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Décisions

ADLC, 17 avril 2014, n° 14-DCC-57

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à la prise de contrôle exclusif par la société Orlait, filiale de Sodiaal, de l'activité lait de consommation longue conservation de la coopérative Terra Lacta

ADLC n° 14-DCC-57

17 avril 2014

L'Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé au service des concentrations le 29 janvier 2014 et déclaré complet le 19 mars 2014, relatif à la prise de contrôle exclusif par la société Orlait, filiale de Sodiaal, de l'activité lait de consommation longue conservation de la coopérative Terra Lacta, formalisée par un contrat de cession d'action en date du 26 septembre 2013, un projet de contrat de distribution ainsi que des procès-verbaux des conseils d'administration de Candia et Lact'Union, respectivement en date des 22 avril et 6 septembre 2013 ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ; Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l'opération

1. Sodiaal Union (ci-après " Sodiaal "), est une coopérative agricole regroupant plus de 9 100 agriculteurs coopérateurs, active dans la collecte du lait de ses adhérents et sa transformation via les quatre branches du groupe : (i) le lait de consommation via sa filiale Candia SA, contrôlée exclusivement par Sodiaal (1), (ii) les fromages via ses filiales Entremont Alliance SASU, Monts et Terroirs, Compagnie des Fromages et RichesMonts SCA, contrôlée conjointement par Sodiaal et le groupe Bongrain (2), (iii) les laits en poudre et concentrés via Régilait SAS, contrôlée conjointement par Sodiaal et le groupe Laïta (3), et la matière grasse via Beuralia SAS et (iv) les produits laitiers ultra-frais (notamment des yaourts, desserts lactés, crème liquide UHT) via Yoplait, filiale commune avec General Mills.

2. Orlait est une société par actions simplifiées active dans le secteur du négoce et de la commercialisation de lait de consommation, et accessoirement de crème longue conservation (dit " UHT "). Orlait commercialise annuellement 980 millions de litres de lait. Orlait dont le capital est détenu à hauteur de [...] % par Candia, [...] % par la société coopérative Lact'Union, [...] % par la société coopérative Coralis et [...] % par la société coopérative Clal Saint Yvi, est contrôlée exclusivement par Sodiaal, via Candia (4).

3. Terra Lacta est une société coopérative agricole dont les actionnaires sont des producteurs de lait de vache et de lait de chèvre. Elle regroupe plus de 2 000 associés-coopérateurs répartis sur le bassin laitier de la coopérative. Terra Lacta est notamment active dans le domaine de la collecte de lait, ainsi que dans celui de la production et distribution de produits laitiers. En juin 2013, Terra Lacta a transféré au groupe Bongrain une partie de ses activités laitières et fromagères (5).

4. Aux termes du contrat en date du 26 septembre 2013, il est prévu qu'en échange d'une prise de participation minoritaire ([...] %) de Terra Lacta dans Orlait, Terra Lacta confiera à Orlait la commercialisation et la distribution de la quasi-totalité des volumes de lait longue conservation qu'elle produit (6), soit 290 millions de litres. Ce contrat de distribution exclusive stipule (i) le contrôle par Orlait du processus et des modalités liées à la production (fixation des volumes annuels de production, prise de décisions relatives au portefeuille produits et à l'optimisation logistique, mutualisation des baisses et des hausses de volume, droit de se faire communiquer les résultats des contrôles qualité), (ii) le contrôle par Orlait du processus et des modalités de distribution et de commercialisation (définition de la politique marketing et commerciale, contrôle des campagnes de publicité, prise des commandes des clients et gestion de la facturation, organisation et gestion du transport incluant un transfert des risques à compter du chargement complet du véhicule), (iii) le transfert à Orlait d'un commercial précédemment employé par Terra Lacta et (iv) une durée de 10 ans renouvelable par périodes de 5 ans.

5. Le point 51 des lignes directrices de l'Autorité précise que " les relations contractuelles ne sont susceptibles de conférer une influence sur une entreprise que dans des cas très particuliers ". Le point 18 de la communication de la Commission, en fixe les conditions : " afin de conférer un contrôle, le contrat doit conduire à un contrôle de la gestion et des ressources de l'autre entreprise équivalent à celui obtenu par l'acquisition d'actions ou d'éléments d'actifs. Outre le transfert du contrôle de la direction et des ressources, ces contrats doivent se caractériser par une durée extrêmement longue ". Conformément à la pratique décisionnelle (7) de la Commission, le contrat de distribution exclusive signé en l'espèce entre Terra Lacta et Orlait est susceptible de conférer à Orlait un contrôle sur Terra Lacta sur une base contractuelle, le contrat impliquant le contrôle par Orlait de la gestion et des ressources de l'activité lait longue conservation de Terra Lacta pour une durée extrêmement longue. En ce qu'elle se traduit par l'acquisition du contrôle exclusif de l'activité lait longue conservation de Terra Lacta par Orlait, l'opération notifiée est une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.

6. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euros (Sodiaal : 4,4 milliards d'euros en 2012 ; Terra Lacta : 145 millions d'euros pour la même période). Deux au moins de ces entreprises réalisent en France un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros (Sodiaal : 3,1 milliards d'euros en 2012 ; Terra Lacta : 145 millions d'euros pour la même période). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

7. Les activités des parties se chevauchent sur le seul marché du lait de consommation longue conservation.

A. LES MARCHÉS DE PRODUITS

8. A l'occasion de sa décision COMP/M.5046 - Friesland Foods/Campina, la Commission européenne (8) a distingué, au sein du marché de la fabrication et de la commercialisation des produits laitiers, dix principaux segments de marché distincts: (i) les produits laitiers de base (lait, yaourt, crème), (ii) le fromage, (iii) le beurre, (iv) les yaourts à valeur ajoutée et le fromage blanc, (v) les boissons lactées aromatisées, (vi) les desserts lactés frais, (vii) la crème, (viii) les blanchisseurs liquides de café, (ix) les émulsions sèches en bombe et (x) le lactose. Elle a envisagé des sous-segmentations au sein de chacun de ces marchés. Les poudres de lait ont également été identifiées comme des marchés distincts (9).

