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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 29 avril 2014, n° 13-04683

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Groupe Planet Sushi (SAS)

Défendeur :

Bois Colombes (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Girerd

Conseillers :

Mmes Bodard-Hermant, Bouvier

Avocats :

Mes Bernabe, Richard, Guerre, Ben Soussen

T. com. Paris, prés., du 20 févr. 2013

20 février 2013

Par acte sous seing privé du 22 avril 2011, la SARL Bois Colombes a conclu un contrat de franchise avec la SARL Groupe Planet Sushi (GPS) afin d'exploiter un restaurant japonais sous l'enseigne " Planet Sushi " à Bois Colombes.

En application de l'article 5.5.c du contrat, le franchisé devait mettre en place un logiciel informatique permettant la remontée des données financières et, notamment, la surveillance des chiffres réalisés par le franchisé.

Par mise en demeure du 18 septembre 2012, la société GPS a demandé à son franchisé l'achat et l'installation d'un nouveau module informatique, le " FTP Manager ", " permettant chaque soir de relayer les informations commerciales et financières sur la base informatique du franchiseur ".

Estimant que ce nouveau logiciel donnerait accès aux données personnelles sur sa clientèle qu'elle n'entendait pas transmettre au franchiseur et que l'article 12.1 du contrat de franchise combiné aux articles 5.5 c, 5.7 de la convention de franchise permet au franchiseur de conserver une copie de ce fichier client à l'expiration dudit contrat, faisant courir le risque d'un détournement de la clientèle du franchisé, la société Bois Colombes a saisi le président du Tribunal de commerce de Paris d'une demande de suspension des clauses contractuelles litigieuses afin de prévenir ce dommage imminent.

Par ordonnance n° 2012071604, rendue le 20 février 2013, le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris a fait droit à cette demande sur le fondement de l'article 873 du Code de procédure civile et ordonné à la société GPS de suspendre l'application des clauses des articles 5.5 c, 5.7 et 12.1 b du contrat de franchise en ce qu'elles obligeraient la société Sushi Chatou [sic] à communiquer les données nominatives de ses clients à la société GPS et ce dans l'attente de la décision au fond sur la validité desdites clauses, a débouté la société GPS de ses demandes reconventionnelles et l'a condamnée, outre aux dépens, à payer à la société Sushi Chatou [sic] la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société GPS a interjeté appel de cette ordonnance. Parallèlement, une instance a été intentée au fond par la société Bois Colombes devant le Tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir l'annulation des clauses litigieuses.

La société GPS, appelante, par ses dernières conclusions transmises le 3 mars 2014, demande à la cour, vu l'article 873 du Code de procédure civile et le contrat de franchise signé le 22 avril 2011, d'infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a ordonné la suspension de l'application des clauses des articles 5-5c, 5-7 et 12-1b du contrat de franchise et l'a débouté de ses demandes reconventionnelles, et statuant à nouveau de ce chef, de débouter la société Sushi Chatou [sic] de l'ensemble de ses demandes, de dire que les conditions de l'action introduite par la société Bois Colombes ne sont pas réunies et partant qu'il n'y a pas lieu à référé, de lui ordonner, sous astreinte de 300 € par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, la mise en place du module informatique FTP Manager en application des articles 5.5 et 4.2 du contrat de franchise, de la condamner à lui payer une provision de 101 700 € en application de l'astreinte prévue à l'article 5.5 du contrat de franchise, la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Elle soutient que le juge des référés n'avait pas le pouvoir de suspendre l'application des clauses du contrat de franchise relatives au fichier-clients, dès lors que :

- d'une part, l'ordonnance rendue ne satisfait pas aux exigences de motivation des décisions de justice ;

- d'autre part, les conditions de l'action en référé introduite par la société Bois Colombes sur le fondement de l'article 873 du Code de procédure civile ne sont pas remplies car il n'existe en l'espèce aucune méconnaissance d'une norme juridique obligatoire : les clauses relatives au fichier-clients, prévoyant notamment son utilisation par la tête de réseaux à des fins promotionnelles, en plus d'être légales sont usuelles en distribution,

- le juge des référés n'est pas compétent pour se prononcer sur la validité des clauses d'un contrat,

- les clauses relatives au fichier-clients contenues dans le contrat de franchise qui lie les parties sont parfaitement licites.

