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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 11 septembre 2014, n° 12-23350

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Puig France (SAS)

Défendeur :

Art & Fragrance Services (SAS), Marchier (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur

Avocats :

Mes Texier, Berthault, de la Taille, Klein

T. com Paris, 11e ch., du 30 nov. 2012

30 novembre 2012

Faits et procédure

La société Puig France, anciennement dénommée Paco Rabanne Parfums et qui a absorbé la société Parfums Nina Ricci, a pour activité, notamment, la fabrication, l'achat et la vente de parfums et de produits et articles liés à la parfumerie.

Dans le cadre d'un plan de restructuration mis en œuvre en 2005, l'usine de production de parfums de la société Parfums Nina Ricci, située à Ury, a été fermée. La société Parfums Nina Ricci a signé une convention Etat-Entreprise aux termes de laquelle elle s'est engagée à réindustrialiser ce site pour y implanter une nouvelle société. Dans cette perspective, des contacts ont été noués avec M. Hauchard, dirigeant de la société Routex spécialisée dans le routage, et ont abouti à la constitution par celui-ci de la société Cosmetics Perfumes Services (société CPS) pour reprendre l'activité de conditionnement de produits de parfumerie et de cosmétiques de la société Parfums Nina Ricci. Par ailleurs, une autre structure, la SCI CPS Immobilier, a été créée et a acquis, via un contrat de crédit-bail, les actifs immobiliers et les installations du site qu'elle a ensuite sous-loués à la société CPS.

Les relations commerciales entre les parties ont d'abord été encadrées par un premier contrat du 19 octobre 2005 puis par un autre contrat du 31 janvier 2006, par lequel les sociétés Parfums Nina Ricci et Paco Rabanne Parfums ont sous-traité à la société CPS le conditionnement de produits promotionnels ou d'autres articles assimilés, composés d'articles de parfums et de soins. Le contrat du 31 janvier 2006 a été conclu pour une durée de 2 ans, donc jusqu'au 31 décembre 2007, et était renouvelable par tacite reconduction. Il comportait l'engagement des donneurs d'ordre de sous-traiter sur cette durée à la société CPS une activité " qui ne sera pas inférieure à 50 000 heures de travail par an. ". A son expiration, un nouveau contrat a été conclu avec la société Paco Rabanne Parfums le 11 février 2008, avec effet au 1er janvier 2008, pour une durée d'un an, jusqu'au 31 décembre 2008 ; contrairement au précédent, il ne comportait pas de clause de tacite reconduction, mais prévoyait qu'" un rendez-vous sera organisé en novembre 2008 pour faire un bilan de l'année 2008 et envisager les termes d'un engagement contractuel pour l'année 2009 ". Aucun autre contrat n'a été ensuite signé et en 2009 la société Paco Rabanne Parfums a passé quelques commandes à la société CPS, puis a lancé un appel d'offres, mais cette dernière société n'a pas été retenue.

La société CPS a été placée en redressement judiciaire le 1er février 2010. Le 15 avril 2010, elle a assigné les sociétés Parfums Nina Ricci et Paco Rabanne Parfums et a demandé leur condamnation à lui payer la somme de 3 235 025 euros à titre de dommages et intérêts pour abus de dépendance économique et rupture brutale de relations commerciales établies.

Par jugement rendu le 30 novembre 2012, le Tribunal de commerce de Paris a :

condamné la société Puig anciennement dénommée Paco Rabanne et venant aux droits de la société Nina Ricci, à verser à la société CPS la somme de 1 827 928,16 € au titre des préjudices subis ;

ordonné l'exécution provisoire de la moitié de cette somme, soit 913 964,16 euros ;

condamné la société Puig anciennement dénommée Paco Rabanne et venant aux droits de la société Nina Ricci à verser à la société CPS la somme de 12 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

prononcé la mise hors de cause de Me Yves Coudray, précédemment partie à la procédure et constate que Me Michel Marchier, précédemment administrateur judiciaire, intervient aujourd'hui à cette procédure en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

Vu l'appel interjeté par la société Puig le 21 décembre 2012 contre cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Puig le 9 avril 2014 par lesquelles il est demandé à la cour de :

déclarer la société Puig France recevable et bien fondée en son appel ;

