Cass. com., 20 mai 2014, n° 13-17.200
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Eptimum (SAS)
Défendeur :
Kaspersky Lab France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
Mme Le Bras
Avocats :
SCP Piwnica, Molinié, SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué rendu en matière de référé, que la société Kaspersky Lab France (la société Kaspersky) développe et commercialise notamment sur Internet des logiciels antivirus; que la société Eptimum a notamment pour activité la distribution dématérialisée de logiciels aux entreprises et aux particuliers ; que reprochant à cette dernière d'avoir suscité une confusion entre les sites des deux sociétés par l'enregistrement de la marque Kaspersky en mot-clé sur le service Adwords du moteur de recherche Google, et de distribuer ses nouveaux produits à bas prix en utilisant des clés d'activation de logiciels correspondant aux versions d'années antérieures, récupérées auprès de grossistes, la société Kaspersky l'a assignée en référé en concurrence déloyale ;
Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches : - Attendu que la société Eptimum fait grief à l'arrêt d'avoir accueilli la demande de la société Kaspersky, alors, selon le moyen : 1°) que le distributeur bénéficie d'un droit d'usage de la marque de son fournisseur sur Internet, dès lors qu'il n'y a pas de risque de confusion ; que le risque de confusion ne peut en conséquence découler de la seule mention sur son site Internet par le distributeur de la marque qu'il commercialise, ni même de son usage dans son nom de domaine ou dans son adresse url ; qu'un tel usage est en effet nécessaire pour que l'internaute puisse être dirigé, notamment, vers le site du distributeur ; qu'en se bornant à relever, pour retenir l'existence d'un risque de confusion et faire interdiction à la société Eptimum, d'utiliser, reproduire ou imiter la dénomination Kaspersky dans son nom de domaine et sur l'adresse url de ses sites Internet, que le site de la société Eptimum apparaissait en réponse à la requête Kaspersky, que la dénomination Kaspersky était utilisée par la société Eptimum à titre de mot-clé ainsi que dans le titre de son annonce commerciale et dans l'adresse url de son site Internet, ce qui serait de nature à induire en erreur l'internaute moyennement attentif, sans relever l'existence de mentions tendant fautivement à induire l'internaute en erreur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil, ensemble l'article 809 du Code de procédure civile ; 2°) que la société Eptimum faisait valoir dans ses conclusions qu'elle commercialisait les produits de différents éditeurs, sous la marque "entelechargement.com", et que tout risque de confusion était en outre écarté en raison de la présence de son logo sur la page d'accueil de son site Internet, tandis que le site de la société Kapersky présentait quant à lui la mention "officiel" et le logo TM (trade mark) signifiant que le site appartenait au propriétaire de la marque ; qu'elle en déduisait qu'elle se bornait à user de son droit d'utiliser la marque Kaspersky pour distribuer ses produits, sans qu'une telle utilisation puisse entraîner une confusion dans l'esprit du public ; qu'en faisant droit cependant à la demande d'interdiction de cette utilisation formée par la société Kaspersky, sans répondre à ce moyen de nature à établir le caractère parfaitement licite de l'utilisation par la société Eptimum de la dénomination Kaspersky, et l'absence de risque de confusion, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs et méconnu les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que la société utilisait la dénomination Kaspersky comme mot-clé dans un moteur de recherche, dans le titre d'une annonce commerciale et dans l'adresse url du site Internet, l'arrêt constate que le moteur de recherche Google interrogé à l'aide du mot-clé Kaspersky permet d'accéder à une page de résultat affichant une annonce publicitaire renvoyant vers le site Internet de la société Eptimum intitulé "Kaspersky.entelechargement.com" et que le moteur de recherche Bing interrogé avec ce même mot-clé affiche pour résultats, en première position, l'annonce publicitaire de la société Eptimum "Kaspersky Antivirus 2012. Teléchargement rapide et immédiat ! La protection optimale pour PC. Kaspersky.entelechargement.com", suivi de celle de la société Kaspersky "Kaspersky TM Site officiel, Kaspersky l'antivirus de référence.téléchargez le dès maintenant! Boutique Kaspersky.FR" ; qu'il retient enfin que la société Eptimum a sciemment trompé ses clients en leur cachant que l'activation des logiciels 2012 puis 2013 se faisait au moyen d'une clé 2011 ou 2012, l'année d'édition des logiciels ayant été effacée sur l'emballage des produits, et en leur laissant croire à des ventes promotionnelles "des nouvelles gammes", les affirmations de la société selon lesquelles le service fourni serait le même, quel que soit le millésime, étant formellement démenties par les pièces au débat qui mettent au contraire en évidence les différences entre les fonctions disponibles sur les versions successives des logiciels en cause; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines faisant ressortir l'existence de pratiques déloyales dont résultait un risque de confusion sur l'origine des produits commercialisés par les deux sociétés, constitutif d'un trouble manifestement illicite, la cour d'appel qui n'était pas tenue de suivre la société Eptimum dans le détail de son argumentation, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le moyen unique pris en sa troisième branche en ce qu'il fait grief à l'arrêt d'avoir interdit à la société Eptimum, sous astreinte, d'utiliser, reproduire, ou imiter sous toutes ses formes la dénomination Kaspersky dans son nom de domaine ainsi que l'adresse url de ses sites Internet, et d'en enlever toute reproduction altérée ou modifiée des visuels des boîtes de logiciels Kaspersky : - Attendu que les motifs critiqués ne fondent pas le chef du dispositif attaqué ; que le moyen est irrecevable ;
Mais sur le moyen pris en cette même branche en ce qu'il fait grief à l'arrêt d'avoir ordonné à la société Eptimum de modifier l'ergonomie et les codes couleurs des pages Internet de tout site lui appartenant : - Vu l'article 809 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour accueillir la demande, l'arrêt retient que la société Eptimum a, depuis l'ordonnance entreprise, modifié les codes couleurs des coffrets offerts à la vente ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans caractériser en quoi les codes couleurs des sites de la société Eptimum étaient identiques ou similaires à ceux qui étaient utilisés par la société Kaspersky sur ses propres sites, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Par ces motifs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a ordonné à la société Eptimum sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt, de modifier pour l'avenir l'ergonomie et les codes couleurs des pages du site Internet www.entelechargement.com tout site lui appartenant, consacrées à la vente de produits Kaspersky afin d'empêcher tout risque de confusion avec la boutique en ligne de la société Kaspersky, l'arrêt rendu le 21 mars 2013, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.