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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 4 juin 2014, n° 11-02722

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Chabrier

Défendeur :

Jede France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes Ribaut, Benbadda, Regnier, Ortolland

T. com. Evry, du 24 nov. 2010

24 novembre 2010

Le 23 octobre 1990, la société Jede France, qui commercialise des distributeurs automatiques de boissons et de consommables destinés à ces distributeurs, a signé avec M. Patrick Charbier, qui exerce sous la dénomination Jede 33, un contrat de distribution exclusive s'appliquant sur le territoire de la Gironde et portant sur "les distributeurs de boissons commercialisés sous la marque Jedematic et les biens consommables destinés à ces distributeurs, tels qu'ils sont plus précisément décrits en Annexe I".

À compter du 1er janvier 2003, la société Jede France, qui estimait sa part de marché insuffisante par rapport à ses objectifs et au potentiel de la Gironde, a mis en place une agence sur la région bordelaise, pour développer ses produits, autres que ceux distribués par Jede 33.

Par courrier du 1er février 2007, M. Charbier a informé la société Jede France qu'il envisageait de vendre son entreprise et lui a demandé si elle était intéressée "par un rachat pour fusionner Jede 33 avec votre agence".

Par courrier du 22 mars 2007, la société Jede France a répondu qu'elle accepterait de travailler avec un repreneur, mais n'envisageait pas de fusionner les activités de Jede 33 avec son agence de Bordeaux.

Par courrier du 24 octobre 2007, M. Charbier a fait état d'une situation de concurrence de fait entre son entreprise et l'agence Jede France de Bordeaux et a demandé une revalorisation de sa situation de revendeur et notamment la diffusion de publicité conjointe et davantage de communication et de contact avec l'agence de Bordeaux.

Par courrier du 15 novembre 2007, M. Charbier a demandé à la société Jede France un dédommagement amiable d'un montant de 85 000 euro, "comprenant le rachat de ma clientèle et la compensation pour le préjudice subi pendant ces 5 années de galère", afin d'éviter "les tracasseries d'un procès et me permettre de tourner la page Jede France".

Par courrier du 28 novembre 2007, la société Jede France a répondu qu'elle n'avait "aucune responsabilité qui justifierait la compensation d'un éventuel préjudice" et qu'elle n'avait "aucun moyen d'analyser la valeur de votre entreprise et d'en mesurer la profitabilité potentielle, seule donnée capable de motiver à discuter d'un éventuel rachat à juste valeur".

Les contacts pris, durant l'année 2008, entre l'avocat de Jede 33 et la société Jede France concernant la reprise du fonds de commerce de M. Charbier n'ont pas abouti.

Par acte du 20 novembre 2008, M. Charbier a assigné la société Jede France devant le Tribunal de commerce d'Évry.

Par jugement du 24 novembre 2010, le tribunal de commerce a :

- débouté M. Charbier de l'ensemble de ses demandes,

- condamné M. Charbier à payer à la société Jede France la somme de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté la société Jede France du surplus de ses demandes,

- condamné M. Charbier aux entiers dépens.

Le 14 février 2011, M. Charbier a interjeté appel de ce jugement.

Vu les dernières conclusions, notifiées le 18 mars 2013, par lesquelles M. Charbier demande à la cour :

au visa des articles 1134, 1135, 1147 et 1382 du Code civil,

à titre principal :

- réformer le jugement en toutes ses dispositions,

en conséquence,

- juger que la société Jede France a violé le contrat de distribution exclusive la liant à Jede 33,

- condamner la société Jede France au paiement de 170 000 euro en réparation de la perte de chiffre d'affaires de Jede 33,

- condamner la société Jede France au paiement de 30 000 euro au en réparation du préjudice subi du fait de la violation du contrat de distribution exclusive,

à titre subsidiaire :

- juger que la société Jede France a rompu de façon brutale la relation commerciale établie avec Jede 33 depuis 1990,

- juger que la société Jede France s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale entraînant un préjudice certains et direct pour Jede 33,

- condamner la société Jede France à la somme de 30 000 euro en réparation du préjudice subi du fait de la concurrence déloyale,

- condamner la société Jede France à la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Jede France aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le recouvrement sera poursuivi conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle.