Y faisant droit,

infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

dire et juger la société Puig France recevable et bien fondée en ses demandes ;

dire et juger que la relation entre la société Puig France et la société CPS ne caractérise aucune exploitation abusive d'une situation de dépendance économique susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence ;

dire et juger que la société Puig France n'a pas rompu brutalement et sans préavis des relations commerciales établies avec la société CPS ;

dire et juger en conséquence que la société Puig France n'a commis aucune faute engageant sa responsabilité ;

dire et juger, au demeurant, que la société CPS et Me Michel Marchier, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan, ne rapportent pas la preuve du préjudice invoqué ;

En conséquence,

débouter la société CPS et Me Marchier, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan, de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

condamner la société CPS et Me Marchier, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan, à verser à la société Puig France la somme de 40 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'appelante rappelle d'abord la spécificité du marché de la parfumerie, marqué par la concentration de l'activité de conditionnement de coffrets promotionnels sur la période des fêtes des mères et des pères et sur la période de Noël. Elle affirme que les sociétés Parfums Nina Ricci et Paco Rabanne Parfums ont parfaitement respecté leurs engagements de volume d'activité sous-traitée à la société CPS mais que celle-ci, en revanche, a connu de nombreuses difficultés d'organisation concernant notamment la gestion des stocks, le contrôle qualité en cours de production et l'irrégularité dans la facturation.

Elle rappelle que le dernier contrat signé pour l'année 2008 était à durée déterminée et que la société CPS, qui savait qu'elle n'avait aucune garantie que ce contrat serait reconduit, a choisi de procéder à de lourds investissements, tant matériels qu'humains, auxquels elle n'a pas été en mesure de faire face. La société Puig considère, en conséquence, que les difficultés qu'a rencontrées la société CPS et la cessation des paiements qui s'en est suivie lui sont exclusivement imputables.

En ce qui concerne l'abus de dépendance économique qui lui est reproché, la société Puig soutient qu'il n'est nullement démontré au regard des dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce et elle fait d'abord valoir que les critères caractérisant, selon ce texte, un état de dépendance économique ne sont pas réunis en l'espèce. Ainsi, s'agissant de la reprise par la société CPS du site d'Ury, elle souligne que cette opération résulte d'un choix stratégique de M. Hauchard, créateur de la société CPS, et que ce site a été cédé à un prix avantageux à la société CPS Immobilier. Elle affirme, par ailleurs, que la société CPS ne réalisait avec les sociétés Parfums Nina Ricci et Paco Rabanne Parfums qu'une partie seulement de son chiffre d'affaires - de l'ordre d'un tiers -, et qu'elle disposait de solutions alternatives puisqu'elle est parvenue à traiter avec d'autres clients.

La société Puig considère ensuite que le tribunal a commis une erreur de droit en ne démontrant pas, comme l'impose l'article L. 420-2 du Code de commerce, qu'il a été porté atteinte au fonctionnement et à la structure de la concurrence.

Enfin, elle conteste avoir commis les abus qui lui sont reprochés et elle affirme avoir respecté ses engagements contractuels en matière de volume d'activité sous-traitée.

En ce qui concerne la rupture brutale des relations commerciales établies à laquelle elle aurait procédé en 2009, elle affirme qu'elle n'a pas rompu ces relations puisqu'au contraire, elle a continué à passer des commandes à la société CPS jusqu'en 2010. Elle rappelle que, comme cela était contractuellement prévu, une réunion s'est tenue le 29 novembre 2008 au cours de laquelle il a été décidé que les relations se poursuivraient, non pas sur la base d'un contrat, mais sur la base de campagnes d'appels d'offres dans les mêmes conditions que les autres sous-traitants ; il en est résulté que les relations se sont poursuivies jusqu'en 2010, et cela en dépit du redressement judiciaire de la société CPS, et qu'au jour de l'assignation, la société Paco Rabanne lui passait encore des commandes.

