Cass. com., 3 juin 2014, n° 13-21.345
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Saint-Honoré 265 (SCI)
Défendeur :
Tessilform France (SARL), Royal Cambon (SARL), La Cour (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
M. Gauthier
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Marc Lévis, SCP Bénabent Jéhannin
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 avril 2013) et les productions, que la société La Cour et la société Royal Cambon (les sociétés), titulaires de contrats de bail initialement conclus avec l'Etat, aux droits duquel est venue la société civile immobilière Saint-Honoré 265 (la SCI Saint-Honoré 265), exerçaient dans des locaux partiellement réunis des activités de vente d'articles de prêt-à-porter et d'accessoires pour l'exploitation de contrats de franchise distincts ; qu'à la suite de la dénonciation de ces contrats, la totalité des parts composant le capital de chacune des sociétés a été cédée à la société Tessilform France, avec laquelle les sociétés ont conclu chacune un contrat de location-gérance de leurs fonds respectifs, les deux boutiques étant réunies et exploitées par la société Tessilform France sous une nouvelle enseigne unique ; que, estimant que ces opérations avaient été réalisées en fraude de ses droits, la SCI Saint-Honoré 265 a fait assigner les sociétés en résiliation des contrats de bail et aux fins d'expulsion ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la SCI Saint-Honoré 265 fait grief à l'arrêt d'avoir refusé de retenir que l'acte de cession de la totalité des titres sociaux des sociétés La Cour et Royal Cambon a été conclu en fraude de ses droits et que cet acte s'analyse comme une cession de droit au bail emportant résiliation de plein droit des deux baux, alors, selon le moyen : 1°) que la fraude, en matière civile ou commerciale, est un acte réalisé en utilisant des moyens déloyaux destinés à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu ou réalisé avec l'intention d'échapper à l'application d'une loi impérative ou prohibitive ; qu'en l'espèce, l'article 3-37° du bail du 20 septembre 2002 consenti à la société La Cour stipulait expressément : " la société preneuse ne pourra, en totalité ou en partie, céder son droit au présent bail ni en faire apport à une société ou association quelconque, même à l'occasion d'une opération de fusion d'entreprise, sans l'accord exprès et par écrit du bailleur ", et que " toute cession, tout apport, toute fusion, toute sous-location ou tout prêt fait en violation des dispositions qui précèdent, sera nul à l'égard du bailleur et entraînera de plein droit, si bon lui semble, la résolution du bail sans préjudice de tous les dommages-intérêts " ; qu'en statuant comme elle l'a fait par des motifs inopérants sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si l'acte de cession de la totalité des parts sociales de la société La Cour à la société Tessilform France intervenue le 12 janvier 2007, permettant d'écarter l'application de la clause du bail du 20 septembre 2002 prévoyant l'accord exprès et par écrit du bailleur en cas de cession du droit au bail, ne constituait pas une cession déguisée de droit au bail ayant pour but de réduire à néant la clause par laquelle le bailleur avait entendu se garantir de tout risque de nature à compromettre la bonne exécution du contrat de bail, et de permettre ainsi à la société Tessilform France d'appréhender la jouissance des locaux afin d'exploiter sa propre marque " Patrizia Peppe " au sein d'un unique fonds aux lieu et place des deux fonds précédemment exploités sous les enseignes " Max Mara " et " Marina Rinaldi ", en s'affranchissant de toute autorisation de la société Saint-Honoré 265, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1184 du Code civil ; 2°) que la fraude, en matière civile ou commerciale, est un acte réalisé en utilisant des moyens déloyaux destinés à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu ou réalisé avec l'intention d'échapper à l'application d'une loi impérative ou prohibitive ; qu'en l'espèce, l'article 3-37° du bail du 20 septembre 2002 consenti à la société Royal cambon stipulait expressément : " la société preneuse ne pourra, en totalité ou en partie, céder son droit au présent bail ni en faire apport à une société ou association quelconque, même à l'occasion d'une opération de fusion d'entreprise, sans l'accord exprès et par écrit du bailleur ", et que " toute cession, tout apport, toute fusion, toute sous-location ou tout prêt fait en violation des dispositions qui précèdent, sera nul à l'égard du bailleur et entraînera de plein-droit, si bon lui semble, la résolution du bail 13 sans préjudice de tous les dommages-intérêts " ; qu'en