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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 28 février 1989, n° 88-3768

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

UFC

Défendeur :

Jeanneau constructions nautiques (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gelineau-larrivet

Conseillers :

Mme Hannoun, M. Canivet

Avoués :

Me Ribaut, SCP Paul Boncour Faure

Avocats :

Mes Karila, Varaut

TGI Paris, 1re ch. sect. 1, du 2 déc. 19…

2 décembre 1987

LA COUR,

Statue sur les appels, principal et incident, relevés par l'Union Fédérale des Consommateurs (UFC) et par la société Jeanneau d'un jugement du 2 décembre 1987 par lequel le Tribunal de grande instance de Paris a :

- condamné l'UFC à payer à la société Jeanneau 100 000 F de dommages-intérêts et 6 000 F au titre de l'article 700 du NCPC,

- ordonné sous astreinte la publication du jugement dans la revue Que Choisir ?

- autorisé la société Jeanneau à publier cette décision, intégralement ou par extraits, dans quatre journaux ou revues de son choix, aux frais de l'UFC mais sans que le coût de chaque publication puisse dépasser 7 500 F.

Référence étant faite au jugement entrepris, et à la décision de sursis précédemment rendue, entre les mêmes parties, pour un exposé complet des faits, de la procédure antérieure et des motifs retenus par les premiers juges, il suffit de rappeler les points suivants :

Le numéro d'octobre 1983 de la Revue Que Choisir contient un article intitulé "Voiturette au feu" qui dénonce les périls que la voiture Microcar RJ 49 - construite par la société Jeanneau, ferait courir à ses utilisateurs du fait d'un vice de construction : une mauvaise position du réservoir à essence.

Cet article, illustré par une photographie du véhicule, cite notamment un accident survenu le 19 juin précédent, accident à la suite duquel le corps du conducteur d'un Microcar a été retrouvé calciné.

"Le Microcar RJ 49 tue" précise l'auteur de l'article qui conseille de mettre tous les véhicules de ce type hors circulation.

Le numéro de novembre 1983 (n° 189) de la revue annonce, dans un communiqué ("voiturette en feu - suite") que le juge des référés a rejeté la demande de saisie formulée par la société Jeanneau à la suite de la parution du numéro précédent, et fait part de la modification apportée au véhicule en ce qui concerne l'emplacement du réservoir d'essence.

Enfin le n° 190 publie, sous le titre "voiturettes en feu - mises au point" une lettre de la société Jeanneau suite d'une réplique de l'UFC qui maintient ses critiques antérieures et conclut : "Les voiturettes ne brulent pas dites-vous ! Non, elles flambent !"

Il convient de remarquer que l'information ouverte sur plainte avec constitution de partie civile de l'UFC à la suite de l'accident du 19 juin 1983, n'a pas permis d'établir les faits reprochés au Président du directoire de la société Jeanneau qui, après avoir été inculpé d'homicide involontaire, a fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu.

Reprochant aux premiers juges d'avoir estimé à tort qu'elle avait abusé de son droit de critique, l'UFC soutient essentiellement :

- qu'elle n'a eu ni intention de nuire, ni volonté de dénigrement mais souci légitime d'informer les consommateurs,

- que la date de publication du premier article est liée aux faits et plaintes dont elle a eu connaissance de juin à août 1983 et non à la date du salon de l'automobile,

- que la société Jeanneau n'avait jamais fait état dans sa correspondance, de l'amélioration apportée à son véhicule.

L'appelante demande à la cour de rejeter les prétentions de son adversaire ou, subsidiairement, de réduire les dommages-intérêts et de substituer la publication d'un communiqué à celle du jugement.

L'appel incident est limité à la réparation du préjudice. La société Jeanneau sollicite 1 000 000 F et la publication de l'arrêt dans dix journaux ou revues de son choix. Elle demande en outre 20 000 F en application de l'article 700 NCPC.