Vu les dernières conclusions signifiées le 1er avril 2014 par la société Cosmetics Perfumes Services et Me Michel Marchier en qualité de commissaire à l'exécution du plan de cette société, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

dire l'appel recevable mais infondé ;

constater que par la suite de la fusion absorption intervenue le 30 novembre 2010, la société Nina Ricci a été absorbée par la société Paco Rabanne Parfums qui est devenue la société Puig France ;

constater que Me Michel Marchier, précédemment administrateur judiciaire, intervient aujourd'hui à cette procédure en qualité de commissaire à l'exécution du plan ;

dire et juger que les sociétés Nina Ricci et Paco Rabanne ont abusé de l'état de dépendance économique dans lequel se trouvait la société CPS aujourd'hui dénommée Art & Fragrance Services, en ne satisfaisant pas à leur obligation de chiffre d'affaires minimal garanti ;

dire et juger que l'exploitation abusive de l'état de dépendance économique a causé un préjudice à la société CPS aujourd'hui dénommée Art & Fragrance Services ;

dire et juger que les sociétés Nina Ricci et Paco Rabanne aux droits et obligations desquelles se trouvent la société Puig France ont rompu brutalement en 2009 les relations commerciales qu'elles entretenaient avec la société CPS aujourd'hui dénommée Art & Fragrance Services ;

dire et juger que dans cette hypothèse le préjudice indemnisable est constitué par la perte de marge subie sur les deux années 2009 et 2010 ;

confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 31 novembre 2012 en ce qu'il a condamné la société Puig venant aux droits de la société Nina Ricci pour avoir abusé de la situation de dépendance économique de la société CPS et pour rupture brutale de la relation commerciale établie et en ce qu'il a condamné Puig France au paiement d'une indemnité de 12 500 € au visa de l'article 700 du Code de procédure civile ;

infirmer le quantum des condamnations retenu par le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 31 novembre 2012 ;

condamner la société Puig France au paiement de la somme de 264 045 € au titre de l'indemnisation du préjudice résultant de l'exploitation abusive de la relation de dépendance économique concernant les années 2005 à 2007 par réduction du chiffre d'affaires garanti qui devait être confié à la société CPS ;

condamner la société Puig au paiement de :

- la somme de 782 147 € au titre du préjudice résultant de l'exploitation abusive de la relation de dépendance économique par réduction du chiffre d'affaires garanti qui devait être confié à la société CPS concernant l'année 2009 ;

- la somme de 1 100 078 € au titre du préjudice résultant de l'exploitation abusive de la relation de dépendance économique par réduction du chiffre d'affaires garanti devant être confié à la société CPS concernant l'année 2010 ;

Dans l'hypothèse où il serait jugé que l'indemnisation des préjudices subis au titre des exercices 2009 et 2010 relèverait de l'indemnisation au titre de la rupture abusive de la relation au visa de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,

condamner le groupe Puig au paiement d'une indemnité de 1 827 928,31 € au visa des dispositions de l'article L. 420-2 II et L. 442-6 I 5° du Code de commerce, au titre de l'indemnisation des préjudices des exercices 2009 et 2010 ;

condamner la société Puig France au paiement d'une indemnité de 15 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les intimés soutiennent que les sociétés Parfums Nina Ricci et Paco Rabanne Parfums n'ont pas respecté leurs engagements contractuels de volume d'activité sous-traitée et que contre toute attente, elles ont, à partir de 2009, imposé à la société CPS une quasi rupture de fait de la relation commerciale caractérisée par un effondrement du chiffre d'affaires qui est passé de 1 409 151 euros en 2008 à 476 092 euros en 2009, provoquant ainsi la cessation des paiements de cette société.

Ils considèrent, en premier lieu, que la société CPS a, ce faisant, été victime d'un abus de dépendance économique de la part de ses donneurs d'ordre. Cette dépendance procédait, selon eux, des circonstances dans lesquelles la société CPS a été créée pour se substituer à la société Parfums Nina Ricci dans l'exploitation du site de production d'Ury et afin de reprendre ses anciens salariés, de la part importante du chiffre d'affaires réalisée avec cette société et avec la société Paco Rabanne Parfums et de l'absence de solutions alternatives. Les intimés prétendent que les donneurs d'ordre ont abusé de cette dépendance économique en ne respectant pas leurs engagements contractuels et en imposant des réductions drastiques de chiffre d'affaires. Ils évaluent le chiffre d'affaires perdu à 873 908 euros en 2009 et 1 229 138 euros en 2010.

En second lieu, les intimés soutiennent que les donneurs d'ordre ont brutalement rompu les relations commerciales établies avec la société CPS, en réduisant progressivement leurs commandes, puis en ne la consultant plus dans le cadre de leurs appels d'offres. Compte tenu de l'ancienneté de ces relations, ils considèrent qu'un préavis de deux années aurait dû être accordé à la société CPS.