statuant comme elle l'a fait par des motifs inopérants sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si l'acte de cession de la totalité des parts sociales de la société Royal Cambon à la société Tessilform France intervenue le 12 janvier 2007, permettant d'écarter l'application de la clause du bail du 20 septembre 2002 prévoyant l'accord exprès et par écrit du bailleur en cas de cession du droit au bail, ne constituait pas une cession déguisée de droit au bail ayant pour but de réduire à néant la clause par laquelle le bailleur avait entendu se garantir de tout risque de nature à compromettre la bonne exécution du contrat de bail, et de permettre ainsi à la société Tessilform France d'appréhender la jouissance des locaux afin d'exploiter sa propre marque " Patrizia Peppe " au sein d'un unique fonds aux lieu et place des deux fonds précédemment exploités sous les enseignes " Max Mara " et " Marina Rinaldi ", en s'affranchissant de toute autorisation de la société Saint-Honoré 265, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1184 du Code civil ;
Mais attendu qu'après avoir énoncé que la cession de la totalité des parts sociales d'une société ne peut être assimilée ni à une cession de bail ni à une cession de fonds, l'arrêt retient que la cession, qui n'entraîne pas le changement du titulaire du droit au bail ni du propriétaire du fonds, a pour conséquence de transférer tant l'actif que le passif de la société aux nouveaux actionnaires ; que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche prétendument omise, inopérante dès lors qu'il n'était pas allégué du caractère fictif des personnes morales dont les titres étaient cédés, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen : - Attendu que la SCI Saint-Honoré 265 fait encore grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande visant à ce que les conventions litigieuses soient considérées comme des contrats de sous-location ou de mise à disposition des locaux conclus frauduleusement et de manière inopposable au propriétaire, alors, selon le moyen : 1°) que la validité d'un contrat de location-gérance s'apprécie à la date de sa signature, à laquelle il convient de se placer pour déterminer si le fonds de commerce avait, ou non, une clientèle ; qu'un fonds de commerce ne survit pas à la disparition de la clientèle qui y est attachée, laquelle en constitue l'élément essentiel que l'achalandage ne peut suppléer ; qu'en l'espèce, pour considérer que le fonds de commerce exploité par la société La Cour sous l'enseigne " Max Mara ", fermé depuis le 28 février 2007, n'avait pas disparu à la date de conclusion du contrat de location gérance du 27 juillet 2007, la cour d'appel a retenu que la fermeture temporaire des lieux et l'aménagement des locaux pour l'exploitation d'une nouvelle enseigne n'était pas de nature à faire disparaître le fonds de commerce, ni à faire perdre à la société sa clientèle préexistante, dès lors que l'achalandage de la rue Saint-Honoré, où coexistaient de nombreuses enseignes de même nature, générait une clientèle composée de touristes étrangers attirés par le luxe et non exclusivement attachés à une marque, et que cet achalandage qui participait des éléments du fonds de commerce, existait à la date de conclusion du contrat de location-gérance ; qu'en statuant de la sorte, après avoir expressément relevé que Max Mara avait ouvert une boutique dans la même rue quelques mètres plus loin, ce dont il résultait un transfert de la clientèle qui y était attachée, de sorte que le fonds de commerce antérieurement exploité par Max Mara au 265 rue Saint-Honoré avait nécessairement disparu, et que le nouveau commerce exploité dans les lieux à l'enseigne " Patrizia Peppe " ne bénéficiait pas d'une clientèle certaine et actuelle à la date de conclusion de la location-gérance, mais uniquement d'une clientèle potentielle liée à l'achalandage du quartier Saint-Honoré, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 1134 du Code civil et L. 144-1 du Code de commerce ; 2°) que la charge de la preuve de l'existence d'un fonds de commerce au jour de la signature d'un contrat de location-gérance incombe au loueur ; qu'en retenant que la SCI Saint-Honoré 265 n'établissait pas que la clientèle du fonds exploité sous l'enseigne " Max Mara " par la société La Cour, aurait été exclusivement constituée de fidèles clientes de cette enseigne, insusceptibles de trouver un intérêt dans d'autres marques telles que celles développées par la société Tessilform France sous l'enseigne " Patrizia Peppe ", quand il appartenait au contraire à la société La Cour d'établir que l'ouverture d'un nouveau point de vente " Max Mara " à proximité immédiate de l'ancien n'avait pas fait