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Décisions

CA Douai, 1re ch. sect. 2, 6 août 2014, n° 12-03736

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Shoe Branding Europe BVBA (Sté)

Défendeur :

Adidas France (SARL), Adidas International Trading BV (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Zenati

Conseillers :

MM. Duperrier, Poupet

Avocats :

Mes Levasseur, Minne, Franchi, Larere

TGI Lille, du 31 mai 2012

31 mai 2012

Par jugement du 31 mai 2012, le Tribunal de Grande Instance de Lille a débouté la société Shoe Branding Europe BVBA de ses demandes en déchéance des marques françaises n° 1574960 et 1574962, contrefaçon de marque, concurrence déloyale et indemnité de procédure, a débouté les sociétés Adidas International Traiding BV et Adidas France SARL de leurs demandes de dommages et intérêts et a condamné la société Shoe Branding Europe BVBA au paiement d'une indemnité de procédure de 10 000 euro.

La société Shoe Branding Europe BVBA (ci-après désignée Shoe Branding) a relevé appel de ce jugement le 27 juin 2012.

Elle a transmis le 16 Avril 2014 des conclusions tendant voir infirmer ce jugement, dire que les références F10, F30, F50, Mad Speed, Court Vision, Clima Madness, Predator Powerswerve, Absolado et Good Year Driver constituent la contrefaçon de marque par imitation de la marque figurative n° 1326954, sinon dire que les intimées ont commis des actes de concurrence déloyale, interdire aux sociétés Adidas et Adidas International la poursuite des actes de commercialisation et de publicité des articles en cause à compter de la signification du jugement sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard dont le juge se réservera la liquidation, condamner les sociétés Adidas solidairement à lui verser les sommes de 100 000 euro pour atteinte à la marque et 400 000 euro à titre provisionnel concernant le préjudice commercial, condamner les intéressées à justifier des différents modes de communication dont ont fait l'objet les produits contrefaits, leur durée, leur localisation, leur impact, leur format, etc...(affiches, publicités, spots télévisuels...), le nombre de visites dont a fait l'objet le site internet depuis la diffusion des modèles contrefaits, les quantités vendues de chaque référence depuis les trois ans avant l'assignation, avant dire droit sur la liquidation des préjudices désigner expert afin de déterminer la masse contrefaisante et donner son avis sur les préjudices, autoriser la société Shoe Branding à publier le jugement, faire injonction à Adidas International sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard d'avoir à publier des extraits du jugement sur le site d'accueil du site shop.adidas.fr pendant 2 mois à compter de la signification du jugement, dire que les condamnations prononcées porteront sur tous les faits commis jusqu'à l'arrêt, enfin condamner les intimées au paiement d'une indemnité de procédure de 10 000 euro.

Au terme de conclusions transmises le 9 mai 2014, les sociétés Adidas France et Adidas International Trading BV (ci-après désignées les sociétés Adidas) demandent à la cour d'écarter des débats la marque internationale n° 442 685 qui ne désigne pas la France, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Shoe Branding de toutes ses demandes, de donner acte aux concluantes que la société Shoe Branding a abandonné sa demande de déchéance des marques figuratives françaises n° 1 274 960 et 1 574 962, d'infirmer le jugement en ce qu'il les déboute de leur demande de dommages et intérêts, de condamner de ce chef la société Shoe Branding au paiement d'une somme de 15 000 euro ainsi qu'au paiement d'une indemnité de procédure de 30 000 euro.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 14 mai 2014.

SUR CE

Attendu qu'il est renvoyé pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties au jugement entrepris duquel il résulte essentiellement que :

- la société Shoe Branding est propriétaire de la marque figurative française n° 1326954, déposée le 16 octobre 1985 pour désigner des chaussures, régulièrement renouvelée en classe 25, qu'elle a acquise de la société Patrick Holding APS en décembre 2008, constituée par deux bandes "telles qu'elles sont précisément disposées sur la chaussure" selon la description faite au dépôt ;

- les sociétés Adidas France et Adidas International Trading BV, filiales de la société Adidas AG, assurent respectivement la commercialisation en France des articles de sport Adidas (Adidas France) et gère la plate-forme d'approvisionnement des filiales nationales ainsi que les commandes via les sites Internet (Adidas International Trading BV) ;

