CA Versailles, 12e ch., 9 septembre 2014, n° 13-00982
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Alize Clim (SARL)
Défendeur :
Degré Celsius (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rosenthal
Conseillers :
Mmes Calot, Orsini
Avocats :
Mes Cizeron, Sorriaux, Auchet, Hudson
Vu l'appel interjeté le 4 février 2013 par la société Alize Clim à l'encontre d'un jugement rendu le 20 décembre 2012 par le tribunal de commerce de Pontoise qui l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée au paiement de la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens et a débouté la société Degré Celsius de sa demande reconventionnelle ;
Vu les dernières écritures signifiées le 14 mai 2014 par lesquelles la société Alize Clim demande à la cour d'infirmer le jugement et de :
- dire que la société Degré Celsius a commis des fautes à son préjudice,
- désigner un expert avec mission notamment de fournir à la Cour tous les éléments nécessaires à la détermination de la clientèle détournée par la société Degré Celsius et au chiffrage du préjudice subi par la société Alize Clim du fait de ces détournements ;
Subsidiairement,
- condamner la société Degré Celsius à payer à la société Alize clim la somme de 1 192 800 euros au titre de la réparation de son préjudice financier calculé en fonction de l'avantage économique réalisé par l'auteur des actes déloyaux et parasitaires et 50 000 euros au titre du préjudice moral
pour trouble commercial,
- condamner la société Degré Celsius au paiement de la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens;
Vu les dernières écritures signifiées le 13 juin 2013 aux termes desquelles la société Degre Celsius prie la cour de:
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement,
- débouter la société Alize Clim de l'ensemble de ses demandes, y compris sa demande d'expertise judiciaire,
Statuant à nouveau,
- condamner la société Alize Clim à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages intérêts pour atteinte à l'image de l'entreprise, celle de 10.000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et injustifiée et celle de 7.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens;
SUR CE, LA COUR,
Considérant que, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement entrepris ainsi qu'aux écritures des parties; qu'il sera seulement rappelé que :
- les sociétés Degré Celsius (société Celsius) et Alize Clim (société Alize) sont spécialisées dans la distribution et l'installation de systèmes de climatisation et de chauffage ; elles exercent concurremment leurs activités sur le même marché;
- M. Caillaud a été salarié de la société Alize en qualité de technico-commercial du 29 mars 2000 au 31 décembre 2009, date à laquelle il a été mis fin à son contrat de travail après signature, le 12 novembre 2009, d'une convention de rupture conventionnelle;
- il a été embauché par la société Degre Celsius à compter du 4 janvier 2010 ;
- la société Alize, disant avoir constaté que M. Caillaud avait travaillé pour le compte de la société Celsius alors même qu'il était toujours son salarié, a obtenu du président du tribunal de commerce de Pontoise une ordonnance sur requête, en date du 1er février 2010, désignant un huissier de justice aux fins notamment de prendre connaissance du contrat de travail et/ou des bulletins de paie de M. Caillaud ainsi que de tous devis ou autres documents portant son nom depuis le mois de janvier 2009 ;
- par ordonnance rendue le 12 mai 2010, le juge des référés du tribunal de commerce de Pontoise a désigné le même huissier aux fins de prendre connaissance de tous les documents permettant de savoir si la société Celsius avait des relations commerciales avant le 12 octobre 2009, "date de la démission" de M. Caillaud, avec les sociétés suivantes : Office set up, Ader, MBI technologie, Pubpharma, Etablissement français et Foncière LFPI et si ce n'était pas le cas, de prendre connaissance de tous devis ou autres documents portant le nom de M. Caillaud établis entre le 12 octobre 2009 et le 12 mai 2010;
- deux procès-verbaux de constat ont été dressés par l'huissier de justice désigné, les 8 février et 9 juin 2010;
- par acte du 5 octobre 2010, la société Alize, invoquant un débauchage de ses salariés par la société Celsius ainsi qu'un détournement de clientèle, a assigné cette société devant le tribunal de commerce de Pontoise en paiement de la somme de 900 000 euros à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale ;
