aurait clôturé les opérations de liquidation sans inscrire la créance de la société Dimo Loches alors que celle-ci lui avait adressé une mise en demeure dès août 2010 ne saurait être recherchée en application des dispositions de l'article 237-12 du Code de commerce ; en effet, l'obligation d'avoir à inscrire la créance n'est pas suffisamment caractérisée dès lors que la lettre recommandée adressée le 5 août 2010 réclamant la somme de 63 750 ou 85 000 n'a été suivie d'aucune autre correspondance, l'assignation n'étant intervenue que le 3 mai 2011, soit bien après la clôture de la liquidation survenue en décembre 2010 de sorte que c'est sans encourir de reproche que Mme Crepieux a pu estimer peu probable le risque d'avoir à verser une telle indemnité.
La société Dimo Loches est mal fondée par ailleurs à invoquer qu'elle a été privée de l'exercice de son droit de préférence alors que ce droit ne s'exerce qu'en cas de cession du fonds de commerce auquel ne saurait s'assimiler la liquidation du fonds auquel a procédé la société Maisons Huet et Robin, et ce indépendamment du moyen tiré du caractère potestatif ou non de la clause excluant l'exercice du droit de préférence en cas de résiliation du bail et qui n'a pas en conséquence à être examiné.
Tant la société Maisons Huet et Robin que Mme Crepieux ès qualités échouent à démontrer le caractère abusif de l'action entreprise à leur encontre par la société Dimo Loches. Elles seront déboutées de leur demande en dommages intérêts sur ce fondement.
La société Maisons Huet et Robin représentée par son mandataire supportera les entiers dépens.
La société Dimo Loches est fondée à demander le remboursement de la somme de 3 367,78 qu'elle a avancée au mandataire ad hoc pour la défense des intérêts de la société Maisons Huet et Robin.
Les autres demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile seront rejetées.
Par ces motifs, Réformant le jugement déféré, sauf en ce qu'il a condamné Me Michel ès qualités de mandataire ad-hoc de la société Maisons Huet et Robin à rembourser à la société Dimo Loches la somme de 3 367,78 qu'elle a avancée pour la défense des intérêts de la société Maisons Huet et Robin. Statuant à nouveau, Condamne la société Maisons Huet et Robin représentée par Me Michel de la Selarl Michel Miroite Gorins et Dehayes ès qualités de mandataire ad hoc à payer à la société Dimo Loches la somme de 10 625 à titre de dommages intérêts, Déboute les parties de leurs autres demandes. Condamne la société Maisons Huet et Robin représentée par son mandataire ad hoc aux entiers dépens qui seront recouvrés directement conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.