- au motif que ces deux sociétés commercialisaient, l'une dans ses "boutiques", l'autre sur le site marchand http://shop.adidas.fr, 9 modèles de chaussure porteurs de signes qu'elle estimait contrefaisants de sa marque figurative, la société Shoe Branding a, ensuite de constats d'huissier dressés les 28 mai et 6 septembre 2010 et d'un constat d'achat du 8 juin 2010, assigné le 8 août 2010 les intéressées en contrefaçon de sa marque sinon en concurrence déloyale ;

Attendu que c'est dans ces conditions qu'est intervenu le jugement de débouté dont appel qui a notamment considéré que les signes prétendus contrefaisants n'étaient que l'exploitation des marques figuratives françaises n° 1574 960 et 1574 962 déposées par la société Adidas A.G. le 1er juin 1965 en classe 25, régulièrement renouvelées depuis, et désignant des chaussures de sport et de loisirs ;

Qu'il sera tout d'abord observé qu'en appel, la société Shoe Branding ne se prévaut plus de sa marque internationale en sorte que la demande des sociétés Adidas tendant à voir celle-ci écartée des débats est sans objet ;

Sur la déchéance de la marque :

Attendu que la société Shoe Branding fait observer qu'en la déboutant de sa déchéance des marques Adidas au terme d'une analyse de leur exploitation depuis 1965, le tribunal a statué sur une demande qu'elle n'avait pas formulée en première instance et qu'elle ne présente pas en appel ;

Que la cour constate à la lecture de ses conclusions signifiées le 6 janvier 2012 que si la société Shoe Branding sollicitait dans le corps de ses conclusions (page 19) la déchéance de la marque, cette demande n'était pas reprise au dispositif ;

Attendu que le jugement sera donc réformé de ce chef ;

Sur la contrefaçon de marque :

Attendu que la société Shoe Branding fait valoir que la détention par Adidas des marques figuratives françaises sus désignées, au demeurant tombées en désuétude et inexploitées, est inopérante dans le présent litige dès lors que les signes prétendus contrefaisants reproduits sur les 9 modèles de chaussures en cause ne constituent pas l'exploitation de ces marques figuratives caractérisées par un rectangle ou carré noir au sein duquel sont apposées trois bandes blanches de même longueur équidistantes, distantes des bords du carré ou du rectangle et obliques, se dirigeant du haut vers le bas en direction de la droite ;

Qu'elle soutient que le rectangle et le carré noir sont des caractéristiques de ces marques figuratives dont les intimées prétendent s'affranchir afin de s'assurer l'exclusivité de l'exploitation sur les bandes parallèles quel que soit leur positionnement sur les chaussures ;

Qu'elle ajoute que le moyen opposé par les intimées tiré des dispositions de l'article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle est inopérant en l'absence de demande de déchéance de la marque ;

Attendu qu'elle estime donc la cour tenue de cantonner son examen à la comparaison des modèles dits contrefaisants avec sa marque figurative ;

Attendu que les intimées objectent que les marques figuratives françaises détenues par Adidas A.G.se caractérisent par trois bandes contrastantes disposées de manière oblique, allant de la droite vers la gauche quand on les considère de bas en haut, sans aucune contrainte de positionnement sur les produits qu'elles désignent, le carré ou parallélogramme sur lesquels sont apposées ces bandes ne constituant en aucune façon un élément à part entière des signes protégés mais constituant un fond destiné à faire ressortir, par contraste, les bandes objet de la protection dont ni la longueur ni la couleur ni même l'inclinaison ne constituent des éléments distinctifs ;

Qu'elles observent au demeurant que la description faite au dépôt s'affranchit de toute contrainte de positionnement dès lors qu'elle précise que "la marque (...) pourra varier de forme de caractères, de disposition, de dimension et de couleur, pourra être apposée à plat, en creux ou en relief et de toute façon convenable sur les emballages, empaquetages etc..." ;

Qu'elles soulignent que l'examen des modèles de chaussures de sport créés par Adidas depuis 1978 révèlent l'usage constant de ces trois bandes parallèles et équidistantes, positionnées de l'avant vers l'arrière ou de la droite vers la gauche, habituellement désignées sous l'appellation la 'marque à trois bandes' qui font la renommée d'Adidas ;