En ce qui concerne son préjudice, la société CPS demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Puig, mais de le réformer en ce qui concerne le quantum des dommages et intérêts prononcés. Elle réclame à ce titre, sur le fondement de l'abus de dépendance économique, les sommes de 782 147 euros et 1 100 078 euros au titre du préjudice résultant de la réduction du chiffre d'affaires en 2009 et 2010 ; si ce préjudice était considéré comme relevant de la rupture brutale de relations commerciales établies, elle fixe alors le montant de sa demande à la somme de 1 827 928,31 euros.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur l'abus de dépendance économique

La société CPS prétend que les sociétés Parfums Nina Ricci et Paco Rabanne Parfums ont abusivement exploité, au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce, l'état de dépendance économique dans laquelle elle se trouvait à leur égard. Pour démontrer cette dépendance, elle invoque, notamment, l'importance du chiffre d'affaires qu'elle réalisait avec ces sociétés sans disposer de solutions alternatives et les circonstances dans lesquelles elle-même s'est substituée, dès sa création, à la société Parfums Nina Ricci pour l'exploitation de l'usine d'Ury, afin d'en reprendre les salariés. La société Puig conteste la pertinence de ces arguments et soutient qu'aucun d'entre eux ne démontre la dépendance économique alléguée.

Mais, sans qu'il soit besoin de déterminer si les éléments produits par la société CPS suffisent à caractériser la situation de dépendance économique qu'elle allègue, la Cour constate qu'en toute hypothèse elle ne démontre pas l'abus qu'elle reproche aux donneurs d'ordres.

Selon la société CPS, l'abus dont elle a été victime a consisté d'abord dans l'insuffisance du chiffre d'affaires des années 2006 et 2007 par rapport aux engagements contractuels, puis dans l'" effondrement " de ce chiffre d'affaires en 2009.

S'agissant des années 2006 et 2007, les relations entre les parties étaient régies par le contrat du 31 janvier 2006, qui a pris effet au 1er janvier précédent et s'était substitué au contrat conclu le 19 octobre 2005. Aux termes de ce contrat, les sociétés Parfums Nina Ricci et Paco Rabanne Parfums s'étaient engagées à sous-traiter à la société CPS, jusqu'au 31 décembre 2007, un volume annuel de 50 000 heures de travail, les prestations effectuées étant facturées à 27 euros l'heure (art. 2 et 5 du contrat), soit un chiffre d'affaires annuel de 1 350 000 euros. La société CPS prétend que cet engagement n'a pas été respecté en 2006, puisqu'elle n'a réalisé avec ses donneurs d'ordre qu'un chiffre d'affaires de 1 339 957 euros. Mais comme le souligne la société Puig, il convient d'ajouter à ce montant le chiffre d'affaires réalisé en 2005, qui s'élève à 98 244,68 euros (pièce Puig n° 17), puisque le contrat contenait une clause prévoyant que " pour l'année 2006, les heures de travail sont comptabilisées de septembre 2005 à décembre 2006 " (art. 5 alinéa 2 du contrat). La société CPS soutient, de même, qu'elle n'a réalisé en 2007 avec ses donneurs d'ordre qu'un chiffre d'affaires de 1 211 264 euros, inférieur par conséquent au minimum qui lui était contractuellement garanti. Mais il convient d'y ajouter des facturations tardives dues à des retards de livraison (courrier du 4 décembre 2007 - pièce n° 12 produite par la société Puig), de sorte que le chiffre d'affaires s'établit en réalité à 1 354 147 euros HT.

Il résulte de ces données que les donneurs d'ordre ont, pour les années 2006 et 2007, respecté leur engagement contractuel consistant à sous-traiter à la société CPS au moins 50 000 heures de travail.

La société CPS, par ailleurs, soutient que ses donneurs d'ordre ont exploité abusivement l'état de dépendance économique dans lequel elle se trouvait à leur égard en imposant, à partir de 2009, une réduction du chiffre d'affaires ; elle voit dans cette réduction un " effondrement brutal " qui est à l'origine des difficultés ayant conduit à son redressement judiciaire, puisque son chiffre d'affaires avec ses donneurs d'ordre n'a été en 2009 que de 476 092 euros alors qu'il avait été de 1 409 151 euros en 2008.

