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Décisions

Cass. com., 20 mai 2014, n° 13-16.398

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Starvision (SARL), Brahim Asloum (EURL), Asloum

Défendeur :

Canal plus (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Rapporteur :

Mme Mouillard

Avocats :

Me Balat, SCP Boutet

T. com. Paris, du 24 mai 2011

24 mai 2011

LA COUR : - Donne acte à la société Brahim Asloum Organisation (la société BAO) du désistement de son pourvoi ; - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Starvision que sur le pourvoi incident relevé par la société Canal plus ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 février 2013) que M. Asloum, étant devenu champion olympique de boxe en 2000, a décidé de devenir boxeur professionnel et a constitué la société BAO afin de gérer sa carrière ; que le 29 janvier 2001, la société BAO a conclu avec la société Starvision une convention par laquelle elle lui concédait en exclusivité la gestion de la carrière de M. Asloum, en l'autorisant à rétrocéder le nom et l'image de ce dernier à un diffuseur ; qu'à partir du 7 février 2001, la société Starvision a, par plusieurs contrats successifs d'une durée d'un à trois ans, cédé à la société Canal plus les droits de retransmission de tous les combats de M. Asloum pour les années 2001 à 2007 ; qu'après l'accession de M. Asloum au titre de champion du monde à l'issue d'un combat disputé le 8 décembre 2007, des pourparlers ont débuté entre les sociétés Starvision et Canal plus en vue de la signature d'un nouveau contrat ; que ces dernières ne sont pas parvenues à s'accorder sur le montant de cession des droits de diffusion ; que le combat de défense du titre, qui devait avoir lieu le 26 juillet 2008, a été annulé et, quelque temps plus tard, M. Asloum a mis fin à sa carrière ; que les sociétés Starvision et BAO ont fait assigner la société Canal plus en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie ; que M. Asloum est intervenu volontairement à l'instance pour réclamer l'indemnisation de son préjudice personnel ;

Sur les premier et deuxième moyens du pourvoi incident, réunis : - Attendu que la société Canal plus fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Starvision une certaine somme à titre de dommages et intérêts alors, selon le moyen : 1°) que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes, elles ne nuisent point aux tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l'article 1121 du Code civil ; qu'en estimant, pour conclure à l'existence d'une rupture imputable à la société Canal plus, que les conditions nouvellement offertes modifiaient substantiellement les accords antérieurement conclus entre les sociétés Canal plus et Starvision dans la mesure où l'une de ces conditions imposait à cette dernière une charge qui, dans les faits, ne pesait pas sur elle antérieurement, cependant qu'il est constaté que cette charge pesait contractuellement sur la société Starvision et que celle-ci n'avait été assumée par la société Ami Production qu'en vertu de contrats conclus avec la société Canal plus auxquels la société Starvision était tiers, la cour d'appel qui a fait produire des effets à un contrat au profit d'un tiers, a violé l'article 1165 du Code civil ; 2°) que s'agissant du contrat à durée déterminée, le préavis peut être fixé dans le contrat lui-même et prendre la forme d'une obligation de renégocier avant le terme du contrat assorti d'un délai à l'expiration duquel le contrat est valablement rompu sans faute en cas d'échec de la négociation ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que le contrat à durée déterminée du 8 décembre 2006, avec prise d'effet au 1er juillet 2006, assorti d'un terme au 31 décembre 2007, stipulait une négociation de trois mois commençant à courir le 1er septembre 2007 et que si aucun accord n'était trouvé, la société Starvision aurait alors la faculté de négocier avec un tiers ; qu'il en résultait la stipulation d'un préavis exclusif de toute brutalité dans la rupture des relations commerciales et qu'en décidant le contraire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 3°) que le manquement d'une partie à son obligation contractuelle de négocier avant le terme fixé par le contrat est exclusif pour l'autre partie de toute brutalité dans la rupture de la relation commerciale établie ; qu'ayant constaté que les parties avaient stipulé dans l'article 6.2 de la convention du 8 décembre 2006 une période de négociation exclusive de trois mois allant du 1er septembre au 30 novembre 2007 pour poursuivre leur collaboration au titre des combats disputés par M. Asloum lors de l'année 2008 et que la société Starvision n'avait pas respecté cette obligation, ayant attendu le 18 décembre 2007, après l'expiration de la période contractuelle de négociation, pour engager une négociation dont l'issue était par nature incertaine, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en imputant à la société Canal plus une brutalité dans la rupture de la relation commerciale et a violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 4°) qu'en lui imputant une brutalité dans la rupture de la relation commerciale établie en raison de la tardiveté de l'offre de nouveau contrat faite le 13 juin 2008 au regard de la date très proche du combat, quand en vertu de l'article 6.2 du contrat du 8 décembre 2006, la société Starvision disposait de la liberté de négocier avec un tiers depuis le 1er décembre 2007 et qu'elle n'avait engagé aucune négociation avec la société Canal plus pendant la période du 1er septembre au 30 novembre 2007, en violation de ses engagements contractuels, ce qui est constaté, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;