Sur quoi, LA COUR

Considérant qu'une association de consommateurs peut légitimement révéler aux usagers les défauts ou les dangers que présentent les produits mis en vente sur le marché ;

Qu'il lui incombe toutefois de se livrer préalablement à une étude sérieuse et de ne donner au public qu'une information impartiale, respectueuse des droits des tiers ;

Considérant, en l'espèce, qu'il ressort des documents produits que si l'UFC a eu le souci d'assurer la protection des utilisateurs de voiturettes, elle a cependant omis de procéder à des vérifications simples, mais indispensables, qui lui auraient notamment permis d'apprendre à ses lecteurs que la société Jeanneau avait procédé dès avril 1983 au changement d'emplacement du réservoir à essence et supprimé ainsi ce que la revue Que Choisir présente, au demeurant sans preuve déterminante, comme un vice de construction mortel ;

Considérant que l'appelante fait valoir en vain, sur ce point, que la société Jeanneau ne l'avait pas informée de la modification intervenue ;

Qu'en effet, rien n'imposait au constructeur surpris à juste titre par l'accent comminatoire du telex le mettant brutalement en demeure, courant septembre 1983, de suspendre la fabrication du véhicule, de fournir spontanément des explications ou des justifications que l'UFC avait, pour sa part, le devoir impérieux de réunir avant de divulguer son opinion ;

Considérant que les avis du ministre des Transports et de la direction de la répression des fraudes - visés par le juge d'instruction dans son ordonnance de non-lieu du 14 novembre 1986 - confirment que l'UFC a, sans contrôler ses sources, lancé contre la société Jeanneau une campagne de dénigrement qu'aucun élément probant n'étayait;

Considérant par ailleurs que le ton des articles, virulent, est, dans le cas présent, inconciliable avec le devoir d'objectivité rappelé ci-dessus ;

Qu'il est regrettable que l'UFC, non contente de porter sur la société Jeanneau et le produit dont s'agit des appréciations ne reposant, pour l'essentiel, que sur des hypothèses que l'information judiciaire n'a pas permis de vérifier, ait cru devoir adopter, à chaque occasion, un style excessif utilisé, jusqu'à la boutade finale, pour persuader le lecteur de la thèse soutenue devant lui ;

Considérant que c'est donc avec raison que le tribunal a estimé que l'UFC avait engagé sa responsabilité en abusant de son droit de critique ;

Considérant qu'il n'est pas démontré avec certitude que le premier article a été sciemment publié au moment où s'ouvrait le salon de l'automobile. Qu'il n'en demeure pas moins que cette circonstance a eu pour effet d'aggraver le préjudice subi par la société Jeanneau ;

Considérant qu'il apparaît au vu des documents versés aux débats que ce préjudice sera réparé par l'allocation de la somme de 100 000 F fixée par les premiers juges et par les mesures de publication ordonnées ci-après ;

Considérant enfin qu'il y a lieu d'allouer à la société Jeanneau une indemnité supplémentaire au titre de l'article 700 NCPC ;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris, sauf en en qui concerne les mesures de publication ordonnées et, l'émendant sur ce point : Ordonne la publication dans la revue Que Choisir, aux frais de l'UFC, du texte suivant : "l'Union Fédérale des Consommateurs a été condamnée par jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 2 décembre 1987, confirmé par arrêt de la cour d'appel en date du 28 février 1989, à payer à la société Jeanneau 100 000 F de dommages-intérêts pour avoir dans les numéros d'octobre, novembre et décembre 1983 de la revue Que Choisir, dénigré le véhicule Microcar RJ 69 produit par cette société." Dit que cette publication sera effectuée dans une page rédactionnelle sous le titre "Condamnation de l'UFC envers la société Jeanneau", ce titre comportant des caractères de 5 mm de hauteur en caractères gras. Autorise la société Jeanneau à faire publier le même communiqué dans cinq journaux ou revues de son choix, aux frais de l'UFC, sans que le coût des publications puisse dépasser la somme totale de 50 000 F ; Condamne l'UFC à payer à la société Jeanneau 10 000 F au titre de l'article 700 NCPC ; La condamne aux dépens. Autorise la SCP Paul Boncour Faure au recouvrement direct prévu par l'article 699 du NCPC ; Dit que cette publication devra être effectuée dans le mois suivant la signification du présent arrêt.