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Décisions

CA Metz, ch. com., 27 mai 2014, n° 08-01322

METZ

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

George (SARL)

Défendeur :

Rugger Spa Lenti (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Staechele

Conseillers :

Mmes Soulard, Knaff

Avocats :

Mes Roulleaux, Zachayus

TGI Metz, ch. com., du 26 fév. 2008

26 février 2008

EXPOSE DU LITIGE

Le 3 octobre 2006, la société de droit italien Rugger Spa "Lenti" a reçu signification, selon les modalités du règlement communautaire n° 1348-2000, de l'assignation à comparaître devant la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Metz, délivrée à son encontre par la SARL George.

Au dernier état de ses conclusions, la SARL George a demandé au tribunal de condamner la société défenderesse à lui payer, avec exécution provisoire, les sommes de :

25 837,60 euro HT, au titre de l'indemnité de cessation du contrat d'agent commercial, avec intérêts de droit à compter du jour de la demande ;

6 195,71 euro, au titre de factures impayées, avec intérêts de droit à compter du jour de la demande ;

1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, outre les dépens.

La SARL George a exposé :

Qu'elle était agent commercial en France pour le compte de la société Rugger Spa "Lenti" ;

Qu'Hervé George, gérant " au quotidien " de la SARL George, a été mis en invalidité partielle à compter du 1er décembre 2005 et a été contraint de cesser toute activité ;

Qu'au regard de cette situation, la poursuite de l'activité d'agent commercial ne pouvait être raisonnablement exigée ;

Qu'elle a donc droit à l'indemnité légale de cessation du contrat, représentant deux années de commission d'agent général sur la base de la moyenne annuelle des trois dernières années de commissions perçues.

Elle a ajouté qu'elle était également créancière de trois factures impayées.

La société Rugger Spa "Lenti" a demandé à la juridiction saisie de :

Sur la demande en paiement de l'indemnité :

Débouter la SARL George de sa demande ;

Subsidiairement :

Vu l'article 17 § 2 de la Directive européenne 86-653 du 18 décembre 2006 [sic],

Dire et juger que l'indemnité de rupture ne peut être supérieure à la moitié de la moyenne des trois dernières années de facturation ;

Dire et juger que, dans le cas d'espèce, si la société Rugger devait être condamnée au versement d'une indemnité de rupture, le montant de cette indemnité ne saurait être supérieure à la moitié de l'indemnité prévue par l'article 17 § 2 de la Directive européenne 86-653 du 18 décembre 2006 [sic] ;

Sur la demande de paiement de la somme de 6 195,71 euro

Débouter la Société George SARL de sa demande à ce titre ;

Condamner la SARL George à lui payer la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, outre les dépens.

Par jugement du 26 février 2008, auquel il est renvoyé pour l'exposé des moyens et des prétentions des parties en première instance, la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Metz a :

Condamné la société de droit italien Rugger Spa "Lenti" à payer à la SARL George la somme de 11 000 euro avec intérêts au taux légal à compter du jugement ainsi que la somme de 1 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

Condamné la société Rugger Spa "Lenti" aux dépens.

Pour statuer ainsi, le Tribunal a retenu :

Que seule une faute grave était de nature à priver l'agent commercial de l'indemnité de fin de contrat ;

Que tel n'était pas le cas en l'espèce, la cessation du contrat résultant de la mise en invalidité partielle du gérant de la SARL George ;

Que la perte du contrat d'agent commercial causait à la SARL George un préjudice devant être réparé par un montant égal à la moyenne des commissions perçues sur les trois dernières années, soit une somme de 11 000 euro.

Les premiers juges ont par ailleurs écarté la demande en paiement de la somme de 6 195,71 euro, au motif que ces commissions avaient été déduites par la société Rugger Spa Lenti de sa créance de marchandises d'un montant de 9 635,80 euro et que le solde, soit 3440,09 euro, avait donné lieu à une ordonnance d'injonction de payer rendue par le Tribunal de Turin le 12 juin 2006 et notifiée le 7 juillet 2006 à la SARL George.

Par déclaration au greffe de la cour du 25 mars 2008, la SARL George a interjeté appel de ce jugement.

L'appel n'est pas limité.