9. Au cas d'espèce, les activités des parties se chevauchent sur le segment du lait.

1. SEGMENTATION PAR TYPE DE PRODUITS

10. Au sein du marché de la fourniture de lait de consommation, les autorités de concurrence française et communautaire (10) ont distingué le marché du lait UHT du marché du lait frais. Ils diffèrent notamment par leurs caractéristiques de stérilisation (le lait frais est pasteurisé, le lait longue conservation est stérilisé), de conservation (5 à 7 jours pour le lait frais, 6 mois pour le lait UHT) et de prix (le lait frais est plus cher que le lait UHT).

11. En outre, la Commission (11) a considéré que le marché de la fourniture de laits aromatisés constituait un marché distinct, compte tenu de leur composition (mélange de lait et d'une autre boisson comme le jus de fruits). De même, la pratique décisionnelle nationale et communautaire a défini un marché distinct des laits infantiles regroupant à la fois le lait en poudre et le lait sous forme liquide, dans lequel des sous-segmentations sont envisagées en fonction de l'âge de l'enfant (lait 1er âge, 2e âge et lait de croissance). L'opération n'entraine aucun chevauchement d'activités sur ce type de produits.

12. La segmentation du marché du lait UHT entre les différents laits dits spéciaux (lait vitaminé, lait biologique) a été envisagée par la pratique décisionnelle, tout en laissant la question ouverte. En l'espèce, dans la mesure où quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurent inchangées, il n'est pas nécessaire de les définir plus précisément.

2. SEGMENTATION EN FONCTION DU CANAL DE DISTRIBUTION

13. S'agissant des produits alimentaires, la pratique décisionnelle nationale (12) a envisagé une segmentation selon le canal de distribution, en distinguant les produits destinés aux grandes et moyennes surfaces (ci-après " GMS "), les produits destinés à la restauration hors foyer (ci-après " RHF ") et enfin les produits vendus à l'industrie agro-alimentaire (ci-après " IAA "). Cette distinction se justifie notamment par l'existence de besoins différents selon le type d'acheteur (notamment en termes de volumes, de conditionnement, de diversité de gamme etc.).

14. Au cas d'espèce, les parties sont simultanément présentes sur les canaux de la distribution GMS et RHF.

3. POUR LES PRODUITS DESTINÉS AUX GMS, SEGMENTATION EN FONCTION DU POSITIONNEMENT COMMERCIAL DU PRODUIT

15. Conformément à la pratique décisionnelle relative à d'autres marchés de produits alimentaires (13), il convient de s'interroger sur la pertinence d'une segmentation du marché de la vente de lait de consommation longue conservation aux GMS selon le positionnement commercial des produits et d'apprécier si le fournisseur détenant une position importante sur l'un de ces segments serait en mesure d'exercer un pouvoir de marché vis-à-vis des distributeurs ou si ce pouvoir de marché serait confronté à la concurrence des fournisseurs présents sur les autres segments.

16. A titre liminaire, il convient d'indiquer que la pratique décisionnelle dans le secteur des produits laitiers (14) a considéré qu'il n'y avait pas lieu de distinguer les MDD des MPP et MHD, dans la mesure où les différences de qualité et de prix restaient limitées tant au stade de la vente au détail que de la vente en gros. Au cas d'espèce, il est toutefois relevé que les MPP peuvent être fabriqués à partir de lait étranger, ce qui est moins vrai pour les MDD et pratiquement jamais le cas pour les MDF. Les clients et concurrents ayant répondu au test de marché sont divisés quant à la pertinence d'une telle segmentation, les partisans de marchés distincts mettant en avant que le marché des MPP est plus flexible avec des contrats plus courts et que les différences d'emballage impliquent des surcoûts à l'achat. Ainsi, les MDD sont commercialisées en briques " slim " avec bouchon ou en bouteille et les MPP en brique sans bouchon " taille basse ". L'instruction a révélé que les négociations concernant les MDD et MPP fonctionnaient de plus en plus de manière identique, à savoir au moyen de contrats de gré à gré, renégociés plusieurs fois dans l'année. En outre, il n'a pas été relevé de différences de prix significatives entre MDD et MPP. Par conséquent, ces éléments ne sont pas de nature à remettre en cause la pratique décisionnelle. L'analyse sera donc menée sur un segment unique comprenant aussi bien les produits laitiers vendus sous MDD que sous MPP et sous MHD, tout en tenant compte de la spécificité des MPP dans le cadre de l'analyse concurrentielle.

17. Comme l'a déjà observé l'Autorité de la concurrence (15), dans le secteur des produits laitiers comme pour de nombreux autres produits, les modalités d'approvisionnement du circuit GMS diffèrent entre les MDD et les MDF. En effet, les MDD font l'objet d'un cahier des charges défini par l'acheteur (la GMS), qui détaille les caractéristiques attendues du produit. Le fournisseur n'intervient donc qu'en application du cahier des charges et n'a, contrairement aux fournisseurs de MDF, aucun rôle dans la définition des stratégies commerciales de ces marques (décisions de lancement de nouveaux produits, politique de communication, etc.). Par ailleurs, à la différence des MDF, l'identité de l'opérateur qui approvisionne les produits laitiers frais vendus sous MDD reste inconnue du consommateur final. De plus, les produits vendus sous MDD font très généralement l'objet d'appels d'offres alors que les produits vendus sous MDF font l'objet d'un contrat de référencement dans le cadre de négociations de gré à gré où la marque et les efforts promotionnels jouent un rôle important.