disparaître la clientèle du fonds précédemment exploité au 265 rue Saint-Honoré, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé les articles 1315 du Code civil et L. 144-1 du Code de commerce ; 3°) que la validité d'un contrat de location-gérance s'apprécie à la date de sa signature, à laquelle il convient de se placer pour déterminer si le fonds de commerce avait, ou non, une clientèle ; qu'un fonds de commerce ne survit pas à la disparition de la clientèle qui y est attachée, laquelle en constitue l'élément essentiel que l'achalandage ne peut suppléer ; qu'en l'espèce, pour considérer que le fonds de commerce exploité par la société Royal Cambon sous l'enseigne " Marina Rinaldi ", fermé depuis le 28 février 2007, n'avait pas disparu à la date de conclusion du contrat de location gérance du 27 juillet 2007, la cour d'appel a retenu que la fermeture temporaire des lieux et l'aménagement des locaux pour l'exploitation d'une nouvelle enseigne n'était pas de nature à faire disparaître le fonds de commerce, ni à faire perdre à la société sa clientèle préexistante, dès lors que l'achalandage de la rue Saint-Honoré, où coexistaient de nombreuses enseignes de même nature, générait une clientèle composée de touristes étrangers attirés par le luxe et non exclusivement attachés à une marque, et que cet achalandage qui participait des éléments du fonds de commerce, existait à la date de conclusion du contrat de location-gérance ; qu'en statuant de la sorte, après avoir expressément relevé que la franchise " Marina Rinaldi ", spécialisée dans les vêtements de mode pour femmes de taille supérieure 42, s'adressait à un segment de clientèle particulier, ce dont il résultait que le changement d'enseigne intervenu pour s'adresser à un autre segment de clientèle de prêt-à-porter haut de gamme, ne se confondait pas avec le segment de clientèle spécialisée dans les grandes tailles, de sorte que le fonds de commerce antérieurement exploité par Marina Rinaldi au 265 rue Saint- Honoré avait nécessairement disparu, et que le nouveau commerce exploité dans les lieux à l'enseigne " Patrizia Peppe " ne bénéficiait pas d'une clientèle 24 certaine et actuelle à la date de conclusion de la location-gérance, mais uniquement d'une clientèle potentielle liée à l'achalandage du quartier Saint-Honoré, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 1134 du Code civil et L. 144-1 du Code de commerce ; 4°) que la charge de la preuve de l'existence d'un fonds de commerce au jour de la signature d'un contrat de location-gérance incombe au loueur ; qu'en retenant que la SCI Saint-Honoré 265 ne rapportait pas la preuve qui lui incombait de ce que les articles diffusés par la société Tessilform France sous l'enseigne " Patrizia Peppe " ne pouvaient s'adresser à la clientèle du fonds précédemment exploité sous l'enseigne " Marina Rinaldi ", quand il appartenait au contraire à la société Royal Cambon d'établir que les deux enseignes étaient susceptibles de concerner le même segment de clientèle, à savoir les femmes de taille supérieure au 42, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé les articles 1315 du Code civil et L. 144-1 du Code de commerce ;
Mais attendu qu'après avoir relevé, par motifs propres et adoptés, d'abord, que les fonds de commerce loués, destinés à la commercialisation de prêt-à-porter et d'accessoires de modes, avaient un caractère particulier en raison de leur exploitation dans un quartier voué à cette activité et bénéficiaient ainsi à la date de conclusion des contrats de location-gérance d'un achalandage important lié à leur situation, ensuite, que la clientèle de ces fonds n'était pas exclusivement attachée aux marques exploitées lors de la conclusion des contrats et pouvait s'adapter à la nouvelle enseigne exploitée, enfin, qu'il n'était pas établi par la SCI Saint-Honoré 265 que les produits proposés par la nouvelle enseigne ne s'adressaient pas aux segments de clientèle visés par les enseignes précédentes, l'arrêt retient que la fermeture temporaire des lieux pendant la durée des travaux, nécessitée par la résiliation des contrats de franchise et l'aménagement des locaux pour l'exploitation de ces derniers sous une nouvelle enseigne, n'a pas été de nature à faire disparaître les fonds de commerce ni à faire perdre à chacune des sociétés sa clientèle préexistante ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines faisant ressortir que la SCI Saint-Honoré 265 ne rapportait pas la preuve, qui lui incombait, d'une disparition de la clientèle et des fonds de commerce lors de la conclusion des contrats de location-gérance, la cour d'appel, qui n'a pas inversé la charge de la preuve, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.