Vu les dernières conclusions, notifiées le 7 janvier 2014, par lesquelles la société Jede France demande à la cour de :

- débouter M. Charbier de son appel,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions, et, y ajoutant,

- condamner M. Charbier à payer à la société Jede France la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Cela étant exposé, LA COUR :

Sur la violation du contrat de distribution exclusive :

Considérant que M. Charbier soutient que la société Jede France n'a pas respecté ses obligations découlant du contrat de distribution exclusive dont il bénéficiait depuis 1990 sur le département de la Gironde ; que, en créant une agence près de Bordeaux en janvier 2003, la société Jede France n'a pas respecté la clause d'exclusivité et a favorisé une équipe interne au détriment de son distributeur exclusif, Jede 33 ; que la société Jede France a ainsi délivré ses produits et ses matériels à un autre distributeur que Jede 33, en violation de la clause d'exclusivité ; que la société Jede France n'a respecté ni son obligation de collaboration et d'assistance prévue à l'article 4 du contrat, ni son obligation de formation technique et commerciale du personnel du distributeur prévue à l'article 13 du contrat ;

Considérant que la société Jede France fait valoir que exclusivité qui avait été concédée à Jede 33 était limitée aux produits visés à l'annexe 1 du contrat, soit les distributeurs de boissons à cartouches et les consommables correspondants, la gamme Jedematic devenue Jedexpress ; que l'agence de Bordeaux a été créée pour commercialiser les appareils d'une autre gamme, les distributeurs de boissons à gobelets et les consommables correspondants, la gamme Hot Cup ; qu'elle n'a donc pas violé la clause d'exclusivité qui la liait à Jede 33 ;

Considérant qu'il résulte de l'article 1 du contrat de distribution exclusif signé le 23 octobre 1990, que la société Jede France a accordé à Jede 33 le droit de vendre de façon exclusive sur le territoire de la Gironde les distributeurs de boissons commercialisés sous la marque Jedematic et les biens consommables destinés à ces distributeurs, les produits concernés étant listés et décrits dans une Annexe 1 ; que la clause d'exclusivité prévue à l'article 2 du contrat précité concerne uniquement les produits de la marque Jedematic listés dans l'annexe 1 du contrat de distribution ;

Considérant que la société Jede France a ouvert en 2003 une agence près de Bordeaux destinée à commercialiser les distributeurs de boissons à gobelets et les consommables correspondants de la gamme Hot Cup, à l'exclusion de tout produit de la gamme Jedematic ; qu'il résulte de la documentation commerciale produite aux débats que les produits des gammes Jedematic et Hot Cup sont différents et ne s'adressent pas à la même clientèle, les produits Hot Cup, plus encombrants, étant destinés aux emplacements très fréquentés et les produits Jedematic, plus compacts, étant mieux adaptés à des lieux de dimensions plus modestes ; qu'en ouvrant une agence pour vendre directement des produits que la société Jede 33 n'était pas autorisée à vendre et qui ne figuraient pas à l'annexe 1 du contrat, la société Jede France n'a pas violé la clause d'exclusivité prévue au contrat de distribution ;

Considérant que M. Charbier ne peut prétendre que l'implantation de l'agence de la société Jede France l'a dépossédé du marché de la Gironde, dès lors que Jede 33 a continué à être seul à commercialiser les produits sur lesquels il disposait d'une exclusivité ; que M. Charbier qui soutient avoir subi un préjudice, qu'il évalue à 30 000 euro, ne produit aucun document justifiant de la situation économique et financière de Jede 33, alors que la société Jede France produit un tableau de son chiffre d'affaires avec Jede 33 qui montre que, après une diminution constante de 2001 à 2004, le chiffre d'affaires de Jede 33 est reparti à la hausse à compter de l'année 2005 ;