18. Cependant, le pouvoir de marché détenu par un fournisseur donné dépend également de facteurs autres que l'organisation par les GMS de leur approvisionnement. En premier lieu, si l'analyse de l'opération concerne exclusivement le marché amont de l'approvisionnement des GMS, le pouvoir de marché que peuvent éventuellement exercer sur ce marché les producteurs de MDF et de MDD est contingent du comportement des consommateurs sur les marchés aval mettant en relation les GMS avec les clients, et donc de la substituabilité, du point de vue des consommateurs, entre les différents produits. Les négociations entre les GMS et leurs fournisseurs prennent donc place dans un contexte concurrentiel différent selon le degré de différenciation des produits en termes de goût, de qualité, de prix ou d'emballage et selon la notoriété des marques de fabricants. Un fort taux de pénétration des MDD sur un segment peut confirmer le fait qu'elles exercent une pression concurrentielle significative sur les MDF. En second lieu, du côté de l'offre, le fait que les mêmes fabricants fournissent les GMS à la fois en produits sous MDD et en produits à leur marque peut constituer un indice de l'appartenance des deux types de produits au même marché.

19. En l'espèce, les parties soutiennent, à l'instar de la Commission (16), qu'il n'y a pas lieu de segmenter le marché du lait de consommation entre MDF et MDD.

20. Le taux de pénétration du lait vendu sous MDD est de 80 % en 2013 et est relativement stable depuis 2 ans. Pour le segment du lait biologique, le taux de pénétration des MDD est de 11,9 % et pour celui du lait vitaminé, de 2,9 % pour la même année. Si la majorité des clients et concurrents considère qu'il est pertinent de retenir deux marchés distincts compte tenu des spécificités de la négociation, ils sont presque unanimes pour reconnaitre qu'il n'y a aucune différence en termes de goût ou de qualité entre le lait MDF et le lait MDD et la plus grande partie d'entre eux relève que la marque n'est pas un critère de choix pour le consommateur, du moins pour le lait conventionnel (le consommateur étant toutefois, plus fidèle à une marque pour les laits spécifiques tel le lait vitaminé ou le lait biologique). En ce qui concerne l'offre, il convient de noter que les principaux acteurs du marché à savoir Lactalis et Orlait commercialisent à la fois des MDD et des MDF (17).

21. En tout état de cause, la question de la segmentation selon le positionnement commercial de chacun des produits laitiers concernés par l'opération peut rester ouverte, dans la mesure où quelle que soit l'hypothèse envisagée, l'analyse concurrentielle demeure inchangée.

22. Les parties commercialisent leurs produits à la fois sous MDF et sous MDD ou MPP. Terra Lacta commercialise principalement des MDD mais également des marques régionales. En vertu du contrat de distribution, seuls les produits commercialisés sous la marque Petit Vendéen et Lescure seront distribués par Orlait. La partie notifiante considère que ces produits doivent être assimilés à des MPP. Elle fait valoir, d'une part, que les marques de Terra Lacta sont constituées de produits dont le prix de vente au consommateur est proche voir inférieur à celui des MPP en magasin et ne font l'objet d'aucun soutien propre aux marques de fabricants (publicité, innovations, mises en avant). D'autre part, les modalités de négociation des produits des marques en cause sont semblables à celles des produits MPP, à savoir des négociations de gré-à-gré avec la grande distribution, contrairement aux MDF qui font l'objet de négociations annuelles. Cependant, à la différence des produits vendus sous MDD ou MPP, pour lesquels l'identité de l'opérateur qui approvisionne la GMS reste inconnue du consommateur final, les marques Petit Vendéen et Lescure ont une identité visuelle indiquant leur appartenance à la coopérative Terra Lacta (ou Glac, l'ancien nom de la coopérative). Au total, les volumes concernés ont été comptabilisés dans les MDF mais il sera tenu compte dans l'analyse concurrentielle du caractère limité des interactions concurrentielles entre ces produits, qui ne sont disponibles qu'au niveau régional, et les marques nationales, telles Candia ou Lactel.

B. LE MARCHÉS GEOGRAPHIQUES

23. La Commission, après avoir envisagé une dimension communautaire du marché (18), a retenu une dimension nationale pour les marchés du lait UHT (19).

24. Il n'y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l'occasion de la présente décision.

III. Analyse concurrentielle

A. CONTEXTE ÉCONOMIQUE DU SECTEUR

25. Quatre types de produits permettent de valoriser le lait de vache (i) les produits ultra frais, (ii) les fromages, (iii) le lait de consommation et (iv) les produits industriels (poudres de lait, poudres de lactoserum, caséines, beurre...). Les trois premiers types de produits sont regroupés sous l'appellation produits de grande consommation (" PGC "). Les poudres de lait peuvent être stockées 3 ou 4 ans et sont vendues sur le marché mondial. Chacun de ces types de produits a une valorisation différente. D'une manière générale, les produits ultra frais et les fromages sont ceux pour lesquels la valorisation est la plus grande, suivi par le lait de consommation puis les produits industriels. Sur la longue période, la demande de produits laitiers s'est fortement contractée : en 1996, les français consommaient 75 litres de lait/an/habitant, contre à 60 litres en 2007 et 41 litres en 2012 (20). Le prix du lait est également sujet à de fortes variations conjoncturelles : le prix du lait s'est fortement accru en 2007/2008 avant de retomber en 2008/2009 du fait de la crise, entraînant une forte baisse des revenus des éleveurs laitiers.

26. Jusqu'au début des années 2000, le secteur laitier était réglementé, via (i) des prix administrés (prix indicatifs fixés annuellement par le Conseil de l'Union européenne pour les produits de qualité standard), (ii) un système de quotas laitiers (limites fixées par an et par Etat membre) et, (iii) un mécanisme d'intervention par lequel la Commission européenne était tenue de procéder à des achats de produits laitiers industriels lorsque les prix du marché descendaient en dessous d'un seuil indicatif.