Sur la demande de l'intimée tendant au rejet de ses conclusions transmises le 3 mars 2014, la société GPS fait valoir que la société Bois Colombes lui avait signifié de nouvelles conclusions le 27 février 2014, ce qui l'avait contrainte à répliquer dans des délais particulièrement courts avant la clôture de l'instruction de l'affaire fixée au 4 mars 2014, qu'en outre elle ne soulève dans ses écritures du 27 février 2014 aucun moyen nouveau ou prétention nouvelle, se contentant de répliquer aux conclusions du 27 février 2014 transmises par l'intimée.

La société Sushi Chatou [sic], intimée, par ses dernières conclusions transmises le 27 février 2014, demande à la cour, vu l'article 873 du Code de procédure civile, de confirmer l'ordonnance, de débouter l'appelante de l'ensemble de ses demandes et de la condamner, outre aux entiers frais et dépens, à lui verser une somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle soutient que le juge des référés du tribunal de commerce a parfaitement retenu que l'exécution des clauses litigieuses afin d'imposer le changement de logiciel aboutissait à priver le franchisé de son droit de propriété sur son fonds de commerce, ce qui constitue à l'évidence un dommage illicite qu'il convient de prévenir et qu'il a ainsi motivé sa décision.

Elle invoque un péril imminent en ce que le fichier clients est un élément essentiel du fonds de commerce (Cass. com. 24 novembre 1992 ; Bull. civ. 1992, IV, n°371), que l'accès du franchiseur au fichier clients de son franchisé provoquera un dommage évident pour ce dernier, à savoir l'appropriation par autrui d'un élément essentiel du fonds de commerce du franchisé, que de tels fichiers ayant une valeur vénale très importante, il est évident que la valeur du fonds de commerce de la société Bois Colombes a de fortes chances de diminuer, qu'à l'expiration du contrat, le franchiseur en possession d'une copie du fichier clients de la société Bois Colombes pourra réimplanter un nouveau franchisé sur Bois Colombes et détourner la clientèle de l'intimée.

Elle soutient que la société GPS veut aujourd'hui lui imposer l'installation d'un nouveau logiciel qui implique une modification essentielle de la relation contractuelle puisque les données nominatives du fichier clients avec l'article 5.7 alinéa 2 du contrat prévoit que "le franchisé accepte que le franchiseur utilise son fichier lors de toute opération de fidélité à des fins exclusivement de promotion du concept et des produits Planet Sushi et d'en conserver une copie à l'expiration du contrat de franchise" (article 12.1).

Elle affirme que le dommage encouru est illicite dans la mesure où le transfert du fichier clients aboutirait à une violation de la loi informatique et libertés, du droit de propriété et de l'équilibre contractuel.

Sur les demandes reconventionnelles formées par le Groupe Planet Sushi sur le fondement de l'article 873 alinéa 2 du Code de procédure civile tendant à obtenir de la cour l'installation du logiciel litigieux ainsi que la liquidation de la clause d'astreinte de l'article 5.5 du contrat, l'intimée fait valoir que les demandes de GPS sont irrecevables car il existe une contestation sérieuse sur la licéité de la clause 5.5. du contrat de franchise et que le juge des référés n'a pas le pouvoir de liquider une clause d'astreinte.

Elle invoque enfin l'absence de pouvoir du juge des référés quant à la demande d'installer le logiciel litigieux (article 5.5. du contrat) car les parties divergent quant à l'interprétation à donner audit article du contrat et le fait d'enjoindre à la société Sushi Chatou [sic] d'installer le logiciel reviendrait nécessairement à interpréter la clause litigieuse, ce qui excède les pouvoirs du juge des référés.

Par ses conclusions aux fins d'incident transmises le 7 mars 2014, l'intimée demande à la cour d'écarter des débats les conclusions prises et les pièces communiquées par la société GPS le 3 mars 2014 soit la veille de la clôture.