Mais attendu, en premier lieu, que, par motifs propres et adoptés, l'arrêt relève que, si les conventions signées entre les parties depuis 2004 prévoyaient toutes que la société Starvision cédait à la société Canal plus tant l'exclusivité des prestations de M. Asloum que les droits des combats d'encadrement de chaque combat de ce dernier, prévus pour que chacune des réunions ait une durée minimum de 120 minutes, tout en faisant son affaire de l'obtention des droits concernant les combats d'encadrement auprès de l'organisateur, il ressort des pièces produites que, dans les faits, plusieurs des réunions de boxe auxquelles a participé M. Asloum ont donné lieu au versement de droits de diffusion supplémentaires de la part de la société Canal plus à l'organisateur, la société Ami Production, de sorte qu'en dépit des clauses des conventions la liant à la société Canal plus, la société Starvision n'avait pas la charge de l' " ensemble de la réunion " lorsque M. Asloum combattait ; que l'arrêt constate encore qu'il résulte des courriers échangés qu'à l'occasion de sa dernière offre, la société Canal plus a exprimé clairement la volonté de limiter désormais le montant des droits de retransmission de chaque réunion de boxe comprenant un combat de M. Asloum à une somme forfaitaire et une prime de victoire, combats d'encadrement compris, de sorte qu'aucune autre somme ne pourrait être exigée par l'organisateur de la réunion, et que cette précision, reprise dans les propositions relatives aux accords à conclure, était de nature à faire désormais supporter cette charge à la société Starvision ; qu'ayant ensuite comparé les montants ainsi proposés ainsi que les conditions de l'offre, l'arrêt retient que la dernière proposition de la société Canal plus marquait un recul substantiel par rapport aux contrats conclus en 2006 et 2007 et que, dès lors, la rupture de la relation doit être imputée à cette société ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui n'a fait qu'apprécier des faits établissant la pratique contractuelle qui s'était instaurée entre les parties, n'a pas méconnu les dispositions de l'article 1165 du Code civil ;

Attendu, en second lieu, que l'existence d'une stipulation contractuelle de préavis ne dispense pas le juge, s'il en est requis, de vérifier si le délai de préavis contractuel tient compte de la durée des relations commerciales ayant existé entre les parties et des autres circonstances ; que l'arrêt relève qu'alors que la société Starvision avait écrit le 18 décembre 2007 pour lancer les négociations, la société Canal plus a attendu le 13 juin 2008, soit une date très proche du combat de remise en jeu par M. Asloum de son titre de champion du monde, pour émettre sa première offre ; qu'écartant les objections de la société Canal plus, qui faisait valoir que le contrat prévoyait que la société Starvision devait engager les négociations plus tôt, l'arrêt retient, par motif adopté, que la pratique suivie par les parties a fréquemment dérogé aux prévisions contractuelles, un nouveau contrat étant souvent conclu bien après l'expiration du précédent, de sorte qu'il ne peut être reproché à la société Starvision d'avoir attendu douze jours avant l'expiration du dernier contrat pour faire part à la société Canal plus de son intérêt pour la poursuite de leur collaboration, cette dernière s'étant d'ailleurs bornée, dans sa réponse du 24 décembre 2007, à relever que les négociations s'engageaient désormais sur des bases non exclusives, tout en manifestant le souhait de connaître les projets de M. Asloum pour l'année 2008 ; qu'ayant encore constaté que la société Canal plus disposait depuis longtemps des données par lesquelles elle a, par la suite seulement, légitimé la diminution des rémunérations qu'elle proposait, la cour d'appel, qui n'a fait qu'apprécier la pratique qui s'était instaurée entre les parties et leur renonciation commune au délai de négociation exclusive contractuellement prévu, a pu retenir que la société Canal plus, en proposant une modification substantielle des conditions de la retransmission, défavorable à la société Starvision, à quelques semaines seulement de la remise en jeu, par M. Asloum, de son titre de champion du monde, avait brutalement rompu la relation commerciale établie avec cette dernière ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal : Attendu que la société Starvision fait grief à l'arrêt de limiter le montant des dommages-intérêts alloués au titre des manquements imputables à la société Canal plus alors, selon le moyen : 1°) que le préjudice consécutif à la rupture brutale des relations commerciales inclut l'ensemble des conséquences dommageables de la rupture ; que la détermination de ce préjudice doit tenir compte de la situation de dépendance économique objective dans laquelle se trouvait la victime à l'égard de l'auteur de la rupture ; que dans ses écritures d'appel, la société Starvision, qui se consacrait entièrement à la promotion des intérêts de M. Asloum, faisait valoir qu'elle se trouvait à cet égard dans une situation de dépendance économique à l'égard de la société Canal plus, hégémonique en matière de diffusion des programmes télévisés de boxe, de sorte que la rupture brutale des relations commerciales imputable à la chaîne de télévision l'avait contrainte à cesser toute activité, ce qui constituait un chef de préjudice réparable ; qu'en se bornant, pour écarter l'existence d'un tel préjudice, à relever que la société Canal plus n'avait pas sollicité une telle situation de dépendance, qui pouvait être le résultat d'un choix de la société Starvision, cependant que la situation de dépendance économique constitue une donnée objective, indépendante de la volonté de l'une ou l'autre des parties, la cour d'appel s'est déterminée par une motivation inopérante et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et de l'article 1382 du Code civil ; 2°) que l'existence d'un état de dépendance économique d'une entreprise par rapport à une autre s'apprécie en tenant compte de la notoriété de cette dernière, de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires de son cocontractant, ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres partenaires ; que dans ses écritures d'appel, la société Starvision faisait valoir que " quasiment 100 % " de son chiffre d'affaires provenait de sa collaboration avec la société Canal plus et qu'en raison de l'hégémonie de cette dernière en matière de diffusion des programmes télévisés de boxe, il n'existait pour elle aucune solution alternative lui permettant de poursuivre son activité ; qu'en refusant d'indemniser la société Starvision au titre du préjudice né de la dépendance économique dans laquelle elle s'était trouvée vis-à-vis de la société Canal plus, au motif qu'il n'était " pas établi que la société Starvision ne disposait pas de solution alternative pour pallier les inconvénients résultant de la rupture ", sans répondre aux éléments précis invoqués par la société Starvision, qui établissaient l'absence de solution alternative, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'il résulte de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce que le préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances, notamment de l'état de dépendance économique de l'entreprise évincée, au moment de la notification de la rupture, et qu'en cas d'insuffisance du préavis, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée du préavis jugé nécessaire ; qu'ayant estimé que la société Canal plus aurait dû respecter un préavis de six mois, la cour d'appel a nécessairement pris en compte l'état de dépendance économique de la société Starvision, sans avoir à lui accorder une indemnité complémentaire à ce titre ; que, procédant du postulat contraire, le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le troisième moyen du pourvoi incident : - Attendu que la société Canal plus fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. Asloum une certaine somme à titre de dommages-intérêts alors, selon le moyen : 1°) que la cassation qui interviendra du chef de dispositif critiqué par le premier et/ou le deuxième moyen de cassation entraînera par voie de conséquence, en application de l'article 624 du Code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif attaqué par le troisième moyen de cassation qui est dans sa dépendance, l'indemnisation accordée à M. Asloum n'étant justifiée qu'en raison de la faute reprochée à la société Canal plus dans la rupture de la relation commerciale établie avec la société Starvision ; 2°) que la responsabilité encourue sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce est limitée au préjudice découlant directement de l'absence ou de l'insuffisance de préavis subi par le demandeur à l'occasion de la rupture de la relation commerciale établie ; d'où il suit qu'en accordant à M. Asloum des dommages-intérêts en réparation d'un préjudice moral - la cour excluant le préjudice d'image invoqué - subi en raison de la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie entre les sociétés Canal plus et Starvision, la cour d'appel a violé les articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et 1382 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, qu'il résulte du rejet des deux premiers moyens du pourvoi incident que le moyen, pris en sa première branche, manque par le fait qui lui sert de base ;