27. Le système de prix administrés a ensuite été démantelé et l'Union européenne s'est engagée dans un mouvement d'augmentation des quotas laitiers qui devraient être complètement supprimés en 2015. Le mécanisme d'intervention sur les produits laitiers industriels a par ailleurs été plafonné. Cette libéralisation a rapproché les évolutions de prix de celle des cours internationaux. En France, le prix payé aux producteurs est l'objet d'accords entre les producteurs, les transformateurs et les distributeurs. Aux termes des accords du 3 juin 2009, des indices de référence sont publiés par l'interprofession laitière au niveau régional. Ces indices prennent en compte un certain nombre de critères, dont un indice économique calculé par le CNIEL qui prend lui-même en compte les cours mondiaux du beurre et de la poudre ou encore l'écart de compétitivité entre la France et l'Allemagne, premier producteur européen (21).

B. LE MARCHE DE LA FOURNITURE DE LAIT DE CONSOMMATION UHT A DESTINATION DE LA RHF

28. Sur ce marché, les transformateurs vendent du lait de consommation à des grossistes. Ces derniers les distribuent à leur tour à des acteurs de la restauration sociale (écoles, hôpitaux, armée) et à des sociétés de restauration (Sodhexo, cafétérias ...).

29. Le lait de consommation est essentiellement vendu sous un conditionnement similaire à celui du lait vendu aux GMS sous MPP. La RHF est en effet un secteur insensible aux marques, le consommateur client final n'étant jamais en contact direct avec le conditionnement.

30. Sur ce marché, la part de marché de la nouvelle entité sera de [40-50] % ([40-50] % pour Orlait/Candia, [5-10] % pour Terra Lacta) et fera face à la concurrence d'opérateurs significatifs tels que Lactalis ([20-30] %), LSDH ([10-20] %) et Arla ([5-10] %).

31. Par ailleurs, la concurrence sur ce marché s'exerce dans le cadre d'appel d'offres organisé par les grossistes ou les entreprises de la RHF et la position des acteurs est en conséquence susceptible de varier significativement d'une année sur l'autre.

32. Il en résulte que l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché du lait UHT à la RHF.

C. LE MARCHÉ DE LA FOURNITURE DE LAIT DE CONSOMMATION UHT À DESTINATION DE LA GMS

1. POSITION DES PARTIES ET DE LEURS CONCURRENTS

33. Les positions des parties et de leurs concurrents sur les différents segments sont les suivantes :

<emplacement tableau>

34. Sur un marché du lait conventionnel, la prise de contrôle des volumes de Terra Lacta place Orlait/Candia en position de leader avec des parts de marché supérieures à [50-60] %, tant sur un marché global regroupant MDD et MDF que sur chacun de ces segments pris séparément. Sur les MDF, l'opération créée une situation du duopole à 50 %/50 % avec Lactalis. Cependant, sur ce segment, Candia renforce ses positions avec les marques régionales de Terra Lacta dont la substituabilité avec la marque Candia est imparfaite. Sur les MDD, Orlait renforce significativement sa position, qui atteint [50-60] % du marché. De même, sur un marché regroupant MDD et MDF, Orlait/Candia devance largement les acteurs concurrents, avec [50-60] % contre [20-30] % pour Lactalis, [5-10] % pour LSDH et [0-5] % pour Laiterie de Saint Père.

35. Sur le segment du lait biologique, les activités des parties ne se chevaucheront que sur le segment des MDD avec une part de marché cumulée de [40-50] % et un incrément de [5-10] %. Sur un marché global regroupant MDD et MDF, la part de marché cumulée des parties n'est que de [30-40] %, derrière Lactalis ([40-50] %).

36. Sur le segment du lait vitaminé, les activités des parties ne se chevaucheront que sur le segment des MDD avec une part de marché cumulée de [40-50] % et un incrément de [20-30] %. Dans la mesure où Orlait/Candia était déjà, avant l'opération, en position de quasi-monopole sur le segment des MDF, la prise de contrôle des volumes MDD de Terra Lacta conforte sa position sur un marché regroupant MDD et MDF avec des parts de marché cumulées de [90-100] % pour un incrément limité à [0-5] %.

37. Au total, l'opération entraine un renforcement de la position d'Orlait/Candia face à ses trois principaux concurrents.

2. ANALYSE DES EFFETS UNILATÉRAUX

38. Dans la mesure où l'opération conduit à un renforcement significatif d'Orlait/Candia et à la disparition d'un concurrent sur les marchés de la fourniture de lait UHT aux GMS, il convient d'apprécier si elle permettra à Orlait/Candia d'augmenter ses prix de façon profitable.

39. En effet, avant l'opération, une augmentation des prix d'Orlait/Candia se serait traduite par le report d'une partie de la demande vers ses concurrents, report qui aurait pesé sur la rentabilité de cette stratégie commerciale. Il en était de même pour une augmentation des prix de Terra Lacta. Du fait de l'opération, les perspectives de rentabilité pourraient être différentes en cas d'augmentation des prix d'Orlait/Candia (alternativement Terra Lacta) dans la mesure où une partie de la demande ne se reporterait plus vers ses concurrents mais vers Terra Lacta (alternativement Orlait/Candia).

40. L'analyse des effets unilatéraux entraînés par une concentration s'effectue sur la base d'un faisceau d'indices. Ce faisceau inclut notamment les résultats de l'addition des parts de marché des parties à l'opération, la nature de la concurrence qui s'exerce sur le marché, la pression concurrentielle des concurrents actuels ou celle qui émane de concurrents potentiels et le contre-pouvoirs de la demande. L'Autorité examine ainsi, outre les parts de marché des parties, l'éventuel déséquilibre des forces en présence à l'issue de la concentration, les déterminants de la stratégie commerciale de la nouvelle entité, en particulier tarifaire, et la capacité de réplique des concurrents. Cette analyse porte donc non seulement sur l'environnement concurrentiel pertinent, mais aussi sur les stratégies que cet environnement induit, pour en tirer des prédictions sur le comportement des opérateurs dans une vision prospective.