Elle affirme que ces conclusions et communication tardives de pièces, notamment celle numérotées 22 et 24, contreviennent à son droit à un procès équitable et au principe de la contradiction, car elle n'est pas mise en mesure par l'appelante d'y répondre avant la clôture intervenue le lendemain même de leur transmission.

Sur ce, LA COUR,

Sur les conclusions et pièces 21 à 25 transmises par la société appelante le 3 mars 2014 :

Considérant que les dernières conclusions et pièces 21 à 25 de l'appelante ont été transmises le 3 mars 2014 la veille de la clôture de l'instruction et alors même que les conclusions de l'intimée auxquelles elle prétend répondre en date du 27 févier 2014 étaient identiques à celles qu'elle avait transmises le 20 février précédent mais rectifiaient uniquement la numérotation erronée des pièces précédemment versées aux débats ;

Considérant que la société GPS a communiqué avec ses dernières conclusions cinq nouvelles pièces ; Que dans de telles conditions, la transmission la veille de la clôture de l'instruction de l'affaire par la cour de conclusions par l'appelante et la production de nouvelles pièces portent atteinte au principe de la contradiction et à celui de la loyauté des débats ; qu'il convient de rejeter les conclusions tardivement transmises par la société GPS le 3 mars 2014 et d'écarter des débats les pièces nouvelles, 21 à 25, de l'appelante ;

Au principal :

Considérant qu'en application de l'article 873, alinéa 1er du Code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;

Considérant que le dommage imminent s'entend du " dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer " et le trouble manifestement illicite résulte de " toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit " ;

Qu'il s'ensuit que, pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle la cour statue et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage, d'un préjudice ou la méconnaissance d'un droit, sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines, qu'un dommage purement éventuel ne saurait donc être retenu pour fonder l'intervention du juge des référés ; que la constatation de l'imminence du dommage suffit à caractériser l'urgence afin d'en éviter les effets ;

Considérant qu'en l'espèce, le contrat de franchise conclu le 8 mars 2010 entre la société Bois Colombes, en qualité de franchisé, et la société Groupe Planet Sushi (GPS), franchiseur (pièce 1 de l'intimé), prévoit en un article 5.5.c que :

"Le franchiseur a sélectionné et/ou élaboré des logiciels afin d 'assister le franchisé dans le respect des normes d'hygiène et de sécurité, de lui transmettre des informations inhérentes au réseau Sushi Planet, d'assurer des formations et de connaître toutes informations utiles pour le réseau relatives au restaurant (chiffres d'affaires, panier, nombre de clients, famille de produits vendus, référence des produits vendus). Ces logiciels constituent une partie intégrante de son savoir-faire. Ils permettent notamment des remontées d'informations dont le franchiseur peut avoir besoin pour optimiser et/ou perfectionner son savoir-faire et/ou s'assurer que le chiffre d'affaire qui lui est déclaré est bien celui qui est réalisé.

Le franchisé s'engage à acquérir les licences et à souscrire les abonnements nécessaires à l'utilisation de ces logiciels. Il s'engage par ailleurs à acquérir le matériel sélectionné par le franchiseur comme permettant l'utilisation de ces logiciels" ;

L'article 5-7 dudit contrat dispose que " le franchisé accepte que le franchiseur utilise son fichier lors de toute opération de fidélité à des fins exclusivement de promotion du concept et des produits Planet Sushi à l'exclusion, pendant la durée du contrat et suivant l'expiration de celui-ci pour quelque motif que ce soit, de toute utilisation dudit fichier à des fins personnelles ou commerciales autres, le franchiseur s'engageant par ailleurs à ne pas transmettre ledit fichier à des tiers pendant la durée du contrat et suivant l'expiration de ce dernier " ;

Considérant que l'article 12.1 b du contrat prévoit que :

"Tout au long de l'exécution du contrat, le franchiseur aura eu, par informatique, accès au fichier clients élaboré par le franchisé pendant son activité sous l'enseigne Planet Sushi.

