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Décisions

Cass. com., 3 juin 2014, n° 12-29.482

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Bes Ravise SCP (ès qual.), Lectiel (Sté)

Défendeur :

Orange (SA), De Bois-Herbaut (ès qual.), Group/adress (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Rapporteur :

Mme Tréard

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, SCP Piwnica, Molinié

Paris, du 30 sept. 2008

30 septembre 2008

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 23 mars 2010, n° 08-21.768 et 08-20.427), que la société Lectiel, qui avait pour activité la commercialisation, la mise à jour et l'enrichissement de fichiers en vue d'opérations de publipostage et de télémercatique, commercialisait notamment, les données contenues dans la base annuaire de la société France Télécom ; que souhaitant ne pas enfreindre les dispositions du Code des postes et télécommunications, la société Lectiel a demandé à la société France Télécom de lui communiquer la liste, dite orange, des personnes qui s'étaient inscrites pour ne pas faire l'objet de sollicitations commerciales ; que la société France Télécom a refusé cette communication au motif qu'elle lui était interdite, mais a proposé à la société Lectiel de recourir à son service spécifique "Marketis" qui lui permettrait, moyennant une certaine somme, d'avoir accès aux données expurgées de l'annuaire; que soutenant qu'en imposant à ses concurrents de recourir à un service payant, la société France Télécom abusait de sa position dominante, la société Lectiel l'a fait assigner devant le tribunal de commerce, qui, par jugement du 4 janvier 1994, a rejeté ses demandes ; que parallèlement à cette instance, la société Lectiel a saisi le Conseil de la concurrence des mêmes griefs à l'encontre de la société France Télécom ; qu'annulant la décision rendue par le Conseil de la concurrence et statuant à nouveau, la Cour d'appel de Paris a, par un arrêt du 29 juin 1999, devenu irrévocable, jugé que les conditions tarifaires mises en œuvre par la société France Télécom caractérisaient un abus de position dominante, lui a infligé une amende et lui a enjoint de mettre fin à ces pratiques en fournissant à toute personne qui lui en ferait la demande, la liste consolidée comportant les informations contenues dans l'annuaire universel et de proposer un service permettant la mise en conformité des fichiers avec la Liste orange, à un prix orienté vers les coûts liés aux opérations techniques nécessaires pour répondre à cette demande ; que statuant sur appel du jugement du 4 janvier 1994, la cour d'appel a, par arrêt du 30 septembre 2008, notamment retenu que la société France Télécom n'avait pas commis de faute à l'égard de la société Lectiel à raison du non-respect des injonctions qui lui avaient été faites, et a rejeté sa demande de dommages-intérêts ; que cet arrêt a fait l'objet, sur ce point, d'une cassation partielle ; que la société Lectiel ayant été mise en liquidation judiciaire, la SCP Bes Ravise est intervenue dans ces différentes instances en qualité de liquidateur ;

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche : - Vu les articles 624 et 625 du Code de procédure civile, ensemble les articles 1351 et 1382 du Code civil ; - Attendu que pour écarter la demande d'indemnisation du préjudice résultant des pratiques anticoncurrentielles reprochées à la société France Télécom, la cour d'appel retient que la cassation intervenue n'a pas remis en cause les termes de l'arrêt du 30 septembre 2008 écartant toute faute de la société France Télécom pour n'avoir pas appliqué les injonctions décidées par l'arrêt du 29 juin 1999 quant aux tarifs à appliquer ;

Attendu qu'en statuant ainsi, sur renvoi d'une cassation ayant atteint le chef du dispositif de l'arrêt du 30 septembre 2008 confirmant le rejet de la demande de dommages-intérêts formée par les sociétés Lectiel et Groupadress au titre des pratiques anticoncurrentielles retenues à l'encontre de la société France Télécom par l'arrêt du 29 juin 1999 et aggravées par le non-respect de l'injonction prononcée par le même arrêt , la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Sur le moyen, pris en sa troisième branche : - Vu l'article 1382 du Code civil, ensemble les articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du Traité instituant la Communauté européenne devenu 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; - Attendu que pour écarter la demande d'indemnisation du préjudice résultant des pratiques anticoncurrentielles reprochées à la société France Télécom, l'arrêt retient que les agissements considérés comme constitutifs d'abus de position dominante par l'arrêt du 29 juin 1999 tiennent exclusivement non à la vente mais à la fourniture par la société France Télécom des informations litigieuses à des tarifs excessifs compte tenu de la perception de droits de propriété intellectuelle tandis que la cour d'appel, par son arrêt du 30 septembre 2008, a admis une telle perception et que la faute imputée à la société France Télécom, pour n'avoir pas respecté les injonctions faites par ce même arrêt concernant la fixation du prix, n'était pas caractérisée dans la mesure où cette dernière n'avait pas, jusqu' au 9 décembre 2003, tous les éléments pour se conformer à l'arrêt du 29 juin 1999 ;

Attendu qu'en statuant ainsi, après avoir relevé que le droit d'inclure dans les tarifs la rémunération de droits de propriété intellectuelle, reconnu à la société France Télécom par l'arrêt du 30 septembre 2008 non atteint par la cassation partielle intervenue, l'avait été sous réserve de l'obligation qui lui était faite de fournir les données litigieuses dans le respect des principes de concurrence, et constaté la fourniture d'informations à un coût excessif à compter de 1993 et le fait que la société France Télécom n'avait été en mesure de le fixer à un niveau conforme qu'à compter de décembre 2003, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le moyen, pris en sa sixième branche : - Vu l'article 1382 du Code civil, ensemble les articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du Traité instituant la Communauté européenne devenu 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; - Attendu que pour écarter la demande d'indemnisation du préjudice résultant des pratiques anticoncurrentielles reprochées à la société France Télécom, la cour d'appel retient que la société Lectiel, qui ne peut revendiquer que le préjudice résultant de la perte de chance de se développer à moindre coût sur un marché à raison de la différence entre le prix qu'entendait lui facturer la société France Télécom et celui qu'elle était fondée à appliquer au regard des dispositions de l'arrêt du 29 juin 1999 si elle n'avait pas procédé à un téléchargement illicite, ne peut qu'être déboutée de toutes ses demandes à raison de ce téléchargement illicite ;

Attendu qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à écarter le préjudice allégué incluant la perte de chance de se développer à un moindre coût sur le marché grâce à la fourniture de fichiers de prospection expurgés des noms des adhérents à la liste orange, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : casse et annule, mais seulement en ce que, confirmant le jugement du 5 janvier 1994, il a rejeté les demandes de dommages-intérêts de la société Filetech, aux droits de laquelle se trouve la société Lectiel, à l'encontre de la société France Télécom à raison du préjudice subi du fait de pratiques anticoncurrentielles , l'arrêt rendu le 27 juin 2012, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point la cause et les parties et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée ; Condamne la société Orange, anciennement dénommée France Télécom, aux dépens.