41. Un test quantitatif tel le test GUPPI (" gross upward pricing pressure index ") peut venir compléter utilement ce faisceau d'indices en précisant les déterminants des incitations de la nouvelle entité à augmenter ses prix et en donnant quelques approximations chiffrées de ces incitations.

a) La pression concurrentielle des concurrents actuels

42. Le marché du lait de consommation est très concentré. Les seuls concurrents identifiés sont Lactalis, LSDH et Saint Père :

- Lactalis est un groupe intégré et multi produits. Ses principales activités consistent en la collecte de lait ainsi que la production et la commercialisation de lait et de produits laitiers y compris une grande variété de fromages, desserts et crèmes ainsi que des produits laitiers ultra frais. Lactalis commercialise du lait de consommation à partir de sa marque Lactel ainsi que sous forme de MDD.

- LSDH est à l'origine un groupe laitier, aujourd'hui spécialisé dans le conditionnement de liquides aseptiques et réfrigérés et dans la production de boissons rafraichissantes. L'offre de LSDH se compose notamment de jus de fruits, laits, crèmes, boissons infantiles et diététiques, sirops et soupes. S'agissant du lait, celui-ci est exclusivement commercialisé sous forme de MDD.

- Laiterie Saint Père appartient au groupement de distribution Les Mousquetaires. Elle est spécialisée dans la fabrication de lait longue conservation, desserts lactés, beurre, crème fraiche et yaourts. Jusqu'en 2009, ses produits étaient exclusivement vendus sous la marque de distributeur Pâturages au sein des 1 800 magasins du groupement Les Mousquetaires. Depuis 2010, l'entreprise commercialise également ses produits à travers d'autres débouchés externes (RHF, autres enseignes de GMS).

43. Les parties considèrent que sur un marché excédentaire, les concurrents, qui n'ont pas la garantie d'approvisionnement d'une coopérative, n'auront aucun mal à s'approvisionner en lait, soit sur le marché spot, soit par des importations. Elles considèrent par ailleurs que leurs concurrents ont des capacités de production disponibles, leur permettant de répondre à un éventuel report de la demande en cas de hausse des prix.

L'accès à la matière première

44. Il convient de noter que Lactalis et Laiterie Saint Père entretiennent des partenariats de long terme avec leurs agriculteurs producteurs de lait et n'ont donc pas a priori de difficulté d'accès à la matière première. Seule LSDH, qui dispose d'un réseau d'agriculteurs moins étendu, rencontre plus de problèmes pour ses approvisionnements en lait et recourt régulièrement au marché spot.

45. Le marché spot est alimenté par l'ensemble des entreprises qui collectent du lait cru chez les éleveurs de vaches laitières (environ 100 entreprises dans la filière laitière telles qu'Agrial, Bongrain, Sodiaal, Laïta, Danone, La prospérité fermière...). C'est un marché d'ajustement qui permet aux entreprises excédentaires de façon conjoncturelle de vendre leur lait aux entreprises déficitaires. Or, le marché du lait collecté est globalement excédentaire en France et les parties estiment que la somme des excédents de collecte était supérieure à 4 milliards de litres par an entre 2008 et 2011 (22). Le marché spot représenterait entre 2 et 3 % du lait collecté, soit plus de 500 millions de litres par an (23). Sodiaal a écoulé [...] de litres entre 2010 et 2012 sur le marché spot pour gérer ses excédents de collecte. Compte tenu du caractère périssable du lait, c'est effectivement un débouché indispensable pour gérer les excédents des acteurs de la filière.

46. Ce marché est dit " de gré à gré " car il n'y a pas de cours, les négociations étant bilatérales entre les vendeurs et les acheteurs. Les prix de cession dépendent de l'offre et de la demande et sont généralement liés au prix du beurre et de la poudre de lait sur le marché européen, produits qui représentent les débouchés du lait excédentaire, sauf en été en raison de la baisse naturelle de production de lait. La majorité des acteurs du marché relève qu'il est peu rentable de vendre les excédents de lait sur le marché spot. Cependant, si en 2012 le prix d'achat du lait spot était nettement inférieur au prix d'achat moyen du lait de collecte, cela est moins vrai en 2013, où le prix du lait sur le marché spot a sensiblement augmenté.

47. Compte tenu de ces éléments, le marché spot est susceptible de constituer pour les concurrents des parties une source d'accès à la matière première importante, et ce, même si Orlait/Candia décidait d'accroître sa production de lait en poudre et donc de réduire ses ventes sur ce marché.

48. En outre, les parties estiment qu'il serait facile pour ses concurrents de recourir d'avantage à du lait importé pour absorber un éventuel report de la demande, le lait importé représentant actuellement 9,4 % du lait commercialisé en MDD/MPP/MHD en France. Certains acteurs interrogés dans le cadre du test de marché relativisent fortement cette possibilité et soulignent l'importance que revêt l'origine du lait pour le consommateur. Cependant, d'autres opérateurs précisent que l'attachement du consommateur au lait français est relatif et qu'il tournerait vers le lait importé en cas de hausse significative des prix du lait d'origine française.

49. Enfin, les volumes de lait actuellement transformés en produits industriels (notamment le lait en poudre) pourraient fournir une source d'approvisionnement additionnelle pour les producteurs de lait UHT en cas de report de demande. Le lait UHT semble en effet plus rentable que le lait en poudre : en 2013, malgré la forte hausse des prix industriels, la baisse des volumes de collecte en France a entrainé une diminution de la production de poudre de lait et, dans une moindre mesure, de beurre, alors que les volumes de lait conditionné resteraient stables. Cela indique que malgré les hausses de valorisation des produits industriels, le lait UHT reste le produit le plus rentable.

50. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les concurrents des parties rencontrent peu de difficultés d'accès à la matière première.

Les capacités excédentaires de transformation et d'embouteillage

51. Les parties estiment les capacités disponibles de traitement et d'embouteillage des concurrents à 975 millions de litres, dont 675 millions de litres pour Lactalis.

52. Le test de marché relativise fortement les données des parties relatives aux capacités de production disponibles de leurs concurrents. En effet, Lactalis a annoncé avoir des capacités disponibles inférieures à 50 millions de litres, tout comme LSDH et Saint Père. Il en résulte que le marché dispose de capacités industrielles excédentaires de 135 millions de litres au maximum, ce qui est faible sur un marché global d'environ 3 milliards de litres.

53. Cependant, l'Association de la Transformation Laitière (" Atla ") souligne que, le marché français du lait de consommation étant en baisse (- 3,3 % à fin 2013 et -2,2 % à fin 2012), les entreprises font forcément face à des surcapacités de transformation.

54. De plus, les opérateurs interrogés dans le cadre du test de marché ont indiqué que les barrières à l'entrée dans ce secteur étaient faibles (à l'exception du lait biologique qui nécessite une certification spéciale). Si l'arrivée d'un nouvel entrant est peu probable sur un marché en baisse et dont le prix de revient est trop faible pour attirer un nouvel exploitant, les acteurs déjà actifs sur le marché pourraient augmenter leurs capacités de transformation et d'embouteillage si cela s'avérait nécessaire. En effet, les acteurs du marché estiment qu'un investissement de 3 à 5 millions d'euros environ est nécessaire pour disposer d'un potentiel de production annuelle de 60 millions de litres de lait. Il apparait ainsi, au vu de ces estimations, que les coûts fixes d'entrée sont relativement faibles. Cette faculté est confirmée dans les faits, un opérateur ayant indiqué qu'il comptait augmenter de 20 % ses capacités industrielles au cours des deux prochaines années.

b) La concurrence potentielle des producteurs étrangers

55. Les parties estiment qu'il serait facile pour les GMS de recourir d'avantage à du lait importé pour s'opposer à une éventuelle augmentation des prix des parties.

56. Certains répondants au test de marché contestent cette possibilité et soulignent l'importance que revêt l'origine française du lait pour le consommateur (qualifié de plus en plus " responsable " et " exigeant "). Cela se traduit dans les comportements d'achat de la grande distribution. En effet, à l'exception de Leclerc, qui s'approvisionne en lait étranger pour ses MDD, les distributeurs ne font appel au lait étranger que pour les MPP et dans des proportions réduites (en moyenne dans la limite de 5 % de leurs approvisionnements). Certaines, comme Intermarché, ont même adopté une politique d'enseigne qui vise à commercialiser du lait exclusivement français, tous segments confondus.

57. Toutefois, d'autres répondants au test de marché tempèrent cette affirmation et confirment que le lait étranger représente environ 10 % du lait consommé en France. Ils précisent que l'attachement du consommateur au lait français est relatif dans la mesure où celui-ci se tournerait vers du lait étranger en cas de hausse significative des prix. Une telle hypothèse s'est d'ailleurs produite en 2009 et le marché avait vu la forte progression de l'allemand MUH. Si les prix devaient augmenter en France, à l'instar de ce qu'il s'est passé en 2009, les producteurs étrangers pourraient donc être en mesure de déstabiliser le marché français avec des prix plus compétitifs.

58. En outre, l'ensemble des répondants au test de marché considère que l'allemand MUH, le belge Campina et le Scandinave Arla Foods peuvent devenir des acteurs significatifs sur le marché français. On assiste d'ailleurs aujourd'hui à l'entrée du belge Solarec qui, bien qu'avec une part de marché marginale, investit dans le lait UHT et écoule ses excédents en France.

59. En conséquence, les producteurs étrangers de lait UHT exercent une certaine pression concurrentielle sur les producteurs français.

c) Le contre-pouvoir de la demande

60. S'agissant des marchés de la commercialisation de produits alimentaires à destination de la grande distribution, l'Autorité a souligné dans de précédentes décisions (24) que les GMS disposent d'un pouvoir de négociation important vis-à-vis de leurs fournisseurs, particulièrement en ce qui concerne leur approvisionnement en MDD. Celui-ci résulte à la fois de la concentration des groupes de grande distribution, de leur organisation en tant qu'acheteurs professionnels et de la remise en cause annuelle des contrats d'approvisionnement en produits MDD.

61. Le test de marché a confirmé cette analyse, les acteurs indiquant que les GMS avaient toujours plusieurs fournisseurs, principalement pour sécuriser leur approvisionnement en cas de problème technique ou de qualité avec un fournisseur mais aussi pour optimiser la concurrence entre fournisseurs.

62. Cela est également corroboré par les données fournies par Orlait/Candia relatives à ses ventes auprès de différents distributeurs et qui démontrent que sa part de marché dans les achats des distributeurs peut fortement varier d'une année sur l'autre. Certains fabricants ont confirmé avoir été déréférencés pas des enseignes de la grande distribution.

d) Estimation du risque de hausse de prix à partir du calcul des indices GUPPI

63. Les indices GUPPI permettent de calculer le niveau des hausses de prix qui pourrait être profitable pour les parties à une concentration. Lorsque les entreprises A et B fusionnent, A peut en effet être tentée d'augmenter son prix car une partie des ventes perdues sera désormais récupérée par l'entreprise B.

64. Ce test GUPPI (25), nécessite de disposer des taux de report de clientèle en cas de hausse des prix entre les produits concernés (ou " ratios de diversion "), des taux de marge sur coût variable et des prix et des volumes des parties.