- c'est dans ces circonstances qu'a été rendu le jugement entrepris qui a rejeté ses demandes ainsi que la demande formée à titre reconventionnel par la société Celsius pour atteinte à son image et procédure abusive ;
Sur ce,
Considérant qu'au soutien de ses demandes aux fins d'expertise et, subsidiairement de dommages-intérêts, la société Alize expose qu'à compter de la mi-décembre 2009, M. Caillaud a cessé de suivre ses chantiers, qu'elle a découvert dans les archives commerciales de son ancien salarié qu'il avait établi un devis le 13 octobre 2009 pour le compte d'une société concurrente, la société Celsius, devis concernant un de ses clients, qu'elle s'est aperçue qu'il avait communiqué les adresses courriers de nombreux clients ou prospects de la société Alize à la société Celsius, qu'il est établi que le gérant de la société Celsius savait que M. Caillaud était salarié de la société Alize ; qu'elle en déduit que la société Celsius a débauché activement M. Caillaud, que cette embauche d'un salarié proche de la retraite masque en réalité l'achat illicite d'un fichier clients, que le constat d'huissier établi le 9 juin 2010 démontre que la société Celsius a détourné ses clients notamment les sociétés Office set up, Ader, Pubpharma, Etablissement français, Omnidec, Gefco, Ballais, Hislen et Foncière LFPI ; qu'elle chiffre son préjudice à la marge brute que lui aurait permis de réaliser M. Caillaud s'il était resté son salarié jusqu'à sa retraite soit pendant 18 mois, calculée sur la base du chiffre d'affaires moyen qu'il permettait à la société de réaliser;
Considérant que la société Celsius oppose que M. Caillaud n'était pas tenu à l'égard de son ancien employeur d'une obligation de non concurrence, que l'embauche de M. Caillaud ne s'est accompagnée d'aucune manœuvre déloyale et n'a pas eu pour effet de désorganiser la société Alize et qu'elle est dès lors dépourvue de tout caractère fautif,
Sur le débauchage
Considérant qu'aucune manœuvre déloyale de débauchage n'est caractérisée à l'encontre de la société Celsius qui a embauché M. Caillaud à compter du 4 janvier 2010, ce dernier s'étant déclaré libre de tout autre engagement à l'égard d'une autre entreprise ; que la circonstance que les conditions de l'embauche de M. Caillaud aient été discutées et arrêtées alors que ce dernier n'avait pas quitté la société Alize ne sont pas de nature à établir une quelconque déloyauté de la part de la société Celsius; qu'il ne résulte par ailleurs d'aucun élément de la procédure que l'embauche de M. Caillaud ait eu pour finalité d'obtenir le fichier client de la société Alize ni qu'une contrepartie financière ait été proposée à cette fin à M. Caillaud , ainsi que le "suppose" la société Alize ;
Sur le détournement de la clientèle et le fichier clients
Considérant que la société Alize soutient à tort que le constat d'huissier établi le 9 juin 2010 démontrerait le détournement par la société Celsius de ses clients et notamment des sociétés Office set up, Ader, Pubpharma, Etablissement français, Omnidec, Gefco, Ballais, Hislen et Foncière LFPI;
Que s'il n'est pas contestable ni contesté que ces sociétés ont été, à un moment donné, clientes de la société Alize, le fait que certaines d'entre elles se soient vu proposer des devis de la part de la société Celsius postérieurement à l'embauche par cette dernière de M. Caillaud ne démontre pas en soi l'existence d'actes déloyaux de concurrence de la part de cette société, la société Alize ne détenant aucun droit sur sa clientèle laquelle était libre de changer de partenaire et pouvait être, le cas échéant, démarchée par M. Caillaud ; qu'il ne résulte d'aucune pièce de la procédure que ce démarchage aurait été mené selon des conditions déloyales telles une pratique de prix nettement inférieurs ou un dénigrement de la société Alize ;
Que la société Celsius démontre au demeurant qu'une des sociétés visées par la société Alize comme ayant été détournée par la société Celsius, la société Ader, a fait le choix de ne plus s'adresser à la société Alize compte tenu de la qualité de ses prestations jugée insuffisante ;
Considérant enfin que la société Alize n'établit pas la transmission par M. Caillaud de la liste de ses clients et prospects à la société Celsius, ainsi qu'elle allègue ; que le courriel du 9 octobre 2009 dont se prévaut la société Alize est un courriel que M. Caillaud s'est adressé sur sa boîte personnelle et ne caractérise , en conséquence, aucun acte déloyal de la part de la société Celsius ;