Selon ses dernières conclusions déposées le 27 juin 2012, auxquelles il est renvoyé pour un exposé plus complet de ses moyens et de ses prétentions, la SARL George demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau, de condamner la société Rugger Spa "Lenti" au paiement des sommes suivantes :

25 837,60 euro H T, à titre d'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial, avec intérêts de droit à compter de la signification de l'assignation ;

6 195,71 euro, au titre de factures impayées, avec intérêts de droit à compter de la signification de l'assignation ;

2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d'appel.

Selon ses dernières conclusions récapitulatives déposées le 11 octobre 2012, auxquelles il est pareillement renvoyé pour un exposé plus complet de ses moyens et prétentions, la société Rugger Spa "Lenti", formant appel incident, demande à cette cour de :

À titre principal :

Dire et juger que l'invalidité visée à l'article L. 134-13 du Code de commerce ne pouvait concerner que la SARL George, seule prétendue agent commercial et non le gérant de cette dernière ;

Dire et juger que la SARL George ne peut prétendre au versement d'une quelconque indemnité compte tenu de l'état d'invalidité de son gérant ;

Débouter la SARL George de toutes ses prétentions ;

Subsidiairement :

Dire et juger que la SARL George ne rapporte pas la preuve d'avoir " négocié " au sens des arrêts cités ;

Dire et juger que la SARL George est commerçante et de ce fait possède une " clientèle en propre " ;

Dire et juger que de ce fait que la SARL George ne peut se prévaloir des dispositions des articles L 134-1 et suivants du Code de commerce et prétendre à une quelconque indemnité ;

Débouter la société George de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Très subsidiairement :

Dire et juger que l'agent ne rapporte pas la preuve d'avoir procuré à son mandant " des avantages substantiels liés à son activité " conformément à l'article 17 § 3 de la Directive du 18/12/1986 ;

Débouter la société George de toutes ses demandes ;

Dire et juger que la somme de 6 195,71 euro au titre de factures de commissions impayées a été réglée par compensation prononcée par ordonnance d'injonction de payer du 12/06/2006, régulièrement notifiée le 18/07/2006 et dûment reconnue en France, pour avoir fait objet d'une décision d'exequatur définitive et opposable ;

Condamner la SARL George à payer à la Spa Rugger la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner la SARL George aux dépens de première instance et d'appel.

MOTIFS

Sur la demande en paiement de l'indemnité de fin de contrat

La société Rugger Spa Lenti conteste en appel la qualité d'agent commercial de la SARL George.

Ce nouveau moyen est recevable en application de l'article 563 du Code de procédure civile, étant observé que l'absence d'évocation de ce moyen en première instance ne suffit pas à caractériser une renonciation expresse à s'en prévaloir de la part de la société Rugger Spa Lenti.

L'indemnité de rupture réclamée par la SARL George relevant exclusivement du statut d'agent commercial, il convient, pour les besoins du raisonnement, d'examiner en premier lieu si l'appelante relève ou non de ce statut avant de déterminer, le cas échéant, si la SARL George satisfait aux conditions d'obtention de ladite indemnité.

Aux termes de l'article L. 134-1 du Code de commerce, " l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale ".

La Cour de cassation exige de l'intermédiaire, conformément à la lettre de l'article précité, qu'il ait le pouvoir de négocier le contenu des contrats qu'il propose pour qu'il puisse bénéficier du statut d'agent commercial.

C'est à la SARL George, qui prétend bénéficier du statut d'agent commercial, qu'il incombe de prouver qu'elle disposait du pouvoir de négocier la conclusion de contrats au nom et pour le compte de la société Rugger Spa Lenti.

En l'espèce, aucun contrat écrit n'a été signé entre les parties.

Au soutien de la qualité d'agent commercial dont elle se prévaut, la SARL George verse aux débats :

plusieurs factures de commissions adressées sur un papier à en-tête " George Agent Commercial " à la société Rugger Lenti et réglées par cette dernière,

un courrier de la société Rugger Lenti en date du 24 mars 2006 dans lequel elle fait état de la résolution du contrat d'agent au 31 décembre 2005.