65. En l'espèce, les calculs ont été effectués pour les laits conventionnels, sur des données de l'année 2013 en distinguant MDD et MDF, en considérant Orlait et Candia comme une entité unique et en faisant abstraction des laits de chèvre, laits de croissance, laits gourmands, laits biologiques et laits vitaminés de l'analyse. Les taux de marge sur coût variable, les prix et les volumes ont été calculés à partir des données fournies par les parties. Concernant les ratios de diversions, il a été considéré que les ratios de diversion dépendaient de la nature des produits, ce qui implique que les consommateurs de MDD se reporteront vers des MDD et les consommateurs de MDF vers des MDF (26).

66. On a d'abord calculé les indices GUPPI d'Orlait vers Terra Lacta, c'est-à-dire l'incitation des parties à augmenter les prix des produits Orlait, compte tenu de l'effet de report vers les produits Terra Lacta, puis les indices GUPPI de Terra Lacta vers Orlait.

67. Les résultats sont les suivants :

<emplacement tableau>

68. Comme le soulignent les lignes directrices de l'Autorité relatives au contrôle des concentrations, " cet indice peut permettre de mesurer l'amplitude de la hausse de prix à condition de disposer de données précises sur le taux de répercussion des variations de coûts (i.e., taux de pass-on) par les entreprises avant l'opération. En effet, le produit de ce taux de répercussion et de l'indice GUPPI donne une estimation directe de la hausse de prix que l'opération est susceptible d'engendrer en l'absence de tout gain d'efficacité. Cette mesure du taux de répercussion peut par exemple être obtenue à partir de données historiques de coûts variables et de prix des entreprises parties à l'opération. En l'absence d'une telle mesure, l'indice pourra servir de filtre afin de vérifier si l'opération est susceptible de générer des effets importants. Une valeur limite de 5 à 10 % pourrait ainsi être retenue pour un tel filtre ".

69. En conséquence, en l'absence d'information précise sur les taux de répercussion en l'espèce, les niveaux de GUPPI calculés permettent d'écarter toute incitation des parties à augmenter les prix, sauf pour les MDF de Terra Lacta, pour lesquels ils suggèrent qu'une augmentation des prix des marques de Terra Lacta serait rentable compte tenu de la demande qui serait récupérée par Orlait.

70. Cependant, s'agissant de ces produits il convient de rappeler que le Petit Vendéen et Lescure sont des marques régionales et non nationales et que cette distinction n'est pas prise en compte dans les indices calculés ci-dessus. Or, une hausse de prix des marques régionales de Terra Lacta serait susceptible de conduire certains consommateurs de ces marques à se reporter vers des MDD plutôt que vers des MDF, les MDD d'Orlait présentant des marges et des parts de marché plus faible que ses MDF. De ce fait, les reports vers les marques de Candia, en cas d'augmentation des prix des marques de Terra Lacta, sont surévalués si l'on prend en compte une moindre attractivité des marques régionales par rapport au marques nationales, et l'indice GUPPI des MDF en cas d'augmentation des prix des produits Terra Lacta est par conséquent surévalué.

71. Au total, cette approche chiffrée conforte les indications données par l'ensemble des autres éléments du faisceau d'indices examinés ci-dessus. Compte tenu des parts de marché et des niveaux de marge respectifs d'Orlait et de Terra Lacta, une hausse de prix des produits de la nouvelle entité paraît peu probable dès lors que les concurrents ont les capacités de production suffisantes pour absorber les reports de demande que causerait cette hausse de prix et d'autant plus que les clients disposent d'un fort contre-pouvoir. En conséquence, l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché du lait de consommation UHT à la GMS, par le biais d'effets unilatéraux.

3. ANALYSE DES EFFETS COORDONNÉS

72. Une opération peut modifier la nature de la concurrence sur le marché de telle sorte que les entreprises qui, jusque-là, ne coordonnaient pas leur comportement, soient beaucoup plus susceptibles de le faire, ou, si elles coordonnaient déjà leur comportement, puissent le faire plus facilement. On parle alors d'effets coordonnés, création ou renforcement d'une position dominante collective ou d'un oligopole collusif, l'opération augmentant les incitations et la capacité des entreprises présentes sur le marché à maintenir tacitement un équilibre collusif. La coordination dont il s'agit ici est " tacite " et non " expresse ", chaque entreprise étant supposée continuer à se comporter de manière indépendante, en fonction de ses intérêts propres.

73. De tels effets sont possibles lorsque, sur un marché oligopolistique ou sur un marché fortement concentré, une opération de concentration a comme résultat que, prenant conscience des intérêts communs, chaque membre de l'oligopole concerné considérerait possible, économiquement rationnel et donc préférable d'adopter durablement une même ligne d'action sur le marché dans le but de vendre en dessous des prix concurrentiels, sans devoir procéder à la conclusion d'un accord ou recourir à une pratique concertée au sens des articles L. 420-1 du Code de commerce ou 101 TUE et ce, sans que les concurrents actuels ou potentiels, ou encore les clients et les consommateurs, puissent réagir de manière effective.

74. En l'espèce, l'opération notifiée entraîne la disparition d'un acteur indépendant du marché de la fourniture de lait de consommation UHT et accroit le taux de concentration d'un marché déjà oligopolistique. En effet, à l'issue de l'opération, en fonction des segmentations envisagées, 85 à 90 % du marché du lait de consommation, seront détenus par les quatre premiers acteurs. Il convient dès lors d'examiner le risque de création ou de renforcement d'une position dominante collective sur ce marché.

75. L'arrêt Airtours/First Choice du Tribunal (27) et l'arrêt Impala de la Cour de Justice de l'Union européenne (28) ont précisé les conditions nécessaires aux fins d'appréciation des effets coordonnés : condition de compréhension, condition de détection, condition de dissuasion et condition de non-contestation. En l'espèce, ces conditions ne sont pas réunies en raison de la structure du marché.