Et attendu, d'autre part, qu'après avoir retenu que les circonstances de la rupture avaient causé un préjudice moral à M. Asloum qui, en dépit des récompenses sportives rares et prestigieuses qu'il avait pu gagner, s'était trouvé "déconsidéré" par une société particulièrement reconnue dans le monde sportif, en particulier dans la discipline de la boxe qu'elle était la seule à diffuser, la cour d'appel a pu condamner la société Canal plus à payer à M. Asloum une indemnité sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, indépendamment de la responsabilité qu'elle encourait sur le fondement de l'article 442-6, I, 5° du Code de commerce ; d'où il suit que, le moyen, qui ne peut être accueilli en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Et sur le second moyen du pourvoi principal : Attendu que la société Starvision fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme à la société Canal alors, selon le moyen, que les dommages-intérêts alloués ne sauraient excéder le préjudice subi par la victime ; qu'en condamnant la société Starvision à payer la somme de 100 000 euros à la société Canal plus au titre d'une violation de la clause de confidentialité interdisant aux parties de divulguer aux tiers le contenu de l'accord du 8 décembre 2006, au motif qu'une telle divulgation n'avait " pu que décrédibiliser la société Canal plus ", sans relever toutefois le moindre élément susceptible de caractériser une telle perte de crédit du fait de la divulgation litigieuse et alors même qu'elle relevait par ailleurs que c'était la chaîne de télévision qui avait porté atteinte à la considération du boxeur Brahim Asloum, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1147 du Code civil ;

Mais attendu qu'après avoir constaté, par motifs propres et adoptés, qu'en violation du contrat du 8 décembre 2006, dans lequel les parties s'étaient interdit de communiquer ou divulguer aux tiers le contenu de leur accord, M. Acariès, qui avait mené les négociations de renouvellement du contrat pour le compte de la société Starvision, avait, avec son conseil, révélé lors d'une interview commune au journal l'Equipe le montant versé par la société Canal plus pour le combat du 8 décembre 2007, c'est souverainement que la cour d'appel a apprécié le montant du préjudice subi par la société Canal plus, dont elle a justifié l'existence par la seule évaluation qu'elle en a faite ; que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : rejette les pourvois.