Qu'elles se prévalent subsidiairement des dispositions de l'article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle en vertu desquelles est assimilée à un usage de la marque son utilisation sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif ;

Attendu que la cour considère tout d'abord que le rectangle et le carré noir représentés au dépôt des deux marques figuratives françaises d'Adidas ne sont pas des éléments constitutifs de celles-ci mais sont un support de teinte contrastée destiné à mettre en évidence les éléments distinctifs des deux marques, la description accompagnant le dépôt étant à cet égard explicite de la volonté du déposant de s'affranchir de toute contrainte de positionnement par rapport à un cadre, les éléments distinctifs de la marque étant constitués par les trois bandes parallèles d'égale épaisseur, à égale distance les unes des autres et inclinées suivant un angle plus ou moins accentué selon les deux marques, ce procédé étant d'usage courant ainsi que le montre la communication par les intimées des logos de marques françaises ou communautaires comme Peugeot, Puma, Citroën ou encore Le Coq Sportif ;

Attendu qu'au demeurant, à supposer comme le prétend la société Shoe Branding que ces rectangle et carré noir fassent partie intégrante de la marque figurative ainsi que l'a notamment jugé la deuxième Chambre des recours de l'OHMI dans sa décision du 28 Novembre 2013 (non encore définitive selon les sociétés Adidas qui évoquent un recours devant la Cour de Justice de l'Union Européenne), la Cour de céans rappelle que caractérise un usage de la marque selon l'article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle son utilisation sous une forme modifiée pourvu que celle-ci n'en altère pas le caractère distinctif en sorte que la cour estime que la déclinaison de trois bandes parallèles, d'égale couleur et épaisseur, à égale distance les unes des autres, sur de très nombreux modèles de chaussures créés par Adidas (dont attestent les extraits de catalogue produits par les intimées) sur lesquels elles sont reproduites dans une position inclinée par rapport à l'axe horizontal de la semelle, caractérise l'usage des deux marques figuratives litigieuses ;

Attendu, s'agissant plus particulièrement des 9 modèles de chaussure critiqués par la société Shoe Branding, que la cour constate, comme l'établit le tableau comparatif dressé par les intimées reproduisant les modèles litigieux (dont le jugement reprend la nomenclature, page 6), que ceux-ci déclinent, sous de légères variantes qu'imposent la forme des modèles créés, trois bandes parallèles entre elles, d'une même couleur contrastant avec le support, d'égale épaisseur, à égale distance les unes des autres et inclinées dans un mouvement ascendant de l'avant vers l'arrière de la chaussure, reproduisant ainsi les éléments distinctifs des marques figuratives dont se prévalent les sociétés Adidas et qui font la notoriété de cette dernière ;

Attendu que les droits antérieurs dont justifient les intimées font donc obstacle à l'action en contrefaçon initiée par la société Shoe Branding au visa de sa marque figurative dont la cour rappelle qu'elle est une marque de position caractérisée selon le schéma reproduit au dépôt par deux fines bandes parallèles placées sur le côté de la chaussure, partant de la semelle et légèrement inclinées dans un mouvement ascendant vers l'arrière de la chaussure, disposées de telle façon que la bande arrière joigne la partie la plus incurvée du haut de la chaussure, dans un positionnement bien différent de celui adopté par Adidas.sur les modèles critiqués ;

Attendu que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il déboute la société Shoe Branding de son action en contrefaçon ;

Sur la concurrence déloyale :

Attendu que la société Shoe Branding fait encore grief au tribunal d'avoir rejeté son action en concurrence déloyale au motif que le positionnement de bandes obliques sur les chaussures commercialisées par les société Adidas ne pouvait caractériser un agissement parasitaire dès lors que celles-ci n'avaient fait qu'exploiter leurs deux marques figuratives alors que l'ensemble des productions des intimées démontre au contraire que la société Adidas, dont la marque notoire était composée de trois bandes inclinées dans un mouvement ascendant vers l'avant de la chaussure, a orienté à partir de 2005 ses créations sur un positionnement des bandes vers l'arrière de la chaussure, similaire à celui de la marque Patrick (aujourd'hui Shoe Branding), manifestant ainsi sa volonté de parasiter les efforts promotionnels de sa concurrente ;