76. En effet, les principaux acteurs sont caractérisés par une grande asymétrie entre leurs situations respectives et donc leurs intérêts stratégiques. LSDH et Saint Père sont des petites entreprises qui opèrent presque essentiellement sur le marché français. Lactalis et Orlait, quant à eux, sont adossés à des groupes multinationaux et commercialisent une large gamme de produits. Cette asymétrie se retrouve dans le type de produits commercialisés. En effet, LSDH et Saint Père commercialisent des MDD tandis que Lactalis et Orlait commercialisent également des MDF notoires, soutenues par des budgets publicitaires conséquents. Dans ces conditions, une définition commune de la manière dont devrait fonctionner une coordination serait peu aisée et donc peu probable.

77. Le marché concerné par l'opération est de nature opaque. Par conséquent, un équilibre collusif sur ce marché serait difficilement soutenable en raison, notamment, des modes de négociation des prix avec la grande distribution et de la puissance de la demande qui fait face aux parties.

78. La disproportion entre le LSDH et Saint Père, d'un côté, et Lactalis et Orlait, de l'autre, rend de plus peu crédible le fait que l'opération puisse, en renforçant la position d'Orlait sur le marché concerné par l'opération, lui donner la possibilité d'assurer la discipline d'une éventuelle coordination.

79. En conséquence, l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché du lait de consommation UHT à la GMS, par le biais d'effets coordonnés.

DECIDE

Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 13-161 est autorisée.

Notes

1 Sodiaal détient 84 % du capital de Candia, les actionnaires minoritaires ne possédant pas de droit de veto susceptible de leur conférer une influence déterminante sur Candia.

2 CFR est une société en commandite par actions, comprenant un unique associé commandité, la société CFR Gestion Sas, et deux actionnaires commanditaires, Sodiaal (50 %) et Bongrain (50 %) ; le capital de la société CFR Gestion SAS, associé commandité unique et gérant de CFR, est détenu lui-même, à parts égales, par Bongrain et Sodiaal.

3 Le capital de la SAS Régilait est réparti, à parts égales, entre Laïta et Sodiaal, ces deux derniers groupes étant représentés à parité dans les organes de direction de Régilait.

4 Lettre du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie C/2006-51 du 24 août 2006, aux conseils de la société Sodiaal, relative à une concentration dans le secteur du lait

5 Opération autorisée par une décision de l'Autorité de la concurrence n° 13-DCC-115 du 26 août 2013.

6 A l'exception des volumes produits sur le site de Fayes soit 10 millions de litres par an.

7 Notamment décisions COMP/M.3136 - GE/AGFA NDT du 5 décembre 2003 et COMP/M.3858 - Lehman Brothers/SCG/Starwood/Le Meridien du 20 juillet 2005.

8 Voir la décision de la Commission européenne n° COMP/M.5046 - Friesland Foods/Campina du 17 décembre 2008.

9 Voir notamment la décision n° 10-DCC-110 du 1er septembre 2010 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Entremont par le groupe Sodiaal et la décision de la Commission européenne n° COMP/M.6119 Arla/Hansa du 1er avril 2011.

10 Décision du ministre C2006-51 du 24 août 2006 Sodiaal/Orlait, décision de la Commission M.3130 du 10 juin 2003, Arla Foods/Express Dairies.

11 Décision M.313 précitée.

12 Lettre du ministre n° C 2005-78 et décision n° 10-DCC-110 précitées.

13 Voir par exemple les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 12-DCC-92 du 2 juillet 2012 concernant les vins tranquilles, n° 11-DCC-187 du 13 décembre 2011 concernant les spiritueux, ou encore n° 11-DCC-150 du 10 octobre 2011 concernant le cidre, n° 10-DCC-110 du 1er septembre 2010 et 13-DCC-115 du 26 août 2013 concernant les fromages.

14 Voir notamment les décisions 13-DCC-97, 13-DCC-47, 10-DCC-110, C2005-78 et C2007-73 précitées.

15 Voir notamment la décision n° 13-DCC-97 du 22 juillet 2013 relative à la prise de contrôle conjoint des sociétés Eurial SAS et Filae SAS par les groupes coopératifs Agrial et Eurial.

16 Décision de la Commission n° COMP/M.5046, Friesland Foods/Campina du 17.12.2008.

17 LSDH et Saint Père ne commercialisent que des MDD.

18 COMP/M.5046 précité.

19 COMP/5875 - Lactalis/Puleva Dairies ; COMP/M.6242 - Lactalis/Parmalat et COMP/M.66611 Arla/Milk Link.

20(source : CNIEL et les parties

21 Voir le site : http://www.agri72.fr/Comprendre-le-prix-du-lait-info-conseils-numero-63.php.

22 A partir des données suivantes : Analyse CRA de données CNIEL - Agreste et du rapport " Prix et coûts dans l'Agroalimentaire ", Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, Octobre 2012.

23 La collecte laitière française s'établit en 2013 à 23,7 milliards de litres.

24 Voir les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-110 précitée et n° 13-DCC-23 du 28 février 2013 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe coopératif Agrial de plusieurs sociétés du groupe Bakkavör et 13-DCC-115 précitée.

25 GUPPIA = (PB-cB) RDA=>B / PA. Dans cette formule, (PB-cB) est la marge brute sur coût variable du produit B, PA le prix du produit A et RDA=>B le ratio de diversion du produit A vers le produit B.

26 En l'absence de données plus précises sur les préférences des consommateurs ou des GMS pour les différents producteurs, les ratios de diversion sont supposés proportionnels aux parts de marché. On a alors RDA=>B =PDM B /(1- PDM A ). Avec PDM A la part de marché du produit A et PDM B la part de marché du produit B.

27 Tribunal, T-342-99, Airtours c/Commission, 6 juin 2002.