Le franchisé consent irrévocablement par les présentes à ce que le franchiseur conserve après la cessation du contrat une copie dudit fichier clients auquel il aura ainsi eu accès, sans paiement d'une quelconque indemnité" ;

Considérant qu'il est ainsi établi que les parties n'avaient convenu que de l'installation d'un logiciel donnant accès aux "chiffres d'affaires, panier, nombre de clients, famille de produits vendus, référence des produits vendus", à l'exclusion par conséquent des données personnelles et nominatives des clients de la société franchisée ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que le logiciel FTP Manager dont la société GPS demande depuis le 18 septembre 2012 l'installation et l'utilisation entraîne de facto la transmission automatisée des données nominatives du fichier-clients de la société franchisée au franchiseur ;

Qu'au demeurant, l'appelante ne rapporte pas la preuve devant la cour de la possibilité d'une sélection par le franchisé des données transmises avec ce nouveau logiciel ;

Considérant que ce changement de logiciel, au regard des dispositions susvisées du contrat qui autorisent la société GPS à faire des campagnes de promotion de son concept et de ses produits en direction des clients de ses franchisés et ce y compris après la résiliation du contrat et à conserver la copie du fichier clients après la cessation des relations contractuelles avec le franchisé, conduit à mettre à la disposition du franchiseur un élément essentiel du fonds de commerce du franchisé, avec le risque d'un détournement de sa clientèle au terme du contrat ;

Qu'il en résulte, avec l'évidence requise en référé, une modification de l'économie du contrat caractérisant un trouble manifestement illicite et un dommage imminent, celui de la perte de la propriété de données, qui justifient que la juridiction des référés prenne, en application des dispositions de l'article 873, alinéa 1er, du Code de procédure civile, toute mesure appropriée pour faire cesser le trouble et prévenir le dommage ;

Qu'en application de l'article 5.7, alinéa 2 sus visé, la société GPS est autorisée à faire des campagnes de promotion de son concept et de ses produits en direction des clients de ses franchisés et ce y compris après la résiliation du contrat ;

Qu'en outre, l'article 12.1 b sus visé permet au franchiseur de conserver la copie du fichier clients après la cessation des relations contractuelles avec le franchisé ;

Qu'il résulte de l'ensemble de ces constatations que la maîtrise du ficher comportant les données nominatives des clients du franchisé qu'entraîneraient la mise en place et l'utilisation du module informatique FTP Manager, constitue, avec l'évidence requise en référé, une modification substantielle de l'économie du contrat et crée un déséquilibre manifeste entre les obligations contractuelles respectives des parties, caractérisant ainsi un dommage imminent au sens de l'article 873, alinéa 1, du Code de procédure civile ;

Que dans de telles conditions, la mesure conservatoire appropriée et proportionnée au risque avéré qu'il convient d'empêcher est la suspension des clauses litigieuses et sus mentionnées du contrat de franchise, et ce dans l'attente de la décision du juge du fond saisi de la question de leur licéité ; qu'il convient dès lors de confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Considérant qu'il convient en conséquence de rejeter les demandes incidentes formées par l'appelante aux fins d'injonction à la société Bois Colombes, sous astreinte, la mise en place du module informatique FTP Manager et de condamnation à lui payer une provision de 101 700 € correspondant à l'astreinte prévue à l'article 5.5 du contrat de franchise en tenant compte de la mise en demeure du franchiseur du 18 septembre 2012 ;

Considérant que l'équité commande de faire droit à la demande de la société Bois Colombes, présentée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; que la société GPS est condamnée à lui verser à ce titre la somme visée au dispositif de la présente décision ;

Considérant que, partie perdante, la société GPS ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et doit supporter les dépens ;

Par ces motifs : Rejette les conclusions transmises le 3 mars 2014 par la SARL Groupe Planet Sushi et écarte des débats ses pièces 21 à 25, Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, Déboute la SARL Groupe Planet Sushi de l'ensemble de ses demandes, Condamne la SARL Groupe Planet Sushi à payer à la SARL Bois Colombes la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette la demande présentée par la SARL Groupe Planet Sushi sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SARL Groupe Planet Sushi aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.