Sur le devis du 13 octobre 2009
Considérant que la société Alize verse aux débats un devis d'un montant de 292144,64 euros établi pour le client Foncière LFPI par la société Celsius le 13 octobre 2009 sur lequel le nom de M. Caillaud est mentionné comme étant le gestionnaire du dossier ;
Qu'il n'est pas contestable qu'à cette date, M. Caillaud était salarié de la société Alize qui l'a employé jusqu'au 31 décembre 2009;
Que la société Celsius ne peut utilement prétendre qu'elle ignorait que M. Caillaud était à cette date toujours salarié de la société Alize alors que les pièces produites et notamment les courriels échangés entre M. Caillaud et le gérant de la société Celsius établissent le contraire ; que la société Celsius ne peut utilement soutenir que M. Caillaud avait à la date du devis litigieux démissionné de la société Alize alors qu'il est établi qu'il a quitté la société Alize le 31 décembre 2009 après avoir signé le 12 novembre 2009 une convention de rupture conventionnelle ;
Considérant que l'existence même de ce devis établi par la société Celsius avec l'aide d'un salarié employé par un concurrent caractérise des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Alize ;
Que c'est en vain que la société Celsius fait valoir que, pour mettre un terme à toute polémique, elle a fait le choix de ne donner aucune suite contractuelle audit devis de sorte que la société Alize, qui s'est finalement vu confier le marché, n'aurait subi aucun préjudice ; qu'il s'infère en effet nécessairement d'un acte de concurrence déloyale un trouble commercial constitutif de préjudice;
Considérant qu'il convient dès lors d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Alize de sa demande au titre de la concurrence déloyale et de dire que la société Celsius a commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice ;
Considérant qu'il résulte des éléments qui précèdent qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'expertise judiciaire sollicitée par la société Alize, le jugement étant confirmé de ce chef;
Que le préjudice subi par la société Alize du fait du trouble commercial résultant des actes déloyaux de concurrence commis par la société Celsius sera réparé par l'allocation d'une somme de 5000 euros à titre de dommages-intérêts;
Sur les demandes reconventionnelles de la société Celsius
Considérant que la société Celsius reproche à la société Alize d'avoir abusé de son droit d'ester en justice en l'attrayant devant la justice et en interjetant appel du jugement et d'avoir ainsi mené fautivement une procédure portant atteinte à son image ; qu'elle sollicite la somme de 10000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et la même somme pour atteinte à son image ;
Mais considérant qu'aucun abus ni aucune faute n'est caractérisé à l'encontre de la société Alize dont les demandes sont en partie accueillies ;
Que la société Celsius ne peut qu'être déboutée de ses demandes reconventionnelles ainsi que l'a dit le tribunal dont le jugement sera confirmé de ce chef ;
Sur les dépens et frais irrépétibles
Considérant que le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles ; que la société Celsius sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et au paiement de la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement en ce qu'il a débouté la société Alize Clim de sa demande au titre de la concurrence déloyale et en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles;
Le confirme en ce qu'il a débouté la société Alize Clim de sa demande d'expertise judiciaire et la société Degré Celsius de ses demandes reconventionnelles pour procédure abusive et atteinte à son image ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que la société Degré Celsius a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Alize Clim;
Condamne la société Degré Celsius à verser à la société Alize Clim la somme de 5000 euros à titre de dommages-intérêts;
Déboute la société Degré Celsius de sa demande de dommages-intérêts pour procédure d'appel abusive ;
Condamne la société Degré Celsius à payer à la société Alize Clim la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne la société Degré Celsius aux dépens ;
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,