Considérant que M. Charbier, qui invoque la violation par la société Jede France de ses obligations contractuelles, ne rapporte aucune preuve que cette société n'a pas rempli son obligation de collaboration et d'assistance, ni son obligation de formation technique et commerciale du personnel de Jede 33 pour les produits faisant l'objet du contrat de distribution exclusive ; que le jugement sera confirmé ;

Sur la rupture brutale de la relation commerciale :

Considérant que M. Charbier soutient qu'en violant le contrat de distribution exclusive la société Jede France a mis un terme à 13 ans de relations contractuelles commerciales établies ; que si l'exclusivité consentie à Jede 33 a été limitative dans un premier temps, très vite il est devenu le dépositaire exclusif de la marque sur le département de la Gironde ; qu'en mettant en place une agence dans le même secteur que celui détenu exclusivement par Jede 33, la société Jede France a rompu même partiellement, sans préavis, leurs relations commerciales alors que Jede 33 se trouvait dans une situation de dépendance économique ;

Considérant que l'attestation établie le 26 avril 1991 par le directeur général de la société Jede France aux termes de laquelle "les établissements Jede 33 sont les dépositaires exclusifs de la marque sur le département de la Gironde", ne peut prévaloir sur les stipulations du contrat de distribution exclusive signé le 23 octobre 1990 par le directeur commercial de la société Jede France, lesquelles n'ont fait l'objet d'aucun avenant ; qu'en conséquence, l'ouverture d'une agence près de Bordeaux en 2003, qui commercialise des produits différents de ceux pour lesquels Jede 33 bénéficie d'une exclusivité, ne constitue pas une rupture partielle des relations commerciales entre la société Jede France et Jede 33 ;

Considérant que les relations commerciales n'ont pas pris fin en 2003, puisque notamment les courriers échangés entre les parties les 7 janvier et 18 août 2009, font état de la décision de M. Charbier de vendre sa clientèle et de l'acceptation de la société Jede France de poursuivre le contrat de distribution exclusive avec le repreneur du fonds de commerce de M. Charbier ; que le jugement sera confirmé ;

Sur la concurrence déloyale :

Considérant que M. Charbier soutient que la société Jede France a voulu profiter de la clientèle créée par Jede 33 et s'est implantée sur le territoire appartenant exclusivement à Jede 33 ; que la société Jede France avait la volonté de se placer dans le sillage de Jede 33 ; que la présence de l'agence Jede France sur le secteur de M. Charbier a créé chez les clients une confusion entre les deux acteurs économiques, accompagnée d'une évasion des clients ; que la publicité faite par la société Jede France lui a permis d'attirer les clients de Jede 33 ; que les actes de concurrence déloyale ont créé un trouble commercial et lui ont causé un préjudice économique ;

Considérant que la société Jede France, qui invoque la liberté du commerce, soutient qu'elle n'a jamais cherché à freiner l'activité de M. Charbier, qu'au contraire elle lui a apporté l'aide dont il pouvait avoir besoin sur le plan commercial ; que Jede 33 a profité de l'implantation de son agence locale et des publicités qu'elle a diffusé ;

Considérant que l'agence locale de la société Jede France ne distribue pas les produits sur lesquels Jede 33 dispose d'une exclusivité ; que les produits distribués par la société Jede France ne sont pas destinés à la même clientèle que ceux distribués par Jede 33 ; que M. Charbier ne rapporte pas la preuve que des clients de Jede 33 aient été perdus au profit de l'agence locale de la société Jede France ; que M. Charbier ne conteste pas que le chiffre d'affaires de Jede 33 ait augmenté à compter de l'année 2005, ce qui laisse supposer que la présence de l'agence locale de la société Jede France a été bénéfique pour Jede 33 ; que le jugement sera confirmé ;

Par ces motifs : Confirme le jugement ; Et y ajoutant : Dit que la société Jede France n'a pas violé le contrat de distribution exclusive la liant à Jede 33 ; Dit que la société Jede France n'a pas rompu brutalement les relations commerciales établies avec Jede 33 ; Dit que la société Jede France n'a pas commis d'actes de concurrence déloyale à l'égard de Jede 33 ; Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne M. Patrick Charbier aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.