Attendu que les intimées objectent que cette demande, qui ne repose sur aucun fait distinct, ne peut prospérer et observent que cette orientation des bandes vers l'arrière de la chaussure, utilisée par Adidas depuis 1978 au moins, est antérieure aux droits dont se prévaut la société Shoe Branding ;

Attendu que les productions des sociétés Adidas révèlent que la société Patrick (aux droits de laquelle se trouve depuis 2008 la société Shoe Branding), prospère dans les années 70 (elle est alors désignée comme le numéro 2 français de la chaussure de sport selon le Journal du textile du 3 novembre 2003), a périclité dans les années 80, a déposé le bilan en 1987, a connu plusieurs repreneurs avant d'être rachetée en 2000 par l'héritier du fondateur de la marque qui, sous l'enseigne Patrick Europe, "redémarre quasiment de zéro" (interview des Echos du 2 janvier 2006) ;

que la revue Sport Première de juillet août 2011 évoque une relance décisive de la marque à partir de 2008 ;

Attendu que la société Shoe Branding ne conteste pas cette chronologie ;

Attendu que, de leur côté, les intimées produisent de nombreux documents publicitaires qui établissent qu'indépendamment des modèles cyclistes porteurs dès 1978 de bandes verticales voire légèrement inclinées vers l'arrière de la chaussure (cf le modèle Merckx), à partir de 1997 divers modèles Adidas comportent trois bandes inclinées de l'avant de la chaussure vers l'arrière ;

que c'est le cas du modèle Spy Lo en 1997, des chaussures de tennis (gamme Court Comfort et Starstripe de l'été 1997, des chaussures de tennis Top Rank de l'automne/hiver 1997/1998 ainsi que des modèles Multi-Sports Thyphoon et Mcfly ;

que l'utilisation se développe à l'été 1998 avec les modèles Alaxy 3, Condorf, Converter, Galaxy 3, Adistar Sprint et Meteoric, se poursuit en 1999 avec les modèles Glory, Power Lo, Adistar LD et SC, Rat Racer, Riozamba in au printemps 2000, ce dernier (sous la référence 663042) annonciateur des bandes effilées vers l'arrière de la chaussure dont sont porteurs les 9 modèles invoqués par la société Shoe Branding au soutien de son action ;

Attendu que les catalogues des collections des années ultérieures traduisent la poursuite de la création de modèles reproduisant ce mouvement ascendant des 3 bandes vers l'arrière de la chaussure ;

Attendu que rachetant en 2008 une marque qui avait périclité dans les années 80 et redémarré dans les années 2000 (les catalogues les plus anciens datés qu'elle produit datent de 2004), la société Shoe Branding ne peut reprocher aux intimées dont les modèles porteurs des marques figuratives françaises d' Adidas se développaient déjà en 1998 d'avoir parasité les efforts de promotion de son concurrent et imité ses produits notoires ;

Attendu que le jugement sera de même confirmé en ce qu'il déboute la société Shoe Branding de ce chef ;

Sur les demandes accessoires :

Attendu que la cour estime que le droit pour la société Shoe Branding d'agir en protection de sa marque et d'exercer les recours que la loi autorise n'a pas dégénéré en abus ;

Attendu que la demande de dommages et intérêts des intimées sera rejetée et le jugement confirmé de ce chef ;

Attendu que l'équité commande, par contre, de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit des intimées suivant modalités prévues au dispositif ;

Par ces motifs Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions excepté en ce qu'il déboute la société Shoe Branding de sa demande de déchéance de la marque. Statuant de ce chef et y ajoutant : Constate que la société Shoe Branding ne forme pas de demande de déchéance des marques figuratives Adidas n° 1574 960 et 1574 962. Condamne la société Shoe Branding à verser aux société Adidas France et Adidas International BV une indemnité de procédure de 10 000 euro. Condamne la société Shoe Branding aux dépens d'appel avec faculté de recouvrement au profit de la SCP Deleforge & Franchi conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.