Mais force est de constater que, pour importante qu'elle soit, cette baisse n'est contraire à aucun engagement pris par les donneurs d'ordre. En effet, les relations commerciales entre les parties n'étaient plus régies, en 2009, par le contrat du 11 février 2008, ce contrat ayant été conclu pour une durée déterminée d'un an prenant fin le 31 décembre 2008, sans clause de reconduction tacite. Ces relations se sont, d'un commun accord, poursuivies sans nouveau contrat formalisé, sur la base des décisions arrêtées et des propositions faites lors d'une réunion tenue le 29 novembre 2008, la société Paco Rabanne ayant " proposé " de confier à la société CPS, pour le premier trimestre 2009, " en moyenne, 100 000 euros d'activité mensuelle " et indiqué que " la campagne coffrets Noël 2009 sera présentée à CPS comme aux autres sous-traitants courant janvier 2009 dans le cadre d'un appel d'offres " (Point 5 du compte rendu de réunion - pièce Puig n° 11).

Or, il est établi que la société CPS a réalisé avec la société Paco Rabanne Parfums, au cours du 1er trimestre 2009, un chiffre d'affaires HT de 301 117,33 euros, donc conforme aux propositions ci-dessus rappelées, et au 2e trimestre de cette même année, un chiffre d'affaires de 89 378,59 euros ; l'activité s'est d'ailleurs poursuivie au 2e semestre, de sorte que le chiffre d'affaires total de l'année 2009 s'est élevé à 476 092 euros. La baisse du chiffre d'affaires constatée à partir de 2009, ne saurait donc caractériser un abus, puisqu'elle est conforme aux engagements et propositions du donneur d'ordre.

Il en résulte que ni le niveau du chiffre d'affaires réalisé en 2006 et 2007, ni sa baisse en 2009 ne caractérisent un abus de la part des donneurs d'ordre puisqu'ils sont conformes aux engagements contractuels souscrits et aux décisions arrêtées en commun. Le jugement entrepris sera donc infirmé.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

La société CPS soutient que la société Puig, en imposant à partir de 2009 une chute du volume d'activité sous-traitée, et en s'abstenant de la consulter dans le cadre de ses appels d'offres, a rompu brutalement les relations commerciales établies entre elles et qu'elle engage à ce titre sa responsabilité en application des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.

La cour observe, en premier lieu, que les relations commerciales entre les parties ont commencé en 2005 et se sont poursuivies au moins jusqu'en avril 2010, date de l'assignation délivrée par la société CPS ; sur cette période, le volume de l'activité sous-traitée a représenté les chiffres d'affaires suivants : 199 647 euros en 2005, 1 339 957 euros en 2006, 1 211 264 euros en 2007, 1 409 151 euros en 2008, 476 092 euros en 2009, 120 862 euros en 2010.

Ces données, non contestées, font apparaître une baisse significative de l'activité en 2009, puisque le montant des commandes passées par les donneurs d'ordre (476 092 euros) a représenté un tiers du montant de l'année précédente (1 409 151 euros). S'il est exact que, comme le rappelle la société CPS, les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce trouvent à s'appliquer non seulement en cas de rupture totale de relations commerciales établies, mais aussi en cas d'une rupture partielle de telles relations, caractérisée par une chute des commandes, les conditions n'en sont pas en l'espèce réunies.