Cependant, le règlement de commissions par la société Rugger Lenti ne suffit pas à qualifier l'activité de la SARL George d'agent commercial, dès lors que les factures de commissions ne permettent pas de démontrer que la SARL George aurait négocié auprès des distributeurs au nom et pour le compte du mandataire. Il en est de même de la dénomination donnée par les parties à leur relation contractuelle.

La négociation selon l'article L. 134-1 du Code de commerce suppose en effet la prospection de clientèle et la prise de commande.

Or, en l'occurrence, il ressort du dossier qu'au cours de la période durant laquelle la SARL George a exercé l'activité qu'elle qualifie d'agent commercial au profit de la société Rugger Lenti, soit de 2002 à la fin de l'année 2005, l'apport en clientèle s'est limité à trois sociétés, dont la SARL George elle-même, auxquelles la société Rugger Lenti a vendu des marchandises à compter de juillet 2002 pour la société Les Provinces et respectivement à compter de janvier et mars 2003 pour la SARL George et la SARL Cedial.

La SARL George, qui ne justifie pas avoir prospecté d'autres clients éventuels sur la période considérée, n'établit pas davantage avoir été à même de procéder à une quelconque négociation pour le compte de la société Rugger Lenti avec les sociétés Les Provinces et Cedial.

En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que la SARL George adressait des factures aux sociétés susvisées, ni que les bons de commande portaient sa dénomination sociale en en-tête.

La SARL George indique au contraire dans ses conclusions " que les commandes des clients (Provinces et Cedial) étaient transmises à la SARL George qui les communiquait à la société Lenti ", ce qui caractérise un simple rôle d'intermédiaire de la SARL George.

La SARL George ne rapporte donc pas la preuve qu'elle disposait d'un pouvoir de négociation.

Dans ces conditions, la SARL George ne peut prétendre au statut d'agent commercial et, partant, à l'indemnité compensatrice prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce en cas de cessation des relations de l'agent commercial avec le mandant.

En conséquence, il convient d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Rugger Lenti au paiement d'une indemnité de rupture de 11 000 euro et, statuant à nouveau dans cette limite, de débouter la SARL George de ce chef de prétention.

Sur la demande en paiement de la somme de 6 195,71 euro

Les premiers juges ont pertinemment relevé qu'il ressortait de la lecture de la requête et de l'ordonnance d'injonction de payer rendue par le Tribunal de Turin le 12 juin 2006, notifiée le 7 juillet 2006, que la société Rugger Lenti avait déduit de sa requête tendant au paiement par la SARL George de marchandises livrées pour un montant de 9 635,80 euro la somme de 6 195,71 euro correspondant aux commissions impayées réclamées dans le présent litige par la SARL George et réduit ainsi sa prétention à la somme de 3 440,09 euro, à laquelle a fait droit le Tribunal de Turin.

La société Rugger Lenti justifie par ailleurs en appel que :

L'ordonnance d'injonction de payer rendue par le Tribunal de Turin le 12 juin 2006 a été déclarée exécutoire en France par décision du Greffier en chef du Tribunal de grande instance de Metz du 10 mars 2011, signifiée le 23 mars 2011 à la SARL George par dépôt en l'étude de l'huissier instrumentaire, son compte bancaire a été crédité le 28 août 2006 de la somme de 3 440,09 euro réglée par la SARL George.

La décision déférée sera donc confirmée sur le rejet de la demande en paiement de la somme de 6 195,71euro.

Sur l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens

Aucune considération d'équité ne justifie que la SARL George soit dispensée de l'indemnité que l'article 700 du Code de procédure civile met à la charge de la partie qui succombe. Elle sera évaluée à la somme de 2 000 euro.

La SARL George sera en outre condamnée aux dépens.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, en dernier ressort, par arrêt contradictoire, Infirme la décision déférée sur la condamnation de la société de droit italien Rugger Spa "Lenti" au paiement d'une indemnité de fin de contrat de 11 000 euro ; Statuant à nouveau dans cette limite, Déboute la SARL George de sa demande en paiement d'une indemnité de fin de contrat d'agent commercial ; Confirme les autres dispositions de la décision entreprise ; Condamne la SARL George aux dépens d'appel ; Rejette la demande formée par la SARL George sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SARL George à verser à la société de droit italien Rugger Spa "Lenti" une indemnité de 2 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.