En effet, à supposer que la baisse du chiffre d'affaires puisse, à raison de son importance, être considérée comme une rupture partielle des relations commerciales, il résulte du dossier que, loin d'être intervenue soudainement, elle avait été convenue entre les parties, ou en tout cas annoncée par la société Paco Rabanne Parfums. C'est ainsi que le contrat du 11 février 2008, sous l'empire duquel la société Paco Rabanne Parfums a sous-traité un volume d'activité représentant un chiffre d'affaires de 1 409 151 euros, prévoyait expressément qu'il était conclu pour une durée déterminée d'un an, " à compter du 1er janvier 2008 jusqu'au 31 décembre 2008 " et, contrairement au précédent contrat, ne comportait pas de clause de reconduction tacite (art. 3 al. 1). Il était donc clairement entendu entre les parties que l'engagement souscrit par la société Paco Rabanne Parfums, aux termes de ce même contrat, de sous-traiter un volume d'activité représentant au moins un million d'euros ne valait que pour l'année 2008, sans aucune garantie d'être renouvelé pour l'année suivante. Ce caractère strictement limité de l'engagement du donneur d'ordre est encore renforcé par une clause, ainsi rédigée, par laquelle les parties ont expressément envisagé l'éventuelle poursuite de leurs relations commerciales en 2009 : " Il est convenu par les deux Parties qu'un rendez-vous sera organisé en novembre 2008 pour faire un bilan de l'année 2008 et envisager les termes d'un engagement contractuel pour l'année 2009 " (art. 3 al. 2). Conformément à ces stipulations, une réunion s'est tenue le 29 novembre 2008, dont le compte rendu écrit qui avait été établi et distribué à chacun de ses participants a été versé au dossier (pièce n° 11). S'agissant des perspectives d'activité pour l'année 2009, ce compte rendu comporte les conclusions suivantes : " Le portefeuille de commandes pour le premier trimestre est présenté. En moyenne, 100 k euros d'activité mensuelle sont proposés. La campagne coffrets Noël 2009 sera présentée à CPS comme aux autres sous-traitants courant janvier 2009 dans le cadre d'un appel d'offres " (Compte Rendu de Réunion - point 5 " Activité à venir proposée par Puig - pièce n° 11).

La société CPS ne peut donc soutenir, comme elle le fait, qu'il lui était impossible d'imaginer, à la suite de cette réunion, que le chiffre d'affaires n'atteindrait pas son niveau de 2008. En effet, il ressort très clairement et sans équivoque de la formule qu'on vient de rappeler, qu'on l'interprète comme un véritable engagement ou comme une simple prévision d'activité, que le chiffre d'affaires mensuel de 100 000 euros ne porte strictement que sur le premier trimestre de l'année 2009, le reste de l'année étant tourné vers la préparation de la période de Noël et la société Puig ayant expressément indiqué qu'elle recourrait alors à un appel d'offre.

En toute hypothèse, comme la cour l'a relevé plus haut, le chiffre d'affaires réalisé par la société CPS en 2009 a été conforme aux données figurant dans ce compte rendu, puisqu'il s'est élevé à 301 117,33 euros au premier trimestre, 89 378,59 euros au deuxième trimestre et 476 092 euros pour l'année entière. Ainsi, à l'inverse de ce que soutient la société CPS, la baisse en 2009 du chiffre d'affaires par rapport à 2008 n'a été ni imprévisible, ni soudaine puisqu'elle a, au contraire, été expressément annoncée pas la société Paco Rabanne Parfums Il en va de même pour l'année 2010, puisque la société CPS ne démontre pas que le chiffre d'affaires de 120 61,79 euros qu'elle a réalisé avec la société Puig était contraire aux engagements pris par celle-ci ou aux espérances qu'elle pouvait raisonnablement avoir que ce chiffre d'affaires retrouverait son niveau de 2008.

En ce qui concerne les appels d'offres lancés par la société Puig, il est établi, à l'inverse de ce que prétend la société CPS, que celle-ci a bien été consultée pour la campagne de Noël 2009, comme la société Puig s'y était engagée (compte-rendu de la réunion du 29 novembre 2008 - pièce n° 11). La société CPS, par ailleurs, ne fournit à l'appui de ses allégations aucune indication sur d'autres appels d'offres dont elle aurait été arbitrairement écartée.

Dès lors, force est de constater que les éléments fournis par la société CPS ne caractérisent pas une rupture brutale des relations commerciales établies susceptible d'engager, par application des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, la responsabilité de la société Puig. La demande de la société CPS sera donc rejetée.

Sur les frais irrépétibles

Il n'apparaît pas justifié, au regard des éléments du dossier, de prononcer de condamnation au regard de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Constate que par la suite de la fusion absorption intervenue le 30 novembre 2010, la société Nina Ricci a été absorbée par la société Paco Rabanne Parfums qui est devenue la société Puig France ; Constate que Maître Michel Marchier intervient en qualité de Commissaire à l'exécution du plan ; Infirme le jugement attaqué ; Rejette les demandes de condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes les demandes autres, plus amples ou contraires des parties ; Condamne la société Cosmetics Perfumes Services aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.